A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 58 : Détournement - partie 2

5309 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/06/2024 20:52

Chap 58 : Détournement - partie 2


- C’est quoi ce truc ?


Reiko écarta les jambes, se pencha en avant et plissa les paupières, intriguée.


- Le vent ?, reprit Killian en tendant le cou.

- T’as déjà vu une bourrasque qui change de direction toutes les dix secondes ? Et qui ne souffle que sur certains épis de maïs ? Et qui ne fait pas bouger les arb…

- J’ai saisi, l’interrompit le cadet, exaspéré. Des fermiers ?

- Hum.

- Qu’est-ce qu’on fait ? 


La pilote épousseta sa combinaison et se releva avec un manque flagrant de grâce, digne des pirates de l’Arcadia. 


- À ton avis ?

- Ne surtout pas s’enfiler dans un champ aussi grand que la gare de Destiny, dont on n'est pas sûrs de ressortir, vu que les plantes font ta taille et la mienne réunies ?


Reiko ébouriffa les cheveux gris-bleu de Killian, amusée.


- Leur parler. Leur parler, Black. Si le 414 s’est crashé par ici, ils savent forcément quelque chose. Un train volant, ça ne passe pas inaperçu. Tu t’es reposé ? Bien, on décolle.

- Oui, Commandant Speed, marmonna-t-il.

- Tu peux répéter ?

- J’ai rien dit m’dame.


La jeune femme se retint de pouffer.


- J’aime mieux ça.


Elle ne pouvait se l’expliquer mais se retrouver dans ce trou paumé agricole avec pour unique compagnie un stagiaire de l’administration, lui permettait de respirer un peu plus librement.  

Finalement, à l’instar d’Harlock, elle noyait ses soucis, non pas dans l’alcool - quoique pour le Capitaine ça restait discutable - mais dans le travail. 

Ils descendirent donc de la colline au pas de course et débouchèrent à l’entrée de l’immense plantation.


- On y est, lâcha Killian.

- On y est.

- Tu discernes quelqu’un là dedans ?

- Non.

- Du coup on fait demi-tour ?

- Non.

- Je m’en doutais.

- Allez… Suis-moi comme ton ombre. J’ai pas spécialement envie d’appeler Bruce pour lui avouer que je t’ai perdu dans la nature.

- Si on n’entre pas, on divise par deux le risque de s’égarer. 

- Je dirais même qu’il avoisinerait zéro mais à la SDF on aime vivre dangereusement, pas vrai ? 

- Pourquoi est-ce qu’on m’a muté dans un peloton de pareils inconscients ? 

- Va savoir, peut-être pour te décoincer ?, se moqua-t-elle en se faufilant entre les épis de maïs.

- Me décoincer ?, s’offusqua Killian.

- Arrête de râler, on a du pain sur la planche. 

- J’ai visionné un film d’horreur qui commençait exactement de cette manière, ronchonna-t-il.


Reiko poussa les tiges drues pour se frayer un chemin à travers les cultures, son équipier à sa suite. Ils progressèrent une bonne dizaine de minutes au milieu de la végétation épaisse, la pilote leur ménageant difficilement un passage au sein de celle-ci.


- Reiko Speed, Space Defence Fo… Aïe !, se plaignit-elle lorsqu’une branche lui fouetta le visage. 


Killian ne put contenir un rire narquois tandis que sa collègue se massait le nez en pestant.


- Putain de maïs de…

- Black, Space Defence Force, unité Sirius ! Nous recherchons l’express immatriculé 414, l’auriez-vous vu ?


Le silence fut la seule réponse qu’obtint le cadet.


- Ils ne sont pas encore à portée de voix, argua Reiko.

- Depuis le belvédère, ils semblaient pourtant proches de nous.

- Ils se sont probablement éloignés, étant donné que tu marches presque aussi vite qu’une limace.

- Hé !

- Attends !


Reiko se stoppa, concentrée à l'extrême, tous ses sens aux aguets.

Elle avait entendu une sorte de frémissement plusieurs mètres devant elle. 

Discret, certes, mais bien présent.


- Speed ! Space Defence Force ! Il y a quelqu’un ? Hé ho !

- Tu as rêvé, il n’y a rien…


Le frémissement, similaire au son d’un pas sur un tapis de feuilles, effleura à nouveau les oreilles de la militaire.


- Tiens, on dirait…

- Chut !


Un chuintement vrilla les airs. Instinctivement, Reiko agrippa Killian et l’obligea à se baisser une fraction de seconde avant qu’un éclair argenté ne frôle le sommet de leurs crânes respectifs.

La pilote fit volte face, le cœur battant à tout rompre.


- Qu’est-ce que c’est, bordel ?


Pliée en deux, le souffle court, elle s’approcha de l’objet.


- Une lame…? Mais pourquoi ? Pourquoi on nous attaquerait ici ?, chuchota-t-elle en la retirant de la tige dans laquelle elle s’était figée.

- Des pira… Bandits qui auraient pu détourner le train ?

- Plausible.

- Qu’est-ce qu’on doit faire ? Qu’est-ce qu’on doit faire ?, s’affola Killian.

- Du calme, lui intima-t-elle en l’attirant davantage vers le sol. Garde ton sang-froid. Inspire. Expire. Parfait. Recommence. Tu m’as expliqué que tu avais eu une formation, non ? Quel est le protocole dans ce genre de situation ?

- On… On…

- Réfléchis. Quel est le protocole ?

- Prévenir… Prévenir notre supérieur hiérarchique.

- Et ensuite ?

- On… On examine les alentours… Et on prend une décision rationnelle.

- Tout juste. Voilà ce qu’on va faire. Si on suit ces règles, rien de fâcheux n’arrivera.

- Et sinon ?


Elle posa une main qui se voulait rassurante sur l’épaule du stagiaire, tout en accrochant la dague à sa ceinture.


- Sinon, comme je te l’ai dit, je ne laisserai rien de fâcheux t’arriver. Je suis la plus gradée ici ce qui, entre toi et moi, n’est pas très compliqué. Donc, tu es sous ma responsabilité et tout ira bien, j’en suis persuadée. Fais-moi confiance et je ferai de même, vu ?

- D’accord… D’accord, ça me paraît être une excellente idée.

- Tu respires mieux ? On va leur montrer qu’on est une équipe de choc et qu’ils s’en prennent aux mauvaises personnes, okay ?

- O… Okay !, accepta-t-il, un peu ragaillardi par les encouragements de Reiko.

- Bon, étape numéro une.


Elle actionna son émetteur, sachant qu’à l’énoncé de cette nouvelle son époux allait très certainement faire une syncope.


- Ici Reiko pour Bruce et Manabu. Nous avons un problème. Je répète, nous avons un problème !

“- Reiko ! Je te reçois. Qu’y a-t-il ?”

- Nous sommes pris pour cible dans un champ de maïs par des individus non-identifiés. J’ai récupéré une espèce de poignard avec des… Euh, des inscriptions étranges dans une langue que je ne connais pas. Je vous transfère nos coordonnées.

“- Mettez-vous en sécurité, nous serons là d’ici une demi-heure. Soyez vigilants.”

- Promis.

“- Je t’aime, chérie.”

- Moi aussi.


Killian se dandina, soucieux.


- Et maintenant ?

- On suit les directives et on se déplace en rampant pour éviter de finir embrochés. Décision rationnelle.

- Hum ! 

- Ça va jouer. Ils ne nous verront pas. Sois le plus silencieux possible.

- Reiko… Je te… Je suis… Désolé pour ce que j’ai dit à propos de ton père.

- C’est pas le moment, Killian. 

- Ouais. T’as raison. Pas le moment. 


Ils avancèrent en serpentant à même le sol, cherchant à prendre de la distance avec leurs ennemis invisibles.

“Bruce doit être dans tous ses états… Il s’est maîtrisé car c’est son rôle en tant que Commandant, mais il n’en mène sûrement pas large. Il n’a pourtant pas à s’inquiéter, je contrôle totalement la situa…”


- Rayon laser !


Reiko s'aplatit de tout son poids sur son partenaire.


- Ils ont abandonné les couteaux pour une solution plus radicale.

- Ko… Rei…

- C’est bon, je nous couvre.


En dépit de ses compétences douteuses en matière de tir à l’arme à feu, la jeune femme pointa son pistolet en avant à l’instant où une pluie de traits lumineux et brûlants s’abattaient autour d’eux.

“Shooter c’est prendre le risque de se faire repérer mais il semblerait que ce soit déjà le cas, alors...”


- Changement de stratégie. Je ne sais pas comment ils nous ont trouvés mais ils ont l’air de s’orienter plus facilement que nous dans ce maudit labyrinthe. Donc, tu vas courir sans te retourner jusqu’à ce que tu réussisses à partir loin d’ici. Tu te planques, tu envoies ta position à Big1 et ils procéderont à une extraction d’urgence. Est-ce que c’est bien compris ?

- Non, ce n’est pas…

- Killian, est-ce que c’est bien compris ?

- Je…

- Je gère ici et je te rattrape.

- À tes ordres.


La pilote tira au hasard plusieurs rafales dans le but d’éloigner leurs poursuivants.


- Fous le camp, Black !

- Sois prudente.

- Hum.


Reiko posa un genou à terre et appuya sur la gâchette. Elle était incapable de dire si elle avait touché ou non leurs attaquants, mais elle s’estimait déjà heureuse si elle parvenait à octroyer suffisamment de temps à Killian pour s’échapper du traquenard dans lequel elle les avait précipités.


- J’aurais dû l’écouter, ça puait l’embrouille à des kilomètres à la ronde. Et qu’est-ce qu’on fait avec les embrouilles ? On s’enlise dedans, comme d’habitude, grommela-t-elle. J’suis pas assez chevronnée pour m’occuper d’un stagiaire, d’une princesse… Ou même d’un bébé. Tout ce que je peux faire c’est… Rester en arrière et leur offrir une porte de sortie.


Elle s’effaça sur le côté d’une torsion du buste afin d’esquiver un faisceau verdâtre qui lui roussit les boucles.


- Fais chier !


Des bruissements tout proches captèrent alors son attention et, par réflexe, elle étendit sa jambe droite avec une balayette puissante et visiblement bien placée, puisqu’elle eut la satisfaction d’apercevoir son adversaire en train de s’étaler dans le maïs tandis que son pistolet s’envolait dans les cultures. 

Sans perdre une seconde, elle sauta sur le soldat, lui écrasa sans vergogne les tibias et braqua le canon du cosmo-gun sur son front. 

Puis, elle eut un hoquet de surprise.


- Mais putain, qui êtes… ?


Le visage recouvert d’un masque argenté, le corps entièrement dissimulé sous une cape noire démesurée, celui qui lui faisait face se tint coi. Il ne tenta pas d’esquisser le moindre mouvement, se contentant de la fixer à travers une fente qui permit à Reiko d’entrevoir ses prunelles sombres.


- Space Defence Force, peloton Sirius. Pourquoi vous en prenez-vous à nous ? Savez-vous ce qu’il est advenu de l’express 414 ?


Comme elle pouvait s’y attendre, son interlocuteur ne répondit pas.


- Ne m’ignorez pas, gronda-t-elle. Le 414, où est-il ?

- Il n’est plus.

- Pardon ?

- Vos précieux passagers sont devenus ses serviteurs. C’est trop tard pour eux… Et pour vous !

- Complètement barge, ma parole.


C’est alors que des doigts effleurèrent délicatement le cou de la militaire et, avant qu’elle ne puisse réagir, l’enserrèrent brutalement.


- Que…


Elle voulut retourner son pistolet contre la personne qui essayait de l’étrangler mais l’homme masqué lui emprisonna le poignet. Du fait du manque d’oxygène, des étoiles dansèrent devant ses yeux et une migraine carabinée pulsa entre ses tempes.


- Allez… Vous… Faire foutre !, ânonna-t-elle en assénant un violent coup de coude dans le ventre de son agresseur.


Celui-ci se plia en deux et elle en profita pour se défaire de son emprise et pour catapulter son talon dans l’estomac de l’individu qui lui disputait le cosmo-gun.


- Lâchez-moi ! 


Elle propulsa un pied dans sa mâchoire et un claquement - métallique ? - inquiétant lui apprit qu’elle avait peut-être fracturé le maxillaire inférieur ou pire, brisé les cervicales, dans l’hypothèse où il s’agirait d’une créature biologique. 

En tous les cas, il retomba inerte et Reiko récupéra son arme. 


- Ne bouge pas.


Le soldat qui se tenait derrière elle s’était ressaisi et appuyait la pointe d’une dague aiguisée entre les côtes de la jeune femme qui s’immobilisa, haletante.


- Pose ça. Très bien. Tu vas venir avec nous et sans faire d’histoire, d’accord ?

- Pas… Pas d’accord.


Son adversaire ricana.


- Dommage qu’il faille te garder en vie.

- Me garder… En vie ?

- Mais si tu n’es pas coopérative, ils ne m’en voudront pas si je t’abîme un peu ? Pourvu qu’il y ait encore assez de sang.

- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous racontez ?


Le couteau s’enfonça de quelques centimètres dans la combinaison de Reiko qui hurla.


- Mon mari… Il vous le fera payer.

- Ce pauvre petit Commandant ? Vraiment ?, railla-t-il.


Elle tenta de se libérer mais l’aiguille affûtée la retint aussi sûrement que des chaînes en acier trempé.

La souffrance la fit s’affaisser contre le manteau de son tortionnaire, qui prit un malin plaisir à faire pivoter le poignard dans la chair de sa proie. Cette dernière, qui n’avait pas abandonné, chercha à tâtons la lame qu’elle avait arrachée de l’épi de maïs.


- N’y songe même pas, l’avertit-il en aplatissant ses phalanges.

- Crève, marmonna-t-elle.

- Quoi ?

- Crève ! 

- Sois sage ou je serai dans l’obligation de te faire mal, dit-il en accentuant sa prise sur le manche de l’arme blanche. Encore plus mal.


Un cri se terminant par un affreux gargouilli franchit les lèvres de Reiko, qui se recroquevilla sur elle-même.

“Je suis foutue. J’espère juste que Killian a pu se mettre à l’abri.”

Un sifflement sourd fusa alors dans les airs et la pilote hoqueta lorsqu’elle sentit que l’étreinte de son geôlier se faisait moins pressante.

Risquant le tout pour le tout, elle rampa péniblement hors de sa portée, maintenant son flanc dans lequel la dague était toujours fichée.


- Reiko !

- Killian ?


Le cadet s’agenouilla.


- T’es blessée ?

- C’est bénin, le rassura-t-elle en attrapant le manche du poignard. Pourquoi t’es là ?

- Parce que… Parce que je ne pouvais pas te laisser toute seule ici. On est… Une équipe, non ?

- Ouais.


Elle jeta un coup d'œil vers l’individu encapuchonné qui arborait un trou fumant dans la poitrine.


- Heureusement que tu vises mieux que moi sinon j’y serais passée. Que ce soit par sa lame ou par ton tir. Enfin bref, le résultat est là. Tu l’as bien calmé.

- Toi aussi, dit-il en désignant l’homme à la mâchoire fracturée.

- Enlève leur ce masque qu’on voit qui ils sont, ordonna-t-elle en retirant sèchement le couteau effilé et en comprimant l’hémorragie.

- À tes…


Des bruits de course se firent soudain entendre et Reiko se releva, vacillante, tout en étouffant un gémissement.


- Oublie, on n’a pas le temps, il y en a d’autres. Désarme-les, on décampe.

- Bien reçu. Tu saignes beaucoup ?

- C’est trois fois rien.


En vérité, la douleur était cuisante mais elle ne voulait pas affoler Killian inutilement.


- On reste ensemble, affirma-t-elle en empoignant l’avant-bras de son équipier. Pas question qu’on se perde de vue.

- Roger, accepta-t-il avec un clin d'œil.


***


- C’est de mauvaise augure, maugréa Bruce.

- Quoi ?

- Ils sont en mouvement.

- Qui ?

- Layla Destiny Shura et Heigoro Tôdo. Par tous les dieux, Yuuki, réfléchis un peu !

- Hé ! Je ne t’ai rien fait, moi ! Pas la peine de me prendre pour cible.


Le sniper examina une nouvelle fois sa montre connectée.


- Killian a actualisé leur position. Ils ont quitté le champ de maïs.

- Écoute, il n’y a aucune raison de s’alarmer…


Bruce enclencha son communicateur.


- Reiko, où êtes vous ?

“- On a été forcés de s’enfuir, ils étaient plus nombreux que prévu.”

- Des blessés ?


Son épouse ne répondit pas immédiatement, ce qui eut le don de lui mettre les nerfs en pelote.


- Reiko ! 

“- Rien de grave, te fais pas de bile. Par contre, on n’a pas eu l’occasion d’identifier nos agresseurs avec certitude. Il s’agissait peut-être d’humanoïdes mais…”

- La gravité.

“- Hein ?”

- La gravité des blessures, s’impatienta-t-il.

“- Superficielle, une déchirure au niveau de l’abdomen. Je dois te laisser. J’ai trouvé un stratagème pour nous extraire de cette zone dangereuse. On reprend la mission.”

- Chaton !


Manabu eut un petit rire.


- Elle n’en fait qu’à sa tête, hein ?

- La ferme.


***


- Tu rigoles.

- Absolument pas.

- Reiko, j’ai jamais fait ça.

- Parce que tu penses que moi, si ?

- Il y en avait des pareils sur Terre, non ?

- J’habitais à Tokyô.

- Et alors ?

- Ben, c’était une ville, pas la campagne, banane.

- Je ne fais pas ça.

- C’est pas plus compliqué que de piloter un Space Eagle.

- Ça n'a rien à voir. Les jets ça ne broute pas d’herbe.

- Lorsque tu sais comment en piloter un, tu les pilotes tous.

- Encore une fois, ton appareil n’a probablement ni patte, ni museau, ni euh… Poil. Et ton vocabulaire n’est pas euh… Adapté.


Embusqués derrière une barrière, le binôme du jour guettait les animaux qui paissaient tranquillement dans un enclos. 


- Ca s’appelle comment déjà ?, l’interrogea Killian. Des poneys ?

- Non, des euh… Chevals ?

- Chevaux, plutôt.

- Ah oui.

- On est miraculeusement sortis indemnes du labyrinthe. N’abusons pas de notre chance et continuons à pied.

- Faut qu’on prenne nos distances avec ces types. Rapidement. Et ces chevals sont le meilleur moyen à notre disposition.

- Chevaux. Et on n’a pas le droit de voler ces bestioles.

- Réquisitionner. On va réquisitionner ces bestioles, déclara la jeune femme en enjambant la clôture. Cas de force majeure, la Space Defence Force approuve. C’est dans le règlement.

- Je suis sûr qu’aucun article ne fait référence à… ! Non, hé !

- Petit, petit…


Reiko s’avança précautionneusement en tendant les bras en avant.


- Petit… Petit ? Hé, tu saignes quand même pas mal…

- Chut, tu me déconcentres, rétorqua-t-elle en plaquant trois doigts contre l’entaille afin de juguler le flux d’hémoglobine qui perçait à travers le bandage de fortune.

- Je ne le sens pas… 

- Je vais le dompter en moins de deux. J’ai lu un livre à ce sujet.

- Un livre ?

- Un manga pour être précise. Si le Marzbân Daryûn peut le faire, j’y arriverai aussi.

- Mais qui c’est ça ? Reiko, tu surestimes tes capa…


La pilote s’approcha en catimini tandis que l’équidé secouait sa crinière, curieux. Puis, elle déplia la jambe gauche en arrière, s’apprêtant à bondir.


- Non ! Mauvaise idée !

- T’occupe. Démonstration magistrale. Regarde et apprend.


Qui de Reiko ou du cheval fut le plus surpris ? Personne n’aurait su le dire et, malgré tout l’amour que votre auteure porte à la demoiselle Speed, elle se doit en toute honnêteté de vous conter ce qui suivit.

Magistral, en effet, fut le saut de notre héroïne. Cependant, le noble destrier, effarouché par cette tentative de chevauchée intempestive, se cabra et enfonça son sabot lustré dans les intestins de la militaire. Celle-ci opéra de ce fait une majestueuse envolée lyrique, qui s’acheva dans les barbelés entourant le champ.


- Rei… Ko. Est-ce que ça va ?!, demanda Killian en la rejoignant, légèrement paniqué. 

- Parfaitement bien, grogna-t-elle en se mettant debout. Tu veux la jouer comme ça le poney ? Tu vas découvrir de quel bois je me chauffe.

- Okay. Là, y’a vraiment pas mal de sang. Bruce va criser s’il te voit dans cet état.

- Bruce crise tout le temps au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Resserre ce machin. Encore plus. J’y retourne.

- Non, c’est définitivement un plan voué à l’échec. T’es pas Dayrun.

- Daryûn. Le Marzbân de Parse.

- T’es complètement allumée… Mais arrête !, s’écria le cadet. T’es clairement pas une cavalière. Aïe, ça va ?


Trois coups de sabots, quatre chutes, des bleus et de l’hémoglobine - étalée sur sa combinaison, le cheval et même sur Killian - plus tard, Reiko était enfin fièrement perchée sur le dos de l’équidé. 


- Une vraie dresseuse de chevaux de combat.

- Chevaux de combat ? C’est officiel, tu as disjoncté.

- Allez viens, je t’aide à monter.

- Non.

- Killian Black ne fais pas ta chochotte, s’agaça-t-elle en lui donnant la main.

- C’est non !

- Tu préfères que les créatures de ton film d’horreur nous rattrapent ?


*** 


- Dans ta face la bleusaille !


David sursauta et fit pivoter son siège, étonné.


- Qu’y a-t-il ?

- J’ai reconfiguré nos systèmes en tenant compte de la composition atmosphérique.

- Et donc ?

- Et donc, triple buse, j’ai obtenu la localisation du 414 !, claironna Louise en s’étirant. Alors ? C’est qui la meilleure ? Hein ?

- Il est entier ?

- J’en ai bien l’impression. Inclinez-vous tous devant mon intelligence et ma perspicacité !, poursuivit-elle avec un rictus machiavélique de savant fou.

- Mais oui, mais oui, on fera ça, soupira David.


L’Officière radar désigna son écran à l’ingénieur.


- Par contre, il n’est pas exactement là où on pourrait s’attendre à le trouver.

- L’essentiel, c’est qu’il soit intact. Préviens nos agents de terrain.

- Avec plaisir !, se réjouit-elle.


*** 


- Trop sympa ! C’est l’éclate totale !

- Carrément pas ! Et comment est-ce qu’on dirige un cheval sans corde ? Sans… Longe ? Va moins vite, je te rappelle qu’on n’a pas de selle ! T’as perdu trop de sang, tu n’es plus lucide !

- J’avais besoin de ça ! Ouvre bien grand tes mirettes, le train pourrait être n’importe où. Le train… Ou les tireurs-ninjas embusqués.

- Hein ?

- Hu, Shabrang !

- Shabrang ? Laisse-moi deviner, c’est le nom du canasson de ton manga ?

- Accroche-toi, le bleu.

- Tes habits sont poisseux et t’es bouillante. Je devrais conduire le poney.

- C’est moi qui pilote. Toujours moi qui pilote. Y compris les poneys. Hu !


Le destrier filait à toute allure sur une vieille piste poussiéreuse recouverte de broussailles. Si Reiko était grisée par la cavalcade, Killian, cramponné de toutes ses forces à la taille de cette dernière, priait pour que la course ne leur soit pas fatale.

Leurs émetteurs bipèrent alors avec insistance et, tant bien que mal, le cadet parvint à actionner le sien.


“- Louise pour les équipes sur Agrica. Je vous communique la position actuelle du 414.”

- Tu as réussi à le localiser ?, la questionna le stagiaire en tombant des nues.

“- Évidemment ! Je ne suis pas une amatrice, qu’est-ce que tu crois ?”

“- Bruce. Nous nous y rendons.”

- Nous aussi, répondit Reiko. Nous sommes loin, Killian ?

- À cheval et en maintenant ce rythme, pas plus de dix minutes, annonça-t-il en regardant sa montre.

“- À cheval ?”, se récria le sniper, interloqué.

- Longue histoire, rendez-vous sur site.

“- Me dis pas que t’as dérobé un chev…”


Elle coupa le microphone et étalonna sa monture, déterminée.


- Tu paries qu’on arrive avant eux ? 


*** 


- T’avais raison.

- Bien sûr que j’avais raison.


Killian et Reiko rampèrent dans les herbes folles aussi discrètement que possible et se penchèrent au-dessus d’un précipice beaucoup plus haut que large. 


- Mais c’est…

- Le 414.

- Comment s’est-il enfilé ici ?

- Tu veux dire… Qui l’a attiré là et pourquoi ?, rectifia Reiko.

- C’était pas un accident ?

- Plutôt un détournement, comme tu l’as mentionné tout à l’heure. Les tireurs-ninjas des maïs ne sont sûrement pas étrangers à tout ce bazar. 

- Tu penses que c’était des humanoïdes ?

- J’en sais rien. J’ai bien cru entendre des sons métalliques au moment où je les affrontais mais c’était… C’était bizarre.

- Bizarre ?, répéta Killian.

- Pas comme d’habitude.

- Hum, ça ne nous avance pas.

- Sans déconner.

- Et là que fait-on ?

- Donne-moi une minute, je réfléchis, le morigéna la militaire.


Elle observa les alentours, dubitative. L’express s’était faufilé dans une sorte de voie de transport de marchandises menant vers les souterrains de la planète.


- Les fameux. Ils existaient donc bien, marmonna-t-elle dans sa barbe.

- Tout est calme, où sont les passagers ?, l’interrogea le jeune homme.

- Je l’ignore. Je ne discerne rien de l’autre côté des vitres des wagons avec ce contre-jour.

- On descend et on va inspecter ?

- C’est peut-être un piège mais nous n’avons guère d’alternative. En tout cas, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de sniper.

- À toi l’honneur, alors.

- Ouais.


Reiko activa son émetteur et se régla sur la fréquence de l’unité Sirius.


- Speed et Black. Nous avons le 414 en visu aux coordonnées indiquées par Louise. Nous allons examiner les voitures et vérifier que les voyageurs sont sains et saufs.

“- Bruce. Faites attention. Et ta plaie ?”

- Tout est sous contrôle.

“- On sera sur les lieux dans un quart d’heure.”

- À tout de suite. 


Elle se mit hors tension et se tourna vers son coéquipier.


- Allez, suis-moi et pas d’imprudence.

- Oui.


Précautionneusement, le duo entama une désescalade risquée durant laquelle ils manquèrent de chuter plus d’une fois. Reiko, qui veillait sur Killian, le plaqua à de nombreuses reprises contre les rochers afin d’éviter qu’il ne s’écrase au sol comme une vulgaire crêpe.


- L’exercice physique, c’est pas ton truc, hein ?, ahana-t-elle, essoufflée. C’était pas le mien non plus, mais Bruce m’a entraînée jusqu’à ce que j’en vomisse. Et, quoi qu’il raconte, c’était pas à cause… Pas à cause des sorbets. 

- Des sorbets ?

- Ouais… Bref, tout ça pour dire que sa méthode d’ours des cavernes a porté ses fruits et que je suis moins balourde. Tu veux que je t’inscrive à sa prochaine session ?

- Plutôt mourir.

- Je conçois que cette option est plus séduisante, reconnut-elle en happant le col du stagiaire, tandis qu’il menaçait à nouveau de perdre l’équilibre.


Après moult frayeurs, ils posèrent enfin un pied à terre. Tiraillée par sa balafre, Reiko agrippa sa combinaison, les doigts agités de tressaillements. Bien qu’elle s’efforçât de n’en laisser rien paraître, elle avait été éprouvée par le combat, la lame s’étant profondément enfoncée dans sa chair. Sur ses gardes, elle détailla toutefois le train et, prudemment, jeta un œil à travers l’une des fenêtres.


- Y’a quelqu’un ?, questionna Killian, un brin étourdi.

- C’est désert… Je crois.

- Ils ont été kidnappés ?

- C’est plausible. On débute les investigations pour en avoir le cœur net.

- Bien reçu.


*** 


- On ouvre comment ? C’est verrouillé.

- D’ordinaire, j’aurais mis mon poing dans la vitre mais Énide m’a très justement fait remarquer qu’il y a des solutions plus logiques. 

- C’est qui Énide ? La copine de Dailûn de Tarse ?

- Daryûn de Parse. Et non, il s’agit de l’une des princesses de l’Empire d’Astoria.

- Tu t’es cognée quand t’essayais de monter le canasson ? Tu peux me l’avouer, y’a pas de honte à avoir.

- Un peu de respect envers ta sempaï, minus. 

- Dans tes rêves, Speed. 


Reiko dégaina son cosmo-gun et tira dans le système de fermeture, perçant un trou brûlant dans l’acier.


- Plus efficace que de déglinguer mon auto-mail.

- Ta prothèse bionique ? T’es une espèce de cyborg en fait. 


Face au regard sombre que lui renvoya sa partenaire, Killian ravala ses commentaires, comprenant qu’il avait probablement dépassé les bornes.


- Restons vigilants.


La voiture dans laquelle ils s’étaient infiltrés était vide. Seules demeuraient les affaires des passagers, étalées sur le parquet, comme si quelqu’un avait fouillé chaque valise et chaque sac à main. 


- Ils se sont faits enlever par les mecs du maïs.

- Silence, Killian.


Ils progressèrent en appliquant les techniques de vérifications enseignées à la SDF, Reiko en tête de file.

Lentement mais sûrement ils gagnèrent le second, puis le troisième wagon.


- Où sont-ils tous passés ?

- On va appeler Bru…


La militaire se pétrifia en avisant une silhouette voûtée qui se détachait du fond de la voiture.


- Un voyageur ?

- Monsieur ? Je suis Reiko Speed, peloton Sirius de la Space Defence Force.


L’homme, vêtu d’un costume trois pièces en désordre, ne leva pas les yeux et continua à fixer résolument les fauteuils.


- Monsieur… ? Êtes-vous blessé ?, insista-t-elle. Nous sommes là pour vous secourir.


Celui-ci émit un petit ricanement, qui se transforma rapidement en un rire incontrôlable.


- Trop tard.


Il redressa le menton et un sourire malsain étira ses lèvres.

Un sourire diabolique.


- Bordel, qu’est-ce que c’est encore que cette embrouille ?, s’alarma Reiko en effectuant un pas en arrière.

- Il les a pris, lâcha-t-il d’une voix sourde.

- Qui ça ?, demanda Killian, glacé par l’effroi.

- Recule, lui intima-t-elle. C’est pas normal.

- Qui ?, répéta l’employé de bureau.


Il fit rouler ses pupilles dans ses orbites écarquillées.


- Le Chaos.


Il marqua une pause avant de reprendre.


- Et il viendra bientôt pour toi, gamine.

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