Âme de Pureté

Chapitre 69 : L'Eveil | Chapitre 69

4070 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/01/2020 20:12

Les yeux rivés sur le bitume, je ne perçois plus que ma respiration et les battements effrénés de mon cœur.

Pas Joey, pas lui.

Si je n'avais pas écouté Tristan, rien de tout cela ne se serait produit. J'aurais sauvé Joey et...

— Ma pauv’ fille, pouffe son père quand je retire mes mains de mes oreilles.

Une vive chaleur me secoue les entrailles, je relève brusquement le visage vers son sourire malsain troublé par une quinte de toux.

— Toi...

— Hein ? Tu as dit quelque chose gamine ?

Un souffle de fraicheur me caresse la peau, l'adrénaline pulse dans mes veines, cela faisait longtemps que je ne m'étais plus sentie aussi... libre. J’observe le voisinage, hypnotisé par le spectacle des ambulanciers au bas de l’immeuble, puis reviens vers mes mains et le père de Joey.

— Sombre âme qui a péché par ses actes.

Je n'en attendais pas moins de toi, chérie.

— Tu ne mérites pas de vivre auprès du commun des mortels.

Dans son regard, je discerne une once de frayeur, voilée par l'alcool qui l'empêche sûrement d'estimer la gravité de la situation. Ses muscles se figent, sa bouteille de bière maintient un équilibre précoce au-dessus du vide. Sa bouche se crispe sur sa cigarette encore fumante. S'il ne succombe pas au Royaume des Ombres, le tabac s'en occupera à sa place.

— Au nom du Royaume des Ombres, je décide t'envoyer dans un endroit si noir...

— Et si horrible...

Mon front me brûle, mes entrailles se tordent sous l'excitation et la peur. Je ne crains pas la réaction des voisins. Leur attention est accaparée par ce qu’il se joue au troisième étage pour s'inquiéter de cet homme misérable sur le point de mourir.

— Que tu n'en sortiras jamais.

Plus qu'une phrase, le symbole du Millénium se grave lentement sur le front de cet enfoiré. Plus qu'une phrase et il finira à l'endroit qu'il mérite.

A toi l'honneur.

Merci.

— Que le jeu... Mphf ?!

Alors que j'incantais ces derniers mots, une masse percute mes épaules. L'air se coupe dans mes poumons et je peine à retrouver une respiration décente.

— Quelle surprise, décidément ! s'exclame mon assaillant d'un ton joyeux.

Prise de court, je tourne vivement mon visage dans l'idée de me défaire de cette agression. Tout mon corps se fige devant l’identité de celui qui me compresse dans ses bras.

— Jo... Joey ?!

Ses mèches blondes me chatouillant le visage et sa grande taille me mettent immédiatement sur la piste.

— Bah ouais Cocotte, qui voulais-tu que ce soit ? marmonne-t-il à mon oreille avant d'ancrer ses yeux bruns dans les miens.

Je reste stoïque à ce qu'il vient de se passer. Mes jambes menacent de s'écrouler sous le choc et le poids de Joey. Une vive émotion me prend à la gorge quand il me serre amoureusement dans ses bras. Ma réaction ne lui a pas échappé parce qu'il se détache doucement de mes épaules, surpris.

— Tout va bien ?

Absolument tout ! Instinctivement, je pivote en direction de son père, dont la bière s'est finalement vidée sur le sol. Sans se soucier de l'irruption de son fils, il rejette sa cigarette dans un crachat et porte ses mains meurtries à sa bouche. La fumée emmagasinée dans ses poumons se transforme en une bouillie blanche mélangée à sa salive qu'il déverse par terre. Il me donne envie de vomir.

— Il a encore trop bu, quel irresponsable, grogne Joey, légèrement penché pour ramasser mon sac de provisions. Il se passe quoi ici, quelqu'un est mort ?

Il ne croit pas si bien dire. Tournés vers les ambulanciers, nous apercevons un brancard surmonté d’un sac mortuaire, manifestement rempli. Mes épaules s'affaissent quand je pousse un long soupir, tentant désespérément de redescendre la tension de mes muscles. Tandis que tous semblent obnubilés par la vue du brancard, je penche légèrement la tête sur le côté. Le père de Joey m’épingle, effaré. Je déglutis et le foudroie du regard. Que peut-on attendre de quelqu'un qui vient d'essayer de vous tuer ? Rien du tout, si ce n'est que d'avoir peur qu'il réitère son acte. Au fond de moi, je sais pertinemment que je viens d'éviter l'une des pires erreurs de ma vie, mais je suis incapable de prédire mes actes s'il avait effectivement battu Joey à mort.

— Enfoiré, je siffle entre mes dents.

Les ambulanciers remontent le brancard dans le véhicule et referment les portes arrière. L'amas de voisins se disperse dans des piaillements sur la nécessité d'autant de bruit pour une simple mamie décédée. Alors qu'il ne reste plus que nous sur le trottoir en face de l'immeuble, Joey s'étire bruyamment.

— Hé Cocotte, je te ramène ?

Je relève le menton, surprise. Son regard se balade entre son père et moi.

— Le vioc va rentrer tout seul, on a qu'à faire un tour, ajoute-t-il en m'indiquant l'autre bout de la rue de son pouce.

J'acquiesce sans un mot, profitant du mutisme de son père pour entamer le chemin. L'ambulance est déjà bien loin.

 

Le sac pressé dans le creux de mes mains, j'avance d'un pas lent, lançant de temps en temps des coups d'œil au blondinet à mes côtés. Nous avons finalement décidé de nous diriger vers le parc à quelques kilomètres de chez moi. Personne de responsable ne se promène dans les environs à une heure pareille. Cela tombe bien : nous ne sommes pas des gens responsables.

— Si je pensais que la vieille allait claquer si tôt, grogne Joey, les bras calés au-dessus de ses épaules.

— Parle mieux des défunts, je le corrige aussitôt.

Plus ironique, tu meurs. Je ne te connaissais pas cette qualité, ma canne en sucre.

Recevoir des compliments de la part d'Eléonore sonne comme une insulte.

— Ouais, ouais...

— D'ailleurs, pourquoi tu n'as pas répondu à mes appels ?

— Tu as essayé de m'appeler ?

J'approuve énergiquement et lui montre de ma main libre l'écran de mon journal d'appel. Il se courbe immédiatement en avant, les mains en prière.

— Désolé ! J'ai oublié mon portable chez moi ce matin.

— Bah bravo...

A cause de ça, j'ai...

— Tâche de l'avoir, j'éviterais de penser que c'est toi sur le brancard.

Malgré mon ton faussement moqueur, Joey s'arrête et m'observe de ses yeux ronds.

— Tu as cru que... ?

Je grimace, impossible de mentir tant la connerie qui s'en est suivie a failli changer sa vie à jamais. D'un haussement d'épaules, je reprends ma marche dans le but d'éviter son regard.

— H-Hé !

Sourde à ses protestations, je balaie les souvenirs de cette impression d'effondrement. Après tout, ma vie n'est pas basée sur son unique existence. C'est idiot de ma part de ressentir toute cette haine. Augmenter le nombre de cadavres sur mon dos aurait été la pire décision qu'il soit. Je n'imagine même pas ce qu'il se serait produit si Joey était intervenu quelques instants plus tard.

— Je t'ai demandé d’attendre !

Arrivés à l'entrée du parc, je me décide enfin à m'arrêter pour lui faire face. Cet idiot me fixe comme un ahuri. A noter que son sourire me donne envie de le frapper tant j'en connais la signification. Il fait toujours cette tête avant de...

— Tu veux dire que tu avais peur que l'Appolon de Domino disparaisse pour toujours ?

— Imbécile ! Tu as déjà failli mourir au tournoi de Bataille-Ville, pas besoin de réitérer l'exploit.

— Toi aussi, je te signale. Le plus beau saut de l'ange que je n'ai jamais vu de ma vie.

— Tu es au courant qu'on plaisante de nos potentielles morts ?

— Quand on le sera, il sera trop tard pour en rire.

Sa remarque me flanque le cafard, je cligne des paupières frénétiquement pour masquer mon trouble. Pas maintenant. Immédiatement, un flot de questions tourbillonnent dans mon esprit. Yoshida a-t-elle eu le temps de plaisanter sur sa mort avant de crouler sous mes coups ? Elle ne pouvait pas savoir qu'elle était plus en sécurité au Royaume des Ombres que dans son propre bar.

— Tu comptes tout manger ?

Son timbre léger m’explose ma bulle de réflexions. Il désigne mon sac de courses l'air penaud. Avant de quitter le konbini, j'ai fait le plein de friandises et autres snacks pour combler mes sessions d'études. Grignoter m'aide à ne plus réfléchir, alors autant y aller franco.

— Rappelle-moi quand j'ai signé pour te nourrir ?

— C'est dans le starter pack. Tu ne peux pas avoir le beau mec sans le ventre qui l'accompagne !

Au final, tu as juste le ventre, parce que le beau mec, je le cherche encore.

Je lève les yeux au ciel, autant pour la remarque de Joey que celle d'Eléonore. Résignée, je me vois contrainte de partager mon butin. Nous nous installons sur un des nombreux bancs libres du parc. Le blondinet inaugure un paquet de chips salées alors que je me jette sur un pain au melon.

— Pour en revenir à tout à l'heure. T'inquiètes pas, je ne compte pas mourir tout de suite.

Mes doigts se referment sur le pain, je m'efforce de me concentrer sur ma mastication que sur ses paroles.

— Il y a tellement de choses dont je dois m'occuper avant ça : ma petite sœur, Yugi et le pharaon, devenir le meilleur duelliste du monde, botter le cul à Kaiba et empêcher ma copine de devenir dingue - sauf de moi. Un sacré programme.

Un morceau de ma brioche se coince à la moitié de ma gorge quand il me mentionne. Je tapote fermement du poing contre ma poitrine pour faire descendre le tout.

— Et l'empêcher de se faire assassiner par la nourriture.

— C'est cause perdue, je marmonne.

Les larmes au coin des yeux à cause du pain au melon, j'attrape une bouteille d'eau dans mon sachet et en avale trois longues gorgées. Lorsque je la referme, Joey pose sur moi son éternel regard perplexe.

— Quoi ?

— Je te trouve vraiment trop calme ces temps-ci.

Son ton déroge à la douceur dont il faisait preuve jusqu'ici. Je me doutais que toutes ses blagues avaient pour but de me décoincer un peu, mais je n'y parviens définitivement pas.

— Quand tu es comme ça, c'est qu'une catastrophe va arriver.

— Eh... La seule catastrophe ici, c'est toi à vélo.

— Et tu ne remettras pas une fesse dessus tant que tu ne m'auras pas dit ce qu'il se trame dans ta tête.

— Un esprit vieux de cinq mille ans.

— Lorène.

Je frisonne. Il est rare qu'il utilise mon prénom au lieu de ce stupide sobriquet qu'il m'a dégotté d'on-ne-sait-où. A force, je trouve que « Cocotte » sonne beaucoup mieux que mon propre nom.

— J'ai rendu une petite visite à Pegasus l'autre jour.

Une bombe de désamorcée, sûrement la moins meurtrière. Quoique...

— Q-Quoi ? Attends, c'est à cause de ce qu'a dit Téa que tu es allée ?

Téa ? Je le toise, interloquée puis me rappelle subitement de ses accusations au Burger World. Je lève une main à sa hauteur pour balayer ses doutes.

— Pas du tout, il fallait que j'y aille de toute façon. Tu sais, avec toutes ces histoires, je voulais en savoir plus à propos de mes parents.

— Et... ?

Il masque à peine son inquiétude concernant le créateur de son jeu fétiche.

— Pegasus est au Royaume des Ombres, je crois.

Ses sourcils se froncent, il dépose le paquet de chips entre nous et s'appuie contre le dos du banc.

— Tu crois ?

— Il dort. On dirait qu'il dort. Mise à part l’odeur, il ressemble à Yoshida quand elle était...

Je m'interromps, qu'étais-je sur le point d’avouer ?

— Quand elle était là-bas ? Merde. Ce serait à cause de la carte qu'on a retrouvé déchiré dans son bureau.

L'absence d'accusation dans sa voix me soulage d'un poids. Téa avait été la première à émettre un doute quant à la culpabilité de Mai. Mais elle avait raison.

— C'est moi.

— Mh ?

Je me racle la gorge, sentant que ma voix est sur le point de s'évanouir.

— C'est moi qui ai détruit la carte de l'âme de Pegasus quand tu affrontais Mai.

Son visage s'étire de surprise. De toute évidence, il n'a jamais été question pour lui de me considérer comme une potentielle coupable. Je me mords nerveusement l'intérieur des joues. Avant qu'il ne m'interroge, je décide de prendre les devants et lui raconte les révélations de Dartz à son sujet. C'est à cet instant que je m'aperçois du nombre de détails que j'avais gardés pour moi jusqu'ici. Depuis notre escapade au magasin où Monsieur et Madame Pegasus ont été tués, j'avais secrètement décrété que tout resterait dans ma sphère personnelle. Désormais, je m'en veux d'avoir dissimulé autant d'informations à celui qui m'a toujours soutenue.

— Quelle merde. Il faut qu’on en parle à Yugi.

Je hoche du menton en silence, lui saura peut-être comment s’y prendre.

— Et tu veux le ramener ?

Sa question m'arrache un hoquet de surprise.

— Hein ?

— Ramener Pegasus, il doit bien avoir un moyen de récupérer son âme comme pour nous. Quand Marik nous a battus, il a été possible de nous sortir de là, alors ça doit être son cas aussi.

Mon regard se balade le long des haies, si seulement c'était aussi simple. Il a suffi que Yugi vainque Marik pour que tout le monde soit libéré du Royaume des Ombres. Mais dans ce cas-ci, qu'est-ce qui permettrait à Pegasus de sortir indemne de son sommeil ? Une nouvelle migraine pointe à l'horizon.

— J'en sais rien.

— Il mérite ce qu'il lui arrive.

Une migraine sous le nom d'Eléonore. Joey agrippe brusquement mon poignet, me forçant à le regarder.

— Ce que pense Eléonore n'a aucune importance. Ce qui compte réellement, c'est ce que toi tu as envie. Tu veux le sortir de là, oui ou non ?

Ses traits deviennent durs et son emprise plus pressante. Il a peur d'Eléonore, je le perçois dans sa respiration entrecoupée de soupirs. Ses yeux m'envoient des signaux d'alerte, comme pour me prévenir du danger.

— Oui, je dois le sortir du Royaume des Ombres, je déclare en fermant les yeux.

Sa main se relaxe progressivement, mais continue de maintenir mon poignet.

— Alors on va trouver une solution.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?

— Parce que c’est ce qu’on a toujours fait et regarde où on est maintenant !

Je baisse les yeux vers mes pieds par culpabilité, incapable de soutenir. La fatigue prend lentement le pas sur mes muscles, je m’affale sur le dossier du banc et porte mon visage vers le sien. Je lis dans le blanc de ses yeux qu’il ne saisit pas l’ampleur de la situation. Normal, il n’est au courant de rien.

 

Au bout d’une heure à discuter de tout et de rien, nous finissons par nous quitter à l’entrée du parc. Je ressens un léger pincement au cœur lorsqu’il s’éloigne en direction de chez lui. Comme une idiote, j’attends qu’il disparaisse au coin de la rue pour me décider à rentrer. Un violent frisson me traverse, et s’il n’était pas en sécurité ? Et si ce que j’avais imaginé plus tôt se produisait réellement ?

— Putain, je jure en reculant d’un pas.

Mais ma tête refuse d’esquisser un pas de plus. Tant pis, ce que je suis sur le point de faire est stupide, mais je m’en voudrais terriblement si ce soir était le dernier. Lâchant mon sac bien plus léger le long d’un muret, je m’élance sur les pas de Joey, ignorant les moqueries d’Eléonore.

— Tu m’as l’air bien pressée pour une lycéenne supposée être au lit. 

Au coin de la rue, ce n’est pas le grand blond que je rencontre mais un jeune homme plus petit. Mes traits se figent quand je reconnais Bakura dans son éternel uniforme de Domino. Il m’adresse un sourire carnassier, balayant mes derniers doutes quant à son identité.

Bakura, tu m’as manqué. 

Son sourire s’efface alors que le mien s’élargit. Eléonore se courbe sous son nez, dévoilant fièrement ma dentition.

— J'aimerais pouvoir en dire de même, mais vois-tu, le comportement d'une amie à moi m'inquiète énormément.

Inutile de préciser qu'en présence de Bakura, je peux faire une croix sur la possession de mon corps. Eléonore recule d'un pas et jauge son ami de la tête aux pieds puis entoure mon menton entre l'index et le pouce.

— Tu es trop impatient, Bakura. N'oublie pas que ce n'est pas un agneau que je dirige, mais une véritable mule.

Je tente de protester mais rien ne sort de ma bouche, pas la moindre plainte.

— Et tu ne peux pas la museler ? Voyons, tu ne me feras pas croire que tu es devenue aussi faible.

Mes incisives effleurent ma lèvre inférieure puis se rétractent. Les remarques de Bakura provoquent en moi un sentiment d'euphorie.

— Tu ne connais pas Lorène, chantonne-t-elle en enroulant une mèche de cheveux entre mes doigts. Elle peut avoir des réactions assez... explosives.

Un rire strident fuse du fin fond de ma gorge. Son humour laisse clairement à désirer. Si elle pouvait dénoncer toutes mes mauvaises actions sur la place publique sans risque de me faire arrêter, je me demande si elle hésiterait plus de trois secondes. Bakura fronce les sourcils, l'air satisfait qu'il arborait précédemment s'évanouit. Cependant, Eléonore ne semble pas encline à lui laisser la parole.

— Tu ne sais pas à quel point il est difficile pour une fille comme moi de contrôler cette bête féroce.

En tant que simple présence, mon attention se reporte sur l'anneau du millénium pendu à son cou. Est-ce que lui aussi a poussé Bakura à commettre les pires atrocités ? Dans mes souvenirs, le jeune homme a toujours démontré une joie et une candeur plutôt déconcertante, même lors de notre duel amical.

— L'heure est bientôt venue, je sais où sont les objets du Millénium et je compte bien les récupérer.

— Ce que tu peux être ennuyeux, réplique Eléonore, perdant instantanément son sourire. Même avec son nom, Atem n'a pas recouvert la mémoire. Tu as le temps de te débarrasser de lui, non ?

Son interrogation me rend perplexe, tout comme son vis-à-vis.

— Alors c'est vrai, tu as abandonné toute idée de te venger d'Atem ? Après tout ce qu'il t'a fait ? Et ce qu'il nous a fait à nous ?

Je connais ce type d'interrogatoire soutenu. Il essaie de la faire culpabiliser. Les intentions de l'esprit m'étant inconnues, il m'est difficile de prédire ses agissements envers le pharaon.

— Le pharaon paiera, mais ta vengeance n'a rien avoir avec la mienne, mon chou.

— Explique-toi.

Un long soupir s'échappe de ma bouche. Eléonore recule encore d'un pas et enroule mes bras dans mon dos.

— Tu as bien vu par toi-même qu'Atem dispose d'une force incroyable. Il est celui qui a vaincu les porteurs des objets du Millénium comme cet idiot de Pegasus et Marik sans oublier ses exploits contre la Grande Créature.

Il était tout de même accompagné dans sa bataille contre Dartz et la Grande Créature.

On ne retient jamais les figurants, tu devrais le savoir.

Le regard presque noir de Bakura semble percer mon esprit, nos esprits. Eléonore pouffe discrètement avant de poursuivre :

— Bakura. Ne me dis pas que tu es assez idiot pour te confronter à Atem alors que grâce à cet anneau, tu peux vivre une vie éternelle.

Elle désigne de la main l'artéfact du Millénium. Sa pensée devient progressivement plus claire dans ma tête. Une vie éternelle, pour ceux qui ont été décimés par les objets du Millénium. Bakura a certainement compris la même chose que moi car son visage s'étire sous une hilarité mal placée.

— Une vie éternelle ? Tu te fiches de moi, E-lé-o-nore ? Ce n'est pas parce que tu as trouvé un corps qui t'accepte que tu vas l'occuper toute ta vie.

— Et pourquoi pas ? Ton doux agneau ne te convient plus ?

— Je ne suis pas là pour jouer aux marionnettistes, Ente', mais bien pour réduire cette pourriture en cendres. Nous avons l'occasion de venger tous les gens morts par sa faute et tu voudrais m'en dissuader ?

Un léger silence plane suite aux propos de Bakura. Même si la pression d'Eléonore sur mes membres s'amoindrit, je ne me sens pas d'humeur à en reprendre possession.

— Je ne cherche pas à t'en dissuader, rectifie-t-elle, les lèvres pincées. Je pense juste... Qu'on mérite beaucoup mieux que ça.

Le volume de ma voix s'est affaibli. La brise nocturne me donne la chair de poule.

— Tu me déçois. Je ne sais pas ce que ces crétins t'ont rentré dans le crâne, mais ils ont réussi à te rendre aussi pathétique qu'eux, Ente'.

Ente'... Il ne cesse de répéter ce mot. La première fois que je l'ai entendu, c'était lors d'un souvenir qu'Eléonore m'avait insufflé. Ce que j'avais interprété comme un terme d'usage ancien sonne étrangement familier.

— Eléonore.

— Eléonore est la nièce de Pegasus. Tu t'es dit qu'en prenant son identité, tu deviendrais comme cette gamine ?

Mes doigts s'enfoncent dans mes bras, me pinçant par la même occasion.

— Parce que tu ne crois pas qu'à l'instant où la petite pourra se débarrasser de toi elle ne le fera pas ?

Mes yeux s'ouvrent en grand, mais ce geste ne provient pas de moi. Mes traits se figent dans une expression semblable à de la colère.

— Evidemment qu'elle ne le fera pas, je suis tout pour elle !

Bakura secoue le menton et me toise en hauteur.

— Bien sûr qu'elle le fera. Il suffit de voir ses réactions quand tu l'utilises. Ne me dis pas que tu ne ressens pas sa haine à ton égard.

Essaie-t-il de remonter Eléonore contre moi ou l'inverse ?

— Je lui ai sauvé la vie !

— En échange de combien d'autres ?

Sa remarque me coupe le souffle et me glace le sang. Comment... Comment peut-il être au courant ?

— Cette pauvre femme, allongée à même le sol, baignant dans son sang, conte-t-il en s'écartant doucement de ma position. Ce ne serait jamais arrivé sans toi, Ente’.

Mon cœur me crie de le corriger. Ce n'était pas Eléonore, mais bien moi qui ai asséné le coup mortel.  

Mais serai-je parvenu à une telle décision si Eléonore n'avait jamais existé ? Cette question est stupide : bien sûr que non. Parce que tout a commencé quand nous avons envoyé Yoshida au Royaume des Ombres, quelques semaines auparavant.

Me détestes-tu ?

Mes épaules tressautent. Je suis surprise qu'elle s'adresse à moi par pensée.

— Réfléchis bien, peut-être que tu n'as plus beaucoup de temps avant de pouvoir assouvir ta vengeance. Après tout, c'est quand même de sa faute si tu as erré toutes ces années.

Bakura ne cherche pas à argumenter davantage et s'évanouit dans la nuit. Je me retrouve esseulée aux abords du parc de Flem aux environs de minuit. Mes jambes supportent difficilement mon poids. Ainsi, je me décide à récupérer mon sac de provisions entamée et de rebrousser chemin vers chez moi. Mon esprit est tourmenté, la moindre pensée se perd dans un flot d'interrogation, si bien que je ne capte plus les réflexions d'Eléonore, s'il y en a.

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