Le Coeur en Feu
Après les fêtes au début du mois de janvier un froid polaire gagna la ville d’Austin. Une tempête de neige et de verglas comme l’état n’en avait pas connue depuis quelques années s’abattit sur le comté de Travis.
Très rapidement l’électricité vint à sauter, les températures dégringolèrent à une allure folle et les routes gelèrent. La totalité des résidents de la capitale Texane se retrouvèrent rapidement bloqués et confinés chez eux ne sortant que pour faire leurs courses ou pour acheter des packs d’eau ; l’eau gelant littéralement dans les conduites.
Pour les casernes de pompiers les interventions ne stoppaient plus. Les gardes s’enchaînaient presque sans repos. L’équipe de Tommy, Nancy et TK était également sur le front en permanence. Pendant cette période de tempête ce fût bien là le seul moment où le fait de travailler pour une entreprise de soins leur était utile. Car contrairement aux services publics totalement débordés et rapidement en manque de ressources, la société Paragon ne manquait jamais de rien et les stocks ne diminuaient pas malgré les nombreuses interventions.
Tout comme les pompiers, ils se retrouvaient dans des situations toutes plus improbables les unes que les autres.
Cette après-midi là ne fit pas exception à la règle. Ils commencèrent par intervenir auprès d’un jeune homme qui se retrouva quasiment la tête tranchée en raison d’un bloc de glace ! Ce jeune imbécile s’était accroché au pick-up d’un ami pour faire du ski sur la route enneigée et verglacée.
Ils n’étaient pourtant pas au bout de leurs peines.
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Depuis leur séparation, TK n’était plus que l’ombre de lui-même. Plus rien n’avait de sens ni de goût dans sa vie. Après la colère, c'était la sidération qui avait pris place. Chaque matin en se levant ; la migraine aux tempes et le dos fourbu, il se demandait comment ils avaient pu en arriver là. La situation avait dérapée tellement rapidement que TK avait l’impression qu’il ne s’agissait pas de sa vie et que les événements étaient arrivés à quelqu’un d’autre.
Et pourtant…pourtant, TK savait parfaitement ce qu’il avait fait et surtout provoqué. Même s’ils avaient des torts communs, TK savait être le principal coupable de leur rupture. La culpabilité le rongeait. Comme il ne souhaitait expliquer à personne la raison de leur séparation, il ne pouvait discuter avec personne, ni évacuer la culpabilité et la frustration. Tous les jours il fixait son téléphone dans l’espoir d’un nouvel appel, d’un sms, de quoi que ce soit. Mais les premières semaines de silence de TK avaient eu raison de la motivation de Carlos. C’était le silence radio depuis des mois.
Chaque jour la présence du policier manquait au secouriste. Pas un matin ne s’était passé sans qu’il ne cherche sa présence en se réveillant, qu’il fasse des courses pour deux alors qu’il était seul, qu’il aille courir chaque matin alors qu’il était seul, qu’il cherche une présence, un son ou son odeur en rentrant après chaque garde. Mais rien. Seul le silence envahissait ses journées et ses nuits. Ses cauchemars avaient repris de plus belles le laissant épuisé.
Carlos semblait avoir totalement disparu de sa vie. Pourtant son existence était envahie par sa présence.
TK se sentait enfermé dans une boucle sans fin et son cauchemar semblait insoluble.
Il s’était rendu compte que son emportement et la rupture qu’il avait provoqué étaient inutiles mais il n’osait se l’avouer par peur de devoir faire face à la vérité. TK avait surtout peur qu’on l’abandonne et devoir laisser une partie de son destin à quelqu’un d’autre, lâcher prise le terrorisait. TK commençait à percevoir que leur rupture avait été un immense gâchis et qu'au-delà de briser le cœur de Carlos, il avait brisé sa confiance. Et savoir pour TK qu’il avait peut-être fait du mal à Carlos était pire qu’une torture.
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
De son côté, le policier s'était en quelque sorte résigné à son sort. Il avait tenté de reprendre contact avec le secouriste à maintes reprises. Par téléphone, par mail, en essayant de contacter les anciens de la 126e. Mais c’était le silence radio. Rien. Pas un mot.
Au désespoir d’avoir perdu l’homme qu’il aimait le plus au monde, c'était une sourde colère qui avait envahi chaque cellules de son être. Il se sentait trahi. Comment avec tout ce qu’avait pu lui dire et lui confier TK, ce dernier avait-il pu agir de la sorte ? Sans aucun respect, ni conscience de ses actes. C’était à n’y rien comprendre. La réaction du secouriste avait été tellement soudaine que Carlos avait mis plusieurs semaines à prendre la mesure de ses actes.
Mais désormais, et plusieurs mois après les évènements, Carlos avait pris conscience de la réalité de cette rupture et de l’attitude de TK.
C’était terminé. Tout était fini. Il n’y avait plus rien à comprendre ou à essayer de comprendre. Et le policier n’avait d’autre choix que d’avancer et passer à autre chose et ce, quand bien même cela lui déchirait l’âme.
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Lors de cette fameuse journée, alors que l’équipe de Tommy s’occupait du jeune homme quasi sans tête, Carlos avait été appelé pour une infraction dans un magasin de meubles. Il s’avéra finalement qu'il s'agissait de deux vétérans tentant de se protéger de la tempête meurtrière.
Alors que le mexicain les avait conduits dans un refuge, la tempête fit s’effondrer le toit du bâtiment ancien et en mauvais état.
Et tous les réfugiés, blessés et volontaires du refuge se réfugièrent finalement dans le magasin de meubles.
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Tommy, Nancy et TK se réinstallaient dans leur ambulance alors que la radio se mit à nouveau à grésiller.
-Central, à Paragon 6, je répète…Central à Paragon 6…
-Paragon 6 j’écoute, répondit Tommy.
-On nous signale l’effondrement d’un bâtiment dans le centre, plusieurs blessés et réfugiés dans le magasin de meubles sur Lamar Blvd. Demande de renforts. Unités d’intervention débordées.
-Bien reçu Central, on s’y rend tout de suite.
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Carlos gérait l’afflux de réfugiés, bénévoles et autres sinistrés tant bien que mal dans le magasin.
-Où peut-on gérer le triage ? s’exclama Tommy derrière le policier en entrant à son tour dans le magasin.
Il était là. Malgré lui, le cœur de Carlos manqua un râté. TK.
-Il y a des blessés légers, répondit-il à la secouriste alors que ses yeux plongeaient dans ceux de TK.
Il remarqua immédiatement qu’il n’était pas en forme et qu’il avait perdu plusieurs kilos.
-Je ne savais pas que le central m’enverrait une unité privée, repris soudain Carlos essayant de dissimuler son trouble.
TK ne s’était pas attendu à tomber sur Carlos. Il ne l’avait pas vu depuis des mois. Bien que son visage était marqué par la fatigue, il était toujours aussi beau. Le rythme cardiaque du secouriste s’accéléra soudain en entendant sa voix. Face à son regard il se sentit à nu. Il aurait tout donné pour se jeter contre lui. Mais il n’en avait plus le droit.
-Les services de la ville sont débordés, répondit TK en détournant finalement le regard.
-Clairement, répondit Carlos décontenancé alors que le secouriste rompait leur lien visuel.
Les deux collègues de TK sentirent bien évidemment le malaise ambiant. Nancy ressentit une pointe de douleur pour ses amis.
TK les lèvres pincées évitait le regard de Carlos. Soutenir ses yeux bruns était insupportable.
Après que le policier leur ait indiqué où s’installer et le nombre de personnes il se rendit compte que la volontaire Janine n’était pas présente. Il quitta précipitamment le bâtiment. Le secouriste le regarda partir le cœur lourd comme une pierre tombée au fond de son estomac. Ce moment fugace avait été aussi irréel qu’insupportable. Il soupira.
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Un silence d’église régnait dans l’ambulance de Tommy, Nancy et TK. Après leur intervention au magasin de meubles - où Carlos n’avait pas réapparu au désespoir de TK - ils avaient été sollicités pour une nouvelle urgence. Un couple de personnes âgées avait trouvé un garçon piégé dans un lac gelé.
Dehors la tempête devenait plus intense et les flocons de neige étaient de plus en plus forts. Les routes n’allaient pas tarder à devenir impraticables. TK dont la visibilité était réduite conduisait avec prudence mais avec rapidité car la vie d’un enfant dépendait d’eux.
-TK, ça va ? demanda doucement Nancy.
-Hum, hum, répondit TK sans cesser de fixer la route.
Sa collègue soupira alors qu’ils arrivaient.
Près du lac, le couple leur faisait de grands signes. TK se gara en dérapant sur le bord de la chaussée.
-Il est là-bas, leur indiqua le mari alors qu’ils sortaient tous trois du véhicule. J’ai mis mon chapeau sur la glace pour que les pompiers le trouvent, dit-il en leur indiquant le chapeau de la main. Les pompiers arrivent ?
-Ils sont tous pris à cause de Neigemaggeddon, répondit Nancy.
-Mais j’étais pompier à New-York, rétorqua TK. Les lacs gelés, je connais.
-Mais il ne vous faut pas un équipement particulier ? s’interrogea le monsieur.
-On va devoir improviser, répondit Tommy en fixant le lac.
Le vent gagnait encore en intensité fouettant leur visage et leur glaçant les mains. Faute de matériel, ils avaient fabriqué une corde en draps. TK avait insisté pour aller chercher le petit garçon lui-même. L’adrénaline avait pris le pas sur tout le reste. Et une fois encore, sans s’en rendre compte le secouriste prenait des risques inconsidérés.
-TK tu es sûr de toi ? lui cria Nancy alors que ce dernier commençait à ramper sur la glace du lac, la corde accrochée à sa taille.
-Pas de souci ! J’ai sauvé pas mal de gens à Central Park. C’est pareil !
-Sauf que tu as un drap en guise de bouée, et un laryngoscope en guise de pic à glace ! C’est différent ! rétorqua Nancy peu convaincue.
-Pas faux ! s’exclama TK.
Mais peu importait l'équipement, l'ex pompier était lancé. Rien ne pouvait plus l’arrêter. Il avançait doucement.
Arrivé au chapeau il découvrit le visage du garçon piégé dans les eaux et bleuit par le froid.
-Je vois le garçon ! cria-t-il. Il faut que je brise la glace !
A l’aide du laryngoscope, il frappa la glace de toutes ses forces. Mais l’outil se brisa en deux. TK ne relâcha pas son effort et s’acharna contre la paroi qui finit par céder. Il plongea ses bras et son visage dans l’eau pour récupérer le garçon. Le froid le saisit instantanément et lui brûla la peau.
En tentant d’entourer le jeune garçon de la corde de draps, et dans un craquement, la glace céda soudainement sous son poids. L’eau glacée pénétra ses vêtements et lui brûlait la peau jusqu’à ses poumons. Pourtant malgré la douleur que lui provoquait le froid il s’acharna une fois encore à soutenir l’enfant pour le sortir de l’eau. Nancy et Tommy les tirèrent tous les deux de toutes leurs forces.
Alors qu’ils se précipitaient vers l'ambulance, celle-ci avait glissé de la chaussée et ne pouvait plus être utilisée.
Ils se rabattirent sur la voiture du couple, moteur allumé et chauffage au maximum. TK tremblait de tous ses membres alors que Nancy poursuivait le massage cardiaque. Finalement et par miracle le garçon revint à lui.
Une nouvelle ambulance ne tarda pas à venir les chercher.
Alors que le nouvelle équipe chargeait le brancard dans le véhicule Tommy constata que TK avait disparu dans le blizzard.
Elles le retrouvèrent plus loin en contrebas après avoir suivi des vêtements. Complètement nu et tremblant TK s’était effondré dans le fossé et était totalement incohérent. Elles l’entourèrent d’une couverture et le remirent debout. Après quelques pas dans leurs bras, TK sentit comme un électrochoc et s’effondra, inconscient. Il n’avait plus de pouls, ni battements de cœur. Totalement en panique Nancy entama le massage cardiaque alors que Tommy chargeait le défibrillateur. Elle le choqua plusieurs fois mais rien n’y faisait. TK ne revenait pas. Nancy poursuivit le massage cardiaque alors que Tommy hurlait un message d’alerte et de demande de secours d’urgence dans la radio.
Les quelques minutes que mit la nouvelle ambulance à arriver leur parut interminables. Nancy n’avait pas cessé le massage manuel répétant à TK qu’il devait rester avec elles. Elle était terrorisée, le voyant mourir impuissante.
Tommy, de son côté, était également très inquiète.
Le trajet jusqu’à l’hôpital fût épique. Nancy avait catégoriquement refusé de laisser la place aux collègues pour le massage et continuait à appuyer sur la poitrine de TK à genoux sur le brancard.
-Allez TK ! Allez !!
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Nancy, assise dans la salle d’attente, épuisée, se massait les temps le regard perdu ne sachant pas si son meilleur ami allait mourir. Totalement impuissante et sans ressources elle fit la seule chose qui lui parut censée en cet instant critique.
-Allô ? Carlos ?
-Nancy ?
-Oui c’est moi. Excuse-moi de te déranger. Je…euh…je t’appelle de la part de TK…repris la secouriste tentant de dissimuler son émotion. On est à l’hôpital…euh…avec TK…Il a demandé à ce que je t’appelle…
-Pardon ?
0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
Nancy se leva soudainement en voyant apparaître le policier mexicain dans la salle d’attente.
-Salut, fit-elle en le prenant dans ses bras.
Carlos fronça les sourcils.
-C’est gentil d’être venu, d’autant que tu es en service, répliqua-t-elle en coinçant ses mains dans ses poches pour cacher leur tremblement. Il va être content.
-C’est tout lui, ça. Il veut me parler parce qu’il est en soins intensifs, répondit Carlos avec méchanceté et agacement.
-A ce propos, repris Nancy.
-Quoi ?
-C’est pas TK qui m’a dit de te contacter, répondit-elle la voix mal assurée.
-Tu as dit qu’il voulait que je vienne, s’exclama Carlos.
-J’ai dit ça hein…reprit-elle déboussolée ses yeux tentant de se raccrocher à n’importe quoi.
-Oui, asséna Carlos qui sentait la mauvaise humeur poindre.
-Eh ben…j’ai menti…
-Pourquoi tu mentirais ? Tu…répondit le policier.
-Pardon. Je suis navrée, les interrompit une jeune femme. Vous êtes l’une des secouristes qui ont sauvé le garçon ?
-Oui, affirma Nancy alors que Carlos la fixait.
-Vous êtes un héros.
-Non. C’est mon ami TK qui est héroïque. Il est tombé à l’eau pour sauver votre fils.
Carlos la fixa sans comprendre. Quoi ?
-Comment vas-t-il d’ailleurs ? demanda la secouriste.
-Abe va récupérer complètement, répondit la mère avec un sourire. On vous remercie du fond du cœur et on prie pour votre ami.
A ces derniers mots le cœur de Carlos manqua un raté. Que venait-elle de dire ?
-Merci, répondit Nancy les yeux humides.
-Il est dans quel état Nancy ? demanda le policier les sourcils froncés et la mâchoire serrée.
-Franchement ? Très critique, dit-elle la voix tremblante. Tommy est allé aux nouvelles.
Carlos avait du mal à saisir ce que la secouriste venait de lui avouer.
-Il faut qu’on trouve son père, s’exclama justement la Capitaine des secouristes en revenant à eux.
Et c’est là que Carlos le vit.
Derrière elle.
Allongé dans un lit, branché à plusieurs machines, la bouche tordue et le visage à moitié dissimulé par un très gros tube enfoncé dans sa gorge.
La bouche de Carlos s’assécha à cette vision. Ce fût comme si son cœur s’arrêtait. TK allongé, immobile, avait l’air presque mort. Les sourcils froncés Carlos tourna son regard vers Nancy puis Tommy sans comprendre.
-Qu’est ce qui c’est passé ? réussit-il finalement à articuler sans pouvoir détacher son regard de cette vision.