Âme de Pureté

Chapitre 1 : Bataille Ville: chapitre 1

4692 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/10/2019 14:30

« Vous avez perdu tous vos Life Points »

Tout en lisant les inscriptions sur l'écran de mon ordinateur, je m'affale sur mon clavier où se déverse toute ma frustration. Le duel avait pourtant bien commencé : j'avais invoqué le Géant Solda de Pierre [1300|2000] en mode défense et des cartes faces cachées pour me protéger de toute attaque. Pourtant, mon adversaire m'a tout de même battue à plate couture. C'est officiel : je suis nulle au duel de monstres.

Je jette un rapide coup d'œil au profil du gagnant : bronze 2. Que c'est frustrant, j'aurai dû gagner facilement le duel.

- « Bordel, comment peut-on être aussi incompétent à un jeu de cartes ? La chance devrait bien finir par tourner à un moment ! »

Tout en pestant sur cet adversaire qui a forcément hérité d'un taux de chances incroyable, je me retire de son profil pour tomber sur l'affiche du nouveau tournoi de la KaibaCorp. On dirait bien que Seto Kaiba, son PDG, a profité de l'engouement suscité par la compétition du Royaume des Duellistes pour lancer son nouveau disque de duel.

Les inscriptions en ligne se clôturent demain à minuit. Aucune chance que je m'inscrive à ce cirque. De toute façon, je ne dépasserai jamais le premier tour au vu de mes piètres performances. Rien ne se sert de me torturer l'esprit plus que nécessaire, je devrai simplement retourner me coucher et profiter de la journée de demain, sans l'ombre d'un duel de monstres.

Une alarme. Un grognement. Une envie de tout envoyer balader et d'écouler mon temps à dormir dans ce lit. Les cris de ma mère au bas des escaliers m'obligent tout de même à me retirer de mon petit cocon pour affronter cette nouvelle journée.

- « Lorène ? »

Je sursaute. Ma mère est entrée par irruption dans ma chambre tandis que j'enfilais mon uniforme scolaire.

- « Maman, si tu pouvais juste frapper avant d'exploser ma porte comme ça. »

En guise de réponse, elle me tend un ensemble de sous-vêtements. Je me sens mes joues tourner au rouge intense.

- « Maman !

- Enfile ceux-là, les tiens ressortent sous ton chemisier. »

Un rapide coup d'œil dans le miroir approuve ses dires. J'étais donc à deux doigts de sortir en ville, soutien-gorge apparent. Lorsque je me retourne vers la porte pour remercier ma mère, celle-ci s'est déjà volatilisée. Décidément... Avant de m'armer de mon sac et du peu de courage qu'il me reste, je m'approche du miroir et vérifie une dernière fois l'état de ma tignasse. S'occuper de ces mèches blondes va vraiment devenir une urgence d'ici peu. Un peu de mascara autour de ces yeux bleus et je suis prête à partir.

- « Je m'en vais ! »

Pas de réponse, maman ne m'a probablement pas entendue. Cela doit faire deux ans qu'elle et moi avons déménagé au Japon. Après avoir passé une grande partie de mon enfance en Europe, mes parents se sont séparés et ma mère s'est prise d'une envie de s'installer ailleurs. Je me souviens parfaitement du jour où elle m'a invitée à l'accompagner. Son japonais était plus que correct, contrairement à moi qui galère toujours à lire les kanjis après deux années d'immersion. Mes frères étant adultes, je suis la seule à l'avoir suivie, non sans peine.

Etrangement, l'acclimatation n'a pas été aussi compliquée que ce qu'on raconte. Les Japonais se montrent sympathiques la plupart du temps, bien que quelque peu rigides sur bien des aspects.

Pour rejoindre à mon lycée, je dois prendre le train de Flem jusqu'à Domino City. Les deux villes sont assez proches et plutôt animées. Il faut bien avouer que de passer des beuveries étudiantes des villes européennes aux soirées japonaises provoque un sacré choc culturel en soi.

- « Bonjour, mademoiselle Yuu.

J'aperçois un vieil homme de la rue marchande me héler d'une main.

- Bonjour monsieur Sanpei. »

Monsieur Sanpei est un marchand de poissons. La première fois que je l'ai croisé, c'était lors de ma rentrée scolaire. Bienveillant et adorable, il n'a pas hésité à m'accompagner jusqu'à la gare tant je désespérais de ne pas trouver mon chemin.

- « Quelle belle journée aujourd'hui, n'est-ce pas ?

- Oui. Je vous envie, je préférerai largement passer ma journée à travailler dehors plutôt qu'enfermée dans une salle de classe. »

Il me répond d'un sourire chaleureux. Monsieur Sanpei est une des rares personnes ici à me pardonner mon absence d'envie de m'élever aux plus hauts rangs de la société, comme le veut la tradition japonaise.

- « Attention devant ! »

J'ai à peine le temps d'entendre cet avertissement que des crissements de peu retentissent dans notre direction. C'est alors qu'une tornade en vélo manque alors de me renverser en plein milieu de la rue. Nous nous esquivons de justesse, je me rattrape à l'étale de poissons pour m'éviter une chute tandis que le vélo s'écrase lamentablement sur l'échoppe en face.

Monsieur Sanpei dépose à la hâte la caisse qu'il portait et s'approche, inquiet, des restes du vélo.

- « Vous n'avez rien de cassé, vous deux ?

- Moi, ça va mais on dirait que le vélo a pris très cher. »

A première vue, la chaîne s'est brisée quelques mètres plus loin. Son propriétaire grogne légèrement et tente de se relever. Loin de moi l'envie d'avoir presque tué quelqu'un, j'hésite entre lui porter secours et m'enfuir en courant, prétextant que je n'étais pas présente sur le lieu du crime.

- « Quelle idée de se balader au beau milieu de la route. »

Le jeune homme grommelle ce qui m'apparaît comme des reproches pour avoir causé sa chute. Lorsque j'aperçois enfin son visage sous sa tignasse blonde, je m'avance vers lui, mains sur les hanches.

- « Eh, je te rappelle que c'est une rue piétonnière. C'est donc un usager faible que tu as bien failli renverser ! »

Penchée en avant, je remarque que ce jeune homme porte l'uniforme bleu du lycée de Domino City, connu pour y compter plusieurs participants du Royaume des Duellistes, le fameux tournoi du créateur du Duel de Monstres, Monsieur Maximilien Pegasus.

- « Cela ne veut pas dire que tu dois te foutre devant mes roues pour te faire écraser !

- Pardon ? »

Ce mec ne croit quand même pas que je vais m'excuser pour avoir manqué de mourir à cause de lui ? Visiblement remis de sa chute, il se relève et ramasse son sac et un disque de duel à quelques mètres de là. Alors ce type est un duelliste ? Encore un de ces clowns de service qui croit être un champion juste parce qu'il possède un appareil de la Kaiba Corporation à son bras. Son disque et son sac dans le panier du vélo qu'il tire à bout de bras, le jeune homme blond s'avance à ma hauteur. Bon sang, il me paraissait beaucoup moins grand sur le bitume. Il pourrait me marcher dessus sans s'en rendre compte.

- « Qu'est-ce que tu fixes comme ça ?

- Joey, tu devrais rouler plus doucement tout de même, ce n'est pas raisonnable. Tu vas finir par te rompre le cou à force. »

Monsieur Sanpei feint ne pas avoir assisté à notre altercation et affiche son habituel sourire bienveillant.

- « Si vous le dites, papy. Oh, je risque d'être en retard. Salut ! »

A ces mots, ce fameux « Joey » s'élance au bout de la rue sans demander son reste et, surtout, sans sa chaîne de vélo errant près de l'étale à légumes.

- « Quel drôle d'énergumène... »

Mon soupir n'échappe pas au poissonnier.

- « Tu ne devrais pas te remettre en route, toi aussi ? »

Oh bon sang, j'allais presque oublier mon train. Je remercie Monsieur Sanpei pour son rappel et avant de piquer un sprint vers la gare de Domino. Sur mon passage, je récupère la chaîne cassée du vélo de l'autre danger publique. Sait-on jamais, si je le recroise plus bas parce qu'il aura manqué de se tuer sur la route ...

Finalement, j'ai attrapé mon train au vol, ce qui m'a permis d'arriver à l'heure en cours. Le reste de ma journée me paraît bien fade par rapport à ce matin. Est-ce que ce type compte participer au tournoi de Bataille Ville ? Quelle question stupide, évidemment qu'il y est inscrit vu qu'il possède un disque de duel ! Après tout, cette compétition est ouverte même aux débutants, contrairement au tournoi du Royaume des duellistes, réservé aux meilleurs d'entre nous.

Entre deux cours, je profite d'un moment de répit pour retrouver Zoé, une copine de lycée, malheureusement placée dans une classe différente. Il faut absolument que je lui raconte mes duels de la veille. Alors que je descends les escaliers pour me rendre à l'étage où Zoé m'attend, un claquement retentit.

- « Allez, ne joue pas aux idiotes, je sais que tu l'as sur toi. »

Plaquée contre une série de casier, une jeune fille aux cheveux longs et brun, probablement d'une classe inférieure, tente vainement de résister à la menace d'une autre étudiante. Celle-ci mesure une dizaine de centimètres de plus que moi. Ses yeux sont verts et ses cheveux courts, d'un bleu nuit que je n'avais jamais croisé auparavant. Peut-être s'agit-il d'une teinture. Son visage à quelques centimètres de celui de sa victime, elle la fixe dans les yeux d'un air mauvais.

- « Donne-la-moi ! »

Son cri ne choque personne. La vie semble suivre son cours, seuls une poignée d'étudiants osent observer la scène tandis que d'autres se contentent de traverser le couloir comme si de rien était. Dans les romans, c'est à ce moment-là qu'un héros surgit de nulle part pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Evidemment, dans ce cas-ci, personne n'interviendra, pas même lorsque la plus âgée assène à sa victime d'un coup de trieur.

- « Je peux savoir ce que tu regardes ?! »

Je sursaute, je ne m'attendais pas à une telle animosité de sa part, et encore moins qu'elle remarque ma présence. Après tout, je ne suis pas la seule à espionner la scène.

- « Tu as quelque chose à dire, blondasse ? »

Devant son ton désinvolte, je bouillonne et le visage de cette jeune brune me renvoie des souvenirs qui datent de ma vie scolaire en Europe. Non, petite, tu ne mérites très certainement pas ça, mais...

- « Rien du tout. » Je déclare avant de rebrousser chemin dans les escaliers.

...Mais je ne ferai plus de vague, comme autrefois. Je serre les poings et les dents, me maudissant pour ce côté lâche dont je viens de me prouver une fois de plus.

Ma journée de cours se clôture beaucoup trop lentement à mon goût. Mes amies de classe ne connaissent que vaguement les duels de monstres et discutent généralement de leurs trouvailles dans des boutiques largement hors de prix pour mon maigre salaire d'étudiante. Au moment de chausser mes chaussures d'extérieur et de refermer mon casier décoré de photos de famille, une autre lycéenne se poste devant moi, une main plongée dans ses cheveux châtains. Zoé a fini par prendre l'habitude de me chercher avant de partir sur notre lieu de travail.

- « Lore-chan, tu travailles ce soir ?

Je hoche la tête et lance mon sac par-dessus mon épaule.

- La boss veut que je rattrape mon retard du week-end passé. J'en ai bien jusque dix heures.

- Elle doit t'en vouloir pour les clients de l'autre soir. »

Rien que d'y penser me donne la chair de poule. Même si ma mère a trouvé un travail temps plein avant notre déménagement, la perte du salaire de mon père s'est lourdement fait ressentir en l'espace de deux ans. Après un an d'apprentissage au Japon, mon amie Zoé m'a indiquée que le bar dans lequel elle travaille engageait une nouvelle recrue. C'était l'occasion pour moi de renflouer les caisses donc j'ai accepté, mais je n'imaginais pas que j'aurai affaire à des clients aussi désagréables. Lors de mon dernier service, je suis tombée face à deux hommes d'affaires plutôt éméchés et l'un d'entre eux s'est montré beaucoup plus insistants que les autres. Dans ces cas-là, j'avais pris l'habitude de pester dans ma langue maternelle sans qu'ils puissent me comprendre. Manque de chance : il semblerait que l'un d'eux parlait couramment le néerlandais. Je grimace.

- « Elle était tellement énervée, j'ai bien cru qu'elle allait me pendre devant les clients.

- C'est ce qui arrivera la prochaine fois, crois-moi sur parole. »

Au fond de moi, j'aurais préféré que Zoé me dise ça sur un ton d'humour, mais nous savons toutes les deux que la Boss peut se montrer très sévère.

- « Dis donc, tu m'as délaissée ce matin, je t'attendais ! »

Elle n'a pas tort. Suite à l'altercation dans le couloir, je n'avais même pas pris la peine d'aller voir Zoé, préférant rentrer sagement dans le rang. Je lève les yeux au ciel.

- « Il y avait cette fille de deuxième année, avec les cheveux bleus jusqu'au cou.

- Risa Kageyama ? »

J'acquiesce, ce nom m'avait échappé, ce n'était pas la première fois que j'entends parler d'elle.

- « Elle agressait une première année dans le couloir. »

Ma remarque la surprend, elle me jette un regard circonspect avant de m'inviter à poursuivre.

- « Je ne sais pas trop, elle répétait que la petite possédait quelque chose qu'elle voulait et vu qu'elle ne voulait pas lui rendre, elle criait comme une vieille poissonnière. »

Rien que d'y repenser, je rage intérieurement que personne n'ait daigné bouger le petit doigt.

- « Tu n'es pas intervenue, pas vrai ? » Siffle Zoé, passablement amusée. « Ne me fixe pas comme ça, c'est comme ça que ça se passe ici et partout ailleurs. Les héros des bahuts n'ont plus la cote depuis bien longtemps ! »

Son gloussement gêné approfondit mon mal-être. Si même elle considère que c'est peine perdue...

- « Au fait, ce tournoi ?

Je relève brusquement le visage du trottoir pour la fixer.

- Tu es au courant ?

- C'est un peu compliqué d'ignorer le dirigeable qui vole au-dessus de Domino tous les soirs depuis une semaine. Il faut dire que ce Kaiba a toujours aimé la simplicité. »

Je réprime un léger gloussement. Il est clair que Seto Kaiba a mis les moyens dans ses campagnes de publicités. Il a vraiment tout compris.

- « Alors tu y participes ?

- Comment veux-tu que j'y participe, je suis beaucoup trop nulle à ce jeu. »

Ma défaite d'hier soir a définitivement réduit en cendre l'espoir que je nourrissais de participer à un tel événement.

- « Ah, comme tu le sens. Je peux te poser une dernière question ?

- Oui ?

- Qu'est-ce que tu fiches avec une chaîne de bicyclette dans ton sac ?

Effectivement, celle-ci dépasse du zip de mon sac de cours.

- ... C'est un peu bizarre à expliquer. »

A force d'insister, je finis par céder et lui raconte ma mésaventure de ce matin. Ce type était vraiment étrange. En l'espace de quelques minutes, il m'a foncé dedans, s'est énervé et s'est enfui aussi vite qu'il est arrivé.

- « Tu as le don pour te causer des ennuis.

- Je ne relèverai pas. »

Nous parvenons après une dizaine de minutes de marche dans le bar qui nous emploie. Certains clients sont déjà attablés à siroter leur cocktail dans une ambiance peu bruyante. La première fois que j'ai mis les pieds ici, je me suis surprise à apprécier l'atmosphère et avoir envie de revenir. Seule ombre au tableau : la patronne.

- « Soso, Yuurei, qu'est-ce que vous fichez encore en uniforme scolaire ?! Pendant un instant, j'ai cru que j'allais devoir tenir la boutique toute seule ! »

Un énorme frisson me parcourt l'échine. L'envie de m'enfuir m'agrippe les entrailles comme à chacun des cris qu'elle pousse à notre attention.

Pas besoin de lui répondre, nous bredouillons des excuses presque inaudibles avant de rejoindre le vestiaire pour enfiler notre second uniforme. Tout en boutonnant ma chemise noire avec le logo du bar cousu au niveau de mes omoplates, je m'approche de mon amie et attrape délicatement ses cheveux pour les nouer.

- « Soso, c'est mignon.

- Il n'y a que toi qui m'appelles Zoé, je te rappelle. Tu me dois le respect, c'est Soso Hirae pour toi dorénavant !

- Zoé, ça sonne mieux. »

Ayant du mal à prononcer son nom au début, j'ai déclaré qu'elle s'appellerait Zoé, ma petite touche européenne dans ce monde japonais. Ses mèches brunes entre les mains, je tâche de les attacher en queue de cheval nette et précise. En retour, elle noue les miens en deux tresses qu'elle coiffe en deux coups de mains pour former un chignon dont elle a le secret.

Généralement, je me charge du service et Zoé compose les commandes de cocktails et autres jus de fruits. Parfois, la Boss nous aide à garder le rythme, non sans nous rappeler qu'elle ne devrait que coordonner nos mouvements plutôt que de mettre la main à la pâte. Dans les moments les plus pénibles, il lui arrive de demander à Zoé qu'elle refasse plusieurs fois une commande jusqu'à ce qu'elle soit parfaite à ses yeux. Une vrai psychorigide.

De retour en salle, la soirée de travail peut commencer. Les deux premières heures se déroulent sans accroc, au point où la Boss a décrété qu'il était temps pour elle de rejoindre son bureau. Par chance, il semblerait qu'elle ait oublié l'espace d'un moment mon altercation du dernier service.

- « C'est bien notre veine. C'est quand elle décide de se tirer qu'un gros groupe arrive.

Zoé m'a chuchoté ces mots à l'instant où j'attrapais deux mojitos sur mon plateau de service pour les amener à la table du fond. Je lui adresse un grand sourire avant de rejoindre l'entrée pour accueillir les nouveaux venus une main mécaniquement tendue.

- « Bonsoir et bienvenue au Tam-Tam !

- Bah ça alors. »

Ce timbre de voix, il m'est curieusement familier. Ce n'est que lorsque je relève la tête en direction du groupe d'adolescents que je le remarque. C'est le type qui a manqué de me tuer ce matin ! De toute évidence, lui aussi m'a reconnue.

- « C'est une amie à toi Joey ?

- Tu parles, elle s'est plantée devant mon vélo ce matin. C'est à cause d'elle s'il est cassé. »

Non mais je suis en plein rêve. Le voilà qui se fait passer pour la victime, maintenant ? C'est lui qui a dévalé la rue commerçante comme un dératé et qui a bien failli me faucher. Pour peu, je l'aurai bien mis dehors de cet établissement.

- « Pourquoi ces gens restent-ils debout, Yuurei ? »

Mes poils se hérissent instantanément. Je pensais pourtant que la patronne était déjà partie depuis un petit moment. Visiblement, elle a jugé bon de venir vérifier une dernière fois nos moindres faits et gestes.

- « Veuillez m'excuser pour l'attente. Une table pour cinq ? Veuillez me suivre, je vous prie. »

Les ongles plantés dans mon plateau en bois, je guide le groupe de lycéen à une table, près du bar. La Boss finit par partir, adressant au passage un signe à Zoé. En deux temps, trois mouvements, je tends la carte des boissons aux clients puis fuis en direction du bar.

- « Tu es sacrément douée dans ton domaine.

Le ton ironique de Zoé ne m'enfonce que davantage.

- C'est ce type bizarre qui m'a foncé dedans ce matin.

- Tu vas pouvoir lui rendre sa chaîne de vélo.

- Oh oui, servie dans sa boisson et surmontée d'une petite dose chantilly. Tu sais que tu as de très bonnes idées parfois. »

Finalement, un service bondé ne m'aurait pas déplu, je ne peux m'empêcher de jeter de rapides coups d'œil dans leur direction. Je n'arrive pas à croire que ce menteur de Joey soit si bien entouré. Il est accompagné d'une brune aux cheveux courts, d'un brun banal aux allures de gangster, d'un jeune garçon plutôt mignon aux cheveux blancs et d'un autre plus petit aux yeux violets avec des cheveux... avec des cheveux.

- « Tu devrais aller prendre leurs commandes.

- Tu es sûre de ne pas vouloir échanger nos postes ? Je sens que tu brûles d'envie de faire le service ce soir. »

Zoé secoue la tête et insiste sur la table en question. C'est d'un pas lent et peu assuré que j'avance en direction sur groupe, munie de mon calpin à commande. Alors que chacun m'indique leur boisson, je ne manque pas de remarquer les cartes de Duel de Monstres sur la table. Si j'en crois leur position, elles semblent appartenir à Joey et son ami aux cheveux tricolores en forme d'étoile.

- « Très bien, je vous apporte tout ça. »

Ces deux-là vont très probablement participer au tournoi de Bataille Ville, raison de plus de ne pas m'attarder dessus. Après tout, rien ne m'oblige à livrer des duels, je peux tout aussi bien les regarder de loin. Je suis presque sûre que des chaînes de télévision vont retransmettre certains affrontements.

- « Eh oh, la belle au bois dormant. C'est l'heure de se réveiller et d'apporter ces délicieux milkshakes à la table cinq. »

Tirée de mes pensées, je remarque seulement maintenant que Zoé avait déjà préparé toute la commande que je lui avais donnée.

- « Tout de suite. » Insiste-t-elle avec une frappe sur mon épaule.

Une profonde inspiration, quelques battements de cils pour me réveiller une bonne fois pour toutes et je me dirige doucement vers le groupe d'adolescents pour leur servir leurs commandes. Je ne me laisserai pas intimider par le regard de Joey quand je dépose les verres devant eux. Dès qu'ils me règlent, je sens qu'un poids se retire de ma poitrine. C'est fini, je ne les reverrai plus jamais.

- « Tiens, je te l'ai ramenée. »

Aussitôt suis-je retournée au bar que Zoé me tend d'une main ferme la chaîne de vélo abîmée.

- « Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ?

- Bah tu lui rends, pardi.

- Tu m'imagines réellement aller les trouver, avec cette chaîne rouillée en main et dire « Oh Joey, tu as oublié ceci quand tu t'es pris l'étalage de légumes » ? Ne compte pas sur moi, j'irai la jeter aux ordures sur le chemin de la maison. »

A la moue qu'elle affiche, Zoé espérait un peu plus d'animation ce soir. Pourtant, il est hors de question que je dépense plus de temps que nécessaire avec ces histoires.

Le reste de la soirée se déroule sans grosse difficulté. La plupart des clients repartent avec le sourire et la recette de la soirée vaut probablement celles des autres – même si la patronne trouvera toujours quelque chose à commenter. Seul le groupe de cinq s'attarde dans le bar. Ce n'est que quand Zoé se résout à récupérer leurs verres vides qu'ils commencent à se préparer.

- « En espérant que vous avez passé un bon moment au Tam-Tam. »

La voix mielleuse de mon amie m'arrache un large sourire. On lui a souvent dit qu'elle tirait une tronche de cadavre devant les clients alors en échange d'un petit billet chaque service, elle tâche de paraître agréable.

- « J'aurais dû faire la gueule dès le début... »

Tiens, ils s'en vont. Le plus petit d'entre eux est le premier à me fixer droit dans les yeux avant de me souhaiter une bonne soirée. Ne l'aurai-je pas déjà vu quelque part, d'ailleurs ?

- « Bonne soirée, danger ambulant. »

Je tique à ces mots. Ce crétin ne sait pas quand il doit s'arrêter, peut-être aurait-il besoin d'un petit coup de pouce de ma part.

- « Toi de même, imbécile.

- C'est ma chaîne de vélo que tu tiens ? »

Sans m'en rendre compte, j'avais brandi le premier objet qui me venait sous la main : la chaîne rouillée qui traînait sur un bord du comptoir. Maintenant qu'il l'a reconnue, que suis-je supposée faire ? Lui remettre tout simplement ?

- « Peut-être bien.

- ... Tu es vraiment une fille bizarre. Ça t'arrive souvent de voler des chaînes de vélo ?

- La ferme. Tu es reparti et cette chaîne errait près de l'étalage, je l'ai gardée au cas où je te recroiserai plus loin dans la rue. »

Ce qui est la vérité en soi. Du coin de l'œil, j'aperçois Zoé, feignant d'essuyer des verres, très attentive à notre discussion. Joey s'avance alors et attrape d'une main la chaîne pour m'en débarrasser.

- « Bien, merci dans ce cas. »

Honnêtement, je ne m'attendais pas à ce qu'il me remercie, même si cela sonnait que par pure politesse et qu'il s'en est allé en riant. J'acquiesce et le laisse rejoindre ses amis, sans un mot.

- « Tu vois que ce n'était pas si compliqué ? »

La voix de Zoé résonne dans la petite cuisine derrière le bar. Je fais mine de ne pas l'entendre et retourne vaquer à mes occupations.

La nuit est tombée depuis un bon moment lorsque j'emprunte le chemin de la maison. 23h30, plus que 30 minutes pour les derniers inscrits au tournoi de Bataille Ville. Guidée à travers les ombres par les lampadaires du village, je songe à ce que pourrait ressembler ma vie si je devenais une experte en duel de monstres. Que ressent-on lorsqu'on mène un duel face à une audience de millier de personnes venues pour nous voir triompher ou perdre ? Du stress ? De la joie ? De l'adrénaline ?

Tandis que je traverse la dernière rue me séparant de mon domicile, mon téléphone vibre à deux reprises dans la poche de ma veste. Je l'extirpe et compose mon mot de passe. J'ai reçu deux mails du site de la KaibaCorp.

- « Eh ? »

« Votre inscription a été prise en compte. Vous recevrez d'ici peu les informations relatives au tournoi. »

Pardon ? Quand est-ce que je me suis inscrite ? Je cligne plusieurs fois des yeux, quitte l'application et la relance aussi vite pour constater que le message se trouve toujours dans ma boite mail. Comme mentionné dans le premier mail, le second contient toutes les informations pratiques concernant le tournoi de Bataille Ville.

- « J'ai dû me faire hack. »

En bas de l'e-mail, une close indique que tout désistement aux duels du lendemain entraînerait automatiquement la défaite du duelliste. Je pousse un léger soupir. Il me suffit de ne pas me rendre à Domino City demain et tout sera réglé.

Un coup de vent plus violent que les autres m'intime à rentrer chez moi au plus vite. Il faut absolument que je change mes identifiants pour éviter d'autres soucis. La maison est vide. Ma mère est sûrement déjà couchée. J'en profite pour ranger un peu la cuisine et le salon avant de monter me coucher.

Moi, devenir une duelliste ? C'est une blague de très mauvais goût, mon jeu ne gagnera jamais face aux autres. Au bout de quelques heures seulement, je parviens à trouver le sommeil, non sans inquiétude face aux événements du lendemain.



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