La voix de l'ombre - Livre II : Le destin du monde
Chapitre 19 : Renaître de ses cendres.
L'environnement changea en une fraction de seconde. Cependant, Hermand ne put dire où ils se trouvaient. Ils étaient entourés d'arbres et de pavés de fleurs trop bien entretenus pour se trouver au milieu d'une forêt.
- Il nous a envoyés à Hurlevent ! s'écria Brann qui reconnaissait le jardin dans lequel ils avaient atterri.
- Rien d'étonnant, vu c'que l'dragon nous a dit sur...
- Halte là ! Qui êtes-vous ? questionna l'un des gardes qui accourut auprès d'eux.
- Je suis Brann Barbe-de-bronze, allez vite chercher votre roi ! Y'a urgence !
Le garde ne le reconnut pas, mais demanda à son collègue de prévenir le roi.
- Vous êtes apparus tout à coup, et beaucoup trop près de la salle du trône, je ne peux vous laisser sans surveillance, dit-il en reprenant une posture défensive.
- Va pour la surveillance, dit Dagor en observant les environs. J'va chercher un soigneur.
- Restez où vous êtes, ordonna le garde qui fut rejoint par deux autres soldats de Hurlevent.
- Vous voyez pas qu'elle a b'soin d'un soigneur ? lança Hermand d'une voix forte à l'encontre des gardes.
- Vous ne bougerez pas tant que nous ne recevrons pas d'ordres du roi, fit l'un d'eux qui tint sa garde à la vue de son monarque.
- Que se passe-t-il... Brann ? s'exclama Varian qui avançait à grandes enjambées, contrarié par la nouvelle d'intrus apparus dans les jardins du donjon. Par la Lumière, mais...
Le roi lança un coup d’œil derrière Brann et vit une femme amaigrie et gravement blessée dans les bras d'Hermand.
- Vite, Varian ! On doit la soigner ! dit Brann.
- Keera ? fit Varian, choqué. Gardes, faites venir un prêtre au plus vite ! ordonna Varian.
Il défit sa cape et entoura Keera précautionneusement avec l'étoffe. Hermand le laissa faire, mais ne lâchait pas son amie.
- Laissez-moi la transporter jusqu'au donjon, proposa Varian.
Hermand le dévisagea, puis baissa les yeux vers Keera. Elle avait perdu connaissance, et respirait difficilement. Varian attendait son aval, et Hermand la souleva doucement pour que le roi puisse la tenir. La tête de Keera tomba en arrière, et Varian la soutint de son bras, puis l'emmena dans le donjon.
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Une chambrée avait été préparée pour Keera, qui reposait sur un lit tandis que frère Joshua, maître des prêtres de Hurlevent, l'examinait.
Hermand et Dagor attendaient devant la pièce, assis sur des bancs de bois, pendant que Varian interrogeait Brann un peu plus loin.
- Que s'est-il passé ? Est-ce en lien avec les rapports que j'ai reçu à propos d'une puissante guerrière qui détruit tout sur son passage depuis des mois ? C'était Keera ?
- C'est c'que le Marteau du Crépuscule cherche à vous faire croire, répondit Brann. Ils ont répandu ces rumeurs pour démotiver les troupes après son succès en Uldum, Varian. Les dragons noirs la retenait prisonnière tout c'temps.
- Comment sais-tu tout cela ?
- C'est l'dragon Samaellion qui nous a tout dit, et j'pense qu'on peut l'croire aux vues des événements récents, assura Brann.
- C'est donc Aile-de-Mort qui a retenu Keera. Et il a un lien avec le Marteau du Crépuscule ?
- J'en ai peur. Et c'est pas des marrants. Aile-de-mort comptait utiliser les pouvoirs de Keera pour son compte, et lui a proposé un marché. Mais il a pas aimé qu'elle dise non, raconta Brann.
- Je n'en doute pas, fit Varian en plissant les yeux. Elle est dans un état critique. Et c'est ce dragon noir qui l'a délivrée ?
- Ouaip, un des fils d'Aile-de-Mort que j'avais rencontré à Uldum. Il accompagnait Keera, et j'le trouvais déjà bizarre. Mais il m'a contacté et m'a proposé de l'aider à cacher la princesse. Il croit qu'elle a un rôle à jouer dans l'anéantissement de l'Aspect d'la mort.
- Un dragon noir qui trahit sa propre race, son propre père ? Comment le croire ? demanda Varian. Le vol draconique noir a été touché par la corruption il y a longtemps !
- Celui-là a donné sa vie pour nous protéger et nous envoyer ici, Varian. Moi, j'le crois.
C'était une histoire incroyable. Dans la bouche d'un autre, ce récit aurait pu passer pour pure affabulation. Mais Brann Barbe-de-bronze était digne de confiance. Et l'état de Keera confirmait qu'elle n'avait pas pu se rendre d'une contrée à l'autre pour tout détruire sur son passage.
Hermand et Dagor se levèrent lorsque le frère Joshua sortit de la chambre.
- Alors ? Elle va comment ? s'enquit Hermand sans dissimuler son agitation.
- Sir ? dit Joshua.
- Tu peux parler, acquiesça Varian en désignant les nains.
- Bien, sir. La jeune femme a été sévèrement mutilée à divers endroits. Ses jambes s'arrêtent sous le genou, un de ses yeux est profondément enfoncé dans son orbite. Elle a été affamée, et dangereusement déshydratée. Son ventre présente des brûlures qui ont fait fondre plusieurs côtes, ainsi qu'une sorte de tatouage.
Le compte-rendu mettait Joshua très mal à l'aise. Pourtant habitué à la souffrance et aux blessures graves, ce qu'il venait de voir dépassait son expérience.
Il se reprit, et poursuivit :
- Votre Majesté, avec de telles blessures, une personne normale ne survivrait pas. Mais son cœur bat, et sa respiration semble s'améliorer d'elle-même.
- Tu m'étonnes ! dit Hermand. C'est pas l'genre à s'laisser mourir comme ça !
- Pardonnez-moi, mais après un tel traitement... et ses jambes...
- Ça va r'pousser, crois-moi, coupa Hermand qui tentait de masquer son inquiétude.
- Comment ça, repousser ? questionna Varian.
- Merci, mon père, fit Dagor. On s'occupe d'la suite.
- Mais, cette personne a besoin de soins quotidiens. Il faut suturer ses plaies, la nourrir progressivement, et...
- J'vais m'en charger, dit Hermand. Dis-moi juste les quantités d'nourriture, et tu peux charger une personne d'atténuer sa souffrance avec la Lumière. Pour l'reste, ça va rouler.
- Mais, enfin, sir ? protesta Joshua. Cette personne est très gravement blessée !
- Varian, j'peux te parler ?
Le roi suivit Brann au bout du couloir.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire, Brann ? Des jambes qui repoussent ?
- Oui, Keera peut faire repousser son corps, et guérir seule. Mais on va laisser Hermand s'en occuper. Il la connaît mieux que nous.
- Mais vous n'êtes pas des soigneurs, Brann. Pourquoi ne faites-vous pas confiance à ce prêtre ?
- D'après toi ? T'as entendu ce qu'est devenu l'père Bénédictus ?
- Je vois, fit Varian, la mine sombre. Tu penses qu'il faut craindre que d'autres prêtres rejoignent eux aussi le Marteau du Crépuscule ?
- Aile-de-mort, c'est pas un ennemi ordinaire. Tout c'qui touche à la princesse doit rester secret, Varian. Et pour vot' sécurité aussi. Tu sais pourquoi le dragon noir Samaellion nous a pas envoyés à Forgefer ? Il paraît que le Destructeur a des espions parmi les Sombrefer, et qu'c'est comme ça qu'il a appris pour la prophétie liée à Keera. La prophétie qui se trouve à Forgefer.
- Par la Lumière ! Je fais mettre en quarantaine les gardes qui l'ont vue, et le frère Joshua sera étroitement surveillé, promit le roi.
- Merci Varian. Tu vois, même un dragon noir savait qu'on pouvait t'faire confiance, sourit Brann.
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Keera se rétablissait dans une partie du donjon de Hurlevent qui était tenue secrète. Personne n'y avait accès, à part les personnes visées par le roi lui-même, c'est-à dire une poignée d'individus.
Hermand demeurait à ses côtés, tandis que Dagor et Brann étaient retournés à Forgefer afin de ne pas éveiller les soupçons.
L'esprit de Keera était cependant instable. Elle semblait chagrine, voire abattue, et cela nuisait à son rétablissement.
Hermand, fervent admirateur de l'optimisme à toute épreuve, déversait blague sur blague, mais ne parvint qu'à capter son regard. La princesse restait fuyante, et pouvait se murer dans un silence de plusieurs jours.
Fort inquiet, Hermand se confia au roi, qui ne savait pas plus que lui comment rendre à la princesse son humeur enjouée et son entrain habituel. Lui-même empêtré dans les affaires politiques et militaires qui incombaient au chef de l'Alliance, sans parler du Cataclysme, Varian ne pouvait gérer cette situation. Si Anduin était là …
Si seulement son fils et lui s'étaient réconciliés avant le départ du prince pour l'Exodar. Anduin s'était détourné de son père qui n'entendait pas ses suppliques ni ses besoins d'étudier la Lumière. Il avait donc suivi Velen, le prophète des draeneï, et échangeait très peu avec son père depuis son départ, plusieurs mois auparavant.
Depuis, Varian oscillait entre vague à l'âme et crises de colère qu'il dirigeait le plus souvent vers son entourage. Sa garde personnelle méritait la médaille du courage et de la patience.
Ne voyant pas bien comment aider Keera, il fit cependant l'effort de lui rendre visite. Après tout, c'était une belle journée pour la basse saison.
Varian se dirigea donc vers les appartements de la princesse, situés à l'étage en-dessous de ses propres appartements. Il toqua à la porte, et fut accueilli par Hermand qui lui lança un regard empli de gratitude.
- J'vous laisse, j'vais prendre l'air, dit le nain en quittant la pièce.
Varian entra, et vit Keera assise sur son lit. Il prit l'une des chaises disposées un peu plus loin près d'une table, puis l'installa près du lit.
La princesse avait repris des forces, mais paraissait morose. Elle avait dû subir plus que de simples dégâts physiques durant sa détention. Malgré son air absent, le roi lui sourit pudiquement.
- Comment allez-vous aujourd'hui, Keera ?
Mais la princesse ne répondit pas. Elle fixait le fond de la pièce, le regard vague. Puis, Varian remarqua qu'elle remuait les lèvres.
- Que dites-vous ? demanda-t-il en approchant son oreille.
Keera continuait de marmonner. Soudain, elle ouvrit davantage les yeux, mais fixait toujours le néant.
- Tu n'es pas venu me chercher, susurra-t-elle. Tu m'as laissée …
- Pardon ? Que dites-vous ? questionna à nouveau Varian, qui commençait à montrer des signes d'inquiétude.
- Tu m'as emmenée, Orgrim, mais tu es parti …
Sa voix s'évanouit, rendant la fin de sa phrase totalement inaudible. C'est alors que Varian comprit : elle délirait. Hermand l'avait prévenu de ses épisodes de divagation passagère. Elle semblait voir Marteau-du-destin et lui parlait. Mais même le nain ne comprenait pas tout ce qu'elle racontait. Elle paraissait mélanger certains événements qu'elle revivait par fragment.
Varian prit donc le parti de la laisser parler et de l'écouter. Mais ses égarements durèrent un moment.
- … je n'ai pas pu ... pourquoi ? Mais, … mais non, non non ....
La mâchoire de Keera commençait à se contracter. Elle serrait les dents.
- Ils t'ont … et puis tu es tombé, tu … étais si petit …
Puis, de chaudes larmes coulèrent le long de ses joues, entourant une moue désemparée. Elle leva les mains devant elle, puis les ramena vers elle, comme si elle portait un enfant dans ses bras. Elle semblait bouleversée.
- Mon tout-petit …
Keera pleura, ferma les yeux, et vacilla. Touché par sa détresse, et réalisant ce qu'il s'était passé, Varian s'assit sur le bord du lit pour l'accueillir dans ses bras et tenter d'apaiser sa souffrance. Lui-même très peu porté sur les états d'âme, il ignorait comment s'y prendre. Mais il la sentit se blottir, car ce geste semblait la réconforter. Ce devait être ce dont elle avait besoin. D'autant qu'il ne pouvait concevoir que l'on perde son enfant. Cette simple pensée, qui le hantait depuis la naissance d'Anduin, lui était si douloureuse qu'il ressentit une vague de compassion pour elle.
Ils restèrent ainsi un moment, le temps que les sanglots ne disparaissent. Après un moment, Keera s'endormit ainsi dans les bras du roi, qui l'étendit doucement sur son lit, puis quitta silencieusement la chambrée.
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Encore ébranlé par ce qu'il avait appris, Varian questionna Hermand au sujet de l'enfant. Le nain confirma que le nourrisson avait perdu la vie très peu de temps après sa naissance, dans des circonstances si tragiques et cruelles que le roi n'insista pas pour en savoir davantage.
- L'Destructeur, j'crois qu'il l'a forcée à revivre en boucl' ses pires souvenirs, expliqua Hermand, dont la grimace témoignait de sa profonde peine.
- Certains dragons noirs contrôlent l'esprit des gens, affirma le roi qui se souvenait de la dragonne noire Onyxia et de ses manipulations magiques. Et je ne doute pas qu'Aile-de-Mort use de ce genre de procédés à loisir.
- Ouais. Et revivr' ça pendant des mois, j'imagine même pas … Oh Varian, faut pas la laisser là-dedans !
L'air implorant et désespéré du nain toucha le roi, qui promit d'apporter son aide comme il le pouvait.
Durant les jours qui suivirent, Keera semblait avoir recouvré ses esprits. Loin de l'Aspect noir, ses hallucinations avaient peu à peu cessé, mais sa mine morose avait laissé place à un renfrognement constant, que même Hermand ne parvenait à dérider. Bien qu'il réussit à capter son attention en lui apportant de la lecture.
Varian décida donc de rendre visite à la princesse, et proposa à Hermand de le relayer un moment.
Lorsque le roi pénétra dans la chambre, il vit Keera, toujours assise sur le lit, un livre près d'elle. Elle tourna la tête dans sa direction, et le roi put examiner son visage, dur et fermé. Il sentit presque sa colère le toucher physiquement. Il réprima alors son envie de la houspiller, car ce qu'elle traversait était terrible.
Il la salua donc, contourna le lit, puis s'assit sur la chaise placée à côté. Keera continuait de le fixer.
- Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
- Comme hier, et comme le jour d'avant, répondit-elle.
- Vous avez repris des couleurs, dit-il maladroitement.
Keera ne répondit pas, et fixa ses mains jointes sur ses cuisses. Elle portait un pantalon fuseau qui lui arrivait sous le genou, et une chemise simple.
Toujours mal à l'aise, Varian inspira et se risqua :
- Vous avez recouvré vos jambes en très peu de temps, une capacité pour le moins surprenante.
- Oui, fit Keera. Cela surprend toujours.
Puis plus rien. Keera resta silencieuse tandis que Varian s'impatientait. Il savait qu'il devait faire preuve de patience, mais ce n'était pas la qualité prédominante de son caractère.
De plus, après un moment, le roi comprit qu'une discussion conventionnelle ne l'aiderait pas.
- Keera. Parlez-moi !
La princesse fronça les sourcils. Au moins, elle affichait une réaction.
- Vous ne pouvez pas vous morfondre éternellement ! Il faut vous reprendre !
Keera leva la tête et lui lança un regard noir.
- Vous ne pouvez pas comprendre, Varian ! Personne ne peut comprendre !
- Alors dites, expliquez-moi Keera. Je veux comprendre.
- Laissez-moi tranquille, dit-elle à voix basse.
Puis elle se détourna.
Malheureusement pour Keera, Varian n'était pas du genre à abandonner un combat.
- Tout le monde a un jour vécu des choses terribles, ou perdu un proche. Et parfois, nous ressentons le besoin de tout oublier, de tout abandonner. Mais il faut se ressaisir Keera.
- Et vous parlez en connaissance de cause Varian, rétorqua-t-elle.
- Je suis conscient de ne pas être le meilleur exemple à suivre. Mais j'essaie de lutter contre mes propres démons, pour le bien de mes proches, de mon peuple.
- Je sais, Anduin et moi en avons longuement discuté.
- Ah oui ? fit Varian, qui ne semblait pas au courant de leurs échanges. Anduin vous a parlé, vraiment …
- Oui Varian. Et je vous trouve bien présomptueux d'oser me faire la morale, alors que vous-même n'êtes pas capable de canaliser votre colère et d'écouter votre propre fils.
- Je ne nie pas mes défauts, et j'essaie d'apprendre de mes erreurs, Keera. Mais ne me jugez pas alors que vous ne savez pas ce que cela représente d'élever un enfant seul.
- Seul ? Combien avez-vous de serviteurs, de gardes, de nourrices à Hurlevent ?
- Vous m'avez bien compris, dit-il le regard mauvais.
- Ne vous plaignez pas Varian. Vous avez un fils, sain et en bonne santé, et vous n'êtes même pas capable de le choyer assez pour le garder près de vous !
- Comment pouvez-vous comprendre ce qu'un père peut ressentir, alors que votre enfant n'a pas …
Varian se tut. Il avait parlé trop vite, une fois de plus, emporté par son caractère tempétueux et colérique. Il redouta alors sa réaction.
Mais étrangement, Keera ne montrait aucune colère. Juste une profonde tristesse. Elle gardait les yeux grands ouverts de stupeur, mais ne regardait plus le souverain.
Varian ressentit alors quelque chose qu'il n'avait pas pour habitude de ressentir : la culpabilité. Il se leva alors, et s'assit à ses côtés au bord du lit.
- Keera, il y a quelques jours, vous parliez d'un enfant, dans vos songeries. De votre enfant.
- Comment ça ? J'ai parlé de ... dans mes songeries ?
- Oui. Comme Hermand vous l'a expliqué, vous avez déliré pendant plusieurs jours. Il était difficile de comprendre tout ce que vous disiez, mais vous avez évoqué votre enfant, à qui l'on aurait fait du mal. Et qui était très petit.
Elle le regarda avec incrédulité. Elle n'avait absolument aucun souvenir de tout cela. À présent en colère contre elle-même, elle se détourna à nouveau, mais Varian lui pris la main.
- Dites-moi ce qui lui est arrivé ? demanda-t-il avec douceur. En parler pourra peut-être vous aider.
Keera leva alors les yeux vers lui. Des yeux humides dont les larmes menaçaient de couler.
Elle inspira profondément, mais ne répondit pas tout de suite. Elle savait qu'en parler signifiait revivre le calvaire. Mais Varian avait raison, cela pouvait aussi représenter un exutoire.
Elle inspira à nouveau, et regarda Varian droit dans les yeux.
- Varian j'ai... c'est vrai, j'ai perdu mon enfant, il y a longtemps maintenant. Mon fils aurait quelques années de plus qu'Anduin aujourd'hui.
Le roi la regarda avec compassion.
- Comment est-ce arrivé ?
Keera soupira.
- Je … ne peux rentrer dans les détails, mais disons que ses seuls instants de vie auront été un calvaire. On ne lui a laissé aucune chance. Et je n'ai rien pu faire.
- Je suis désolé Keera. Personne ne devrait subir cela. Surtout pas une mère.
- Non, en effet. Et la vengeance n'a jamais su apaiser mon cœur.
Varian était bien placé pour savoir que la vengeance ne résolvait rien. Pendant des années, il avait entretenu une haine féroce envers les orcs qui étaient responsables de la mort de son père. Il les avait pourchassés, et avait voulu se venger de la mort de Tiffin, sa femme, morte lors d'une émeute. Mais rien de tout cela n'avait réussi à atténuer la douleur.
Après quelques instants de silence, elle reprit :
- La colère, la douleur, je connais, Varian. Perdre un être cher, perdre sa moitié, et se sentir seul, incompris, tout cela ne guérit jamais. Alors, lorsqu'une fois de plus, on vous tourmente, on vous torture, et on vous fait revivre les pires instants de votre vie, oui, on a le droit de s'abandonner.
- Mais pas d'abandonner, Keera, fit Varian avec force mais bienveillance.
Elle baissa les yeux sur la main qui retenait la sienne. Puis, elle dut se rendre à l'évidence.
- Vous n'abandonnez jamais, n'est-ce pas ? fit-elle en le fixant.
- Jamais, confirma le roi, un sourire en coin.
Elle sourit légèrement en retour, et retira sa main. Elle semblait plus apaisée. Finalement, le calme et l'assurance dont faisait preuve le roi avaient réussi à la rassurer.
Devant cette victoire, Varian ajouta :
- Je vais vous laisser vous reposer.
Le roi se leva, et se dirigea vers la porte, devant laquelle il s'immobilisa. Il pivota, et demanda :
- Puis-je venir vous rendre visite demain ?
Keera opina de la tête.
- Merci, Varian, dit-elle tandis qu'il ouvrait la porte.
Le roi salua la princesse de la tête, et sortit de sa chambre.