Mille-quatre-vingt-degré Snowboarding

Dion Blaster versus Rob Haywood... L'Anglais contre l'Américain.

J'ouvre ici une parenthèse géographique. Certains nulos pensent que l'Amérique est un continent qui contient plusieurs pays. Nuance, c'est un état fédéral, un pays qui contient plusieurs états. Fallait écouter en cours. Je ferme la parenthèse. Comme ça a coupé le rythme, je reprends du début. Dion Blaster versus Rob Haywood... L'Anglais contre l'Américain... L'Union Jack contre le Stars and stripes... Le roast-beef contre le Quarter pound cheese... Je m'arrête là car la liste est longue comme ma b... J'allais dire « longue comme ma board », mais finalement c'est plus rigolo de dire « comme ma bite ».

Ce duel me rappelle un souvenir d'enfance. J'étais dans la pelouse de mon pavillon de banlieue chic, le distributeur de journaux venait de passer à vélo, et mon père m'apprenait à jouer au Base-Ball pendant que ma mère préparait des cookies. Ce n'est pas un cliché, nous vivons absolument tous comme ça en Amérique. Tous. J'avais sept ans, l'âge de raison, et du haut de cette raison nouvellement acquise j'ai dit à mon père :

-Les Sex Pistols ça nique sa mère, j'veux qu'on aille vivre en Angleterre. 

Sans remarquer que je n'étais qu'à quelques pieds d'un Alexandrin, mon père m'a répondu d'un air solennel :

-Tu sais mon fils, les Anglais et les Américains c'est une vieille histoire de chamaillerie. Mais c'est un Anglais lui même qui a reconnu que nous étions les meilleurs. Il a dit « Nous pensions être les Grecs des nouveaux Romains ».

Comme je ne comprenais pas son histoire de yaourt et que je le regardais avec des yeux de bâtonnet de poisson pané, il a précisé :

-Ça veut dire que même si tu a l'impression que les Anglais ont la classe, en vrai c'est nous les plus stylés.

Là j'ai compris. J'ai compris l'importance d'avoir la classe dans la vie. Et aujourd'hui il y a un seul mec qui a la classe dans cette compétition de snowboard. Si vous avez suivi mon explication, vous le reconnaîtrez sans mal. Il a des lunettes noires et des cheveux blonds en brosse. La classe quoi. Oui c'est moi, Rob Haywood, et je sers la main de mon adversaire, même s'il ne met pas de glaçons dans son bourbon, parce que nous les Américains, on est fair-play.

La piste de Mountain Village est étroite, nous sommes au coude à coude. Bientôt une petite construction barre le passage. Une ouverture en son centre permet de la traverser. Juste au bon moment, je bouscule mon rival. « Ohé ! » qu'il s'exclame, avant de se payer une poutre. Je venais de dire un truc sur le fair-play ? Me souviens plus. Je prends quelques virages serrés pour esquiver de gros rochers, je m'imagine vu de l'extérieur à ce moment, quand ma main caresse la neige, mes cheveux au vent, mes lunettes noires reflétant l'éclat du soleil. La classe, quoi.

Et puis il faut plonger dans des tunnels de glace. Il fait sombre là-dedans mais pas question de retirer mes lunettes. Si le Terminator peut raser la moitié de la planète de la main gauche sans ôter ses protections solaires, je peux garder les miennes dans ces fichus tunnels. Je retrouve l'air libre sans trop de casse, mais là ça se corse. Une route, un village, des bagnoles piégée par la neige, c'est n'importe quoi, cette course !

Je glisse sur le bitume gelé comme un kart sur une peau de banane et finit droit dans un pare-brise.

Et merde, je comprend pourquoi il y avait une option « bris de glace » dans le contrat d'assurance du tournois. Comme je suis venu en taxi je l'ai pas prise.

Le Britannique me passe devant. C'est foutu pour moi. Désolé papa, par ma faute, l'Anglais a gagné. Je vois déjà les terribles conséquences : Big Ben en lieu et place des Twin Towers, The Coca Cola Compagny qui échange ses sodas par du thé Earl Grey, et des Pipe Band en kilt qui violeront nos oreilles à coup de cornemuse pendant les mi-temps du Super Bowl. L'enfer sur terre, quoi.

Pourrais-je encore me regarder dans une glace... sans lunettes noires ?