La voix de l'ombre - Livre II : Le destin du monde

Chapitre 20 : Un jeu dangereux

6012 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/04/2024 18:47

Chapitre 20 : Un jeu dangereux.



Aile-de-mort était fou de rage. Comment avait-elle pu lui échapper ? C'était tout bonnement impossible. Et les serviteurs qui avaient osé soumettre l'idée d'une trahison avaient été carbonisés dans la seconde.

La duplicité n'expliquait pas non plus la disparition d'Hémathion et de Samaellion. À moins qu'elle n'inclût des éléments extérieurs, mais le lieu de détention de la Terrestre avait été soigneusement choisi, aussi indétectable qu'inaccessible pour le commun. Sauf pour un dragon noir...


Juché au sommet d'une chaîne de montagnes au Norfendre, le Destructeur vit un tourbillon se former sur l'ubac, versant nord de la montagne. Il ne pouvait s'agir que de l'un des siens, et le dragon noir fut satisfait de voir apparaître son fidèle enfant.

  • Père, je réclame votre indulgence pour la fourberie dont j'ai été victime, siffla Hémathion, apparemment encore blessé. Laissez-moi vous prouver ma loyauté, une fois de plus, car nous avons été trahis.
  • Trahis ? gronda dangereusement Aile-de-Mort. Qui ?
  • Samaellion, Père.
  • Samaellion... émit-il dans un long soupir. J'avais donc vu juste, il s'est laissé affaiblir par cet être insignifiant et sa nature écœurante de protectrice de la Terre. Le faible s'est laissé souiller !
  • Il a attendu que je m'éloigne pour la voler. Le sort qui me liait à elle m'a immédiatement téléporté auprès d'elle, mais Samaellion avait tout prévu, et s'est allié à des nains pour la faire échapper.
  • Tu es plus puissant et ancien que lui, Hémathion, comment a-t-il pu te vaincre ?
  • Il est mort, Père, mais même transpercé de ma lame, il les a téléportés. Et son sort n'a laissé aucune trace.
  • Évidemment, et où est son corps ? L'as-tu tellement déchiqueté qu'il n'en reste rien ?
  • Il a explosé, Père. Il ne reste plus rien de lui.


L'Aspect noir ouvrit grand la gueule et poussa un rugissement qui fit trembler la montagne. La neige des cols glissa et créa plusieurs avalanches qui emportèrent les pins disséminés ci et là. Au moins, le traître était vaincu, même s'il aurait mérité un châtiment bien pire que la simple mort qu'il avait subi.

En revanche, il restait un point à élucider. Car, depuis son évasion, il y avait quelques semaines, l'aura de la Terrestre demeurait imperceptible.


  • Hémathion, tu m'as toujours été loyal, mais aujourd'hui, tu m'as déçu.
  • J'accepte le sort que vous aurez choisi de m'infliger, Père.
  • Je suis incapable de la sentir, ce qui doit signifier sa mort des suites de ses blessures. Mais j'ai besoin d'en être sûr, fit le Destructeur, les yeux plissés. Part à sa recherche, et ne revient pas avant de l'avoir retrouvée, elle ou son cadavre. Si elle est en vie, il ne faut pas qu'elle entre en contact avec Alexstrasza, à aucun prix !
  • Je ne vous décevrai plus, Père, promit Hémathion en inclinant sa tête cornue avant de déployer ses ailes et de prendre son envol.


La disparition de la Terrestre restait inquiétante. Si elle avait rendu l'âme, son corps devait bien se trouver quelque part. Cet être avait beau avoir été souillé par la malédiction de la chair, elle représentait une trop grande menace pour lui si elle s'alliait avec les autres Aspects. Le secret de ses pouvoirs n'était heureusement pas à la portée de n'importe qui.

Scrutant l'horizon, le Destructeur déploya ses immenses ailes, et prit la direction des Hautes-terres du Crépuscule.



Hermand avait quitté Hurlevent après s'être assuré que la princesse allait mieux. Il ne pouvait rester indéfiniment, d'autant que ses affaires l'attendaient en Loch Modan.

Une routine s'installa alors entre Keera et Varian à mesure des semaines. Le roi lui rendait visite chaque jour, et en retour, la princesse passait certaines de ses soirées dans ses appartements à jouer aux cartes et discuter.


Cependant, depuis quelques jours, Varian se montrait fermé et taciturne. Elle avait remarqué ses changements d'humeur, comme si deux personnalités cohabitaient en une seule personne. Et ce soir-là, lorsqu'elle le rejoignit dans ses appartements, le roi présentait une mine particulièrement renfrognée.

  • Varian ? Est-ce que tout va bien ?
  • Désolé Keera, mais ce soir, je ne serai pas de bonne compagnie, fit le roi.

Il était attablé comme à l'accoutumé avant qu'elle ne le rejoigne. Cependant, le jeu de carte qui était habituellement disposé sur la table avait été remplacé par deux bouteilles de Whisky, dont une était déjà complètement vide.

Il avait dû recevoir des nouvelles d'Anduin qui ne viendrait pas lui rendre visite, voire même pas de nouvelles du tout.


Keera entra malgré l'avertissement, et s'avança vers lui.

  • Je prends le risque, fit-elle en s'asseyant sur la chaise à côté de lui.
  • Laissez-moi seul, s'il vous plaît.

Puis, il attrapa la bouteille et se servit. Étant donné son état d'ébriété déjà bien avancé, nul doute qu'il avait commencé à boire tôt dans la journée.

Keera dévisageait le roi, qui buvait son verre tout en la regardant. Il allait mal, et elle ne pouvait faire comme si elle n'avait rien vu.


  • Vous buvez trop, dit-elle en éloignant la bouteille encore pleine.
  • Vous devriez vous en aller avant que je ne devienne grossier, menaça Varian.
  • Allez-y, je vous en prie.
  • Servez-vous au moins un verre, vous encaisserez mieux, proposa-t-il.
  • Je n'ai pas besoin de boire pour encaisser Varian.
  • Vous croyez-vous invincible ? N'est-ce pas vous qui vous morfondiez il y a encore peu ?

Varian la provoquait, mais Keera n'était pas dupe.

  • C'est vrai. Et j'ai eu besoin d'aide, admit-elle. Tout comme vous, dit-elle en lui retirant le verre des mains.
  • Je n'ai besoin d'aucune aide, gronda Varian, très contrarié qu'elle lui ai pris son verre des mains. Juste de ça et dormir, dit-il en attrapant la bouteille que Keera avait pourtant éloignée.


Comprenant qu'une attaque frontale ne donnerait rien, Keera dut se résoudre à rentrer dans son jeu si elle voulait l'aider à se ressaisir.

  • Très bien, faisons un jeu alors, proposa-t-elle. Celui qui perd boit un verre.
  • Quel jeu ? demanda-t-il de sa voix pâteuse.

Keera leva son pouce vers Varian.

  • Pff, pourquoi pas. Mais je compte bien perdre, fit Varian qui tendit son bras vers elle.

Keera attrapa sa main, et positionna son pouce contre le sien. La bataille fut rude, car Keera ne cherchait pas à gagner, tout comme Varian. Et tous deux burent finalement autant l'un que l'autre.


Sauf que le jeu se solda par une deuxième bouteille entamée, les deux joueurs assis sur le sol, et Keera légèrement éméchée.

  • Où... où en étions-nous déjà ? demanda-t-elle.
  • Je crois que nous avons arrêté de jouer il y a une heure, mais que nous avons continué de boire, fit Varian qui observait son verre sans comprendre pourquoi il était vide.
  • Oh, marmonna la princesse. Mais et pourquoi vous semblez moins ivre que moi ? C'pas normal ça !
  • C'est que j'ai arrêté de boire il y a un moment, avoua Varian. Et que vous n'êtes pas habituée à boire autant, sourit-il sournoisement.
  • Si je bois ! Je bois parfois avec Hermand, bredouilla Keera. Et Dagor aussi. Mais que de la bière. Ça, fit-elle en désignant le Whisky, c'est plus fort.
  • Je vais vous ramener dans votre chambre, proposa le roi qui l'aida à se relever.
  • Ah oui ? Mais ça ne va pas du tout !
  • Qu'est-ce qui ne va pas Keera ?
  • Mais vous n'allez pas mieux, je le vois bien ! fit-elle en le regardant droit dans les yeux. Et je ne peux pas vous laisser broyer du noir !
  • Je vais très bien, et vous n'avez pas à prendre soin de moi Keera.
  • Oh mais si ! Vous m'avez bien aidée, vous, et je me sens concernée. Je veux...je veux que vous alliez bien.
  • Mais je vais bien, s'impatienta le roi.


Keera se dégagea de la main qui tenait son bras. Malgré la quantité d'alcool qu'elle avait bu, elle gardait les idées claires. Bien qu'elle faillisse vaciller.

  • Non, Varian Wrynn, vous n'allez pas bien. N'essayez pas de me mentir. Je le vois, dans vos yeux tristes et dans votre voix plus grave et altérée que d'habitude.
  • N'étiez-vous pas censée être trop ivre pour penser ? À quel jeu jouez-vous Keera ? commençait à s'emporter le roi.
  • En tout cas je ne suis pas assez ivre pour vous croire heureux Varian. Car vous ne l'êtes pas. Et vous êtes seul. Vous souffrez de votre solitude. Et je le sais parce que moi aussi j'en souffre !


Tous deux restèrent interdits devant cet aveu. Keera n'en revenait pas de cette confession, et s'attendait à ce que Varian s'emporte une fois de plus. Mais il semblait davantage résigné que courroucé. Voire accablé.

Son expression était difficile à déchiffrer, mais Keera était déterminée à l'aider.

Elle s'approcha de lui, puis dit calmement :

  • Vous savez Varian, je vous considère comme un ami. Vous n'aviez aucune raison de m'aider, mais vous l'avez fait.
  • Et cela fait de moi votre ami ?
  • Cela et les bons moments que nous passons ensemble, oui. Et si ce n'est pas votre cas, si vous ne me pensez pas votre amie, et me croyez incapable de vous aider, dites-le sans détour et je m'en irai.


Varian ne s'était pas attendu à tant de franchise. Très peu de gens de son entourage lui disait les choses aussi sincèrement. Cela rendait Keera presque candide à ses yeux, ce qu'il trouvait attendrissant. De plus, il était clair qu'il ne voulait pas la voir partir.

Il la considéra un moment avant de répondre :

  • Vous êtes vraiment étrange Keera. J'ai tenté de vous repousser, et vous insistez pour rester. Vous vous rendez malade avec la boisson pour m'accompagner, et c'est vous qui me soutenez.
  • Moi étrange ? C'est vous qui avez aidé une inconnue à moitié morte aux prises avec ses démons du passé. Et n'essayez pas d'être méchant Varian, ça ne prend pas avec moi.
  • Si je vous ai aidée, c'est que je me suis rendu compte que votre sort m'importait, Keera.
  • Vraiment ? Parce que je suis devenue votre amie ?
  • Parce que vous ne m'êtes pas indifférente, avoua le roi sans préambule.


Keera était stupéfaite. Comme si le choc avait purgé son sang de tout l'alcool qu'elle avait avalé. Et le regard sérieux du seigneur de Hurlevent reflétait clairement sa sincérité. Son franc-parler, bien loin de ce que l'on attendait d'un roi, lui rappelait celui des orcs. Elle avait toujours vu la plupart des humains comme des menteurs et des manipulateurs, ne pensant qu'à leurs propres intérêts. Or, Varian était la preuve que les hommes savaient faire preuve d'honneur et se montrer désintéressés. Bien que, dans ce cas précis, le roi avait dévoilé son jeu.

Tous les deux s'étaient rapprochés, sans aucun doute, mais Keera avait été naïve de penser que le roi ne ressentait rien de plus qu'une simple amitié. Il y avait eu certains signes, qu'elle avait délibérément choisi d'ignorer. Pire encore, elle avait tenté d'étouffer ses propres sentiments, devant ce lien grandissant qu'ils tissaient chacun de leur côté.


Elle était veuve depuis moins longtemps que lui, et ne se sentait pas prête à laisser un homme entrer à nouveau dans son cœur. Elle ne s'en sentait pas le droit, pas encore. Et face à son regard à la fois gêné et navré, Varian semblait l'avoir compris. Elle connaissait très peu d'homme capable d'une telle abnégation malgré le désarroi et la peine qui l'habitaient. Car il était évident que le roi luttait contre son envie de la serrer dans ses bras. Et il mettait délibérément la rémission de Keera avant son propre bien-être. Elle avait raison, il feignait la méchanceté pour la tenir à distance. Tout comme elle feignait le fait qu'ils puissent peut-être s'aimer.

  • Je vous reconduis, reprit Varian qui l'emmena par la main vers la porte de ses appartements.


Toujours résolue à lui venir en aide, Keera tira sur sa main pour l'obliger à s'immobiliser, puis dit :

  • Pour chaque nouvelle bouteille que je trouverai ici, ce sera un jour de moins que je passerai à Hurlevent.

Face à cette affirmation, qui lui fit écarquiller les yeux, Varian, qui ne s'était pas attendu à cela, lâcha la main de la princesse, et poursuivit :

  • Dans ce cas...

Il s'éloigna jusqu'à la petite table, prit les deux bouteilles qui s'y trouvaient encore, puis les brisa dans la cheminée qui dominait la pièce.

Il braqua alors son regard bleu dans celui de la princesse, puis sourit. Keera sourit en retour, et attendit qu'il la rejoigne pour la raccompagner.



Cela faisait maintenant plusieurs mois que Keera résidait à Hurlevent. Les seuls au courant demeuraient ses amis nains. Personne d'autre ne devait se douter de sa présence dans la capitale humaine, pas même Thrall qui, elle le savait, devait s'inquiéter.

Hermand prenait de ses nouvelles quotidiennement, si bien que lorsqu'elle lui affirma aller mieux, il lui envoya ses rapports et lui exposa ses découvertes récentes.


Il s'était d'ailleurs rendu au Tombeau des Gardiens, près du lieu où Samaellion les avaient sauvés. Et il s'avérait qu'aucun cadavre d'humain, ni de dragon noir n'avait été retrouvé. Ses collègues explorateurs lui avaient bien confirmé qu'un combat entre deux dragons noirs immenses avait eu lieu, mais qu'ils avaient disparu d'un coup. Keera voulait croire que Samal s'en était sorti, mais Hermand était plutôt pessimiste sur la question.


Quelques temps auparavant, elle avait proposé à Varian de s'entraîner ensemble. Cela leur ferait de l'exercice, et tous deux pouvaient apprendre l'un de l'autre. Ainsi, Varian lui apprit deux ou trois bottes secrètes typiquement naines, et Keera lui enseigna quelques techniques de combat à main nue.

Ces entraînements permirent à Keera de récupérer totalement de ses blessures. Elle s'était sentie rouillée, et Varian ne retenait pas ses coups.


Après une bonne bagarre à la régulière et à mains nues, tous deux firent une pause. Ils se fixèrent, haletants, assis chacun sur l'un des bancs qui bordait le terrain d'entraînement qui comprenait quelques buissons et une ribambelle d'armes installées sur un râtelier. La cour était étroite, car elle avait été conçue pour un entraînement solitaire.

La neige tombait drue, mais le combat les avait réchauffés.

  • Vous ne semblez pas craindre le froid Keera.
  • Non, très peu, en effet, admit-elle.


Le roi semblait réfléchir à quelque chose qui le faisait sourire. Il osa alors :

  • L'avantage avec vous, c'est que vous encaissez bien mieux qu'un mannequin d'entraînement, et que vous ripostez.
  • Oh mais je vous en prie, bouda la princesse. Avez-vous d'autre comparaison avantageuse à me faire partager ?
  • Ah, pardonnez-moi. Je ne suis pas coutumier des flatteries, mais je ne voulais pas vous froisser.


Keera se rembrunit, et tourna le nez. Elle observa son environnement, puis regarda la neige tomber. Elle leva alors la main devant elle pour y recueillir les flocons gelés, comme elle avait l'habitude de le faire depuis son enfance en Altérac.

Varian la regarda laisser la neige tomber dans le creux de sa main. Le regard attendri, il s'était laissé toucher par cette scène si légère et pure qu'il en oubliait presque le Cataclysme et toutes les horreurs qu'ils avaient à affronter. Telle une enfant, Keera souriait devant la beauté des flocons qui s'accumulaient dans sa main. Elle sentit alors le regard insistant du roi, et leva la tête dans sa direction.


À présent gêné qu'elle l'ait surpris, Varian durcit son regard pour ne pas perdre la face.

  • Vous n'avez pas à cacher ce que vous êtes, Varian, se moqua-t-elle. Je suis quelqu'un de très discret, vous le savez. Et personne ne saura combien vous pouvez vous montrer avenant et sympathique.
  • Sympathique ? Je crois bien que c'est la première fois que quelqu'un me qualifie de sympathique ! pesta le roi.
  • C'est que j'ai de la chance, sourit la princesse.
  • Hin ! D'ordinaire, les femmes gardent leurs distances, et c'est très bien ainsi. Les manières et les médisances des nobles et de leurs filles à marier m’insupportent au plus haut point, cracha-t-il.
  • Eh bien, mon père en était friand, avoua Keera en grimaçant. Tout comme les nobles de sa cour.
  • Ce qui ne doit pas être votre cas, d'après ce que j'ai pu comprendre de votre caractère.
  • Non. J'ai toujours préféré une bonne chevauchée dans les montagnes à un bal. Je savais que cela déplaisait, mais mon père avait fini par accepter mon mépris pour le conformisme.
  • Ce qui explique la réussite de votre mariage avec un orc, fit le roi en fronçant les sourcils.
  • Peut-être suis-je capable de voir au-delà des apparences, rétorqua-t-elle sans tomber dans le piège tendu. Et je ne partage pas votre vision à ce sujet. Ce n'est pas un orc qui m'a rendue heureuse, c'est Orgrim.


Varian était sidéré. Comment ne pouvait-elle pas prendre en compte avant tout le fait que son époux ait été un orc ? Cette simple notion le dépassait.

  • Sans vouloir vous manquer de respect, les orcs ont été l'ennemi à abattre durant des années, reprit Varian. Je suis peut-être sectaire, surtout en ce qui les concerne, mais vous ne pouviez ignorer ce détail !
  • Comme vous dites, c'était un détail, sourit-elle. Et vous me semblez moins sectaire que vous voulez bien le laisser croire.
  • À vous entendre, j'aurais quelques qualités que même mon entourage semble ignorer.
  • Tout comme vous, Varian, fit-elle avec sérieux. Vous vous dépréciez à la moindre occasion.
  • Nullement. Je reconnais être un bon guerrier, un fin stratège, et...
  • Et ?
  • Et un bon roi.
  • Oh vous êtes déprimant Varian, dit-elle en se levant. Désespérant ! Aller, levez-vous que je vous démontre le fond de ma pensée.
  • Avec plaisir, répondit le roi sur un ton narquois.


Keera commença à lever sa garde lorsque Varian la chargea sans sommation. Prise de court l'espace d'un instant, elle se reprit, et para un coup de poing dirigé vers ses côtes. Mais le roi riposta instantanément et ferma son poing sur le poignet de la princesse qui pris une posture basse et tira sur sa main. Elle emmena Varian vers le sol, mais il prit appui sur ses jambes pour ne pas tomber.

Il sentit alors l'os du coude de Keera appuyer sur son dos, et la pression l'obligea à s'écrouler.

Une fois au sol, Varian fit une balayette à la jeune femme qui ne s'attendait pas à une attaque aussi basse, et se retrouva elle aussi au sol à ses côtés.


  • C'était un coup bas, jura Keera, toujours au sol, sans regarder le roi.
  • Tous les coups sont permis en combats, se défendit Varian.
  • Et moi qui vous croyais attaché à l'honneur, bouda-t-elle.

Le monarque se redressa, puis se pencha au-dessus d'elle.

  • Je suis toujours prêt à tout pour obtenir ce que je veux.

Keera tourna la tête vers Varian, les yeux grands ouverts. Faisait-il allusion à elle ? Son regard profond et sûr de lui semblait la désigner. Mais peut-être qu'en entrant dans son jeu, il allait reculer.

  • Et que voulez-vous ? se risqua-t-elle, tout en dissimulant son appréhension derrière un air confiant.
  • Tu sais très bien ce que je veux.


Keera ne s'était pas attendue à une telle franchise. Elle commençait à bien le connaître, et aurait dû se douter de sa réaction. Varian n'était pas homme à se défiler, mais elle l'avait cru trop peu porté sur les questions tendres et intimes pour assumer. Elle s'était lourdement trompée. D'autant qu'il l'encadrait de ses bras puissants, refermant ses mains sur ses poignets. À l'évidence, il s’apprêtait à mettre en œuvre ses dires.

  • Varian, je peux retourner la situation à mon avantage en une seconde, lui rappela-t-elle.
  • Dans ce cas, pourquoi ne l'as-tu pas encore fait ? s'enquit le roi.


Il avait vu juste. Keera mentait mal. Et elle peinait malgré tout à dissimuler son attirance pour lui. Cependant, elle devait mettre un terme à ce jeu au plus vite, car il était en train de raviver en elle une émotion trop intense.

Le regard perçant du roi de Hurlevent la déstabilisait. Même si elle aimait sa façon de la regarder, cela la perturbait.


Keera utilisa donc ses jambes pour faire basculer Varian sur le côté et reprendre le dessus. Il lâcha à moitié prise et essaya de se redresser, mais la princesse utilisa sa force pour le maintenir à son tour au sol, puis le chevaucha tout en bloquant ses mains.

Elle le considéra un moment, puis relâcha ses poignets. Mais Varian se redressa, et l'empêcha de se relever en l'attrapant par la taille.

  • Tu n'abandonnes jamais, n'est-ce pas ? dit Keera.
  • Jamais ! assura le roi qui s'avança, mais fut interrompu par les bruits de pas d'un garde.


Tous deux se relevèrent aussi rapidement qu'ils s'étaient retrouvés au sol, puis Varian se dirigea vers la porte de la cour dans laquelle ils s'entraînaient.

Il prit connaissance de ce qui le sollicitait, puis dit :

  • J'en ai pour un moment Keera.
  • Bien sûr, répondit-elle. Je retourne à mes appartements.


Puis Varian quitta la terrasse et laissa Keera seule, partagée entre le soulagement et le regret.



Keera réalisa qu'elle n'avait pas encore ouvert son courrier. Elle recevait fréquemment des nouvelles de Hermand, et cette nouvelle lettre était la suite d'une histoire assez incroyable.

Hermand avait découvert, ainsi que d'autres explorateurs, que des œufs de dragons noirs étaient élevés secrètement dans les Terres Ingrates, près de plusieurs sites de fouilles archéologiques. Le nain déclarait qu'il ne pouvait en dire plus, et que si elle se sentait l'âme d'une aventurière à nouveau, elle pouvait l'y rejoindre.


Il était clair que de vivre à Hurlevent, même cachée, était une aventure. Car, pour accepter de vivre près d'un roi aussi instable et exigeant que l'était Varian, il fallait être confiant et surtout maître de soi. Et vu la tournure que prenaient les événements...


Quelqu'un frappa à sa porte. Keera se leva et alla ouvrir. C'était Nana.

  • Dame Keera, sa Majesté m'envoie vous prévenir qu'il vous attendra pour le souper dans ses appartements d'ici une heure.

Nana était l'une des gouvernantes du château en qui le roi avait parfaitement confiance. Nana était très petite, et Keera s'inclinait toujours légèrement vers l'avant quand il s'agissait de lui parler.

  • Merci, Nana. (puis, devant son air interloqué) Y a-t-il autre chose ?
  • Ma dame, le roi vous convie à un dîner. Il serait bienséant de vous parer en conséquence. Puis-je vous proposer mon aide ? demanda-t-elle de sa voix aiguë.
  • Ma foi, je pense que le roi ne cherchera pas à se vêtir autrement qu'à l'accoutumée, dit la princesse qui voulait éviter à tout prix que Nana ne l'aide.
  • Pardonnez mon insistance, mais il s'agit du roi. Et vous portez très souvent des vêtements plutôt masculins. Je sais que vous êtes une guerrière, ma dame, et que vous sortez du bain (on ne pouvait rien cacher à Nana), mais laissez-moi vous conseiller une tenue.
  • Nana, je ne pense pas...


Mais Nana était quelqu'un de très têtu. Et son dévouement sans faille envers la couronne la rendait tout à fait digne de confiance. En revanche, elle avait jeté son dévolu sur Keera et était tombée en pâmoison devant sa silhouette de princesse de contes de fées. Elle s'était donc donnée pour mission de l'instruire et d'en faire une dame du monde. Elle avait totalement ignoré les propos de Keera qui lui avait raconté son passé de princesse, et se montrait chaque jour pour prendre soin d'elle.

Keera avait trouvé cela attendrissant au début, mais Nana s'était révélée être une adversaire coriace qui ne reculait jamais. Aussi petite fût-elle.


Elle se faufila alors et entra dans la chambre avec son entrain habituel. Et c'est ainsi que Keera se retrouva assise devant le miroir posé sur sa commode, la chevelure entre les mains expertes de Nana qui entreprit de la coiffer comme il sied à une princesse. Cependant, Keera ne lui rendrait pas la tâche facile.



Varian se tenait devant l'immense cheminée de ses appartements. Il repensait à ces derniers mois. Et, tout en laissant son regard se perdre dans les flammes ardentes, il songeait à l'influence positive qu'avait eu Keera sur lui. Il avait tant aimé sa défunte épouse, même si finalement, ils ne s'étaient pas connus si longtemps que cela, car la mort l'avait emportée alors qu'ils n'étaient mariés que depuis deux ans. Elle aussi l'avait aidé à contrôler sa colère et à voir les choses de façon plus optimiste. Et, bien que leur mariage ait été arrangé, il avait été heureux.


Cependant, Keera était presque l'opposé de Tiffin. Forte, indépendante et sauvage, elle avait vécu des choses similaires à Varian qui se retrouvait parfois dans ce qu'elle lui racontait. Ils avaient beaucoup en commun, et cela les avait inévitablement rapprochés, au point qu'il commençait à réaliser la solitude à laquelle il s'était habitué durant toutes ces années. Et il redoutait de la voir partir. Après tout, comment aurait-il pu en être autrement ?


Le bruit de coups sur la porte le tira de ses rêveries.

  • Entrez ! fit-il tandis que Keera apparut. Pardonne-moi Keera, il est tard et …

Le roi écarquilla les yeux. Effaré, il observa la princesse s'avancer vers lui.

  • Je sais que tu n'as pas bien supporté de me voir te battre à plate couture aussi souvent, mais était-ce une raison pour me punir ainsi ? demanda-t-elle le regard mauvais.
  • Ah, eh bien, Nana ne lâche jamais prise, se moqua-t-il. Mais je ne lui avais rien ordonné de tel. Est-ce une si mauvaise chose ? se risqua le roi. Après tout, je ne t'ai jamais vu porter autre chose qu'un vêtement guerrier. Ou presque pas de vêtement du tout, sourit-il.
  • Cette fois-là ne compte pas, j'étais inconsciente, bouda Keera. Et j'ai quand même réussi à échapper au maquillage et à la crépine, dit-elle fièrement en désignant sa queue de cheval habituelle.
  • Et c'est une bonne chose. Tu n'a nul besoin d'artifices, tu es déjà …


Varian s'interrompit. Il n'était pas très familier de ce genre de chose. Et cela faisait si longtemps. Heureusement, Keera non plus :

  • Bon, allons-nous enfin dîner ? demanda Keera pour masquer son embarras.


Varian l'invita donc à s'asseoir à la petite table sur laquelle il prenait parfois son repas rapidement avant de poursuivre un travail. Il en profita pour l'examiner : elle portait un chemisier blanc fermé au col, ainsi qu'une longue jupe plissée pourpre taillée hautement et corsetée sur le ventre.

La princesse s'assit dignement, espérant masquer son malaise à porter une telle tenue dont elle n'avait plus l'habitude.

Varian s'assit près d'elle, et tous deux s'attaquèrent à leur soupe de légumes.


  • Une affaire urgente tout-à l'heure ? s'enquit Keera.
  • Plutôt protocolaire, je dirais, répondit le roi. Nous allons bientôt accueillir Genn Grisetête et son contingent à Hurlevent.
  • Oh je vois. Des préparatifs à organiser j'imagine.
  • En effet. Et cela m'a refait penser à une chose que tu m'avais dite lorsque nous nous sommes rencontrés. Tu parlais de mon animal totem.
  • Oui, je m'en souviens, dit Keera.
  • Mais ce que je ne t'ai pas dit, c'est que lors de ma réconciliation avec Genn, il m'a avoué avoir senti mon lien avec un Ancien du nom de Goldrinn, le Loup fantôme. Cet être, ou tout du moins son esprit, m'aurait apparemment béni, et sa férocité m'habiterait lors de combats.
  • Je vois. J'ai étudié les Anciens avec les explorateurs, ceux qui se sont battus durant la Guerre des Anciens, il y a plus de dix mille ans. Mais en te voyant, je n'avais pas fait le lien avec Goldrinn, juste avec l'esprit du loup, avoua Keera.
  • Tu as tout de même d'étranges dons, Keera, fit-il en sirotant son vin.
  • Venant de toi, je prends cela comme un compliment, dit la princesse.


Keera savait que durant le sommet à Darnassus, des mois plus tôt, Varian s'était en effet réconcilié avec Genn, qui lui avait proposé de suivre un rituel que les worgens utilisaient pour apprendre à dompter la furie de leur forme lupine. Ce rituel avait aidé Varian à apprivoiser sa colère et sa fureur, bien qu'il demeurât parfois encore instable. Surtout lorsqu'il s'agissait de son fils.


Ils terminèrent leur repas en silence. Puis, Keera se lança :

  • J'ai reçu une lettre de Hermand. Il parle de trouvailles près du Tombeau des Gardiens dans les Terres Ingrates.
  • Ah, quelque chose d'intéressant ? demanda le roi.
  • D'assez intriguant pour qu'il ne l'écrive pas en tout cas, souleva Keera. Il demande mon aide.
  • Je vois. Et tu lui a...

Puis Varian comprit. Il la dévisagea en fronçant les sourcils.


Après quelques instants, il poursuivit :

  • Il a besoin de toi là-bas. Tu vas donc partir, fit-il plus pour lui-même qu'une réelle question.
  • Varian, je n'allais pas rester ici indéfiniment. J'ai déjà trop abusé de ton hospitalité.
  • Keera, tu es la bienvenue ici, et tu es en sécurité.
  • Je vis comme une recluse ici, cachée pour les risques que je te fais encourir, ainsi qu'à ton peuple.
  • Et si Aile-de-Mort te retrouve ? Que crois-tu qu'il te réservera cette fois ? s'emporta-t-il.
  • Ce n'est pas une raison pour rester cachée ! Je ne fuirai pas Varian !
  • Il t'a presque anéantie Keera ! Et tu voudrais prendre ce risque pour une simple mission d'exploration ?
  • Des œufs de dragon noir sont en jeu dans cette mission. Ils pourraient représenter un espoir pour vaincre Aile-de-Mort. Et si mon lien avec la Terre...
  • Keera, je ne te laisserai pas te jeter dans la gueule du loup.


La princesse soupira longuement, puis dit :

  • Varian, tu n'as pas d'ordre à me donner. Tu n'es pas mon père. Et quand bien même tu le serais.

Varian se rembrunit. Il ne pouvait pas la laisser partir. Pas maintenant, alors qu'il retrouvait un équilibre. Alors qu'Anduin était parti. Alors qu'il l'avait abandonné...

Un profond sentiment de tristesse le gagna. Il ne pouvait pas la retenir, elle ne lui appartenait pas. C'était une femme libre. Libre de partir, d'accomplir sa mission. Et libre de l'aimer.


À cet instant, Keera fut prise d'une étrange affliction. Elle ressentait le désarroi de Varian. Elle avait appréhendé de lui annoncer son départ. Et pas seulement parce qu'elle savait qu'il ne l'accepterait pas. Mais aussi parce qu'elle ressentait la même chose. Elle ne voulait pas le quitter.

C'est pourquoi elle devait partir.

Varian se fermait, mais sa décision était prise.


Elle se leva, puis continua :

  • Varian, tu m'as aidée, tu m'as beaucoup aidée, et j'ai une dette infinie envers toi.
  • Il n'y a aucune dette entre nous Keera, dit Varian en se levant à son tour, l'air bourru.
  • Je ne pars pas parce que tout va mal. Je pars parce que justement tout va bien.
  • Parce que tu es là, précisa le roi.
  • Et donc tu comptes m'enfermer ici pour toujours ? Comme pour Anduin qui a dû fuir jusque l'Exodar pour échapper à ta crainte de le perdre ?


Le regard noir qu'il lui lança figea son sang. Son fils était le seul sujet que Keera essayait toujours d'éviter. Mais il devait la laisser partir.

  • Tu oses me lancer ça au visage ? s'emporta Varian. Tu sais pourtant ce que ça fait de perdre son enfant !
  • Tu n'a pas perdu Anduin, Varian, le rassura-t-elle. Et tu ne me perd pas.


Varian se détendit légèrement. Il avait déjà tant perdu. Mais Anduin finira par lui revenir, tout comme elle. Il devait la croire. Il s'avança alors vers elle, et dit :

  • Ta décision est prise, je ne peux m'y opposer. En revanche, dit-il en plissant les yeux, je veux que tu me promettes de ne pas t'impliquer dans les affaires des dragons noirs.
  • Honnêtement, je ne sais jamais où une mission peut me mener. Mais je peux t'assurer que je me tiendrai à distance d'Aile-de-Mort, affirma la princesse.
  • Bien, fit le roi à priori convaincu qu'elle ne prendra pas de risques inconsidérés, étant donné sa récente expérience avec le Destructeur et son vol. Quand dois-tu partir ?
  • Cette nuit, fit-elle contrite. Je préfère quitter Hurlevent de nuit. Après tout, je ne suis pas censée être là.
  • C'est vrai. Mais tu aurais pu me prévenir plus tôt.
  • Je sais, mais j'avais oublié d'ouvrir ma correspondance. Et puis, je reportais ce moment parce que … enfin, ... Bon, porte-toi bien, Varian, dit-elle en lui tapotant le bras avant de se ruer vers la porte pour sortir.


Elle referma la porte derrière elle, puis s'arrêta. Elle haletait. Son cœur battait à tout rompre. Elle posa une main sur son torse comme pour se calmer, et repris son souffle.

Elle avait réussi à le quitter sans que cela n'aille plus loin. Elle avait tant voulu éviter qu'ils se rapprochent qu'elle était partie brusquement et sans même un dernier regard.

Sans même un dernier geste. Ni même un dernier...

Non, elle n'allait pas fuir. Elle devait être honnête avec lui, si ce n'était avec elle-même. Il devait savoir clairement qu'elle n'était pas prête.


Prenant son courage à deux mains, elle pivota vers la porte et la rouvrit.

Varian se tenait toujours près de la porte, silencieux, et l'air sérieux.

Ils se dévisagèrent un moment, puis Varian attrapa Keera par le col et l'amena jusqu'à lui. Elle se retrouva blottie contre son large torse, tandis qu'il leva son menton de sa main et l'embrassa.

Keera posa ses mains sur le buste du roi, puis ferma les yeux, finalement prête à accepter un geste aussi tendre et intime.

Varian passa doucement sa main dans les longs cheveux de Keera, puis agrippa l'arrière de sa tête. Il serra sa prise sur la taille de la princesse, puis l’enserra par les épaules de ses mains puissantes. Le baiser devint plus fougueux, et Keera sentit qu'il était temps d'y mettre fin.


Elle se dégagea de l'étreinte du seigneur de Hurlevent, puis plongea son regard dans le sien. Varian savait que Keera n'était pas prête à aller plus loin. S'il ne voulait pas qu'elle lui échappe, il devait respecter le mur qu'elle avait érigé autour de son cœur. Tout comme il l'avait fait lui-même avant de la rencontrer.

Tous deux échangèrent un regard empli de tendresse, puis Varian la laissa disparaître dans l'obscurité du corridor, en priant la Lumière qu'elle lui revienne en un seul morceau.


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