Âme de Pureté

Chapitre 11 : Bataille Ville: chapitre 11

5725 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:40

La nuit poursuit son cours dans le ciel de Domino City. Le dirigeable plane en ce moment-même à travers le peu de nuages flottant au-dessus de la ville. Emmitouflée dans un fauteuil en cuir hors de prix, je caresse du bout des doigts le bandage qui recouvre mon bras. Seule une sensation de picotement se manifeste lorsque je touche le centre de la plaie. Un long soupir s'échappe de mes lèvres. Ce qui s'annonçait comme le plus grand tournoi de tous les temps se transforme en véritable cauchemar. Nous comptons deux blessés à bord et qui sait qui sera le prochain à tomber aux griffes des Pilleurs de l'Ombre. Quoique... Maintenant qu'Odion a été vaincu par Joey et qu'il a, par ailleurs, révélé la véritable nature de Marek, le battre en duel devrait suffire à rétablir l'ordre des choses. Enfin, je l'espère...

- « Je suis sûre qu'on t'entend réfléchir depuis l'autre bout du dirigeable. » Se moque Mai, assise à l'autre bout de la chambre.

Je grimace et reporte mon attention sur la table où trônent les cartes de la duelliste aux harpies. Après ma victoire contre Pegasus, nous avons tous rejoint les loges du dirigeable. Pour la première fois depuis notre rencontre, j'ai eu l'occasion de parler avec le pharaon. Même si je lui ai promis de l'aider dans sa quête, je dois bien avouer n'avoir aucune idée de la manière dont je vais m'y prendre. Eléonore n'a plus interrompu mes pensées depuis ce moment. On dirait bien qu'elle n'a pas apprécié ce revirement de situation lors du duel. L'étrange sensation d'enlacer l'autre Yugi s'ancre sur ma peau. Pour peu, j'aurais l'impression de pouvoir recréer cet instant par une simple pensée. 

- « Tu n'as pas peur ? » Je demande à l'attention de la jeune femme.

Mai croise les bras, son visage n'a pas changé: toujours aussi déterminé à se débarrasser des forces qui s'érigent contre nous.

- « Si je dois éliminer Marek pour rétablir l'ordre, alors je le ferai. Rappelle-toi, mon but en tant que duelliste est de remporter ce tournoi. En prime, je pourrai même obtenir une de ses cartes de Dieu égyptien, ce qui m'assurera une victoire certaine. »

Sa voix, ses gestes, tout son être déborde d'assurance. Je ne peux m'empêcher de trouver Mai resplendissante. S'il y a bien quelqu'un qui ne se laissera pas berner par ses émotions, c'est bien elle. D'un mouvement de tête, j'approuve ses dires.

- « Tu as raison.

- Et à la fin... »

D'un bon, Mai se lève de sa chaise et s'avance brusquement à ma hauteur. L'accoudoir du fauteuil s'affaisse quand elle s'y installe pour déposer sa main sur mon épaule. Ses yeux violets se plongent dans les miens, si intensément que je peine à soutenir le regard. 

- « A la fin nous disputerons la finale pour prouver à ces foutus garçons que les filles aussi savent jouer au Duel de Monstres. »

Nous deux ? Pas possible, je m'imagine difficilement tenir tête à Kaiba en duel, alors vaincre Yugi me paraît d'autant plus impossible. 

- « Votre attention s'il vous plait. Tous les duellistes doivent se présenter sur le pont dans deux minutes. »

Les trente minutes réglementaires seraient déjà passées ? Le temps s'écoule si vite à bord du dirigeable. Mai s'écarte du fauteuil et récupère sa pile de cartes et l'insère dans son étui attaché à sa cuisse par une sangle. Suivant ses gestes d'un œil attentif, je finis par me lever à mon tour pour la rejoindre.

- « Mai.

- Mh ?

- Si jamais tu dois combattre Marek tout à l'heure... »

Ma phrase reste en suspens. Je me rends soudainement compte que j'allais lâcher un truc idiot et beaucoup trop mielleux pour un début d'amitié. Mai, elle, attend patiemment que je me décide à parler.

- « Non, c'était stupide. » Je bredouille avant de franchir la porte. « Allons y. »

Un léger rire éclate dans mon dos. Une main douce agrippe mon épaule, me forçant à m'arrêter au début du couloir.

- « Je ne perdrai pas ce duel, je te l'ai dit. Mais tu es trop mignonne de t'inquiéter! »

Embarrassée, j'essaie de cacher la rougeur de mes joues avec mes mains mais sa tape amicale sur mon épaule intensifie mon embarra. C'était idiot, je le savais. Pour quoi je vais passer auprès d'elle si j'agis comme une gamine qui s'inquiète tout le temps ?

- « Eh mais voilà la schizo ! » S'exclame une voix masculine dans mon dos.

La... Schizo ? On dirait que la troupe des amis pour la vie se dirige elle aussi vers la salle principale. En prime, je reçois une seconde frappe amicale de Tristan au niveau de mes omoplates. S'ils veulent me défoncer les os, il faut le dire tout de suite.

- « Tristan, ce n'est pas gentil. Laisse Lore-chan tranquille. » Gémit Sérénity, soudainement apparue à ma droite.

Elle m'adresse un sourire rayonnant. Pourtant, je ne suis pas près de passer outre l'affront du grand brun aux airs de gangster.

- « Pourquoi j'ai droit à un surnom aussi méchant que la « schizo » ? Au vu de mes exploits récents, j'aurai plutôt opté pour « La possédée du dirigeable » ou quelque chose de plus vendeur ! »

Quitte à subir les railleries de ces mecs, autant en profiter pour faire l'éloge de mes nouvelles et incroyables capacités. 

- « On dirait que la débutante a repris du poil de la bête. » Commente Joey en attrapant son ami par le cou. « Mais il en faudra bien plus pour vaincre le champion qui se trouve devant toi. Sans oublier que notre Mai nationale va pulvériser son prochain adversaire ! »

La principale intéressée ne réagit même pas, elle se contente d'avancer sans se retourner jusqu'à la salle de loterie.

- « Mais qu'est-ce qui lui prend ? »

De toute évidence, Mai en veut toujours à Joey de ne pas la considérer comme une amie. C'est compréhensible. Même si elle se la joue oiseau solitaire, cette fille a un cœur aussi grand que ses seins. Je profite que le grand blond soit à côté de moi pour lui tirer le bras. Etant donné notre différence de taille, je lui intime de se pencher pour pouvoir lui chuchoter quelques mots.

- « Tu devrais lui parler. »

Il me regarde, incrédule.

- « Ne me dis pas que tu as oublié ce que tu lui as dit ? Mai doit savoir que vous êtes amis. »

Joey grimace, je ne suis certainement pas la première à lui avoir fait la remarque. Mais j'ose espérer qu'il suive mes revendications.

- « Mais Mai sait très bien que nous sommes amis... »

Je secoue vivement la tête et lui tape doucement le nez de mon index.

- « Idiot. Parfois, même les choses les plus évidentes doivent être prononcées à haute voix. »

Si ma carrière de duelliste s'arrête du jour au lendemain, je pourrais toujours me reconvertir en philosophe. Ou mieux, conseillère matrimoniale. Yugi clôture la marche, plongé dans ses pensées. Je fixe un instant son puzzle du millénium. Cet esprit avec lequel il partage son corps, je suis certaine qu'il ne force pas Yugi à agir selon ses propres désirs. Eléonore, elle, s'est immédiatement présentée comme un être maléfique, au point de me blesser pour prouver sa supériorité et son contrôle absolu sur moi. Pourtant, lors de mon duel contre Pegasus, je n'ai pas ressenti autant de résistance pour récupérer mon emprise sur mon enveloppe charnelle. Des dizaines de questions tournent en boucle dans mon esprit et je compte bien tirer tout ça au clair dès que possible. Ishizu, tout comme Pegasus, n'est pas réapparue depuis ma victoire. Ils se trouvent obligatoirement quelque part dans ce dirigeable.

Lorsque Kaiba ordonne à Roland d'activer sa machine loterie, un mauvais pressentiment s'empare de moi. Parmi les derniers duellistes qui doivent s'affronter, on retrouve Kaiba, Mai, Marek ainsi qu'un dernier adversaire. Certainement Ishizu, bien qu'elle ne portait pas de disque de duel à son bras lors de notre dernière rencontre.

- « Le premier duelliste tiré au sort pour le quatrième duel est le numéro quatre : Mai Valentine ! »

Je ferme les yeux. De toute façon, il fallait bien que son numéro tombe tôt ou tard. Mon dernier espoir réside dans ce deuxième tirage. Pourtant, Mai se dirige déjà vers l'ascenseur menant au sommet du dirigeable.

- « A plus tard. » Décrète-t-elle, irritée.

- « Eh, tu ne veux pas savoir contre qui tu vas devoir livrer ce duel ?

- Je crois que ça n'a aucune importance. Qui que ce soit, je le battrai et en ce qui vous concerne, on se reverra une fois le duel terminé ! »

La tension monte d'un cran. Plus personne ne prête attention à la machine à boules qui tourne en fond.

- « On sera là pour t'encourager, Mai ! » Répond Joey.

On dirait qu'il n'a pas encore fait le rapprochement entre la mauvaise humeur de Mai et ses paroles à son égard. Ah, les garçons.

- « Oh, ne vous fatiguez pas. Je n'ai pas besoin de vous pour gagner. Croyez-moi ou non mais j'étais déjà un très bon duelliste avant de vous rencontrer et pour être tout à fait franche, il y a dans votre groupe quelque blondinet simple d'esprit qui me tape sur les nerfs. »

On m'annonce dans l'oreillette que le duelliste aux harpies vient de mettre K-O son opposant blond au QI négatif.

- « Moi ? »

Tu vois d'autre garçons blonds ici, Joey ? Je veux dire, même si Yugi possède quelques mèches blondes, je crains que tu sois le seul visé dans ce cas...

- « Tu as trouvé, Joey. Il est évident que tu ne me considères pas comme une amie et je pourrai en dire autant à ton sujet. Nous n'avons donc plus rien à nous dire, espèce de primate. »

Homme à terre. Je répète, homme à terre. Dos à nous, Mai se retire, déterminée à ne plus adresser la parole à Joey.

- « Le duelliste qui affrontera Mai Valentine est le numéro cinq : Marek Ishtar ! »

Un violent frisson me secoue à l'annonce de son adversaire. Marek. C'est bien ce que je craignais, elle doit absolument gagner pour nous débarrasser de ce type maléfique ! Malgré son refus de nous voir l'encourager, nous décidons d'un commun accord de rejoindre la tribune des spectateurs.


Au sommet du dirigeable, sur la plateforme de duel, un véritable cauchemar a envahi le tournoi de Bataille Ville. Le duel avait pourtant débuté comme tous les autres, Mai se débrouillait comme à son habitude. Mais c'était sans compter les mystérieux pouvoirs de Marek qui ont plongé l'arène dans un brouillard d'ombre.

- « Mai a p-perdu... »

La voix de Sérénity se brise dans un flot de larmes. Tristan en profite pour l'étreindre contre lui pour la consoler. Ma gorge serre, des sanglots menacent d'éclater à tout moment sous la vue de la grande blonde allongée sur la plateforme de duel. Son corps est entouré des bras de Joey, tout aussi choqué nous par ce qu'il vient de se passer. Mai a tenté d'invoquer le Dragon Ailé de Râ pour vaincre Marek et ses ténèbres. Malheureusement, grâce à ses pouvoirs anciens conférés par la baguette du millénium, le fils Ishtar est non seulement parvenu à lui effacer la mémoire, mais également à envoyer son âme dans une prison des ombres.

- « Déguerpissez du terrain, je dois préparer mon propre duel. »

Egal à lui-même, l'émotion suscitée par la perte de notre Mai n'émeut en rien Seto Kaiba. Pourquoi ne vire-t-il pas Marek de ce tournoi alors qu'il représente un danger pour nous tous ? En parlant de ce type maléfique, il s'enhardit de l'effet qu'il provoque en nous. Il semble se « nourrir » de notre colère et de notre tristesse.

« Je ne perdrai pas ce duel, c'est mignon de t'inquiéter! » Tout le monde sauf toi, Mai. N'importe qui aurait pu succomber aux ténèbres de la baguette du millénium, mais toi, tu n'avais pas le droit. La vision de son visage fermé m'est insupportable. Elle devrait en ce moment-même célébrer sa victoire, jeter une ou deux piques cinglantes à Joey et repartir dans sa loge en balayant ses longues boucles blondes d'un jeté de doigts assuré. Marek...

Alors qu'il s'apprête à quitter en premier la zone de combat, je bouillis de l'intérieur depuis bien trop longtemps. Révoltée, j'attrape le bout de sa cape violette qui me frôle le bras et tire d'un coup sec pour le forcer à se retourner.

- « Où est-ce que tu comptes aller, comme ça ?! »

Pour peu, je ne reconnais presque pas ma voix. D'habitude calme, posée, cynique parfois, mais ô grand jamais stridente.

- « Ne t'en fais pas, tu es la suivante sur ma liste, petite. Tu as peut-être réalisé l'exploit de te défaire de l'emprise de ma baguette du millénium, mais je te réserve un sort beaucoup plus alléchant que celui de ta copine. »

Ses menaces m'effraient, mais je m'efforce de ne pas lui montrer. Après ce qu'il a osé faire à Mai, il est clair qu'il peut tous nous envoyer dans ce qu'ils appellent tous le Royaume des Ombres.

- « De quel droit tu te permets de traiter tes adversaires de la sorte ?! Mai ne méritait pas un tel châtiment, tu vas payer pour ce que tu lui as fait subir ! »

Mes cris n'ont d'égal que ses rires face à ma colère. D'une main ferme, Marek brandit sa baguette du millénium et retire de l'autre le bout arrondit du manche. Un bout de lance, si pointu qu'il pourrait transpercer n'importe quelle bête d'un geste précis. Au regard que Marek m'envoie, la bête en question se trouve plus proche que je ne l'aurai cru.

Eléonore ?

Pas de réponse. C'était amusant quand même.

- « Attention ! »

Une force presque surhumaine m'entraine en arrière, mes pieds décollent du sol l'espace de quelques secondes. Marek explose de son plus beau rire maléfique avant de rengainer son sceptre dans son dos et de rentrer à l'intérieur du dirigeable. Par réflexe, j'ai agrippé les manches de mon sauveur, celles d'un uniforme bleu semblable aux lycéens de Domino City.

- « Yugi ? » J'appelle en relevant la tête.

- « Vous êtes sourds ?! Je vous ai dit qu'il était grand temps que ce tournoi soit repris en main par des professionnels ! Dégagez de mon terrain ! »

Kaiba... Un jour, quelqu'un devra se charger de le remettre à sa place. En attendant, nous n'avons d'autres choix que d'obtempérer. Sur le chemin, un silence pesant s'installe parmi notre groupe. Les garçons transportent Mai dans une chambre de soins tandis que j'attends dans le couloir. Du coin de l'œil, j'ai aperçu son visage, paisible, comme si elle était plongée dans un profond sommeil. De nous tous, pourquoi elle ? Mes souvenirs de Mai s'installant au comptoir du bar me reviennent à l'esprit.

« Je n'ai besoin de personne pour me dire que mon niveau est trop faible pour ce tournoi. Je livre des duels et je les remporte, c'est aussi simple que ça. »

Ton niveau frôlait la perfection pour moi, Mai.

- « Tu tiens le coup ? »

La gorge nouée, je renifle doucement et expédie d'un revers de la main les perles salées de mes joues. La voix calme de Yugi m'apaise quelque peu, je lui adresse un hochement de tête bref et m'adosse au mur.

- « Elle reviendra dès qu'on aura vaincu Marek et ses desseins maléfiques. Ne t'inquiète pas. »

Mais combien de temps cela prendra ? Combien de temps avant que tout ceux qui ont subi les conséquences des actes de Marek reprennent connaissance ? Yugi semble avoir capté ma pensée car il me regarde d'un air déterminé.

- « On y arrivera, bientôt. »

Au fond, lui aussi doit être touché par les derniers événements. Bakura et Mai font partie de son groupe d'amis et il est actuellement celui sur qui repose tous les espoirs de tout le monde, surtout ceux d'Ishizu.

- « Au fait, je sais que ce n'est pas le meilleur moment pour aborder le sujet, mais... » Yugi détourne les yeux, n'osant plus me regarder. « J'aimerais qu'on parle en privé tu-sais-qui. »

Ce tu-sais-qui deviendra très vite le nouveau surnom d'Eléonore. Tel Voldemort, elle sème la guerre partout où elle passe. Etrangement, j'aurai cru que le pharaon se présenterait plutôt que le Yugi naturel. Sans hésiter, j'accepte sa proposition et l'accompagne un peu plus loin afin de ne pas attirer les oreilles des plus curieux. Mes épaules s'affaissent, la dernière fois que j'ai pu dormir correctement remonte à deux jours. Qu'est-ce que je ne donnerai pas pour une bonne nuit de sommeil.

- « Je ferai de mon mieux pour ne pas qu'elle s'attaque au pharaon. » Je commence alors que nous entrons dans la chambre de Mai.

Comment ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais un pressentiment me pousse à rassurer Yugi. Même s'il ne le montre pas, je pense que lui aussi est à cran.

- « Je te fais confiance sur ce point, je n'ai pas envie de te forcer à quoi que ce soit. »

Ses paroles font certainement écho à celles que j'ai lancées à son double. Ce sentiment d'injustice, celui qui me pousse à refuser d'une traite toutes les demandes d'Ishizu, de Kaiba... Ma gorge s'assèche. Cette colère s'est apaisée, mais n'a pas totalement disparu.

- « De quoi voulais-tu parler ?

- En fait, j'aimerais qu'on collabore avec cet esprit. Je ne veux plus que qui que ce soit s'en prenne à mes amis. Marek est hors de contrôle, alors j'espère que cette Eléonore ne va pas devenir comme lui. »

Ce garçon. Je ne peux m'empêcher de souffler du nez devant tant de détermination. Il semble si attaché à ses amis qu'il accepte que l'esprit d'un ancien pharaon contrôle son corps. Le visage de Zoé m'arrive brusquement ... Si jamais quelque chose devait lui arriver, je me demande bien quelle serait ma réaction. Pendant une fraction de seconde, je me surprends à imaginer mon amie allonger dans ce lit à la place de Mai. Je secoue vivement la tête. Cela ne sert à rien de se torturer plus que nécessaire.

- « On fera de notre mieux pour qu'il n'arrive rien à tes amis, Yugi. »

Certes, je m'avance peut-être un peu trop, à parler à la place de cet esprit. Si jamais la situation se représente, j'aviserai, comme d'habitude.

- « Je parle aussi de toi. »

Etonnée, je relève la tête et dévisage le jeune duelliste. Ses joues se colorent légèrement sous mon regard appuyé.

- « J-je veux dire, je ne veux pas que cet esprit s'en prenne aussi à toi. »

Ai-je bien entendu ? C'est à mon tour de détourner le regard, quelque peu troublée. Se pourrait-il qu'il me considère lui aussi comme une amie ? Mes lèvres s'étirent en un léger sourire en coin. 

Ma pauvre.

Mes épaules tressaillent. La dernière fois que sa voix a résonné dans mon esprit remonte à plus d'une heure. Pour peu, je croyais que tu ne réapparaitrais jamais, Eléonore.

- « Merci, Yugi. » Je réponds simplement.

Il te miroite une amitié sincère alors qu'il ne connait rien de toi. Il t'a simplement vue jouer aux cartes, rien de plus.

Sans s'apercevoir de mon changement d'humeur lié aux réactions de l'esprit, Yugi m'informe qu'il retourne auprès de ses amis. Le dernier duel opposant Kaiba au dernier finaliste ne tardera pas à commencer.

- « Au lieu de t'en prendre à Yugi, peux-tu me dire pourquoi tu es revenue, si soudainement ? »

Seule dans la pièce, je ne risque pas d'être dérangée à me parler à moi-même. Le premier fauteuil près du hublot me sert d'appui. Je m'y affale dans un long grognement, si seulement je pouvais y dormir.

- « Je vois. »

Mais rien ne vient. On dirait bien qu'Eléonore ait décidé de me bouder jusqu'à ce que la mort nous sépare. Charmant. Pourtant, ses pensées se mélangent aux miennes. Ce qu'a dit Yugi à l'instant, c'était... beaucoup trop étrange. Après tout, comment peut-il me considérer comme une de ses amies alors que nous n'avions jamais discuté seuls avant aujourd'hui ? Mon visage chauffe terriblement. Entre le manque de sommeil et l'incompréhension qui envahit mes pensées, je ne parviens plus à réfléchir correctement. Tête calée contre le dossier en cuir du fauteuil, je ne tarde pas à fermer les yeux. Peut-être qu'à mon réveil, tout aura disparu.


Des bribes de conversation provenant du couloir ont raison de mon sommeil. La nuit poursuit son cours dans le ciel de Domino City. Allongée dans le fauteuil de la chambre de Mai, je devine que le dernier duel du premier jour de la phase finale est terminé depuis bien longtemps. Il est évident pour moi que Kaiba a remporté le combat haut la main. La lumière de la pièce a été éteinte par quelqu'un d'autre, je ne me rappelle pas l'avoir fait avant de m'endormir. Toujours est-il que je me sens beaucoup plus apaisée qu'auparavant. Soudain, un gargouillement prononcé résonne de mon ventre.

- « J'ai faim... »

Quelle heure est-il ? Mon téléphone se trouve certainement dans mon sac un peu plus loin, près du lit. Les membres engourdis, je me redresse et m'étire longuement. La douleur de ma plaie ressurgit lorsque je passe une main le long de mon avant-bras. Les images de mes doigts qui déchirent ma peau à l'aide d'un couteau me reviennent à l'esprit. Non. Il s'agit bel et bien de la réalité. Mon estomac se plaint une nouvelle fois. Je me demande s'il y a des restes du buffet de Kaiba, dans la salle de tirage au sort. 

Une seule manière de le savoir, à table !

C'est enfin pleine d'énergie et munie de la lampe poche de mon téléphone que je m'échappe de la chambre, à la recherche de nourriture. Bon, j'aurais certainement pu me contenter du frigo de Mai, mais autant profiter du rare calme pour me balader un petit peu. Sur le chemin, je remarque que ma mère a répondu à mon message, m'implorant de la prévenir la prochaine fois que je disparais de la sorte. Un lourd sentiment de culpabilité s'insinue en moi. A sa place, je m'inquièterais tout autant. Si elle savait tout ce qui m'est arrivée en l'espace d'une journée, je crains qu'elle ne s'affole davantage.

- « Désolée, maman. » Je chuchote pour moi-même.

- « Encore à parler seule. »

Mon téléphone s'échappe de mes mains et heurte bruyamment le sol. Merde, j'ai failli faire une crise cardiaque. Les yeux grands ouverts, je suis du regard le responsable de ma frayeur. Malgré la semi-obscurité dans laquelle nous sommes plongés, je reconnais la silhouette élancée et la touffe de cheveux blonds de Joey. Il s'abaisse pour ramasser mon téléphone portable et me le tend en silence.

- « Tu ne crois pas qu'il y a déjà eu assez de victimes ici pour me tuer de peur ? » Je lance sans conviction.

- « Désolé, je me demandais juste pourquoi tu te baladais dans le dirigeable à cette heure. »

Mais avant que je n'aie le temps de lui répondre, mon ventre émit une nouvelle plainte, plus bruyante que les précédentes. Son rire parvient à mes oreilles. Heureusement, il ne pourra pas voir à quel point je suis embarrassée dans l'obscurité.

- « Je voulais simplement vérifier s'il n'y avait pas encore de quoi grignoter dans le coin. P-Puis je pourrai te poser exactement la même question ! »

Joey se calme brusquement, affichant une mine renfrognée.

- « Les deux squatteurs dans ma chambre m'empêchent de dormir. »

Des squatteurs ? Ah mais oui, ce dirigeable ne présente que des chambres pour les finalistes du tournoi. Ses amis ont certainement élu domicile dans la sienne.

- « Yugi nous a dit que tu dormais dans la chambre de Mai. Il y a un frigo là-bas, n'est-ce pas ? »

Touché. Finalement, son cerveau ne se compose peut-être pas uniquement d'air. Mon téléphone en main, je tourne la lampe de poche vers le plafond, afin de mieux apercevoir le jeune homme sans l'éblouir. Comme je me doutais, il me fixe d'un air amusé.

- « J'avais besoin de marcher un peu. Puis, je préfère laisser la nourriture dans le frigo, au cas où Mai... »

Ma phrase se perd dans le néant, ma gorge s'est nouée à l'évocation de son nom. Alors que je me sens secouée par la montée de sanglots, Joey pose fermement sa main sur mon épaule.

- « Je vais venger Mai, coûte que coûte. Marek paiera pour ce qu'elle subit. »

Plutôt que de me rassurer, ses paroles ne creusent que davantage le profond sentiment d'insécurité qui m'habite. Le visage masqué par quelques mèches blondes, je secoue doucement la tête, fuyant son regard.

- « Marek possède une carte de Dieu égyptien beaucoup trop puissante pour de simples duellistes comme nous. »

Il incombe à Yugi et Kaiba de mettre fin aux agissements de Marek. Jouer aux super-héros n'est pas la solution pour nous.

- « Eh bien moi, je pense justement l'inverse. Marek ne s'attendra pas à ce que je vais lui mettre dans la figure ! »

Son expression menaçante n'effraierait même pas un simple pigeon.

- « Et puis tu l'as dit toi-même, je suis quelqu'un de génial ! Donc je ne peux que réussir ! »

Merde, j'ai dit ça uniquement pour ne pas qu'il se vexe à cause des paroles d'Eléonore, pas pour flatter son ego ! Joey ne me laisse pas l'occasion de réfuter mes dires, il m'agrippe le poignet et me tire jusqu'à la salle de tirage au sort. Quel bonheur, des montagnes de nourritures enveloppées dans du cellophane !

- « Je suis au paradis... » Je gémis en m'extirpant de l'emprise de Joey pour rejoindre le buffet. 

Les verrines de crème au chocolat mélangé à des fruits seront mes premières victimes. Qui a dit qu'on ne pouvait pas commencer un repas par le dessert ? Du coin de l'œil, j'observe Joey récupérer l'entièreté d'un plat de riz au curry. Il y en a au moins pour cinq personnes! Quel genre d'être humain est capable d'avaler autant de nourriture ? Armé de son immense assiette, il me rejoint dans un coin de la pièce et s'assoit contre le mur. Je l'imite et enfonce la cuillère dans le verre avant de la porter à ma bouche. Mes yeux se ferment de plaisir dès que je goûte à ce dessert. Où est celui qui a cuisiné une telle œuvre ? Qu'on me l'amène et je l'épouse sur le champ !

- « Au fait, je voulais m'excuser pour l'autre fois...de ne pas t'avoir cru pour cette histoire d'esprit. »

J'allais attaquer ma deuxième bouchée quand je m'arrête soudainement, songeant à cet instant. C'est fou, j'ai l'impression que c'est arrivé il y a si longtemps. Ce tournoi me fait perdre la notion du temps. Au bout de quelques secondes de réflexion, je lève ma cuillère à l'attention de Joey. 

- « Ce n'est rien. A ta place, j'aurai aussi hésité à me croire. »

Après tout, ce n'est pas le moment de se créer plus d'ennemis. Nous marquons un long silence pour manger. En dépit de toute l'agitation que soulève ce tournoi, je ne suis pas mécontente d'y participer. Certes, je n'ai pas encore assez de recul pour me rendre compte des dangers auxquels je suis confrontée, mais en ce moment de calme, je m'en accommode plus facilement que je ne l'aurai cru.

- « C'est elle qui t'a fait ça ? » Me demande Joey en indiquant mon avant-bras.

Le bandage qui entourait la plaie s'était défait, révélant une longue marque rouge qui commence seulement à cicatriser. Je baisse la tête. Comment aborder cette question ? Eléonore ne m'a blessée que pour imposer sa supériorité aux yeux d'Ishizu. Bien sûr, Je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle n'a agi que pour répondre aux provocations de l'Égyptienne, mais... Un grognement rauque s'échappe de ma gorge, c'est trop compliqué. Je finis par acquiescer et dépose la verrine vide par terre.

- « C'est difficile à expliquer, mais je ne sais pas si je dois la considérer comme quelque chose de dangereux.

Le jeune homme lève un sourcil à ma réponse.

- Vu l'état de ton bras, je pencherai plutôt pour le côté dangereux. »

Je pouffe doucement, les doigts empêtrés dans les bandes.

- « Attends, je vais t'aider. »

Son assiette à demi-pleine rejoint ma verrine un peu plus loin. Je lâche l'extrémité du bandage tandis que Joey s'affaire à le renouer autour de la plaie. Je l'observe en silence, il semble rodé à l'exercice. Les paroles de Sérénity me reviennent rapidement en tête.

« Joey a tendance à appliquer sa propre justice parfois. »

Au moins lui ne recule certainement pas quand une peste s'en prend violemment à une gamine plus jeune qu'elle.

- « Voilà, ça devrait tenir maintenant. »

En effet, un vrai travail de professionnel. Peut-être devrais-je songer à l'engager comme infirmier personnel, le jour où je deviendrai riche grâce aux duels de monstres. Après l'avoir rapidement remercié, une légère vibration attire mon attention. Malgré l'heure tardive, on dirait que quelqu'un cherche à me contacter.

- « Soso est encore réveillée à cette heure-ci ? »

Je secoue la tête. Ce message ne provient pas de Zoé, mais de maman, visiblement inquiète. Son dernier SMS se voulait plutôt rassurant.

- « « Je sais que tu dois dormir ma biche, mais dès que tu vois ce message, dis-moi que tout va bien. » Ma mère est malade, elle doit se lever dans trois heures pour travailler. »

Sans surprise, Joey a repris son assiette pour en engloutir les restes. Entre deux bouchées, il m'envoie un petit signe de la tête.

- « C'est elle sur ta photo ? »

Mon téléphone était bloqué sur l'écran d'accueil. D'après mes souvenirs, ce n'est pas la première fois que ce grand dadais voit cette photo. Cela remonte à quoi... trois jours ? J'en profite pour afficher la photo au niveau de ses yeux.

- « Ouep ! C'est ma mère et moi avant l'embarquement pour le Japon, elle est belle, pas vrai ?

- Pas vraiment mon genre...

- Je n'essayais pas de te caser avec ma mère... »

Avant qu'il ne rétorque quoi que ce soit, je retire le téléphone et le replace dans la poche de ma jupe.

- « Soso m'a dit que tu avais vécu en Europe. »

Je tique. Comment en sont-ils venus à discuter de ça ? Je lance un regard accusateur à Joey, qui dépose brusquement l'assiette et agite ses mains devant lui.

- « Ne vas rien t'imaginer de bizarre ! Elle m'en a simplement parlé parce que ton répondeur n'est pas en japonais. »

Ah mais oui, il m'a bien laissé un message sur mon répondeur quand je livrais un duel contre PaniK l'autre soir. Le pauvre, l'imaginer confronté à mon néerlandais, j'aurai payé cher pour y assister. Ceci dit, je commence à m'inquiéter sur tout ce que mon amie a pu lui raconter.

- « Déjà deux ans que j'aurai dû changer ce répondeur. Désolée. »

Nous continuons de discuter pendant une dizaine de minutes, le temps que ce type étrange ait fini d'avaler le contenu de son assiette. Il n'y a que deux explications à son incroyable capacité à engloutir une telle quantité de nourriture : un ver solitaire ou un trou noir qui s'est directement formé au niveau de son estomac.

- « On ferait mieux de se reposer avant la suite du tournoi. J'espère juste que les deux compères auront fini de ronfler. »

J'approuve ses dires. Quelques heures de sommeil ne seront pas de refus, surtout pour digérer les copieux plats gracieusement offerts par la KaibaCorp. Une fois debout, je ramasse notre vaisselle et la dépose sur l'une des tables du buffet. La seule chose que je pourrai reconnaître à Kaiba, c'est qu'il sait nourrir ses convives. Face à la table, je ferme doucement les yeux. Pas un mot. Pas un son sorti d'outre-tombe. Juste un sentiment d'apaisement grâce à ce moment de calme avant la tempête. C'est déjà ça.

- « Ne t'endors pas ici, Kaiba saura que tu as dégommé la moitié des plats. »

Incroyable, même en sachant pertinemment que nous courrons tout droit vers un énorme danger sous le nom de Marek, il ne perd pas une occasion de sortir des conneries. A croire que je m'affole plus que je ne le devrais. Bras croisés sous ma poitrine, je me tourne vers Joey, choisissant délibérément d'ignorer sa plaisanterie.

- « Joey.

- Oui ?

- Merci... d'être aussi stupide. »

Ce qui se voulait être gentil dans ma tête s'est transformé en injure, sans même l'aide d'Eléonore.

- « Hein ? C'était supposé être un compliment, ça ? »

Embarrassée, je hausse les épaules et entame le chemin direction de ma chambre, talonnée par le jeune homme.

- « Je ne comprendrai jamais les femmes. » Grogne-t-il dans mon dos.

Heureusement pour moi que je me trouve devant lui, il aurait pu remarquer le large sourire qui m'arrache les joues à cet instant.


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