Jungle et Pirates: La Vie d'Un Marchand À Baie-Du-Butin

Chapitre 9

3137 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/03/2023 19:15

Le contremaître Cozzle, comme d’habitude, était serein et de bonne humeur. Il les accompagna jusqu’à son bureau.


-       Vous êtes en forme ? demanda-t-il. Vous avez bien mangé ce matin pour prendre des forces ?


-       Non, justement, répondit Mauzzag, il n’y avait rien à manger dans la petite salle commune de notre baraquement. D’habitude, il y a toujours quelques petits trucs, mais là rien.


-       Pas de problème, un petit-déjeuner vous attend dans mon bureau. Krus Kiskuss devrait bientôt arriver.


Tous deux se jetèrent sur la nourriture et les godets de nectar sucré. Après avoir tout fini, Otilia fit quelques mouvements d’échauffement avec ses dagues. Mais elle se sentit vite fatiguée. Une douleur au ventre apparut, et sa vue se brouilla. Elle essaya de regarder Mauzzag ; il n’avait guère l’air mieux. Puis elle s’évanouit.


Elle se réveilla une heure plus tard. Elle et Mauzzag étaient dehors, près de l’embarcadère, pieds et poings liés, tenus tous les deux par la pince géante d’un déchiqueteur de la Kapitalrisk. En face d’eux, un petit bateau était en train de s’amarrer à l’appontement principal. Krus Kiskuss en descendit, accompagné de neuf gardes du corps et trois ingénieurs gobelins.


-       Ah, quel bonheur de te voir, cher Krus ! s’exclama le contremaître Cozzle. Comment se porte le Cartel ?


-       Comme d’habitude, comme d’habitude. Montre-moi les stocks.


-       Ils sont juste ici, sur le dock principal. Prêts à être embarqués. Tout est là, tes ingénieurs peuvent aller vérifier. Quatre grues démontables, deux vannes en métal pour l’écluse du canal portuaire, et neuf tonnes de matériaux de bois pour la construction de la nouvelle cale de lancement du chantier naval.


Krus fit signe aux trois seuls gobelins non armés de sa suite, qui s’empressèrent de sortir leurs listes et leurs feuilles de calculs pour inspecter la marchandise.


-       Quand est-ce que le convoi maritime partira de chez vous pour la livraison ? demanda Krus.


-       Si tes ingénieurs valident la marchandise, dès demain. Sept bateaux seront mobilisés. Nous serons dans les temps, comme d’habitude.


-       J’espère bien. Tu connais les pénalités de retard. Ah, et au fait, l’entrepôt principal du chantier naval est plein. J’ai fait construire récemment un nouvel entrepôt en ville, voici l’adresse. La marchandise devra être livrée là.


Il sortit un papier et le tendit au contremaître.


-       Pas de problème. Allons, ne parlons pas que du travail ! Viens, cher Krus, j’ai une surprise pour toi. Tu me connais, à chaque fois qu’on se voit pour négocier, je t’offre un petit cadeau.


Cozzle le conduisit jusqu’à Mauzzag et Otilia.


-       Et voilà ! C’est pour toi !


-       Qui est-ce ? demanda Krus, qui ne reconnaissait pas les deux malheureux.


-       Des gens qui complotaient contre toi. Gwizz les a entendus à la taverne du Loup de Mer il y a deux semaines. Il s’est dit que c’était peut-être de vieux ennemis à toi que tu cherchais depuis un moment. Et si tu ne les connais pas, ils font peut-être partie d’un nouveau complot fomenté par l’un de tes concurrents au Cartel, auquel cas tu as tout intérêt à les interroger le plus vite possible. Bref, fais-en ce que tu veux, ils sont à toi.


-       Hum, intéressant… Hé, mais attends, je la connais, elle ! Je reconnais son oreille coupée. C’est l’elfe que j’ai livrée aux pirates. Tu es encore en vie ? Tu as réussi à échapper à l’Amiral Firallon ? Quel incapable, celui-là ! Et il se prétend le pirate le plus réputé des mers… Vous savez qu’il a peur des dauphins ?


Krus Kiskuss s’esclaffa. Le contremaître Cozzle voulut accompagner son client et se força à rire à gorge déployée.


-       Peur des dauphins… répéta Krus. Vous vous rendez compte ? Un marin qui a peur des dauphins… Comme c’est ridicule... Bon, voyons voir cette elfe.


Il attrapa Otilia par les cheveux et tira pour relever son visage. Elle lui cracha dessus.


-       Va au diable, face de truie ! siffla-t-elle.


Krus Kiskuss essuya le crachat qui avait atterri sur son front, et sortit un couteau.


-       Ah, tu le prends comme ça ? Bon, donne-moi ton oreille. On ne t’en avait coupé qu’un petit bout, on a été gentils. Je vais corriger ça.


Il saisit l’oreille coupée d’Otilia, et en trancha une bonne moitié. Elle hurla de douleur.


-       Voilà, se félicita Krus. Ah, comme j’aime mutiler mes prisonniers ! Ils sont là, attachés, sans pouvoir se défendre, c’est si facile… J’ai fait beaucoup de choses amusantes dans ma vie, j’ai assassiné des rivaux, ruiné des commerçants, fait couper la main d’un tire-poche qui avait essayé de voler ma bourse, j’ai même fait jeter quelqu’un en prison pendant un an pour ne pas avoir dit bonjour. Mais la bonne vieille torture, c’est sans hésitation ce qu’il y a de plus divertissant.


À cet instant, une flèche sortit de nulle part, fendit les airs et vint se nicher dans la poitrine d’un des gardes du corps de Krus. Tout le monde sursauta. Puis un cri se fit entendre au niveau de la lisière de la forêt :


-       Mort à la Kapitalrisk ! En avant, druides, dévastons ce chantier !


-       Malheur, s’écria le contremaître Cozzle, des druides nous attaquent ! Tous aux armes ! Déchiqueteurs, en position !


Tout le monde se précipita vers l’autre bout du chantier. Les bûcherons de la Kaptalrisk saisirent leurs haches. Des elfes de la nuit jaillirent par dizaines de la jungle. Certains se transformèrent en ours puis se ruèrent sauvagement sur les ouvriers de la Kapitalrisk en assénant des coups de griffes destructeurs. Quand l’un d’eux était blessé, un autre druide positionné en retrait se dépêchait d’appliquer un sort de guérison pour qu’il puisse continuer le combat.


Les déchiqueteurs avançaient lentement, mais ils finirent par arriver pour se joindre aux combats. Ils firent de gros dégâts, et les druides durent reculer. Mais ces-derniers ne tardèrent pas à riposter. Ils quittèrent leur forme d’ours et se transformèrent en panthères. Rapides et agiles, ils se jetèrent sur les déchiqueteurs en esquivant les pinces et les scies circulaires et attaquèrent les pilotes.


Pendant ce temps, Krus Kiskuss se dépêcha de remonter à bord de son bateau avec son équipage. Ils larguèrent les amarres et s’éloignèrent. Mauzzag et Otilia se retrouvèrent seuls, attachés. Un druide les repéra, s’approcha d’eux, sortit un couteau et trancha leurs liens.


Otilia le reconnut tout de suite. Il s’agissait d’un elfe connu et respecté qui appartenait au Cercle cénarien, cette assemblée de druides qui parcourait le monde pour défendre la faune et la flore. C’était le célèbre Druifite.


-       Vous êtes libres, dit-il. Ah, mais qu’est-il arrivé à votre oreille ? La cruauté de ces brutes de la Kapitalrisk m’étonnera toujours…


-       Il se trouve que ce n’est pas eux qui ont fait cela, mais un membre du Cartel Gentepression, indiqua Otilia, qui oubliait presque la douleur tant elle était ravie de parler à une telle sommité.


-       Ah oui, c’est ceux qui dirigent Baie-Du-Butin et Gadgetzan. De belles ordures, eux-aussi.


Druifite approcha sa main de l’oreille d’Otilia, effectua un mouvement élégant et de la lumière verte s’échappa de ses doigts. La blessure d’Otilia se referma complètement. Mais son oreille n’avait malheureusement pas repoussé.


-       Je vous laisse, dit alors Druifite, je retourne me battre.


Otilia voulut le suivre, mais Mauzzag lui fit remarquer que le bateau de Krus Kiskuss venait juste de partir, et qu’ils pouvaient peut-être le rattraper. Ils se jetèrent dans une petite embarcation à voile, une chaloupe à un mât. Mauzzag ramassa au passage une feuille de papier qui traînait par terre ; c’était l’adresse du nouvel atelier de Krus. Le contremaître Cozzle l’avait fait tomber dans la précipitation. Otilia largua les amarres et prit la barre..


Le lac Nazfériti était assez calme, mais en arrivant sur le fleuve, il fallut éviter de nombreux rochers et îlots. Otilia virait de bord de manière assez maladroite, mais elle parvint à contourner les obstacles. Elle heurta de temps en temps les bords du fleuve, mais comme ils étaient faits de terre et d’herbes hautes, cela n’abîma pas la coque.


Ils arrivèrent à l’embouchure du fleuve et quittèrent le continent. La mer s’étendait tout autour d’eux, mais le bateau de Krus Kiskuss était toujours hors de vue.


-       Tu sais par où c’est, Baie-Du-Butin ? demanda Mauzzag.


-       Oui, c’est au Sud. Je vais virer à bâbord.


-       Le vent est contre nous. On ne pourra pas avancer.


-       Bien sûr que si. Il y a une méthode simple pour naviguer contre le vent, il suffit de louvoyer. Prends la barre et regarde.


Mauzzag, admiratif, la regarda incliner la voile d’un côté et de l’autre, poussant l’embarcation de bâbord en tribord, mais toujours vers l’avant. Il ne connaissait rien à la navigation, et s’imaginait tout naturellement qu’un bateau à voile ne pouvait avancer qu’avec le vent dans le dos. Cela lui paraissait logique. Voir Otilia réussir à avancer contre le vent le laissait bouche-bée.


-       Dis-donc, remarqua-t-il, pour quelqu’un qui déteste la mer et les bateaux, tu te débrouilles sacrément bien !


-       J’ai tout appris dans les livres. J’ai grandi avec les romans de Meldazor l’Explorateur. Ah, j’en ai passé des journées, assise au fond du jardin, à dévorer ses romans ! Ces histoires de marins et de pirates, de corsaires et de batailles navales, d’équipages intrépides qui traversent les mers et les océans, affrontent les tempêtes et les typhons… En plus d’être passionnants, ses récits sont de vrais manuels de navigation.


-       Tout de même, la théorie ne suffit pas. Pour être capable de faire ce que tu fais, il faut s’entraîner.


-       Je suis une guerrière et une aventurière. J’ai bien dû prendre le bateau pour voyager partout dans le monde. Je te rappelle que je suis allée jusqu’en Outreterre, j’ai tué des démons dans la Péninsule des Flammes Infernales. Alors oui, il m’est arrivé par-ci par-là de manipuler de petits bateaux. Mais rien n’y fait, j’ai le mal de mer. J’ai été obligée d’arrêter. Puisque la mer ne m’aime pas, qu’elle aille donc se faire voir.


-       Tu n’as pas l’air très malade, là tout-de-suite…


Otilia ne répondit pas. Mauzzag avait raison. Elle ne ressentait aucune nausée, et ne s’en était même pas rendu compte. C’était comme si son corps, obnubilé par sa rage vengeresse à l’égard de Krus Kiskuss, avait oublié d’avoir le mal de mer. La dernière fois que cela s’était produit, c’était le soir où elle avait échappé aux pirates.


Elle regarda autour d’elle. Pour la première fois, elle pouvait profiter du paysage. Sans la douleur qui étreignait habituellement son ventre, sans cette nausée insupportable qui tordait ses boyaux et lui coupait la respiration, tout était différent. La houle et les vagues ne la faisaient plus souffrir, et ce petit mouvement de balancement lui fut même plutôt agréable. Elle ferma les yeux, respira l’air marin en se laissant bercer par le cri des mouettes, et l’espace d’un instant, elle se sentit apaisée.


Mais ce fut de courte durée. Le vent se leva. Les vagues se firent plus fortes et le courant les emporta vers le large. Otilia eu beau tirer sur la voile dans tous les sens, pousser la barre dans toutes les directions, souquer, faire contrepoids et tenter de louvoyer, rien n’y fit. L’embarcation s’éloignait inexorablement de la côte.


-       Voilà pourquoi je déteste la mer ! cria-t-elle. Ah, comment ai-je pu croire un seul instant qu’elle pouvait être autre chose qu’une sale traîtresse infâme ? Qu’elle soit maudite !


Elle donna un coup de pied rageur sur l’unique mât de l’embarcation, puis d’effondra. Mauzzag remarqua alors une forme à l’horizon. Il discerna assez vite la silhouette d’un bateau marchand. Il ne connaissait peut-être rien à la navigation, mais il avait tant fréquenté le port de marchandises qu’il était capable de reconnaître en un instant un navire de la flotte commerciale de Baie-Du-Butin.


Le bateau allait dans leur direction. Ils se levèrent et firent de grands gestes. La plupart de l’équipage était occupée à ranger les marchandises dans la cale, et il n’y avait personne à l’avant du pont. Finalement, ils furent repérés par un gabier qui travaillait sur la voilure depuis la hune, cette petite plateforme circulaire en bois fixée en hauteur sur le mât.


Le gabier se dépêcha de descendre en s’accrochant aux cordages et alla prévenir son capitaine. Le bateau appareilla pour se rapprocher d’eux et leur jeta une corde. Mauzzag et Otilia se retrouvèrent rapidement sur le pont.


Le gabier qui les avait repérés depuis la hune les accueillit.


-       Bienvenue à vous ! Le capitaine est occupé au gouvernail, il viendra vous parler plus tard. Vous avez eu de la chance, je vous ai vus juste avant qu’on vire de bord. Si je n’avais pas repéré cette grosse tache sur la voile, je ne serais pas monté sur la hune pour l’inspecter, et vous seriez encore sur votre embarcation.


-       On ne vous remerciera jamais assez, dit Mauzzag. Je suis commerçant à Baie-Du-Butin, peut-être que je vous recroiserai un jour en allant m’approvisionner au port !


-       Peut-être… Venez, je vous fais visiter. Ah, quelle journée ! C’est mon premier voyage au sein de l’équipage, et voilà que je sauve déjà deux personnes en mer ! On dirait que tous mes rêves se réalisent.


Il leur montra chaque recoin du pont, le centre, les mâts, la proue à l’avant et la poupe à l’arrière. Puis il franchit une écoutille et emprunta un escalier vers la cale.


-        Il y a encore un mois, je n’officiais que sur de tout petits bateaux de pêche, continua-t-il. Des chaloupes, des morutiers, des chasse-marées… Et je suis désormais gabier sur un grand trois mâts. Dix-huit nœuds, quatre-cent tonneaux… Je suis fier d’y être matelot.


La cale était remplie de cageots, tonneaux, futailles et boucauts de toutes les tailles. Otilia remarqua quelque chose qui bougeait : des cages à animaux étaient calées contre le mur. Différents types de rongeurs s’y reposaient.


-       Qu’allez-vous faire de cela ? demanda-t-elle.


-       Nous allons les vendre comme animaux de compagnie. Cela fait fureur en ce moment, les gens se pressent à l’hôtel des ventes de Baie-Du-Butin pour les acheter ! Savez-vous que c’est le seul hôtel des ventes au monde où l’on trouve à la fois des clients de la Horde et de l’Alliance ?


-       Je vois qu’il y a des lapins, nota Mauzzag. Je croyais que les marins n’emmenaient jamais de lapin à bord. Je croyais que cela portait malheur.


-       Allons, dit le gabier en riant, soyons sérieux ! Ce n’est qu’une superstition sans intérêt. Avoir des lapins à bord ne porte pas malheur. Nous les avons embarqués lors de notre escale au port de Menethil, et pour l’instant rien ne nous est arrivé. Vous voyez, il ne faut pas…


Il fut interrompu par des bruits de pas violents. Quelqu’un arriva précipitamment dans la cale, le visage blême.


-       Cachez-vous dans les tonneaux ! cria-t-il. On a repéré un bateau de la Voile Sanglante ! Il fonce droit sur nous ! Pirates en vue !


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