A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 54 : Éphémères - partie 1

5450 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/05/2024 17:23

Chap 54 : Éphémères - partie 1


Les yeux perdus dans le vague, Reiko remuait son thé, faisant tinter les glaçons au fond du verre. 

Trois mois s’étaient écoulés depuis l'inauguration de la gare de Râ-Metal et il lui était toujours difficile de se remettre des révélations de Maetel et de Leopard. Ce jour-là, une fois qu’elle eût terminé de vider son sac dans les bras de son mari, le couple avait quitté la réception sans délai avant d’embarquer dans le premier train à destination de Destiny.

Exsangue, elle avait laissé Bruce gérer leur départ précipité. Ce dernier avait d’ailleurs eu toutes les peines du monde à convaincre Manabu et Louise qu’il ne s’était rien produit de gravissime. L’Officière radar avait lourdement insisté pour rentrer avec eux mais le Commandant était finalement parvenu à lui faire comprendre que sa présence n’était pas nécessaire et que Reiko avait simplement besoin de repos.

Quelques heures plus tard, alors que le sniper ronflait à poings fermés, bercé par le moteur de l’express Procyon, elle avait contacté Harlock.

Sans l’interrompre, le Capitaine l’avait écoutée dérouler son récit et ses inquiétudes. Puis, lorsqu’elle se fut tue, il lui posa une seule et unique question : “Poussin, est-ce que ça va ?”

Les sanglots qui s’étaient ensuivis avaient été une réponse suffisamment éloquente pour que son père intime à l’Arcadia de changer de cap.

La pilote l’avait néanmoins persuadé qu’il était inutile qu’il bouleverse ses plans puisque Bruce veillait sur elle. Bien que dubitatif, le pirate avait cédé à ses injonctions.


“- Otto-san, pourquoi a-t-elle fait ça ? Pourquoi est-ce qu’elle ne nous a rien dit ?

- Je l’ignore, usagi. J’imagine qu’elle a ses raisons. Maetel est capable de lire entre les fils tissés par le destin. Qui sait ce qu’elle a pu discerner ?

- Elle… Elle a tué des enfants ! Tu ne peux pas cautionner ça quand même !

- Bien sûr que non, mais nous n’avons pas toutes les clefs en mains pour juger de sa culpabilité, tu ne crois pas ?

- Elle a avoué son implication, Tto-san ! Elle a sciemment dissimulé l’identité de notre ennemie, vous a laissés mener des recherches en vain, n’a rien dit concernant la correspondance entre le métal des bombes et celui d’Heavy Melder, a fait semblant de ne pas savoir d’où venaient les voix de Râ-Metal… En résumé, elle nous a menés en bateau !

- J’ai compris tout ça et je ne l’approuve pas. Je vais la retrouver et…

- Elle voulait assassiner Tetsuro ! Tu te rends compte ?

- J’ai rencontré les jeunes garçons avec lesquels elle a voyagé ces deux dernières décennies, mais jamais je n’aurais cru… Que le sort qui leur avait été réservé était aussi funeste.

- Papa… Et maintenant ?”


Harlock lui avait alors préconisé de prendre ses distances avec cette histoire et de se concentrer sur ce qu’il y avait de plus important : sa famille et son job.

Ce à quoi Reiko lui avait promis de s’atteler.

Cependant, en dépit de tous ses efforts pour se détendre, elle demeurait préoccupée et soucieuse.

Dans quelle mesure la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques était-elle impliquée dans ce complot ?

Les époux Speed s'étaient penchés sur la question durant de longues heures sans aboutir à une opinion commune.

D’après Reiko, Layla Destiny Shura ne pouvait ignorer les raisons pour lesquelles le 999 avait toujours bénéficié d’un sauf conduit à travers Andromède jusqu’à son terminus… Râ-Metal. 

Bruce était plus nuancé. Selon lui, puisque les humanoïdes dominaient une bonne partie de l’univers, il n’était pas exclu que Promethium ait fait chanter le Galaxy Railways afin d’obtenir que seul le 999 soit autorisé à atterrir sur sa planète et ce, sans avoir à divulguer ses intentions néfastes.

Bien que cohérents, ces propos ne convenaient guère à Reiko, qui était au courant du lien étroit qu’entretenaient Maetel et Shura.

Toutefois, l’avis du sniper concordait avec l’affaire des bombes à diffusion ondulatoire, qui avaient anéanti un grand nombre des infrastructures de la Compagnie.

Si Shura avait eu connaissance des origines de ces explosifs et de la nature du métal à résonance électrique, le travail de la SDF aurait été considérablement simplifié.


“- Elle ne sait sans doute pas tout, mais je ne peux pas croire qu’elle soit aussi aveugle que tu le prétends.

- Chaton, tu penses vraiment que si elle était au parfum de cette machination, elle aurait sacrifié la vie de tous les passagers et du personnel qui bossait dans ces stations ? Et puis, si l’objectif de la reine était d’annihiler le Galaxy Railways pour freiner la résistance, il est difficile d’envisager qu’une alliance existe ou ait existé.

- “Alliance” peut-être pas mais “complaisance”, sûrement ! On ne peut faire confiance à personne !

- Pas même à moi ?

- J’ai dit “on”, patate !”



En bref et dans l’intérêt de tous, Bruce avait décrété qu’il était vital que sa chère et tendre prenne du recul sur cette situation et avait provisoirement banni les termes “humanoïdes”, “Promethium”, “Râ-Metal” ou encore “Maetel” de leur appartement.

De ce fait, Reiko gardait ses songes pour elle-même et avait débuté la rédaction d’un journal dans lequel elle notait scrupuleusement le fruit de ses réflexions.

Pour l’instant et malgré ses a-priori, elle n’avait pas écarté la présomption d’innocence du Galaxy Railways.


- Chaton ? Tu dors ?

- Hein ?

- T’es dans la lune.

- Ouais, désolée pour ça.


Bruce reposa l’arme qu’il nettoyait sur la table.


- Tu veux en parler ?

- Euh…, balbutia-t-elle en louchant.

- Non, t’es encore branchée là-dessus ?, s’exaspéra le Commandant en levant les yeux au ciel.

- On voit bien que ce n’est pas TON amie qui s’est avérée être un monstre.

- Pour le moment, on ne peut rien faire de plus, alors essaie…

- … De déconnecter. Oui, je sais !


Manabu, Louise et David faisaient la sourde oreille, préférant ne pas se mêler de la dispute du couple volcanique.


- Au fait, j’avais oublié mais c’est aujourd’hui…, commença Bruce, désireux de changer de sujet.

- De quoi ?, l’interrogea Reiko en mâchouillant une madeleine d’un air revêche.


La porte s’ouvrit à la volée, dévoilant la silhouette d’un jeune homme d’une vingtaine d’années. Des cheveux gris, des iris noisette, il était vêtu de la tenue mauve des cadres de Direction, ornée d’un blason qui n’était pas étranger au peloton Sirius.


- Killian Black, à votre service !


***


- … Et donc, j’ai décroché un score optimal lors de…

- Il m’énerve, fulmina Manabu.

- Et moi donc, déclara Reiko.


Le nouveau venu discutait avec Louise, nonchalamment installé dans le canapé. Depuis près de quinze minutes, il vantait ses propres qualités et tentait maladroitement de charmer l’Officière radar, sous le regard du duo de têtes brûlées de l’unité Sirius assis au fond de la pièce. L’un, agacé de le voir courtiser ouvertement la fille qui lui plaisait, l’autre ne supportant pas les fanfaronnades gratuites.


- J’ai pas envie d’être son instructeur, se désola l’artilleur.

- Bon courage !, maugréa Reiko. Bruce excepté, t’es le plus à même de remplir cette mission. T’aimerais pas que ce soit Louise qui s’en charge, pas vrai ?

- Et si le Commandant Lawrence…

- N’y pense pas, intervint le sniper. Dorénavant, ce type c’est ta responsabilité. Le QG nous l’a temporairement confié. Il doit effectuer une immersion sur le terrain avant d’être officiellement diplômé comme cadre supérieur.

- Koko est aussi qualifiée...

- Non !, s’exclama le couple dans un ensemble parfait.


Pour rien au monde, Bruce n’abandonnerait cet importun avec sa femme et il était inutile de préciser que cette dernière n’était pas réputée pour sa patience.


- Allez, Nabu, tu peux le faire.

- Yuuki, je compte sur toi.

- Hé ! 


Une alarme résonna dans la salle de pause, mettant fin au débat.

Comme un seul homme, la section Sirius sauta sur ses pieds et se rua vers le quai d’embarquement de Big1.

Killian suivit tant bien que mal le mouvement, observant avec un étonnement non dissimulé ses partenaires rejoindre leurs postes de combat.


- Pression de la chaudière interne, okay !

- Valves en position.

- Radars calibrés !

- Armement opérationnel !

- Space Eagles, stand by !

- Circuit principal connecté.

- System all-green !


Le visage fermé, Bruce s’avança au centre de la “control room”, à l’instant où les wagons s’accrochaient à la locomotive dans un claquement sonore.


- Big1, décollage immédiat.


Un sifflement retentit dans l’atmosphère et le train s’élança dans l’espace.


*** 


- Voilà le topo, expliqua le Commandant dès qu’ils furent en vol stationnaire. Des pirates ont attaqué l’express Procyon au point X-12458, embranchement 4856 du Galaxy Railways.

- Des… Pirates ?, commenta Reiko, mécontente.

- Tu veux que j’utilise quel terme ?

- N’importe lequel sauf celui-là.


Il soupira avant de reprendre.


- Des assaillants non-identifiés ont donc pris d’assaut l’express Procyon. Pour le moment, leur bouclier tient le coup mais ça ne durera pas éterne…

- C’est quoi le problème avec ce mot ?, questionna naïvement Killian.


Une bouffée de chaleur monta à la tête de la pilote.


- Le problème, monsieur Black, c’est que ces bouffons ne méritent pas d’être désignés de la sorte. Il n’y a que deux personnes dignes d’être nommées ainsi et elles ne sont sûrement pas les instigatrices de ce carnage.

- Mériter ? Digne ? Il s’agit bien de pirates, là ? Ces plaies qui infestent l’univers ?

- Ces plaies ?


Reiko se leva, hors d’elle.

Personne n’avait le droit de vilipender son père.

Absolument personne.


- Tu veux te battre ? La vérité, je t’éclate ici et maintenant.

- Hein ?


Alors que la jeune femme rejetait son siège en arrière, Bruce et Manabu fondirent sur elle simultanément afin de la maîtriser.


- Vous l’avez entendu ?, s’écria-t-elle en se débattant. Mais vous l’avez entendu ?

- Qu’est-ce qui lui arrive ? Elle est complètement dingue ma parole !, s’offusqua Killian.

- Parle mieux de mon père ou je te garantis que je vais te défon…

- Ton père ? C’est qui ton père ?

- Reiko, tu arrêtes ou c’est la mise à pied, rugit le sniper. Et toi, tu surveilles ton langage.

- Moi ?, demanda Killian, outré.

- Bruce ! Il a… Il a…

- Assis.


Elle obéit à contre-coeur, révoltée.


- Bien, Commandant, mais s’il ose insulter…

- Re-i-ko.

- Ça va, j’ai compris, ronchonna-t-elle en fixant farouchement sa console.

- À la prochaine interruption, c’est la suspension, vu ?, gronda-t-il en dévisageant tour à tour ses recrues. 

- Je n’ai rien fait... !

- Killian !, le prévint Manabu. Ça suffit.

- Des plaies qu’il a dit. Des plaies qui infestent l’univers… Cette espèce de gros… 


David, qui était le plus près de la pilote, apposa une main contre sa bouche pour la contraindre au silence.

Furieuse, cette dernière ne parvenait pas à retrouver son état normal. Que l’on s’en prenne à sa famille, que l’on dénigre celui qui avait pris soin d’elle lorsqu’elle n’était qu’une gamine des rues était tout bonnement inadmissible.


- Ilvautmilfoicet…

- T’as envie d’être clouée au sol pour les dix prochaines années ?, marmonna David.

- Nan.


L’ingénieur enleva ses doigts du visage de son amie et celle-ci reprit le travail, ombrageuse.


- Bien, tout le monde s’est calmé ? Et sinon, est-ce que le sort des passagers de Procyon intéresse quelqu’un ?

- Nous arriverons au point de de l’affrontement dans dix minutes, les renseigna l'Officière radar.

- La négociation n’est plus une option puisque les tentatives de pourparlers du QG n’ont pas abouti. Manabu, utilise toute notre artillerie disponible, Louise tu le guideras et David…

- Ouais, aucun rayon laser ne nous touchera. 

- Reiko, tu peux décoller, mais au moindre excès de zèle, je t’obligerai à ramener tes fesses illico presto.

- Oui, Commandant. C’est super, Commandant. Autre chose pour votre bon plaisir, Commandant ?

- L’insolence est encore punie à bord de ce train, lui rappela-t-il, irascible.

- Hum.

- Et moi ?, l’interrogea Killian.

- Toi tu la boucles et tu bouges pas de ton poste. Des questions ? Parfait, mention adoptée à l’unanimité. Au boulot.


Bruce détailla son épouse qui, morose, gardait les yeux résolument rivés sur son écran.

“Quelle attitude disproportionnée... L’Arcadia a longtemps été son seul foyer mais je n’aurais jamais cru qu’elle puisse prendre aussi mal une réflexion. Probablement que le manque de sommeil n’aide pas… Sayuri a été malade toute la nuit et elle est restée à son chevet pour me permettre de récupérer. Sans compter qu’elle cogite sans cesse à propos de Maetel, de Râ-Metal et de tout ça… J’aurais dû être plus vigilant. Je devrais peut-être pas la laisser piloter si elle est autant sur les nerfs.”

Reiko, qui avait senti le poids du regard de son mari, fit volte face et lui renvoya une œillade qu’il traduisit aisément par “‘même pas en rêve”.

Grognon, il croisa les bras et se pinça les lèvres. 


- Je rejoins mon appareil.

- Sois prudente, chaton.

- Promis.


Le vantail se referma derrière elle tandis que Killian, livide, se penchait vers Louise.


- Cha… Chaton ?, chuchota-t-il, éberlué.

- C’est sa femme.

- Hein ?

- Ils sont mariés, révéla-t-elle en détachant abusivement chaque syllabe.

- Pas vrai. Cette hystérique… ?

- Répète ça à voix haute et tu pourras dire adieu à ta future carrière de cadre.

- Pas de messe basse, les avertit Bruce sèchement.

- Compris !


*** 


Reiko enclencha les différents systèmes du chasseur, maussade. Elle n’était toujours pas redescendue en pression. De ce fait, elle était impatiente de voler pour se vider la tête et exterminer ceux qui osaient s'autoproclamer “pirates”.

Les remarques de Killian Black l’avaient mise de mauvaise humeur. Trop nombreux étaient les gens à honnir le Capitaine Phantom F. Harlock pour des crimes qu’il n’avait pas commis. Des calomnies illégitimes et imaginaires lui ayant valu le surnom “d’ennemi public numéro un” toutes galaxies confondues. 

Quelle injustice pour un homme qui consacrait sa vie à protéger les peuples organiques !

Tout le contraire de Maetel, qui poursuivait tranquillement son voyage à bord du Galaxy Express 999 sans avoir à répondre de ses meurtres.


- J’ai sans doute eu une réaction un peu excessive mais s’il savait tout ce qu’Otto-san a fait pour secourir les plus démunis, alors… Il aurait tôt fait de ravaler ses critiques ce petit con, persifla-t-elle, acerbe.


Elle acheva ses préparatifs et actionna le microphone.


“- System, all green. J’attends les instructions. Terminé !”


***


“Elle est furax. J’ai rarement perçu autant de colère dans sa voix.”

Bruce se gratta le cuir chevelu, fatigué. 

Le caractère de Reiko s’était affirmé ces derniers mois. Elle n’était plus aussi maladroite et timide qu’à ses débuts. D’après le sniper, son charme en avait été décuplé et, même si cela l’inquiétait, il devait avouer que cela ne lui déplaisait pas. 

Il y a deux ans, elle lui avait expliqué qu’elle cherchait à se frayer un chemin dans le vaste océan de l’univers pour se prouver qu’elle était capable de survivre par propres forces.

“Je pense qu’elle a pris la bonne décision. On croirait que la SDF est taillée pour elle. Enfin… Sauf quand elle me fait ce genre de scène.”


- Commandant, sortie du portail dans trois… Deux… Un !


Lorsqu’ils atteignirent la jonction X-12458, embranchement 4856 du Galaxy Railways, une bataille sans merci se déroulait sous leurs yeux. 

Où plutôt une exécution.

L’express Procyon était pris sous le feu d’un vaisseau de taille moyenne muni de tourelles et de pulsars, à la forme longiligne, sur lequel était peint une tête de mort similaire à celle arborée par l’Arcadia du Capitaine Harlock.

Son bouclier n’avait pas encore cédé mais les vibrations énergétiques autour des voitures signifiaient clairement qu’il était proche de la rupture.


- Yuuki ! 

- À tes ordres.

- Louise, passe l’aéronef au crible et détermine s’il a un point faible. David, détourne son attention du train de passagers.

- Je peux épauler Louise-chan, proposa Killian. Je suis plutôt doué en ce qui concerne…

- Non, toi tu observes en silence.

- Louise-chan ?, grogna Manabu.


Puis, Bruce attrapa son émetteur et composa le numéro du hangar.


- Reiko, décollage autorisé mais pas…

“- … D’excès de zèle, je sais.”


Il fronça les sourcils, exaspéré.


- Tu as déteint sur elle, vieux. Te plains pas si elle devient comme toi.

- La ferme, David.


*** 


- J’y vais ! 


Le toit du wagon se déploya et la pilote tira le manche contre elle. Le Space Eagle fusa dans l’espace et elle abandonna Big1, ainsi que ses soucis, derrière elle.


- Tanoshimu ! Et si on s’amusait un peu ?, déclara-t-elle avec enthousiasme.


Elle se propulsa en direction du vaisseau et, à l’instar de Manabu, ouvrit le feu. Les faisceaux rougeoyants du train et du jet percutèrent le bâtiment adverse au même instant, creusant un large trou dans la carlingue.


- Amateurs, lâcha-t-elle, méprisante. Ne vous revendiquez pas comme des pirates si vous n’en avez pas l’étoffe !


Elle fila sous le ventre de l’aéronef, le harcelant sans répit. Une tourelle vola en éclat, une batterie de pulsars explosa et l’un des ponts inférieurs s’enflamma.


- Quel beau spectacle, se réjouit-elle, narquoise. C’est presque trop facile, hein ?


Reiko se dirigea vers la passerelle en esquivant habilement les traits hasardeux qui tentaient de l’intercepter.


“- Nabu, on les achève ? On s’ennuie !”


Étonnamment, elle n’eut aucune réponse. La jeune femme haussa un sourcil intrigué, se demandant brièvement si son communicateur n’était pas encore tombé en panne.


- Le matériel de la SDF… Il va falloir qu’Akatsuki programme une révision, les systèmes sont de plus en plus instables. Manabu ? Yuuki Manabuuu ?


Perplexe, elle se pinça les lèvres tout en redressant son appareil.


- C’est bizarre ça.


Elle effectua un retournement en immelman et émergea de l’arrière du vaisseau, qui déversait toute sa puissance de feu restante sur le train de combat de la Space Defence Force.

Train de combat qui avait tout l’air d’être… Immobilisé ?


- Bruce ? Bruce ? Tu me reçois ? Pourquoi vous ne tirez plus ? Hé, ho !


Jurant à voix haute, elle chassa à tribord pour se placer entre Big1 et le navire ennemi, qui profitait de cette interruption pour acculer le peloton Sirius.


- Mais… Mais…! Notre bouclier est brisé ? C’est quoi ce bordel ?


Plusieurs foyers incendiaires s’étaient constitués dans les voitures du train et celui-ci paraissait déjà bien mal en point.


- On dirait… On dirait que… Que Big1 est hors service ?


***


- Lâche-le !

- Je vais buter ce stagiaire de merde !

- Je voulais aider !

- T’es sourd ou quoi ? Mes ordres étaient limpides pourtant ! Pas bouger ! Pas parler ! Qu’est-ce que t’as pas saisi, imbécile ?

- Bruce !, lui intima David en haussant le ton. Repose-le, on a d’autres problèmes là !

- La faute à qui ?, tonna le Commandant, hors de lui.

- Je pouvais pas savoir qu’il y aurait une incompatibilité système si je boostais l’armement ! Ça aurait dû marcher !, se justifia Killian.

- Au lieu de ça, un dysfonctionnement majeur s’est répandu comme un virus dans nos circuits, rétorqua l’ingénieur. Le reboot va nous prendre au moins trente minutes. 

- Bien joué crétin. Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on me colle un type pareil ?


Dépité, le sniper envoya valser sa nouvelle recrue contre une console.


- Prévenez le QG, il nous faut du renfort.

- Le temps manquera. Sans barrière magnétique, commença Louise d’une voix blanche, ils nous auront anéantis d’ici…


Une violente secousse agita le wagon de commandement et projeta l’Officière radar à terre, lui ôtant ainsi la possibilité de terminer sa phrase.

Bruce s’avança à pas lourds, l’empoigna sans douceur par la taille et la vissa à son siège, préoccupé.

La situation était alarmante, si ce n’est catastrophique.

Comment le Commandant Bulge aurait-il géré ce merdier ?

Que faire pour éviter le drame qui se profilait ?

“Tout risquer pour ne rien perdre ?”


- Louise, emmène le débile avec toi et déverrouillez les valves hydriques en manuel. Manabu, David, affrétez chacun un Space Eagle. Reiko ne pourra pas descendre le vaisseau, nous couvrir et secourir les voyageurs. Et… On ne va pas attendre notre dernière heure les bras croisés.

- Bien reçu !, s’écrièrent-ils en se précipitant vers la porte.


“Ou au contraire, tout perdre.”


***


- Big 1 ! Putain, tu réponds, Big1 ?


Encore une fois, le silence fut l’unique interlocuteur de la pilote.

Quel était le plus urgent ? Protéger l’express ? Ses coéquipiers ? Tout miser sur une attaque éclair ? En ayant recours aux torpilles, elle pouvait toujours espérer le one-shot… Cependant, cela nécessitait de laisser le train livré à lui-même et, dans son état actuel, un seul tir au niveau de la locomotive le réduirait probablement en miettes.


- Bruce, mais qu’est-ce que vous avez foutu ?


Comme il lui était impossible de se résoudre à s’éloigner du Chien de Garde de la Galaxie, elle se contenta de multiplier les manœuvres dangereuses pour concentrer les salves dans sa direction.

“Chaque minute de répit que je peux leur offrir pour accélérer les réparations est précieuse. Et, si une faille venait à se dessiner dans leur défense, je m’y engouffrerais. Pas le choix. Au moins l’express Procyon ne les intéresse plus… Pour l’instant.”


- Estimons-nous heureux qu’il n’y ait pas de chasseur ou ça aurait signé notre arrêt de mort sans préavis.


Elle tournoyait et virevoltait crânement de manière à provoquer les pirates. Stratégie qui semblait manifestement fonctionner puisque leurs tirs redoublaient d'agressivité et que, contrairement au début de la bataille, les esquiver requérait toute son énergie et toutes ses ressources.


- J’ai pas peur de vous, usurpateurs de pacotille, lâcha-t-elle entre ses dents, en suant à grosses gouttes. 


En vérité, elle réfrénait difficilement la panique qui, tel un tsunami destructeur, menaçait de frapper les rivages de son esprit.

Ses rayons laser touchaient plus rarement le vaisseau et les dégâts qu’elle lui infligeait étaient dérisoires.


- Bruce… 


Attirer les faisceaux adverses puis les éviter se révélait être épuisant. Les phalanges serrées autour du manche directionnel, elle enchaînait les acrobaties à s’en donner mal au cœur.


“- Besoin d’un coup de main, le baron rouge ?”

- David !

“- Désolé d’avoir tant tardé !”

- Nabu.


Elle soupira, soulagée.


- Je suis ravie de vous entendre. Que s’est-il passé ?

“- Le bleu a fait des siennes. L’ordinateur central se réinitialise.”

- Combien…?

“- Vingt minutes.”

- Je vois.


Elle prit une grande inspiration et ses doigts cessèrent de trembler.


- Je vous confie Big1 et Procyon. Je vais en finir avec eux. 

“- Fais gaffe à toi.”

- Roger.


*** 


- Vous en avez mis du temps, s’irrita Bruce.

- Plus de la moitié de nos wagons sont atteints, argua Louise.

- Tout est maîtrisé ?

- Oui, mais nous sommes sur un fil…

- Inutile de me le rappeler.


La jeune femme s’installa devant sa console.


- Dans dix minutes nous serons de nouveau opérationnels.

- C’est trop long.

- Je pourrais…


Le regard que lui renvoya le Commandant força Killian à ravaler ses paroles.


- À mon signal, répondit-il simplement. 


“Reiko, tiens bon encore un peu.”


***


La pilote, qui avait retrouvé toute sa ferveur et sa volonté, engagea les faux-pirates, pressée que le combat s’achève.

Elle ne s’amusait plus, fâchée contre elle-même d’avoir tant retardé l’exécution finale. 

“Si j’avais pris les choses au sérieux dès le début, j’aurais épargné bien des peines à Big1 et à ma section.”

Volant en rase-motte, elle traça deux profonds sillons dans le fuselage du vaisseau.

Puis, elle détacha une batterie de torpilles à bout portant, après un tonneau risqué qui lui valut une entaille non négligeable au niveau de l’aile droite. 

Son assiette s’aliéna provisoirement et elle se rétablit in-extremis.

Alors que ses munitions dévastaient le flanc bâbord de l’aéronef, elle nota une activité inhabituelle sur ses radars.


- Ca y’est, ils dégainent eux aussi l’artillerie lourde. Sales copieurs.


Elle enfonça un bouton, activant ainsi son émetteur.


- Vague de torpilles en provenance de la cible. Retirez-vous, je m’en charge.


Reiko, qui s’était préparée à pareille entourloupe, avait déjà repéré une ceinture de météorites toute proche, dans laquelle il lui serait aisé de naviguer et de disperser les missiles.


“- Je vais t’assister sinon tu vas en baver.”

- C’est bon je m’en occupe, c’est mon métier. Garde ta position vers l’express. Hé, qu’est-ce que tu fais ?

“- Big1 va redémarrer dans une minute. À nous deux, on finira plus vite le travail.”

- Manabu, attends ! Tu ne pilotes pas assez souvent pour gérer ça…


En pestant, elle s’enfila à la suite du jeune homme, poussant le jet au maximum de ses capacités.


- Putain, Yuuki…


Les torpilles les suivirent à la trace puisqu’ils étaient les seuls appareils mobiles à proximité.

Reiko zigzagua entre les rochers flottants qui explosaient les uns derrières les autres à mesure que les projectiles se figeaient dedans. 


- Manabu, tu as fait tout ce que tu pouvais, maintenant désengage !

“- On y est presque !”

- Ne va pas par là bas, les rocs y sont trop denses, tu vas t’écraser ! 


Elle accéléra de manière déraisonnable et se plaça dans le sillage de son équipier. Puis, péniblement, elle se porta à sa hauteur tandis que les derniers missiles éclataient dans leurs dos.


- Faut dégager ! Qu’est-ce que tu fous ?

“- Je… Je…”


L’artilleur s’était faufilé dans un passage étroit dans lequel le pilotage était laborieux.


- Il n’y arrivera pas.


La jeune femme le doubla en évitant de peu un asteroïde immense comme trois fois la locomotive de Big1. Elle appuya ensuite sur une série de commandes et des traits lumineux jaillirent de ses canons.


- Je nous ménage une porte de sortie ! Tiens-toi prêt !

“- Mais…”

- Pas de mais, tu me colles au train et on s’en tirera avec un minimum de casse.


En s’aidant de ses détecteurs, Reiko se dirigea du mieux possible au sein de cette nuée rocailleuse.

Et, alors qu’elle entrevoyait enfin une échappatoire, une torpille qu’elle n’avait pas remarquée arracha la majeure partie de son aile droite déjà endommagée.


- Non !, s‘affola-t-elle. Non, non, non !


Bien que complètement déséquilibrée, elle émergea hors de la ceinture de météorites, Manabu sur ses traces.

Elle avisa ensuite Big1 qui s’était remis en mouvement et avait repris du service au vu de la fumée s’échappant des moteurs du bâtiment pirate.


- Je ne parviendrai pas jusqu’à eux à temps. Je vais me crasher… C’est certain !

“- Koko ! Mon Eagle… Ma direction s’est aussi enrayée.”

- Essaie de rejoindre Big1, moi… Moi, je vais me poser sur…


Elle vérifia rapidement ses radars et repéra un imposant corps céleste.


- Sur la planète… Éphémère ?

“- Chaton ! Tu es touchée ? Quelle est la gravité de tes avaries ?”

- Bruce ! Bruce !


En dépit de sa situation pour le moins délicate, entendre le son de la voix de son époux la réconforta. Son cœur battait néanmoins la chamade et elle transpirait autant que David et Manabu réunis.


- J’entre dans l’atmosphère et je m’éjecte, annonça-t-elle en rassemblant le peu d’assurance qu’elle possédait encore.


Des voyants clignotaient de part et d’autre de l’habitacle et la température interne avait grimpé de plusieurs degrés, qu’elle ressentait malgré la protection offerte par son casque et sa combinaison.

L’adrénaline gommait pour l’instant la terreur qui s’insinuait dans sa chair mais elle n’en menait pas large, loin de là. 


“- Reiko ! Nous…”


Son communicateur grilla et, haletante, elle pénétra à toute vitesse dans l’exosphère.


- Sayu… Sayuri… Bruce… Sayuri…


Les mots franchirent sa bouche sans qu’elle n’ait conscience de les prononcer.

Les commandes sautaient à la chaîne et elle décida que c’était le moment ou jamais de s’extirper de son Space Eagle. Car sinon… Il y avait des chances qu’elle brûle vive à l’intérieur.


- Je n’ai pas peur… Je n’ai pas peur… Otto… Otto-san.


Tremblante, elle propulsa son poing sur un bouton gris. Un déclic retentit, le cockpit se déverrouilla et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, un violent ressort catapulta son fauteuil dans les airs.

Sonnée, elle chercha à tâtons la commande du parachute et, après une brève seconde de panique, la trouva enfin.

Une gigantesque voile se déploya alors, ralentissant sa chute, pendant que la ceinture qui la maintenait à son siège se décrochait.

Le souffle court, les idées confuses et proche de l’évanouissement, elle laissa le vent la porter jusqu’au sol.

Du coin de l'œil, elle assista au crash de son chasseur contre une montagne. Une colonne de fumée s’éleva dans le ciel et des flammes ravagèrent les restes de l’épave.


- Sayu… Sayu… Bru…


Reiko sombra dans l’inconscience.

Lorsqu’elle s’éveilla, il lui fallut de nombreuses minutes pour comprendre qu’elle était allongée dans une clairière sur un épais tapis de fougères.


- Où… Est-ce que je suis… En vie ?


Les bras en croix, elle fixa l’horizon qui brillait d’une lueur orangée.


- J’en peux plus des atterrissages d’urgence mais j’aime bien le orange. Est-ce que ça a le goût des Satsuma ?


Elle lutta de toutes ses forces mais ses paupières se firent lourdes et elle s’évanouit de nouveau.

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