La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé
Chapitre 26 : Révélations.
Le sous-sol du manoir avait été soigneusement réaménagé afin de correspondre en tout point aux attentes du général Walmor : une immense pièce agrémentée d'objets voués au bien-être de ses hôtes. Surplombée de deux gigantesques croix de bois, la pièce renfermait une majestueuse Vierge de fer, ainsi que plusieurs cages en fer forgé suspendues. Des torches murales éclairaient timidement la salle, tandis que Walmor entra, suivi de ses prisonniers enchaînés.
- Bien, dit Walmor en pivotant vers ses invités. Attachez l'orc à cette croix de bois, et suspendez les mains de la fille à ces deux anneaux, qu'ils puissent se faire face, déclara-t-il sur un ton sadique.
Ses hommes s'exécutèrent, puis quittèrent la pièce.
Uniquement vêtu d'un pagne, Orgrim présentait déjà quelques contusions laissées en guise de bienvenue. Solidement attaché aux poutres de bois, il toisait Walmor qui s'approchait lentement de la princesse, elle aussi fermement suspendue par les poignets.
- On dirait bien que la promenade s'arrête là pour vous, mes tourtereaux, déclara l'homme avec entrain. Quel dommage que ce pauvre Hath soit reparti dans sa misérable mansarde. Remarque, il n'aurait pas apprécié le spectacle, lui et ses principes, pensa-t-il tout haut.
Keera le fixait avec rancœur, ce qu'apparemment Walmor prit pour de l'affection :
- Allons, ma belle, notre ancien compagnon est à présent rassuré de te savoir en vie, la rassura-t-il en humant une mèche de ses cheveux. Hum... de tels effluves floraux ont dû provoquer tes plus bas instincts, hein, monstre ?
Orgrim dévisagea l'humain, un peu trop proche de sa compagne à son goût.
Walmor sortit sa dague et passa sa lame le long de la jambe de Keera. Il commença ensuite à lacérer son pantalon, pour atteindre la jambe qu'il griffa de sa dague. La princesse ne gémit pas, et Walmor dût enfoncer davantage la dague pour pouvoir admirer une jolie mimique douloureuse sur son beau visage à présent déformé par la douleur. Il entrouvrit ensuite la plaie pour y enfoncer son doigt et sentir la chair à vif. Keera eut un mouvement de recul pour répondre à la douleur.
- Ça, c'est pour le coup de dague dans la cuisse lors de notre première rencontre, énonça Walmor. J'aime quand chaque coup est rendu, se délecta-t-il.
Tandis que le général poursuivait son exploration, et dénuda le ventre de la princesse, Orgrim montrait les crocs, et maudissait l'homme en langue orque.
- Eh bien, je vois que ton corps a déjà connu de belles journées, assura Walmor tandis qu'il examinait les cicatrices qui recouvraient le corps de la jeune femme.
- Tout ce que tu lui infligeras, je te le rendrai au centuple, déclara l'orc, hors de lui.
- Oh, s'exclama Walmor qui savourait ces moments. Mais, et si ce que je compte lui infliger lui procure du plaisir et non de la souffrance, m'en voudras-tu, orc ? lui demanda-t-il.
Sans attendre de réponse, Walmor arracha la cotte de la princesse, dévoilant son torse dénudé. L'orc grogna en direction de Walmor, et retroussa ses babines encore davantage.
Amusé, Walmor tourna autour de Keera, se positionna derrière, et glissa ses mains sur son ventre nu.
- Une peau si douce, comment résister ? sourit-il en fixant l'orc pour jauger son expression.
Lentement, le général remonta ses mains et attrapa sa poitrine, le visage enfoui dans son cou. Keera eut un geste de dégoût, son visage marqué d'un rictus, lorsqu'elle sentit dans le bas de son dos l'excitation de l'homme serré contre elle, et qui commençait à descendre une main vers son pantalon. Orgrim tira sur ses chaînes, impuissant.
La grimace de l'orc se transforma soudain en une sorte de sourire hideux. Walmor fut déstabilisé une seconde.
- Si tu crois qu'il est si facile de la contenter, tente donc ta chance, humain, déclara l'orc, répondant au sourire de sa compagne.
- Que, qu'est-ce que...
Une vive douleur lui piqua le lobe de l'oreille. La garce ! Il s'était trop approché, et elle avait attrapé son oreille avec ses dents !
Tentant de se défaire, Walmor tira doucement tandis que Keera assura sa prise et tirait également dans l'autre sens.
- Vas-tu me lâcher, sale garce ! s'écria l'humain dont l'oreille saignait sérieusement.
Il leva la main pour la frapper, mais elle tira si fort qu'elle lui arracha le lobe, et une partie de l'oreille vint avec.
- Arf ! cria-t-il, tout en reculant, la main pressant ce qu'il restait de son oreille.
Du sang dégoulinant de sa bouche, Keera recracha le morceau d'oreille arraché, et proclama :
- Tu peux nous battre, tu peux nous torturer, tu peux nous insulter, je te promets que nous nous relèverons. Et alors, toi aussi tu connaîtras le sens du mot souffrance, finit-elle, le sourire élargi.
Enorgueilli par les paroles de sa femelle, Orgrim regarda l'humain et se lécha les babines dans un rictus sinistre.
Hors de lui, tremblant de rage, Walmor les fixait, totalement médusé. Aucun des deux ne le craignait. Au mieux, ils le considéraient assez pour lui faire payer ce qu'il s'apprêtait à leur faire. Bien, qu 'il en soit ainsi.
Un rire dément l'envahit, qui résonna dans toute la pièce. Il rit au point de cambrer sa tête en arrière, dévoilant son oreille ensanglantée.
- Parfait, c'est parfait, dit-il, achevant de rire. J'ai enfin trouvé des proies à ma mesure, quel délice !
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Quelle débandade ! Il était pourtant à deux doigts de retrouver sa protégée, cette jeune princesse qu'il considérait comme la fille qu'il n'avait jamais eu. Et à présent, il l'avait laissé entre les mains de Walmor. Pire encore, c'est lui qui lui avait donné les informations dont il avait eu besoin pour l'attraper ! Accablé par les remords, il ne s'était pas assez méfié, et lui avait même révélé les capacités hors normes de la jeune femme, qu'elles soient physiques ou bien magiques.
Avachi sur son fauteuil, près de la cheminée, Hath était hanté par ce dernier regard que la princesse lui avait lancé, et ce qu'elle lui avait dit : « Comment avez-vous pu ? ». Il l'avait déçue. La seule personne qui ne l'avait jamais jugé pour ce qu'il était, si tant est qu'elle eut un jour connaissance de son passé. Il le voyait, que ce soit dans les yeux de ses soldats, des domestiques du château, ou même de sa défunte mère, il l'avait lu dans leur regard, cette honte, et surtout ce mépris. Walmor avait sali sa réputation à jamais, utilisant ses penchants pour les autres hommes pour le séduire et le manipuler, puis arriver à ses fins. Tout ce qu'il avait pu entreprendre durant sa carrière militaire avait été teinté de cette trace indélébile.
Et, une fois de plus, Walmor avait réussi à le manipuler pour parvenir à ses fins.
À présent fatigué, Hath se perdit dans ses souvenirs. Il se souvenait encore de sa première rencontre avec la princesse, vêtue de loques, sale, et farouche. Elle arborait deux grands yeux dorés et vifs, et ne se laissait pas toucher facilement. Au début, seule la sage Neva pouvait l'approcher, puis, ce fut la nourrice qui s'en occupa.
Très vite, ses talents naturels pour le combat intéressèrent Perenolde qui lui fit passer toute sorte d'épreuves visant à évaluer ses capacités. Après qu'elle eut enfoncé un mur de bois de son petit poing fermé, le roi d'Alterac s'était mis en tête de l'éduquer comme un soldat. Il projetait alors de l'utiliser contre les royaumes voisins, mais, à mesure qu'elle grandissait, la jeune Keera nourrissait une hostilité grandissante pour ce père dénué de principes et d'honneur.
Peu à peu, elle s'était émancipée de son emprise, ce qui effraya le roi qui lui interdit formellement les entraînements martiaux, de peur de perdre son contrôle. Cependant, devant son insistance, Perenolde finit par céder à son besoin de combattre, et la laissa aux mains de Hath qu'il savait modéré, dans l'espoir que peut-être, un jour, elle rentrerait dans le rang et lui obéirait.
Perenolde avait été furieux lorsque Hath avait présenté la princesse au roi de Stromgarde, Thoras Trollemort, à qui il reprochait la petitesse de son royaume. « Autant lui présenter mes projets de conquête » avait-il dit à Hath dans un excès de fureur.
Ce qu'il avait été difficile d’œuvrer pour un tel roi. À présent, il était peut-être temps de dresser un bilan de ses actions, hauts-faits, et échecs qui garnissaient son parcours militaire et surtout personnel. Depuis la fin de la Seconde Guerre, il avait plus ou moins pris sa retraite, bien qu'encore assez jeune pour un soldat.
À présent, il était las. Si las.
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Encore épuisé par sa séance, Walmor prit un peu de repos après s'être baigné et avoir bandé son oreille blessée. Installé dans son fauteuil cabriolet rouge pourpre, dans un coin de ses quartiers, l'homme se trouvait très fortuné. Fortuné de compter de tels prisonniers en son sein, sur qui il pouvait exercer ses talents et assouvir ses pires désirs sadiques ; fortuné d'avoir appris de ce naïf de Hath les aptitudes particulières de la princesse Keera, informations grâce auxquelles il avait pu enfin mettre la main dessus ; fortuné d'être à présent débarrassé de cet imbécile de Garithos et de ses bévues.
Ah oui, à présent il pouvait se délecter de son succès. Il garderait l'orc encore quelques jours, puis lui couperait la langue pour qu'il ne révèle pas qu'il retenait encore la princesse d'Alterac ici. Il trouverait bien une parade pour que le roi le croie.
Perdu dans ses pensées, il songeait à ce qui lui avait procuré le plus de satisfaction : la capture de Marteau-du-destin, la mine déprimée de Hath, ou bien la complicité d'Aliden ?
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Au sous-sol, le calme régnait. Ces moments d'accalmie permettaient à Keera de soigner les blessures les plus profondes, comme elle en était capable, en se concentrant sur la plaie.
Orgrim avait été bien amoché, Walmor l'avait frappé au visage à l'aide d'une barre de fer jusqu'à ce que l'une de ses dents cède. Mais Keera pouvait la faire repousser.
Elle avait tenté d'entrer en contact avec un élément vivant qui pourrait les aider à s'échapper, mais rien n'était moins mort entre ces murs.
Tandis qu'elle ressoudait deux couches d'épiderme de la jambe de son compagnon, que l'humain avait délicatement arraché, Orgrim lui dit :
- Ces geôles sont glaciales, et tu es presque nue, s'inquiéta-t-il.
- Le froid conserve les cellules, Walmor a pensé à tout, nota-t-elle pour lui répondre.
- Si tu le peux, échappe-toi sans te retourner, déclara Orgrim. Ne t'occupe pas de moi, le roi me veut vivant, lui rappela-t-il. Il ne me tuera pas.
- Et je ne partirai pas sans toi, tu perds ton temps à essayer de me convaincre, le gronda-t-elle, l'air sérieux. Repose-toi plutôt !
La porte claqua, et Walmor pénétra dans la pièce de son pas assuré. Il portait une chemise blanche sortant de son pantalon de cuir marron, sa dague toujours accrochée à sa ceinture.
- Ah, mes amis ! dit l'humain plein d'entrain. Je ne pense pas vous avoir manqué, avoua-t-il l'air contrit. Et je ne pensais pas non plus avoir soigné ces blessures, dit-il en touchant la jambe de l'orc. Enfin, Hath m'avait prévenu de tes talents de guérisseuse, princesse, dit-il en lui lançant un sourire enjôleur.
Estomaquée, Keera tentait de dissimuler son étonnement. Comment avait-il pu arracher à Hath une telle information ? L'avait-il torturé ?
En fait, de ce qu'elle en avait vu, Hath devait vouloir collaborer avec Walmor pour capturer Orgrim, et lui avait alors confié ses secrets. Pourtant, elle avait toujours eu confiance en lui.
- Tu te demandes pourquoi Hath t'a trahi, ma belle, hein ? Je vois, consentit Walmor, je pense que ça mérite quelques explications en effet.
Walmor se dirigea vers une grande table de bois sur laquelle traînait un grand nombre d'instruments. Ses jouets, comme il les appelait. Puis, il prit le tabouret situé devant la table, le posa entre ses deux prisonniers, et s'y assit.
- Donc, à mon retour ici, j'ai relu certains rapports, qui dataient quelque peu d'ailleurs. Bref, je suis tombé sur un témoignage des plus troublants : la présence de loups géants en Alterac.
Orgrim et Keera écoutaient. Walmor reprit :
- A l'époque, j'avais occulté cette information, sans grand intérêt. Mais, après réflexion, j'ai fait le lien : qui dit loups géants dit présence d'orcs. Et où se rendent les personnes blessées ou en fuite ? Ils retournent à la maison, conclut Walmor. Puis votre griffon qui rentre, le plumage enneigé et grelottant de froid. Tout concordait parfaitement ! J'ai réfléchi, réfléchi encore, et puis j'ai pensé : tiens, qui vit encore dans ce bled paumé ?
Keera crut comprendre.
- Eh oui, le jeune Perenolde fils, que je tenais déjà au chantage, admit Walmor. Je lui ai donc proposé un marché : il me livrait Marteau-du-destin, ou en tout cas il m'indiquait sa position, car il ne manque pas d'espions le bougre, et je traçais un trait sur ses agissements. Et le gaillard n'a pas hésité une seconde à vendre sa sœur, c'est de famille ! s'amusa-t-il. Ma pauvre, dit-il en observant Keera, qui ne t'a pas trahie au moins une fois dans cette famille de fous ?
Orgrim grogna : il s'en voulait à présent de ne pas avoir occis l'humain, aussi traître que le père, quand il en avait eu l'occasion.
- Mais revenons-en à ce bon vieux Hath, qui a bu mes paroles, avec méfiance, au début, je l'admets. Mais quand il s'agissait de sauver sa précieuse Keera, en tout cas présenté sous cet angle, il a fini par collaborer. Il a même accepté de mener l'attaque contre le monstre qui l'avait enlevée, dit-il fièrement.
Quel homme atroce, pensa Keera. Alors Hath ne l'avait pas trahie. Il pensait juste devoir la sauver. Elle s'en voulait à présent d'avoir pu l'imaginer une seconde.
Pour conclure son histoire, Walmor se leva :
- Je tenais désormais les informations nécessaires à votre capture, mes amis : la maîtrise des éléments naturels de la princesse et ses dons de guérison, couplés à une force rare, votre position, et je convoquais un groupe de mages capables de t'arrêter, ma belle, énonça-t-il. Ils ont également servi à neutraliser le géant vert qui t'accompagne, mes avant-bras se souviennent encore de son coup, dit-il pour flatter l'orc.
Walmor vit le visage de Keera se détendre. Il ajouta :
- Et oui, c'est là toute la beauté de cette histoire. Même les êtres aimés sont trahis par ceux qui les aiment. Ainsi va la vie. Ceux qui choisissent d'aimer finissent toujours par en souffrir.
- Donc, tu as choisi une vie sans amour, creuse et vide, en déduit la princesse. Ainsi, personne ne peut t'atteindre.
- Oui, c'est presque ça, acquiesça le général, heureux de découvrir une personne qui le comprend, il y en a si peu. Et puisque je ne me repose jamais sur mes acquis, je ne suis pas pris au dépourvu, ajouta-t-il comme pour les prévenir d'événements à venir.
Après un moment de silence, durant lequel Walmor rangea le tabouret, l'humain reprit :
- Bon, reprenons là où nous nous sommes arrêtés tout-à l'heure, dit-il d'un ton sérieux. Mais, oh ma pauvre, tu frissonnes, je suis désolé.
Walmor s'avança vers Keera qui le regardait d'un œil mauvais. Il posa une main sur son dos pour évaluer la température du corps.
- Oui, en effet, tu as froid, décela-t-il. Bon, je vais remédier à cela.
Il s'éloigna et attrapa un fouet de cuir qui était accroché au mur.
- Là, je pense que ça va te réchauffer, lui assura-t-il tout en déployant la longue lanière de cuir. Voyons si ta couenne est plus épaisse que celle de ton cher époux.