Âme de Pureté

Chapitre 74 : L'Eveil | Chapitre 74

2046 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/02/2020 12:53

Tout d'abord, il y a eu un moment de flottement. Les ombres m'ont engloutie dans ce qui ressemblait de près ou de loin à un cauchemar d'enfant. Un gosse qui a la peur du noir.

Suis-je morte ?

La dernière fois que je me suis posée cette question, je venais de chuter d'une tour d'une centaine de mètres l'altitude. J'ai du mal à jauger si je suis chanceuse de ne pas réitérer l'exploit.

Soudain, j'ouvre les yeux, tombant nez à nez avec le mur d'une chambre d'adolescent. Mon attention se porte immédiatement sur mes mains. Je les relève au niveau de ma poitrine et constate que mes os se sont miraculeusement reconstruits. La sensation de pouvoir bouger mes bras et mes jambes librement m'hypnotise pendant de longues minutes.

Tout est normal.

— Enfin presque.

Ce n'est qu'une fois tout remis en place que je reconnais la pièce dans laquelle j’ai atterri : la chambre de Yugi. Les posters de jeux vidéo et les verres de thé glacé à moitiés vides sur la table basse m'indiquent que je n'ai pas bougé d'un poil depuis ma défaite au jeu d'échecs. Pourtant, je ne vois aucune trace de Yugi dans le coin.

— Alors je suis réellement tombée dans le Royaume des Ombres ?

Loin d'avoir envie de rester bloquée dans cette réplique de la chambre de mon ami, je me relève sur mes jambes et rejoins le couloir. La maison parait totalement déserte.

— Yugi ?! Atem ?! Monsieur Mûto ?!

Rien du tout. Je redescends les escaliers de la boutique et m'approche de la sortie quand la porte s'ouvre sur une paroi noire et menaçante. A peine y ai-je approché ma main qu'elle est violement repoussée en arrière. Être coincée dans une copie de la maison de Yugi ne correspondait pas à l'idée que je me faisais du Royaume des Ombres. N'ayant aucune autre échappatoire, je tente de briser le mur d'ombres d'un coup d'épaule. Sans surprise, je suis projetée à mon tour contre une étale de cartes.

— Il doit bien y avoir un moyen de sortir d'ici...

Comme si quelqu'un avait entendu ma prière, un halo de lumière attire mon attention. Celui-ci émane de la poche de mon uniforme. Mon paquet de cartes de Duel de Monstres ? L'une d'entre elle brille plus que les autres. Du bout des doigts, je la retire du deck.

— Mon Duo Gellen [1700|0] ? J'ai l'impression que mon dernier duel remonte à si longtemps.

L'illustration de ces boules roses et vertes me provoque un petit sourire. Celui-ci se change en une moue surprise lorsque le halo qui entourait ma carte m'éblouit subitement. Je ferme momentanément les yeux et les rouvre quelques secondes plus tard. L'image est devenue complètement blanche, mais ce n'est pas le détail le plus choquant. A hauteur de mon nez, deux formes fantomatiques se présentent à moi. Elles se distinguent du reste de l'endroit par leur lumière rose et verte.

— Wow, ça a l'air tellement réel... je souffle en levant un doigt en direction de la rose.

Mon index touche la surface de l'apparition qui réagit sous mon geste. Elle recule brusquement et frissonne en poussant de petits cris effrayés.

— H-Hé, n'ayez pas peur !

Mais le fait d'hausser accroit sa torpeur. Le duo ne tarde pas à se retourner en direction du mur d'ombres avant de le percer. L'extérieur de la maison se révèle derrière la porte. D'abord choquée, je m'empresse de rejoindre la rue afin de ne pas risquer de mourir dans cette boutique.

— Duo Gellen, revenez !

Mince, on dirait qu'ils sont déjà loin. C'est là que j'ai remarqué le ciel. D'épais nuages violacés masquent les étoiles, la ville entière est plongée dans une pénombre épouvantable.

— J'aurais préféré un labyrinthe ou une cage. Comment suis-je supposée sortir d’ici ?

Cela va me prendre des heures, voire des jours à m'échapper de cette réplique de Domino City ! Bon sang, faites qu'Eléonore ait repris le contrôle de mon corps et qu'elle ne fasse pas trop de conneries en mon absence.

Les lampadaires ne fonctionnent pas, tout comme l'ensemble des sources de lumière habituelles. Une ville fantôme, c'est l'impression que j'ai en parcourant les rues du centre. Le vent ne souffle pas, tout semble figé dans le temps.

— On se croirait dans une de ces séries où les zombies vont débarquer de nulle part, je râle en traversant un rond-point sans me soucier des marquages routiers.

J'ai beau marcher, je n'ai aucune idée d'où je dois me rendre. Alors, instinctivement, je me dirige vers mon domicile. Cette illusion s'étend aussi loin que Flems et sans tram, la route jusqu'à ma maison parait bien plus longue que je ne l'aurais cru.

— Si Tristan passait avec son scooter...

Mes pensées dérivent vers Yugi et ses amis, vers Zoé. J'espère qu'ils s'en sortiront sans moi pour contrôler Eléonore. Qui sait, peut-être que je me réveillerai en prison.

Si je me réveille...

Cette remarque me provoque un frisson de la tête au pied, je secoue vivement la tête pour me chasser cette idée de mon esprit. Sans montre, je suis incapable de dire si j'ai pris trente minutes ou deux heures pour rentrer chez moi. Ce qui est sûr, c'est que ma maison a l'air bien triste au sein de ce monde lugubre.

Dès que je dépose ma main sur la barrière, je remarque l'absence de froid du métal. La chaleur et le froid n'existent pas ici. Ce n'est que du vide et rien d'autre. Ce détail me trouble jusqu'à ce que j'atteigne le hall d'entrée. Pas besoin de clé, la porte était déverrouillée pour une raison qui m'échappe. Le salon, la cuisine, le jardin. Personne. Il en va de même pour l'étage, l'intérieur a été laissé en plan. Des habits trainent un peu partout dans ma chambre, tout comme les manuels scolaires. La simple vue de mon lit me tire un bâillement.

— J'ai sommeil...

Une petite sieste ne saurait pas me faire de mal. Après tout, ce n'est pas comme si je pouvais me réveiller dans un pire endroit que celui-ci. Et après mon affrontement contre Atem, je mérite bien un peu de repos. Convaincue par mes arguments, je m'allonge sur mon lit et plante mon regard dans le plafond.

Je me demande bien où sont passés le Duo Gellen.


Lorsque je me réveille, le décor est toujours le même. Que des ombres, une ville fantôme, un monde de spectres. Je me redresse en tailleur sur mon lit. Etonnement, je n’ai pas rêvé. Combien de temps ai-je dormi ? Je ne saurais dire, mais suffisamment pour reposer mes membres du trajet entre la boutique de jeux et ici.

A la fenêtre, je me perds dans les nuances de gris et noir qu'offre cet endroit.

— Est-ce vraiment cela le Royaume des Ombres ?

Curieusement, quand on me parlait du Royaume des Ombres, j'imaginais un endroit rempli de tortures, un enfer à part entière. Ceci ressemble davantage à une autre dimension où le temps aurait été stoppé et où la lumière ne fuse plus.

— D'ailleurs, en parlant de lumière...

Il n'y a pas une trace du Duo Gellen. Peut-être ferais-je mieux de partir à leur recherche. Si des monstres de mon jeu peuvent survivre dans un endroit pareil, alors ils savent sûrement où je peux trouver de quoi survivre, et peut-être même Maximilien Pegasus.

Au début, je ne trouvais pas la solitude spécialement gênante, mais plus j'évolue dans la rue commerçante, plus je commence à regretter les discours de l'amitié de Téa et les vantardises de Joey.

— Bon sang, qu'ils ne sachent jamais à quoi je viens de penser.

Le silence dans ma tête me désarçonne totalement. Difficile d'imaginer ce que c'est de partager son corps avec quelqu'un d'autre. Mais l'un des avantages indéniables, c'est qu'on a toujours quelqu'un avec qui discuter. Si Eléonore se montrait plus amicale envers moi et mes choix, nous nous entendrions probablement mieux.

Tout d'abord, je décide d'inspecter le lycée de Flem, lieu le plus proche de mon domicile. Au pied de la grille, je n'hésite pas une seconde avant de me hisser de l'autre côté. Cette école est tellement triste sans le brouhaha constant des élèves.

— Non je n'en viendrai pas à regretter Kaoruko, conclus-je en vérifiant l'état de mon casier.

Première surprise : celui-ci ne contient pas mes affaires, mais ceux d’un autre lycéen. Peut-être que ce monde n'est pas une copie tout à fait conforme du mien en fin de compte.

Avant de quitter l'établissement, je succombe à une envie mal placée : scruter les moindres recoins de l'école sans craindre de me faire attraper. Les casiers débordent de bibelots et de bouquins, les parois sont placardées de clichés et autres coupures de presse de chanteurs plus ou moins célèbres. Vers la dernière rangée de casiers avant la salle de classe 2-B, je reconnais un bijou conservé entre quatre plaques de métal : un ras-de-cou translucide.

— Zoé... je marmonne entre mes dents.

Elle ne quitte jamais son collier, sauf pour dormir. De ma main droite, je le presse dans ma paume avant de remarquer les photos accrochées au fond du casier. Elles représentent ma chère amie, posant seule dans des décors différents, tantôt sur le toit, tantôt au Tam-Tam.

— Il y a quelque chose qui cloche.

Sur chaque cliché, la brune pointe une direction du bout de l'index. Intriguée, j'arrache l'une des photos et plisse les yeux. L'espace qu'elle indique est brouillé par des ombres, comme si quelqu'un avait délibérément retouché l'image. C'est là que j'ai compris : j'ai été effacée, oubliée. Malgré la boule qui se forme dans mon ventre après ce constat, j'esquisse un léger sourire forcé.

— Si vous croyez que ça va me blesser, je sais que rien ici n'est réel.

Pour appuyer mes dires, je déchire la photo en question et sème les bouts de papier dans le casier puis le referme. Aucun claquement lorsque la porte heurte l'armature. Je suis de toute évidence le seul être capable de troubler le silence.


Mon exploration me mène ensuite dans le centre-ville de Flem, sur la place. J'ai pour projet de rejoindre le lycée de Domino City, à la recherche du Duo Gellen. Ils n'ont pas pu aller bien loin. Je refuse de croire que ce monde n'a aucune limite, et je vais le prouver, même si je dois parcourir des centaines de kilomètres.

Semblable aux autres endroits visités jusqu'ici, la place de Flem est déserte et lugubre. Cette vision me déconcerte légèrement, mais je commence doucement à m'habituer à l'absence de monde. Je louche une minute sur le trottoir où Eléonore avait rejoint Atem, ce jour où elle lui a avoué avoir été son esclave. A ce moment-là, je croyais une cohabitation encore possible, je pensais même qu'Eléonore nourrissait des sentiments profonds pour le pharaon. En fin de compte, je n'avais pas tort : la haine est un sentiment plutôt fort et tenace.

— Allez, en route.

Je m'oblige à réfléchir à haute voix, ne serait-ce que pour me rassurer un peu, me donner l'impression d'être accompagnée, même si ce n'est que par moi-même. Et alors que j'atteins l'autre bout de la place, mon souffle se coupe.

De la lumière, un magasin est ouvert.

Un instant, ce n'est pas un magasin.

— C'est un bar.

A cause de la pénombre, je ne décèle le nom de l'enseigne qu'une fois au pied de celui-ci. Pourtant, je m'y suis rendue pendant de longs mois.


Mais pourquoi y a-t-il de la lumière à travers les volets du Tam-Tam ?

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