A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 53 : Les graines de l'avenir

5870 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/05/2024 18:52

Chap 53 : Les graines de l’avenir


- Okaasan !

- Yuyu, je ne peux pas t’emmener mais Kanna sera très heureuse de te garder ma chérie. Dis, Ka-na !

- Nana ?

- Oui, Kanna. C’est la maman de Manabu et un peu la mienne aussi, parfois.

- Nabu ! Nabu !

- Oui tu aimes beaucoup Manabu, n’est-ce pas ?

- Nabuki !

- Manabu Yuuki, oui. C’est que tu en comprends des choses.


Le bébé continua de gazouiller pendant que Reiko se déshabillait.


- Otto-san n’est pas encore rentré. Il est retenu au Quartier Général… J’ai la désagréable sensation qu’il m’évite ces temps-ci. Depuis trois mois… Depuis qu’on a rencontré cette sirène.

- Oto !


“Est-ce que… Est-ce que je l’aurais contrarié ? Ou pire… Déçu ? J’ai beau être diplômée, je suis incapable de m’en sortir par mes seules forces. À chaque fois, j’ai besoin des autres mais les autres eux… Ils n’ont pas besoin de moi.”


- Je voudrais que tu penses que ta maman est forte mais… Je vais devoir fournir énormément d'efforts pour le devenir. Je suis si loin de leurs légendes… Wataru Yuuki… Ryosaku Murase… Schwanhelt Bulge.

- Okaasan !, se lamenta la fillette en tendant les bras vers sa mère. 

- Une minute, poupette, je dois me changer. Râ-Metal… Je n’y ai pas mis les pieds depuis presque deux ans. Je n’ai pas non plus revu le Commandant Leopard et Burnbarrel. J’espère qu’ils vont bien. En tout cas, il semblerait que ce nouveau gouvernement soit une véritable réussite.


La jeune femme attrapa la robe rouge qui reposait sur le lit et la passa rapidement. Elle essaya ensuite de remonter la fermeture dans son dos, sans succès.


- Ah ! C’est pas possible d’autant galérer.

- Je peux vous être utile, jolie princesse ?, lança une voix grave, tandis que des lèvres lui effleuraient la nuque.

- Oh ! Je ne t’ai pas entendu arriver ! Okaeri watashi no otto !

- Tadaima, watashi no tsuma. Laisse-moi faire.


Le sniper fit glisser la fermeture éclair vers le bas.


- C’est de l’autre côté, mon amour, railla-t-elle.

- Moi, je préfère comme ça, dit-il en faisant rouler le vêtement sur ses épaules.

- Bruce…

- Ça fait deux jours que je ne t’ai pas vue… Tu m’as manqué. Ta peau… Ton odeur… Ton corps…, soupira-t-il en caressant la naissance de sa poitrine.

- On va être en retard et Sayuri est bien réveillée. Cette proposition est alléchante mais nous devons la remettre à tout à l’heure.

- Tu sais pas ce que tu rates, conclut-il en la rhabillant.

- Crois-moi, je sais surtout ce que j’évite.

- Comme si ça te déplaisait. 


“Je me suis peut-être fait des films.”

Elle l’observa ôter sa casquette et la déposer sur la coiffeuse. Puis, il ébouriffa ses cheveux, qui frôlaient maintenant sa clavicule.


- Il y a du relâchement, Commandant. Je peux m’en charger. Je le faisais souvent pour Harlock.

- Le vieux bandit n’est absolument pas une référence capillaire.

- Je maîtrisais son “coiffé-décoiffé” avec un soupçon de négligé, tendance rebelle actuelle.

- En fait, je l’imagine très bien filer des ciseaux à sa gamine de dix ans et lui dire : fais-toi plaisir.

- C’était un peu ça, même Aniki était d’accord pour… 

- Être un cobaye ?

- T’es méchant !

- Donc, merci mais non merci, chaton. 

- Tu ne sais pas ce que tu rates.

- Je sais surtout ce que j’évite, rétorqua-t-il en happant Sayuri dans son parc et en l’aidant à effectuer quelques pas. 

- Hum, dommage, s’amusa-t-elle en enfilant des chaussures plates et vernies.


À la dérobée, il la contempla alors qu’elle relevait ses cheveux en une queue de cheval haute, qui lui donna des idées toutes plus inventives les unes que les autres et déconseillées aux mineurs. 

Les entraînements répétés et les mois de labeur avec Sayuri avaient affiné sa silhouette et gommé ses rondeurs superflues. Plus élancée et musclée, elle dégageait une autre forme de beauté bien que Bruce n’y accordât qu’une importance très relative. 

À ses yeux, elle avait toujours été magnifique, sans qu’il ne se l’expliquât d’ailleurs.

Durant toute sa vie, Il avait enchaîné les conquêtes d’une nuit, sans éprouver un seul instant le désir de fonder son propre foyer.

Il avait fallu qu’une brunette aux prunelles ambrées débarque dans son unité pour qu’il perde totalement l’esprit.

La brunette en question achevait enfin de se vêtir. Elle redressa les fines bretelles sur ses épaules, lissa son corsage étriqué avant de déplier la jupe évasée et fendue qui rasa le parquet.


- Pas mal.

- C’est tout ?


“Après toutes ces années, elle me rend toujours aussi dingue.”


- Tu sais exactement ce que j’ai en tête, reprit-il.


Elle lui offrit un sourire lumineux qui lui retourna l’estomac.


- Yuyu, ta maman a un pouvoir assez mystérieux sur moi.

- Va te doucher au lieu de raconter n’importe quoi.

- J’ai pas envie d’y aller.

- C’est une requête officielle, donc tu n’y couperas pas.

- Envoyée par le Président Guépard, ronchonna-t-il.

- Gouverneur Leopard, corrigea-t-elle. À. La. Douche.

- À tes ordres, grogna-t-il en couchant Sayuri dans le parc et en retirant sa veste.


*** 


Le train fusait à toute allure à travers l’espace intersidéral.

Le front appuyé sur la fenêtre, Reiko admirait la mer étoilée que son père adoptif affectionnait tant.

Ces deux dernières années, elle avait eu tout le loisir de réfléchir aux événements qui s’étaient produits sur Râ-Metal.

Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il demeurait des zones d’ombre inquiétantes.

“Peut-être que cette visite sera l’occasion de les éclaircir.”

Elle avait élaboré de multiples théories, chacune plus glaçante que la précédente.

Et, au centre de celles-ci, se trouvait la même personne.


- J’ai l’impression que la SDF a été le dindon de la farce, marmonna-t-elle.


Persuadée que Leopard et Burnbarrel détenaient les pièces manquantes du puzzle, elle avait la ferme intention de les interroger.


- Koko ?


La jeune femme s’extraya de sa rêverie en s’ébrouant.


- Hum ?

- Nous sommes presque arrivés, l’avertit Louise.

- Pas trop tôt.

- Dire que nous sommes conviés en tant qu’invités “spéciaux”, se rengorgea David. Pour “service rendus”. Je pourrai narguer les sections Cepheus et Mizar. Elles seront au boulot pendant que je me goinfrerai de petits fours et que…

- Tu boiras comme un trou ?, compléta Manabu.

- À ton avis ?

- Un peu de retenue ne serait pas de trop, gronda Bruce. Ne te donne pas en spectacle ou t’auras de mes nouvelles.

- L’inauguration de la gare râ-métalienne, hein ?, intervint Louise. C’est une belle avancée pour le gouvernement.

- Et le Galaxy Railways, déclara Reiko d’un air sombre.

- Ça ne va pas ?, demanda le sniper.

- Je vais bien, t’en fais pas.


L’express Actarius pénétra alors dans l’atmosphère réfrigérée de la planète, mettant un terme à la conversation.


J’ai hâte de voir germer les graines de la République que vous avez semées.”


- Se sont-elles épanouies, Commandant ?, chuchota-t-elle en dissimulant son visage contre la vitre. Mais moi… Ce que j’aimerais vraiment savoir… C’est de quoi est constitué l’engrais et le terreau sur lesquels vous leur avez permis de pousser.

- Tu parles de jardinage ?, la questionna l’Officière radar, perplexe.

- En quelque sorte.


***

 

- Il y a tout le gratin !, s’exclama l’ingénieur. La bouffe est par là-bas ! Excusez-moi, je suis attendu.


Occupée à passer la foule au peigne fin, Reko se dispensa de répondre.


- Tu cherches quelque chose… Ou quelqu’un ?, lui demanda Bruce, hargneux.

- Tu te fais des idées, mon amour.

- Hum.


Elle avait connaissance de l’inimitié entre Leopard et son époux et, pour rien au monde, elle ne souhaitait mettre de l’huile sur le feu.


- Ne mange pas à tort et à travers, d’accord ?

- Promis.

- Parce que quand je ne te surveille pas…

- Je me suis améliorée, non ?

- En effet, mais on ne sait jamais.

- Sois tranquille, je ne ferai rien qui…

- Speed !


Le Commandant du peloton Cepheus se ménageait péniblement un passage au sein de l’assemblée, réunie pour l’inauguration de la gare, ou plutôt pour sa ré-inauguration puisqu’elle existait déjà du temps de Promethium. Cependant, son accès avait toujours été limité au Galaxy Express 999. Cette fois, tous les trains de la Compagnie pourraient y transiter. Cet afflux de voyageurs étant bénéfique à de nombreux titres pour la population locale.

“D’ailleurs, cela fait partie des mes interrogations… Pourquoi seul le 999 disposait d’un sauf-conduit pour atterrir sur Râ-Metal ? Bien sûr Maetel était l’héritière de cet empire mais cela n’explique pas tout, loin de là.”


- Encore des énigmes…

- Reiko ?

- Je… Je…


Visiblement préoccupé, Guy Lawrence leur fit face, masquant les autres convives derrière sa silhouette massive.


- Bruce, je sais que tu n’es pas en service mais… Oh désolé pour mon impolitesse, dit-il en apercevant la pilote. Comment va ma filleule ?

- Elle se porte à merveille.

- Je peux te l’emprunter ?

- Tant que vous me le ramenez avant ce soir.

- Bien reçu.

- Hé ! J’ai pas mon mot à dire ?


Devant l’air exaspéré de sa femme et celui impassible de Lawrence, il céda à contre-coeur.


- Allons-y, maugréa-t-il en embrassant Reiko.


Elle les observa s’éloigner, vaguement soucieuse qu’un problème ne soit venu troubler la fête.

Puis, du coin de l'œil, elle remarqua que Manabu avait invité Louise à boire un verre. Yûki s’était quant à elle jointe à la délégation chargée de la présentation des installations médicales pour une rapide excursion dans les hôpitaux alentours.


- On dirait qu’il ne reste plus que moi.


Elle se faufila parmi les convives, le cerveau en ébullition.

Si elle se fiait à son instinct, qui jusqu’alors ne lui avait guère fait défaut, “on” lui avait probablement et volontairement caché une ou plusieurs données importantes ayant attrait à la dernière grande guerre contre les êtres mécanisés.

De cela, elle était certaine.

“Les informations que je cherche à obtenir ne risquent-elles pas de me déplaire ?”


- C’est une possibilité, mais je n’aime pas être tenue dans l’ignorance.


Le buffet tant convoité par David apparut enfin dans son champ de vision et elle s’y dirigea résolument. Toutefois, avant qu’elle ne l’atteigne, une main emprisonna son poignet.


- Reiko ?


Elle fit volte-face, sa chevelure fouettant le torse de son interlocuteur.


- Leopard !

- Ça fait longtemps.

- Très… Longtemps.


Il n’avait pas changé. Vêtu d'un uniforme vert foncé et coiffé d'un béret flanqué du drapeau de la République râ-metalienne, il arborait son éternel air renfrogné.

“Je ne comprends pas pourquoi il ne s'entend pas avec Bruce. Ce sont de véritables siamois. Les mêmes iris bleus. Les mêmes mèches claires. Le même caractère de cochon.”


- Tu ne réponds plus à mes lettres, poursuivit-il.

- J’étais très… Occupée, se justifia-t-elle, gênée.

- Hum. Tu n’es pas servie ?

- Non… Pas encore.


Il attrapa deux flûtes sur le plateau d’un serveur itinérant et en tendit une à la jeune femme.


- Dommage que tu ne sois pas venue plus tôt.

- Mon job est très prenant… Sans compter Sayuri.

- Le bébé, oui. Félicitations. Tu l’as emmené… ?

- Non, elle est trop petite pour un tel voyage, ma mère la garde. Enfin… Ma mère adoptive.

- Je vois.

- Bravo pour vos accomplissements ici, embraya-t-elle. Qui aurait cru qu’une telle entente entre humanoïdes et humains aurait été possible ? Warrius essaie d'œuvrer en ce sens sur Terre mais la tâche n’est pas facile. Vous avez rendu cet endroit un peu moins inhospitalier. Les serres et la chaleur artificielle… La ville souterraine équipée d’une technologie de pointe, la réfection de la gare ou les orientations économiques et touristiques novatrices… C’est…

- Nous avons tous travaillé d’arrache-pied. Je te ferai visiter et tu verras ces transformations par toi-même.

- Oui… Ce doit être exceptionnel.


Le regard perçant du Commandant, ou plutôt du Gouverneur, la mit mal-à-l’aise. Elle dansa d’un pied sur l’autre et vida son verre pour se donner une contenance.

“Faut pas que j’oublie pourquoi je suis ici.”


- Au fait, avant cela, j’ai besoin de… De… 

- De ?, répéta-t-il.

- De vous parler d’un sujet… Délicat.

- Bien, suis-moi dehors, accepta-t-il en appliquant une légère impulsion au creux du dos de son invitée.

- Je… Merci !, dit-elle en s’inclinant avant d’avancer d’un bon pas vers les verrières, les pommettes aussi écarlates que sa robe.


Ils traversèrent la salle et débouchèrent dans un jardin qui, à défaut d’être fleuri, regorgeait de statues taillées dans la glace. 


- C’est splendide, s’extasia-t-elle en frissonnant.

- Si tu as froid…, proposa-t-il en commençant à déboutonner son manteau.

- Non ! Ce ne sera pas nécessaire !


“Bruce me ferait une syncope, du drama, et ça finirait en duel à mort.”


- Si je vous ai paru distante lors de nos dernières correspondances, je m’en excuse. C’est juste que… Qu’avec le recul, j’ai la sensation que certains éléments m'échappent concernant… Concernant…

- Concernant quoi ?

- La chute de la reine.


Le Gouverneur ne répondit pas immédiatement, ce qui ne fit que renforcer les convictions de Reiko.


- Toute vérité n’est pas bonne à connaître.

- Je vous en prie !, s’exaspéra-t-elle.


Elle empoigna ensuite les mains gantées de son ami et les serra avec force.


- Il me faut des renseignements à propos… À propos des bombes.

- Des… Bombes ?

- Et du métal à résonance électrique. Celui-là même qui contenait les âmes des... Des…


Résigné, Leopard s’adossa contre une sculpture représentant un discobole.


- Je t’écoute.

- Vous étiez au courant, argua-t-elle en déliant ses doigts. Vous saviez que l’acier retenait captif tous ces esprits. Vous avez conçu ces explosifs pour les libérer… Tout ça, vous me l’avez dit, correct ?

- Effectivement, c’était le plan.


Reiko croisa les bras, grelottant à cause des températures négatives.


- La Résistance était au parfum de toute cette histoire de transmutation, insista-t-elle, encore correct ?

- Oui, mais où veux-tu en…

- Ces victimes, d’où provenaient-elles ? De la Terre ?

- Principalement et de quelques autres planètes soumises par les humanoïdes.


La pilote s’approcha du Commandant et riva ses prunelles dans les siennes.


- Vous étiez en lien avec Harlock… La SDF et… Maetel, non ? Pour coordonner l’attaque finale.

- Mes contacts se limitaient au pirate et à la princesse mais quel…


Les yeux de la militaire se voilèrent et son corps se raidit.

“Cette fois-ci, je suis fixée.”


- Il nous était impossible d'empêcher ce carnage, se dédouana-t-il. Notre infiltration devait demeurer secrète et surtout ça faisait partie…


Il se tut, ne pouvant se résoudre à en dire davantage.


- Partie de quoi ? Oh, pas la peine de vous fatiguer. J’ai saisi. Tout ça… Tout ça c’était ignoble et lâche !, cracha-t-elle, hors d’elle.


Elle se détourna, écoeurée.

“Il était donc là… Le prix à payer. La perte d’amitiés… Qui n’en ont jamais vraiment été. Le mensonge n’est définitivement pas compatible avec cette notion.”


- Un moment, lui intima-t-il en entourant sa taille. Je peux t’expliquer…

- Ne me touchez pas !, s’étouffa-t-elle en se dégageant. Vous et Maetel… Vous avez utilisé des enfants en guise de chair à canon. Vous êtes responsables de leur sort au même titre que Promethium. Votre inaction vous rend tout autant complice si ce n’est plus. Cette République… Comme je le craignais… Elle a été bâtie sur une montagne de cadavres. Une montagne que vous avez vous-même érigée avec… Avec l’aide… Je suis dégoûtée. Vous me dégoûtez ! Comment ai-je pu être dupe à ce point ? Tous les indices étaient là… Sous mon nez ! Et je n’ai rien vu ! Strictement rien du tout !


Elle s’éloigna de Leopard, sa présence lui étant devenue insupportable. 


- Merci d’avoir satisfait ma curiosité. Bonne chance pour la suite. Nous ne nous reverrons plus et il va sans dire que je ne refouterai pas un orteil sur ce maudit caillou. Adieu, Gouverneur.


Bouleversée, elle s’enfuit du jardin enneigé et gagna la salle de réception à grandes enjambées.


***


- Un problème, Speed ?


Figé derrière la fenêtre d’une galerie située au premier étage, le sniper garda le silence. 

Médusé, il venait d’assister à ce qu’il supposait être une altercation entre sa femme et le Commandant Leopard.

Il avait lu quelques mots sur les lèvres de ce dernier mais, hors contexte, cela ne lui fut d’aucun secours. Machinalement, il suivit des yeux Reiko qui avait planté son pseudo-ami au milieu du parc.

“Que s’est-il passé ? Est-ce qu’il lui a fait des avances ? J’avais raison de me méfier.”

Il serra les poings, écumant de rage


- De quel droit cet enfoiré se permet-il de la toucher ?

- Bruce ? Il reste encore l’aile est.

- J’arrive, Lawrence.


Ne pas dévaler les escaliers pour tordre le cou à ce bellâtre arrogant lui coûtait énormément. Cependant, au vu de la colère qu’il avait lue sur les traits de sa belle ainsi que de la vitesse avec laquelle elle s’était réfugiée à l’intérieur, il décida de remettre sa mise au point à plus tard.

“J’ai des soucis autrement plus urgents sur le feu, d’autant plus qu’elle est furieuse et qu’elle a manifesté sa volonté de l’éviter. C’est une bonne chose pour moi, c’est sûr, mais il ne perd rien pour attendre ce fils de…”


- Je vous suis, plus vite ce sera fait mieux ce sera, trancha-t-il en réfrénant ses pulsions destructrices.


***


- Tous des assassins… Tous des meurtriers… Tous… Incapables de faire face à leur destin sans massacrer des innocents. Quels genres de héros sont-ils ?


Reiko eut un sourire dur.


- C’est bien simple, ils n’en sont pas.


Elle quitta le bal, désireuse de prendre de la distance avec toute cette agitation. Instinctivement, elle prit la direction de la gare.

“J’ai envie de me tirer d’ici. Revenir… C’est beaucoup trop difficile. Je me suis surestimée.”

Alors qu’elle empruntait les escalators flambant neufs, elle luttait pour mettre de l’ordre dans ses pensées et maîtriser les larmes qui menaçaient de se déverser par torrents.

“Comment ça se fait que je n’ai rien pigé ? Je suis tellement longue à la détente. Tellement longue…”


- Reiko.


La jeune femme se pétrifia, en état de choc.

“Cette voix…”

À l’instar de celles d’un prédateur, ses pupilles se rétractèrent, tandis qu’elle avisait la silhouette qui se tenait droite sur le quai.


- Toi. La personne qu’il fallait justement que je voie.


Maetel fit quelques pas sur l’asphalte, valise en main, vêtue de son sempiternel manteau noir orné de fourrure.


- Je suis venue pour l’inauguration.

- J’imagine… Et pour contempler ton œuvre également ?

- Koko… Il y a des choses que tu ignores.

- Que j’ignorais, tu veux dire ?


La pilote se porta à la hauteur de la voyageuse du 999.


- J’ai une question. Une seule et après tu n’entendras plus parler de moi, gronda-t-elle.

- Laquelle ?, demanda tristement son interlocutrice.

- Tetsuro savait-il que… Tu avais l’intention de le sacrifier dès le début ?


La fille de Promethium conserva un visage de marbre qui déplut viscéralement à Reiko et celle-ci ne put s’empêcher de l'empoigner brusquement par la capeline, révoltée.


- Il savait ?

- Il l’a deviné.

- Et il est resté avec toi malgré tout ? Malgré le poids de tes fautes ?

- Oui, malgré cela.

- Quel sort lui as-tu jeté pour le convaincre de te laisser en vie ?

- Un sort…


Reiko la relâcha, aveuglée par la consternation et la haine.


- Oui, il n’y a qu’une sorcière pour agir de la sorte. Une sorcière infâme qui n’est pas si différente de sa mère !, déclara-t-elle, sans pitié.


Elle poursuivit, intraitable.


- Tu nous as menés par le bout du nez, pas vrai ? Depuis combien de temps recrutes-tu des enfants pour cette souveraine de malheur ? Dix ? Vingt ans ? Plus ? Les humains collectés sur Terre n’étaient pas suffisants ? Étaient-ils tous au courant de ce qu’elle allait leur faire ? Les transmuter en vis, en rouages et en clous ? Peut-être même que c’était ton idée !


La valve qui maintenait verrouillé le robinet de ses interrogations avait sauté et celles-ci s’évacuaient par sa bouche en un vomissement ininterrompu.


- Ils se sont tous livrés en connaissance de cause, crois-moi.

- Quelle cause ?, insista-t-elle. Quel était donc ce plan que Leopard n’a pas eu le courage de me confesser ?

- Les bombes seules ne pouvaient pas anéantir cette planète… Ou ma mère. Pour cela, il fallait que les âmes contenues dans l’acier entrent en résonance et fusionnent avec le cœur de Râ-Metal, son noyau, pour générer une énergie assez puissante capable d’annihiler jusqu’à l’éther de Promethium.

- Je vois, il te fallait donc des “pierres angulaires”, des volontaires sacrifiables pour déclencher l’offensive le moment venu et entraîner l'intégralité des esprits avec eux. C’est ce qu’il s’est produit lorsque l’effondrement a commencé. Et pour finir, tu as précipité la reine dans ce… Puits énergétique, afin d’exterminer chacune de ses répugnantes cellules robotisées.

- Il fallait au moins ça pour désintégrer sa conscience et l’empêcher de se réincarner une énième fois.

- Il n’y avait pas de meilleur stratagème que celui de crucifier des existences innocentes sur l’autel de l’Empire Mécanique ?

- Aucun, je te l’assure. J’avais déjà tout essayé.

- Tu mens !, tonna-t-elle.


Après un instant de flottement, Reiko reprit la parole.


- Et elle, alors ? Que croyait-elle faire en utilisant des hommes comme pièces détachées ?

- Une forteresse imprenable, dotée d’une résistance sans commune mesure. Inexpugnable.

- Que tu sabotais en secret en lui ramenant des êtres qui la haïssaient ? Comme Tetsuro ? Et lui, pourquoi ne pas l’avoir vendu ? Ne me dis pas que tu as eu de la compassion ou que ton cœur t’a dicté de l’épargner, car tu n’en as aucun.


Maetel se pinça les lèvres.


- C’est néanmoins la vérité.

- La vérité ? Tu as donc appris la signification de ce terme ? Alors que tu nous mènes en bateau depuis Heavy Melder ? Avoue-le, tu savais exactement sur quoi nous étions tombés ce jour-là et tu t’es bien gardée d’en informer qui que ce soit.


Face au silence de la voyageuse, elle continua son monologue.


- Puis, le Galaxy Railways s’est fait attaquer par des bombes à diffusion ondulatoire. Je t’ai envoyé le rapport de correspondance entre le métal découvert sur Gun Frontier et les composants de ces explosifs. Pourtant, encore une fois, tu as fait semblant de ne pas comprendre. Tu as même incité Tetsuro et Harlock à mener des recherches en ce sens.

- Il était trop tôt.

- Bien sûr !, rugit-elle. Tu connaissais depuis le début l’identité de notre ennemie mais tu nous as transmis les infos au compte-gouttes. Tu ne voulais pas qu’on sache que tu étais coupable de tous ces crimes, c’est ça ? C’est comme si tu avais tué Sayuri, Nami et tous les autres de tes propres mains !


Elle fut soudain prise d’une vague de panique.


- Où est Tetsuro au juste ? Que lui as-tu fait ?

- Il est retourné sur Terre. Il souhaite participer à sa reconstruction et à la mise en place d’une cohabitation pacifique.

- Je dois déjà m’estimer heureuse que tu ne le tiennes plus entre tes griffes.


Elle prit une profonde inspiration en se détournant.


- Sorcière !

- Je n’ai aucune excuse mais, avec le temps, tu te rendras compte que je n’avais pas le choix.

- D’affronter ton destin ? De défier par toi-même ta génitrice sans avoir recours à cette stratégie lamentable ? Tu peux toujours courir. Reste loin de moi.


Elle posa un pied sur l’escalator, pétrie de fureur.


- Et de Tetsuro.


Puis, sans ajouter un mot, elle quitta la gare en abandonnant Maetel derrière elle.

Celle-ci demeura longtemps immobile, en proie à une tempête intérieure d’une violence sans pareille.


- Tu n’as pas tort, Koko. Certains m’appellent la sorcière de l’espace. Et je suis condamnée à errer pour l’éternité avec le fardeau de mes péchés. 


Son regard se coula vers le Galaxy Express 999.


- Ce sera ma rédemption.


***


- Tout ce temps perdu pour une fausse alerte, maugréa le sniper, écartant sans délicatesse les convives de son passage.


Le peloton Cepheus, aidé par Bruce et dans la moindre mesure par David et Manabu, avait écumé les bâtiments entourant la gare en quête des mystérieux rôdeurs qui avaient été aperçus par les militaires râ-metaliens. Rôdeurs qui s’étaient avérés être une bande de chenapans désireux de s’incruster dans la réception officielle.


- Putain, où est-elle passée ? Et cette baltringue de Leopard ? Il se planque lui aussi ? Si je le chope avec elle, je l’encastre dans un mur.


Il détailla la foule, ne trouvant nulle trace de son épouse parmi elle, ce qui l'inquiétait considérablement. 

Dans son empressement, il se cogna contre une personne lui tournant le dos. 


- Pardon, grommela-t-il.

- Oh, c’est vous ? Bonjour !


Il baissa les yeux et grinça des dents.


- Schmidt ?

- Riina, Commandant Speed.

- Hum. Désolé, je suis pressé. Je…


De désagréables fourmillements parcoururent sa peau lorsqu’elle effleura son bras. Bras qu’il retira aussitôt, comme si elle l’avait gravement brûlé.


- Vous êtes trop entreprenante, mademoiselle, la prévint-t-il, glacial. Et, pour rappel, je suis marié et j’ai une gosse.

- Je suis parfaitement au courant de ça.

- C’est donc que vous êtes une parfaite idiote. Poussez-vous maintenant, ça a assez duré, ordonna-t-il en la contournant.


Cette dernière, loin de s’avouer vaincue, se posta en travers de son chemin.


- Elle n’hésite pas à fréquenter d’autres hommes. Je l’ai vue dans le jardin avec le soldat. Pourquoi n’en feriez-vous pas autant ?

- Elle ne “fréquente” pas ce type, s’énerva-t-il. Et si tu penses que la dénigrer peut jouer en ta faveur, tu te fourres le doigt dans l'œil. Bon, dégage de là ou j’en référerais à ton Commandant.

- Oh, on se tutoie ?, susurra-t-elle en apposant ses phalanges sur son torse.

- Putain, qu’est-ce que tu captes pas ?

- Bruce ?


Le jeune homme fit volte face avec des mouvements robotiques. 

“Oh non… Pile au mauvais moment.”

Debout en plein milieu de l’assemblée, sa robe écarlate en désordre, Reiko le fixait de ses prunelles ambrées écarquillées.


- Qu’est-ce que tu fais… Avec elle ?, le questionna-t-elle d’une voix suraiguë.

- Rien… Cette fille, elle a… Elle a…


Les larmes qu’elle avait si vaillamment réprimées inondèrent ses joues. 

“Ça, c’est trop ! Pourquoi étaient-ils si proches ?”


- Qu’est-ce que tu fais avec elle !?, cria-t-elle, faisant sursauter les invités à proximité.

- Bavarder, dit-il en s’avançant. Rien de plus.

- Vraiment ? C’est pas l’impression que ça m’a donnée !

- Reiko, c’est n’importe quoi… Hé, où tu vas ?

- Loin de toi et de tous ces menteurs.


La pilote s’enfila dans la masse d’individus, troublée par ce qu’elle avait cru entr’apercevoir.


- Merci pour ça, imbécile !, pesta-t-il en s’éloignant de Riina Schmidt.


Elle le regarda faire avec un sourire taquin.


- À bientôt, beau blond.


*** 


À l’instant même où elle avait porté ces accusations, elle avait réalisé qu’elles étaient illégitimes et infondées.

Malgré tout, elle n’avait pu tempérer sa hargne et sa rancœur.

La main de cette femme sur la veste de son époux n’était rien d’autre que la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase de ses émotions. 

Pourtant, elle ne doutait pas une seconde que les intentions de Bruce étaient tout à fait honorables.

Et, si elle devait être honnête avec elle-même, ses griefs n’étaient absolument pas dirigés envers son mari.


- Quel est donc cet univers dans lequel je ne peux faire confiance à personne ? Quel est donc cet univers dans lequel on coupe les ailes de ceux qu’on est censés protéger ?


Elle essuya ses cils d’un revers de manche alors qu’elle assénait un coup de pied impérieux dans une porte menant à l’étage.


- Maetel… Pourquoi tu m’as épargnée ? Pourquoi tu n’as pas laissé Promethium me tuer comme tous ces gamins ? Est-ce que tu m’as sauvée uniquement pour qu’Harlock ne te démasque pas ?


Elle empoigna une rampe qui longeait une longue galerie vitrée.


- J’ai la nausée… Toutes ces victimes, au nom de quoi ont-elles été assassinées ? De la République ? De la liberté ? Quelle connerie ! Les seules raisons de ces morts sont l’orgueil des uns et la lâcheté des autres.


Elle s’adossa contre la fenêtre avant de glisser lentement jusqu’au sol.


- Otto-san… Otto-san…


***


- Reiko !, tonna Bruce. Putain, mais depuis quand est-ce qu’elle court aussi vite ?


Il la vit emprunter les escaliers et, tandis qu’il s’apprêtait à lui emboîter le pas, il le remarqua, nonchalamment installé dans un coin de la salle de réception.

Franklin Baquet Guépard.

Il changea brutalement de direction et se rua vers lui.


- Tiens donc, qui voilà ?, railla le Gouverneur.

- Ouais, déçu ?

- Un problème, Commandant ?

- Mon problème, c’est toi.


Il attrapa Leopard par le col et plaça son nez à quelques centimètres du visage du militaire râ-metalien.


- Ne t’avise plus jamais d’être aussi familier avec ma femme. Plus jamais. Dans le cas contraire, je jure sur la tombe de mes ancêtres que je te pourchasserai et que je t’étriperai, le menaça-t-il froidement. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

- Tu crois intimider qui exactement ?

- C’est un avertissement. Dégote-toi une gonzesse ici. Avec des boulons ou non ça m’est égal, mais ne touche pas à la mienne avec tes sales pattes.

- Si tu ne me lâches pas immédiatement, je te garantis qu’il ne me faudra pas longtemps pour obtenir ton renvoi.

- Essaie toujours, connard. 


Bruce l’envoya valser contre une paroi, furibond.


- Enfoiré, fulmina Leopard en se massant le coude. Tu vas regretter…

- Ne t’approche plus d’elle, t’imprime ?, conclut-t-il au moment où des soldats débarquaient, attirés par le grabuge.


Il se faufila à son tour dans la cage d’escaliers, pressé de retrouver Reiko.


- Chaton ?, tonitrua-t-il. Chaton ?


Il la découvrit alors, prostrée dans un renfoncement de la galerie, les épaules secouées par de lourds sanglots.


- Mon amour…  Ce n’est vraiment pas ce que tu imagines.

- Bruce… Si tu savais… Comme c’est terrible !


Il s’agenouilla devant elle, désemparé.


- Écoute-moi, murmura-t-il en caressant sa chevelure sombre, cette fille je ne me souvenais même pas de son prénom. Elle a dépassé les bornes, j’en discuterai avec Noboru Waki…

- Elle les a sacrifiés… Les enfants ! Tetsuro… Elle a bien failli… Lui-aussi…

- Reiko ? De quoi tu parles ?


Elle se pendit à son cou et froissa le tissu de l’uniforme entre ses phalanges.


- C’est un monstre. Cette femme est monstrueuse !

- Mais… Qui ?

- Maetel !


Elle s’effondra dans ses bras, se recouvrant la bouche avec les doigts pour ne pas vomir.


- Maetel ? Pourquoi…

- Je la prenais pour une sorte de guide, de gardienne… J’ai été aveugle… On l’a tous été… Harlock… Oh, et ses voyages à bord du 999… Ils avaient un but bien précis. Comment le Haut Commandant a-t-il ainsi pu fermer les yeux ? Layla Destiny Shura était forcément de mèche avec elle… Tous si corrompus… Tous…  Pourris !


Il s’assit au sol, jambes écartées, pendant que la pilote se lovait contre lui.

Soulagé de ne pas être la source de son chagrin, il nicha son menton au creux de sa nuque.


- Raconte.


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