Âme de Pureté

Chapitre 76 : L'Eveil | Chapitre 76

2349 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/03/2020 13:53


Mais pourquoi y a-t-il de la lumière à travers les volets du Tam-Tam ?


La salive se bloque dans le fond de ma gorge. Moi qui rêvais d'un bain de lumière, il fallait que ça tombe sur ce pub. J'inspire un bon coup et serre les poings. Quand il faut y aller, il faut y aller !

— Hein ?

A peine ai-je avancé d'un pas qu'un son émane de ma chaussure. Prise de court, je recule et m'accroupis au bord du trottoir. Un étrange liquide s'échappe de l'interstice entre la porte et la dalle de marbre. Dans cette obscurité, difficile de l'identifier. Je m'aventure donc à en imbiber mes doigts avant de le lever à la lueur des volets. Mon estomac se tord quand je constate qu'il s'agit de sang.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?!

Impossible de retirer mes yeux de cette vue rouge intense. Pourtant, je comprends très vite que je n'ai d'autres choix que d'entrer dans le bar. M'efforçant d'ignorer la flaque de sang à mes pieds, tachant mes chaussures blanches, je pose une main sur la poignée et l'abaisse. Un haut-le-cœur me révulse quand je parviens au seuil de l'entrée. L'odeur de fer est bien trop forte. Sur le bar, un ordinateur portable, allumé sur une vidéo cryptée. Au sol, un corps, ou plutôt un cadavre, à vue d'œil.

— Ce n'est qu'un rêve, un mauvais rêve, je bredouille en avançant d'un pas tremblant.

Mon esprit essaie de se convaincre qu'un véritable humain ne peut pas perdre autant de sang. Mes semelles s'impriment sur le carrelage autrefois grisâtre de la salle de restauration. La forme inanimée est allongée sur le vendre, difficile de l'identifier, mais il ne s'agit pas de Madame Yoshida. Mon cœur s'emballe, toutefois je ne peux me résoudre à reculer. C'est donc avec une délicatesse extrême que je m'agenouille à un mètre du corps.

— Rien qu'un mauvais rêve...

D'ici, je remarque la chevelure blonde mêlée au sang de la victime. Mes narines sont bouchées pour me protéger des odeurs.

— Rien est réel.

Ma main droite se pose sur son épaule, je vide le contenu de mon esprit et décale le cadavre légèrement sur le côté. Les yeux noisette de Joey sont révulsés, son front présente une large fissure, comme si on lui avait explosé le crâne. Cette vue m'est insupportable, je m'effondre vers l'entrée pour vomir. Des larmes apparaissent au coin de mes yeux et commencent à couler le long de mes joues. Mes mains s'enfoncent dans le sang de mon copain, je manque de tourner de l'œil.

Soudain, un son surgit tout droit de l'ordinateur. Des exclamations, des cris. C'est la première fois depuis que je suis dans le Royaume des Ombres que j'entends autre chose que ma propre voix. En dépit de mes sueurs froides et des montées de biles dans ma gorge, je puise dans mes dernières forces et me hisse sur un tabouret. L'écran me reflète moi, frappant le crâne de Joey à plusieurs reprises avec le dit ordinateur. Les images s'encrent dans mon esprit, au point où j'ai vaguement l'impression d'imiter les mêmes mouvements que mon double.

Jamais... Jamais je ne ferai une telle chose à Joey !

— Crève ! je crie en lui assénant le coup fatal.

De l'autre côté de l'écran, Joey tombe lourdement sur le carrelage. Son sang se vide de la large plaie sur son front. Nul doute qu'il est déjà mort.

— Une bonne chose de faite, pas vrai Lorène ?

Mon hallucination semble se tourner subitement en direction de l'objectif, me provoquant un hoquet de surprise.

— D-De quoi parles-tu ?

Le double désigne le cadavre à ses pieds.

— Si tu voulais le sauver de son père, n'était-ce donc pas pour le briser de tes propres mains ?

Les mots se coincent dans ma gorge. C'est impossible, Joey et Yoshida n'ont absolument rien en commun, jamais je n'aurais... !

— Je suis sûre que tu marmonnes quelque chose comme « Mais jamais je n'aurais pu lui faire du mal ! Je ne suis pas comme ça ! »

— Je ne suis pas comme ça ! j'insiste en tapant du poing contre le comptoir.

Elle laisse s'échapper un rire malicieux.

— Alors explique-moi la différence entre son père et toi ?

Le père de Joey et moi ?

— Ne me regarde pas avec ces grands yeux de biches, tu sais exactement de quoi je veux parler !

— La ferme ! Nous n'avons rien du tout en commun ! Si j'ai fait ça, c'est parce qu-

— Parce que tu voulais te défendre ? On dirait que tu as la mémoire courte, ma chérie. Laisse-moi te la rafraichir.

Mon reflet lève la main droite vers moi et claque des doigts. Tout à coup, tout devient flou et, en une fraction de seconde, je me retrouve face à Yoshida, brandissant son téléphone portable. La lumière s'infiltrant insidieusement vers les volets négligemment fermés m'ébahit.

— Je ne t'offre que ce que tu mérites. Tout le monde doit découvrir que tu es un monstre !

La poussée d'adrénaline me force à empoigner l'ordinateur portable. Je me situe à moins d'un mètre d'elle quand l'appareil percute son crâne.

— Lorène, arrête !

Mais ce n'est pas Madame Yoshida que je viens de frapper, c'est Joey.

Comment veux-tu que ce garçon reste toi après les horreurs que tu as commises ?

Les battements de mon cœur freinent jusqu'à s'arrêter. Mes doigts serrent de toute leur force l'ordinateur maculé de sang. La scène se rejoue encore et encore devant mes yeux. Je vais devenir complètement dingue si ça continue. Lorsque le corps de Yoshida se relève une nouvelle fois devant moi et me présente son téléphone portable, je lâche finalement l'appareil pour entourer mes tempes de mes mains.

— Je suis désolée ! je hurle d'une voix si brisée que je ne me reconnais pas.

— Être désolée ne suffit pas ! répond mon ancienne patronne.

Une main empoigne ma gorge et me projette en arrière sans me lâcher. Mes yeux rencontrent le visage de Yoshida, puis celui de Joey, celui de son père pour reprendre enfin mon apparence. Ses ongles s'enfoncent dans ma gorge à un tel point que j'attends qu'ils transpercent ma carotide.

... Et si elle avait raison ? Et si je n'étais pas mieux que le père de Joey ? J'ai tout dissimulé à mon propre copain pour ne pas qu'il s'éloigne de moi. J'ai préféré qu'il me plaigne et m'enveloppe dans ses bras plutôt que de lui avouer les atrocités dont je suis capable. La vision de mon double en train de m'étrangler s'efface brusquement. Je suis assise au pied du comptoir, les mains à hauteur de mon cou. La douleur semble si réelle que je tapote ma peau pour tenter de la faire disparaitre. En fond, le silence s'entrecoupe de bruits d'agonie, de gémissements masculins. Pourtant, le corps de Joey n'a pas bougé d'un poil depuis ma venue.

— Sortez-moi de là... je geins, sentant les larmes s'écouler au bas de mon menton.

Tout à coup, les néons s'éteignent. Le silence accompagne l'obscurité, mais impossible d'oublier la présence de ce corps à côté de moi. Ma poitrine est secouée par des sanglots. Les informations se bousculent dans ma tête sans que je puisse les procéder. Pourquoi tant d'émotions négatives ? Pourquoi maintenant ? Quelle conne, le Royaume des Ombres n'est pas un lieu de vacances.

— Alors, comment tu te sens ?

Les yeux explosés par les larmes, je relève doucement le menton. Tous mes membres sont sujets à des tremblements plus ou moins intenses.

— Q-Qui ?

La copie de mon corps apparaît à un mètre de moi. Assise en tailleur et vêtue de mon ancien uniforme de serveuse, elle joue avec une mèche blonde échappée de son chignon. Face à l'expression candide plaquée sur son visage, un long et froid frisson me parcourt l'échine.

— Toi, voyons.

— Qu'est-ce que tu attends de moi ?

— Moi ? répète-t-elle, une main posée à hauteur de son cœur. Rien du tout ! Je me demandais juste : qu'est-ce que ça fait d'être enfin humaine ?

Humaine ? Je ne saisis pas son sous-entendu. Mes ongles s'enfoncent nerveusement à la base de mes racines. Mes cils balayent frénétiquement l'apparition de nouveaux sanglots.

— Mais... Je...

— Parce que tu croyais que c'était normal de ne rien ressentir ? Tu te pensais au-dessus de tout ?

Ma silhouette éclate de rire, il est si aigu que je ferme les yeux pour ne pas crier de douleur.

— Sans Eléonore, voilà ce que tu es : une petite chose fragile.

Son timbre s'adoucit lorsqu'elle se penche sur mes genoux et s'y appuie. Ses yeux bleus s'ancrent dans les miens. Son regard est si intense que j'en oublie le corps inerte juste à côté de nous. De qui s'agissait-il déjà ? Je ne sais plus.

— Ton cœur bat la chamade, tes entrailles se retournent, tes pauvres petits yeux sont rongés par la culpabilité. Tu as tué un humain et tu crois que ses agissements par le passé justifient l'atrocité de ton acte.

Je l'écoute, mais ne rétorque rien. Ses mots se répercutent dans mon esprit comme un écho intarissable.

— Mais tu te trompes, et il est temps pour toi de payer pour cela.

Eléonore... Ses pouvoirs n'ont aucune limite. Si elle est parvenue par le passé à modifier mes souvenirs pour effacer toute trace de la famille Pegasus, comment ne pourrait-elle pas annihiler toute trace de traumatisme suite au meurtre de Yoshida ?

Je suis complètement perdue.

Lorsque je me redresse pour affronter mon double, celle-ci arbore un large sourire. Ses bras sont dressés au-dessus de ma tête. Elle tient un ordinateur portable entre ses mains.

— Les monstres doivent disparaître.

— NON !

Je n'aurais pas le temps, ni les réflexes de me protéger. Mes membres se tétanisent de peur. Tandis qu'elle s'apprête à abattre l'appareil contre moi, une vive lumière jaillit de mon uniforme de lycéenne. Eblouie, je gémis d'inconfort et plisse les yeux pour ne pas me détruire la rétine. Des lambeaux de draps me frôlent les jambes. Bouche-bée, je plie Une forme vêtue de blanc a surgi de ma poche pour transpercer mon double d'un coup de sabre.

— Comment as-tu...

Sa phrase s'évanouit dans le bar, sa silhouette se dissipe dans le néant, emportant avec elle les maux de mon enveloppe. Mes sanglots ont cessé de torturer ma poitrine. Dos à moi, mon sauveur se tourne brusquement pour me faire face. Le visage partiellement masqué par des bandages, l'homme à l'apparence d'un samouraï se cambre en signe de respect.

— Un samouraï... ? Ninja Blanc ?

Je m'empresse de dégotter mon deck dans ma poche et consulte les cartes une à une. Celle du Duo Gellen demeure vide, mais elle n'est pas la seule. Celle du Ninja Blanc a subi le même maléfice.

— Merci infiniment ! je m'exclame, ébahie.

Cette sensation de fraicheur dans mon corps me fait tourner la tête. Enhardie, je me balance en avant et prends appui sur mes frêles jambes pour enlacer le monstre. Celui-ci adopte une réaction similaire à celui de la boule rose, il esquisse un mouvement de recul et laisse tomber son sabre ainsi que ses shurikens.

— Reste avec moi, je t'en prie.

Je m'accroche à lui comme si ma vie en dépendait. Il finit par poser ses mains contre mes omoplates, sans me rendre entièrement mon étreinte. Cela me suffit, j'ai l'impression d'enfin échanger un réel contact humain. Cependant, au bout d'une dizaine de secondes, un halo de lumière recouvre le Ninja Blanc. Je le libère de mes bras avant qu'il ne se transforme en éclat et ne retourne dans ma carte.

— Merci encore, je marmonne en me relevant sur mes deux jambes.

Les lampes du bar se sont éteintes, me plongeant à nouveau dans l'obscurité la plus totale. Cependant, en me penchant légèrement du côté du cadavre, je remarque avec effroi puis soulagement que celui s'est changé en pierre.

Je n'ai pas tué Joey.

Et même si les choses semblent rentrées dans l'ordre, je ne compte pas perdre le temps qu'il me reste dans cet endroit. Je me précipite donc à l'extérieur, emplissant mes poumons d'air neutre.

Où vais-je désormais ? 

Le pharaon m'aimait et vous l'avez obligé à me trahir !

Comme un message venu tout droit du ciel, je reconnais sans peine la voix d'Eléonore. L'inquiétude m'envahit, est-elle en train de tout saccager dans le monde réel ? J'espère que non.

— Le pharaon...

Il y a un autre endroit dans lequel je pourrai m'aventurer avant de me diriger vers la demeure de Pegasus. Soudain, je secoue vivement la tête.

— Je suis en train de perdre du temps. Il faut que je rejoigne la résidence secondaire avant qu'il ne soit trop tard.

Mais j'ai beau essayer de me convaincre de ne pas m'attarder en ville, une petite voix intérieure m'intime de m'orienter vers Domino City, représentant un détour considérable. Après tout, le même instinct vient de me pousser à vivre cette horrible expérience et je n'ai aucune envie de réitérer l'exploit. Je pivote en direction de la sortie de ville.

Que le jeu des ténèbres commence.

Ce n'est pas une hallucination, j'entends les mots d'Eléonore, assez distinctement pour comprendre de quoi il relève. Peut-être que nos âmes ne partagent plus la même enveloppe, mais quelque part, nous sommes toujours connectées l'une à l'autre.


Et une partie de mon âme me supplie de me rendre au Musée de Domino City.

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