La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé
Chapitre 5 : Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.
1475 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 03/02/2024 11:06
Chapitre 5 : Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.
- Mille pardon, votre Majesté, mais je trouve cela inacceptable !
Le général Hath, qui rentrait de mission après avoir reçu l'ordre de maintenir ses soldats à distance de la Horde qui traversait les montagnes, venait d'apprendre le marché qu'avait passé le roi Perenolde avec la Horde. Il se trouvait dans la salle des cartes, et y avait rejoint le roi sans même y être convié.
- Que vous trouviez cela inacceptable ou non, cela m'importe peu, répondit sèchement Perenolde. J'estime avoir fait le choix qui s'imposait alors que la Horde se massait à nos portes.
Le Général maugréa. Il connaissait son roi et la lâcheté dont il savait faire preuve à l'occasion pour servir ses propres intérêts. Mais de là à proposer une de ses filles à ces monstres comme garantie...
- Votre Majesté, insista Hath. C'est une chose de conspirer pour sauver une population du massacre, mais c'en est une autre de sacrifier un de ses enfants...
- Elle n'est pas votre enfant, coupa le roi. Et ne vous prétendez pas plus paternel que moi sous prétexte que vous avez passé du temps à l'entraîner, et ce malgré mes réserves à la voir se battre, ajoute-t-il.
Hath tentait de contenir sa colère. Le roi Perenolde savait de quoi il était question : l'affection que le général portait à la jeune princesse qui avait toujours tenté par tous les moyens de se distinguer de ce père égoïste et dédaigneux.
Le roi continua :
- Et qu'y puis-je si Keera a plu à leur chef, dit le roi comme pour justifier le fait d'avoir volontairement céder la jeune fille au chef des orcs. S'il voit en elle quelque vertu, grand bien lui fasse !
Quelle honte, pensa Hath. Une telle bassesse lui ressemblait bien, après tout. Il essayait de se disculper, une fois de plus.
À peine plus calme, le général continua :
- Mais l'Alliance...
- Est bien loin de nos frontières, coupa à nouveau le roi. Ce bon roi Terenas a-t-il seulement envisagé de nous envoyer un surplus de troupe dans l'éventualité d'une attaque ? demanda-t-il éhontément. Où était-elle cette Alliance quand la Horde s'agglutinait devant nos murs ?
Le général ne dit rien. Il était vrai qu'Alterac aurait pu opposer une défense farouche aux orcs, un temps. Mais la Horde aurait évidemment finit par passer les murs et leurs défenses. Cette vérité était bien amère.
Le roi reprit :
- Ah oui, cette guerre nous aurait tous anéantis. Alors, plutôt que de sacrifier tout un peuple, oui, général, j'ai offert d'épouser une de mes filles au chef de ces sauvages. Et je ne regrette absolument rien, ajouta-t-il tout en tournant les talons.
Il était notoire que Perenolde n'était pas plus attaché à ses filles que cela. Il s'était davantage intéressé à l'éducation de son fils, le prince Aliden, son héritier. De plus, la princesse Keera n'étant que sa fille adoptive, qui n'avait eu de cesse de lui renvoyer ses faiblesses à la figure, elle ne devait pas représenter une grande perte à ses yeux.
Quel gâchis, pensa-t-il.
Devant la mine déconfite de son officier, Perenolde s'amusa :
- Oh, ne vous inquiétez donc pas pour elle. Vous la connaissez, elle aura vite fait de défier ces bêtes hideuses à la première occasion.
- Ce à quoi ils répondront par la force, se permit le général, ce qui raviva sa colère et son indignation. Et je n'ai jamais lu aucun rapport d'une bataille durant laquelle ils auraient fait montre d'indulgence, ajouta-t-il.
Cela aussi, le roi le savait bien. Mais qu'y pouvait-il. Il devait assurer sa sécurité, et celle de son peuple.
- Il suffit, veuillez vous charger de l'approvisionnement en cours avec le fermier Dandred, lança le roi.
Hath salua froidement le roi, puis tourna les talons et quitta la salle des cartes.
- Pfff, émit le roi tout en donnant un coup dans la chaise située à sa gauche. À qui croit-il s'adresser !
Furibond, le roi donna un coup sur la table. Après tout, ses officiers lui devaient le respect. Et ce quelques soient ses décisions. Ils avaient prêté allégeance, par la Lumière !
Après quelques minutes, un soldat vint au rapport :
- Quelles nouvelles m'apportes-tu, demanda le roi avec lassitude, tout en tombant au fond d'un siège de bois.
- Les orcs attaquent les mages stationnés au pied de la montagne, vers la ferme de Dandred, informa le soldat messager.
Cette information était très intéressante. Il avait omis la présence toute proche de Dalaran, et de ses mages qui pouvaient accessoirement informer l'Archimage Antonidas de ses accords avec la Horde.
Il invita le messager à poursuivre par un geste de la main.
- Sur quatre camps, il n'en reste plus aucun. Les orcs semblent assurer leurs arrières en cas de repli.
En effet, le Chef de guerre se montrait très prudent. Cela lui avait échappé jusqu'alors, mais il semblait que cet orc faisait preuve d'une grande intelligence, pour une bête sauvage. À la vérité, il s'en été aperçu sans même y avoir prêté attention. Le chef orc pouvait se montrer très perspicace en réalité, de ce qu'il avait pu en juger lors de sa venue en Alterac. Se pourrait-il qu'il gagne cette guerre, finalement ? Cela était fort probable.
Fort de cette conclusion, le roi prit une décision :
- Bien, convoque Marland, et vite, ordonna-t-il.
Le messager sortit aussitôt de la pièce après s'être incliné devant le roi.
Il fallut à peine quelques minutes à l'agent secret Marland pour apparaître par un mur caché de la salle des cartes. Grand et élancé, il présentait une longue cicatrice qui lui zébrait le visage. Il se déplaçait aussi silencieusement qu'un chat, et avait toute la confiance de son maître.
- Ah, Marland, fit le roi d'un air réjoui. J'ai besoin de mercenaires pour une tâche de la plus haute importance, continua-t-il.
- Votre Majesté n'a qu'à ordonner, s'inclina l'agent secret.
- Bien, les temps sont à la méfiance, c'est pourquoi tous les sorciers et mages postés, ou même juste vagabondant de part et d'autre du royaume doivent disparaître. C'est un ordre, rappela le roi.
Il savait son agent totalement dépourvu de scrupules, aussi sa réponse ne l'étonna pas le moins du monde :
- Ce sera fait, et ce sera bien fait, assura Marland, le regard vicieux.
- Fais vite, le temps presse, insista le roi.
L'agent secret sortit aussi silencieusement qu'il n'était entré, puis disparut.
Le roi s’enorgueillissait de pouvoir compter sur de tels agents, parfaitement obéissants du moment que l'or coulait à flot. Si tout pouvait toujours être si simple, il n'aurait pas à souffrir d'officiers à l'honnêteté malavisée, et tout à fait inappropriée en temps de guerre.
Que pouvaient-ils donc savoir du poids des responsabilités qui incombaient à un roi ?
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Dans ses appartements, tout à ses affaires, Perenolde se tenant bien droit et fier devant un miroir psyché, disposé dans l'angle de la pièce. Vêtu d'un nouvel habit, il aimait l'image qui se reflétait. Le rapport de Marland lui était rapidement parvenu : tous les mages qui s'étaient trouvés sur les terres alteraciennes avaient été éliminés. Voilà qui allait ravir le Chef de guerre orc, pensa-t-il. Au lever du jour, il fera envoyer un oiseau messager au chef des orcs afin de lui faire savoir qu'il n'a plus à s'inquiéter de la présence de sorciers dans les parages. Il renouvellera sa promesse de coopération et demandera à ce que le message soit brûlé.
Car, lorsque le chef orc aura gagné la guerre, il lui proposera un pacte officiel et revendiquera ensuite les terres de Lordaeron, desquelles il deviendrait le protecteur.
Installé sur le trône, il sera roi d'un royaume bien plus vaste, comme il en rêve depuis toujours.
Il contempla alors sa chambre, une pièce assez spacieuse et dont les murs étaient ornés de tapis luxueux. Ses draps de satin comptaient un certain nombre de conquêtes, volontaires ou non d'ailleurs, mais toutes avaient dû se montrer honorées envers leur roi.
Plus que quelques jours avant la chute de Lordaeron, puis des armées de l'Alliance, dont il n'avait de toute façon jamais cautionné la formation. Ainsi, il assurait ses propres arrières tout en ne laissant aucune trace de sa traîtrise. Car le général Hath avait raison, il s'agissait bien de conspiration. Et ce sont toujours ceux qui prenaient l'initiative qui l'emportaient.