Un monde brisé
Peu de temps après l'attaque de Hurlevent par la Légion, Sonulia était tombée par hasard sur une troupe de la Horde de passage menée par un Réprouvé qui ne lui était pas inconnu : le démoniste Morpsev Corbeau-Noir. C'était lui qui avait repéré la jeune elfe de sang dans les Maleterres et c'était en grande partie grâce à lui qu'elle avait pu intégrer les Réprouvés malgré leur mépris pour les vivants et suivre une formation d'assassin auprès des nécrotraqueurs. Elle en ignorait cependant les raisons d'un tel acte de générosité à son égard, Morpsev étant réputé parmi les siens comme étant l'un des plus cruels d'entre eux. Peut-être il y avait-il encore une once de bonté en lui ?...
Toujours était-il que les deux s'étaient perdus de vue depuis quand Morpsev fut contacté par un mystérieuse femme qui l'avait envoyé sur les terres de l'Alliance pour récolter les âmes de quelques aventuriers.
Et voilà qu'ils se retrouvaient aux alentours de Hurlevent assiégé par les démons, que Sonulia tentait de fuir tandis que Morpsev et ses compagnons de la Horde avait initialement prévu de "rendre une petite visite au royaume des humains" quand le mort-vivant, apprenant le retour de la Légion, décida d'emmener sa troupe à la Porte des Ténèbres pour une inspection. Et ce au grand désarroi du guerrier orc de la troupe, un certain Brotar, qui jubilait à l'idée de faire couler le sang d'humain.
Morpsev avait d'ailleurs proposer à la jeune elfe de sang de se joindre à sa troupe. Celle-ci avait refusé dans un premier temps, préférant travailler seul, en toute discrétion et ne se sentant pas apprécié par les autres membres de la Horde, en particulier l'orc et les deux trolls. De plus, elle avait encore une chose à régler suite à son fiasco quant à l'infiltration de Hurlevent. Mais elle changea d'avis quand l'Alliance mobilisa ses troupes pour la Porte des Ténèbres en réponse aux attaques des démons et vit que sa nouvelle cible était présent parmi les troupes. De ce fait, il allait être plus difficile de l'atteindre sans risques.
Ces dernières années, elle avait fait ses preuves contre un culte de nécromanciens dans les catacombes de Caer Darrow (rebaptisées Scholomance), à la Croisade Écarlate dans la ville fortifié d'Âtreval, à des hommes-loups infestant la Forêt de Pins Argentés, ainsi que d'une organisation criminelle composée d'humains, le Syndicat, sévissant depuis les montagnes d'Alterac, au sud du royaume de Lordaeron. Et malgré ça, il serait très imprudent pour elle de se frotter de se frotter aux troupes de l'Alliance, beaucoup plus nombreuses et mieux organisés. Ses aptitudes de voleuse, de bretteuse et d'assassins étaient très limitées.
Elle rejoignit donc Morpsev et sa bande dans les Terres Foudroyés et les suivit à travers la Porte des Ténèbres quand la Légion lança un nouvel assaut.
Passée de l'autre côté et la Légion dispersée suite à la chute du démon Kazzak, Sonulia avait de nouveau localisé sa cible. Manque de pot pour elle, il n'était pas seul et avait tout une troupe de l'Alliance pour le couvrir.
Pour ne rien arranger, elle avait également repéré un autre elfe de sang qu'elle connaissait que trop bien et qu'elle ne tenait pas à revoir. Elle avait dû rester à distance et se dissimuler derrière un rocher en la présence de son congénère, pendant que Morpsev proposait à la Horde et à l'Alliance de faire une trêve le temps défaire à nouveau la Légion Ardente.
Puis, quand les deux camps commencèrent à se disperser, elle vit Brotar prendre à part l'elfe de sang et le bolosser tout en lui faisant ouvertement part de son mépris vis à vis de sa race. À la vue de cette scène, le sang de la jeune elfe ne fit qu'un tour.
Elle attendit sagement le retour de Brotar à Thrallmar, un campement orc désert et récemment réinvesti par la Horde en tant qu'avant-poste et rebaptisé ainsi en l'hommage du chef de guerre, en la personne d'un certain orc nommé Nazgrel et dirigeant les opérations contre la Légion.
Morpsev étant en train de s'entretenir avec le dénommé Nazgrel, le tauren en pleine retrouvailles avec son grand-père et les deux trolls occupés à soigner et nourrir leur raptor de compagnie, Sonulia ne pouvait rêver mieux pour prendre l'orc à part sans être gênée.
Elle l'attendait sagement dans le dortoir et aussitôt Brotar entré sans se douter de quoi que ce soit, elle se jeta sur lui, lui flanqua un coup de pied dans l'entrejambe ce qui eut pour effet de mettre l'orc à genoux dans un couinement incroyablement aigu pour un type de son gabarit. Une fois à terre et en train de se masser les roubignoles, elle lui glissa une lame sous la gorge.
— Alors comme ça, tu détestes les elfes ? lui dit-elle menaçante. Saches que je ne porte pas non plus ta race dans mon cœur et ça ne m'enchante pas plus que toi que nous partagions un même étendard. Mais bon, au vu des circonstances, il faudra faire avec. Seulement, une petite chose, je te surprend à nouveau en train de martyriser un de mes congénères et je te castre.
— Tu crois me faire peur avec ton cure-dent ? la nargua Brotar vindicatif. Tu n'en serais jamais capable ! Tu n'es qu'une elfette chétive et malingre !
— Dit-il après s'être pris une raclée par cette même elfette malingre et sur le point d'être saigné comme un porc ! nargua à son tour Sonulia en appuyant davantage sa dague contre la gorge de l'orc. Tu ne me fais pas peur non plus, tête de crapaud. J'en ai maté de plus costaud que toi et ce n'est pas qu'une façon de parler !
— Tu mens ! s'énerva l'orc. Les elfes sont faibles, c'est bien connu ! Les orcs sont invincibles !
— C'est ça, continue à te bercer d'illusions ! lui rétorqua l'elfe de sang.
C'était typique des orcs ! Trop imbu d'eux même et de leur force pour se faire à l'idée qu'ils puissent être battu par quelqu'un d'une plus faible constitutions que la leur. Pour eux, seul la force brute comptait. C'en était pathétique.
—Ho là ! Que se passe-t-il ?
C'était la voix de Morpsev qui revenait à l'instant de son entrevue avec Nazgrel (et suivi par ce dernier reconnaissable à son masque de loup), mettant ainsi un terme à la confrontation.
— C'est cette catin, elle m'a agressé ! se défendit Brotar.
— Je lui apprenait simplement les bonnes manières, se défendit à son tour Sonulia en relâchant son étreinte.
— Vous croyez vraiment que c'est le moment de vous chamailler ? les gronda Nazgrel. Nous sommes en guerre contre la Légion, en plein territoire ennemi et nous venons d'accorder une trêve avec l'Alliance dans l'espoir de survivre dans cette enfer. On ne s'en sortira jamais si même dans notre propre camp nous nous battant comme des murlocs affamés.
— Je vous prie de m'excuser, chef, dit aussitôt la jeune elfe de sang. Je vous promets que cela ne se reproduira plus.
— Et t'as intérêt, p'tite traînée ! la menaça Brotar. Car un de ses jours, je te faisais payer pour cette affront...
— Cela vaut aussi pour vous, Brotar ! l'interrompit Nazgrel. Notre survie face à la Légion dépend notre union. Nous n'avons ni le temps ni le luxe de nous livrer à nos querelles intestines. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Oui, chef...
— Bien... Rassemblez vos hommes ! l'ordonna Nazgrel. Nous allons nous occuper du problème de la Gangr'Horde d'ici peu.
Les deux orcs prirent la direction de la caserne.
Sonulia fut sur le point de leur emboîter quand elle fut interceptée par Morpsev.
— Un instant, ma chère enfant ! lui dit-il. J'aimerai m'entretenir cinq minutes avec toi en privé.
— Et pour le conseil de guerre ? demanda Sonulia perplexe.
— Tu n'as pas à t'en faire ! la rassura le mort-vivant. J'ai un autre travail pour toi, pendant que nous nous occupons de la Gangr'Horde.
— Et de quel genre de travail s'agit-il ? demanda l'elfe de sang soupçonneuse.
— C'est pile dans tes cordes... Et j'ai de fortes raisons de penser que tu n'es pas venu ici pour te frotter à la Légion Ardente.
— Et pourtant, vu qu'ils sont à l'origine de la chute de mon peuple, ce ne serait pas faute de leur rendre la monnaie de leur pièce.
— Certes, nous avons tous été victimes de la malfaisance des démons et nous en portons encore les séquelles, dit le mort-vivant en contemplant ses mains putrides. Seulement, j'ai beau te savoir téméraire et habile, Sonu...
— NOM DE CODE ! l'interrompit vivement la jeune elfe de sang. Nom de code !
— Autant pour moi, répondit Morpsev d'un air faussement désolé. Je disais donc que je te savais téméraire et habile, "Belette", mais pas assez pour t'attaquer aux démons. Non non non, tu es ici pour autre chose, je me trompe ? Quelque chose de plus facile à abattre.
— Très bien ! soupira Sonulia exaspéré. J'ai fais une mauvaise rencontre en m'infiltrant dans Hurlevent et ça ne s'est pas passé comme je l'aurai souhaité. Pire, je me suis sentie humiliée et rabaissée a l'issue de cette rencontre et par conséquent, je suis venue jusqu'ici dans l'espoir de me laver de cet affront.
— Oui, je vois ce que c'est... Cette rencontre, il s'agissait du paladin humain blessé, n'est-ce pas ?
— On ne peut rien vous cacher décidément ! Seulement, avec cette trêve et cette croisade contre la Légion, me voilà les mains liées !
— Pourquoi donc ? Qu'est ce qui t'en empêche ?
— Je suis peut-être téméraire, comme vous dîtes mais pas inconsciente. Pas au point de déclencher une guerre alors qu'on en a déjà une sur les bras. Et Nazgrel l'a dit à l'instant, ce n'est pas le moment de nous laisser aller à nos vengeances personnelles quitte à compromettre nos chances de vaincre la Légion. De plus, j'ai déjà vu ce que ça donnait de raviver des tensions entre deux factions supposés combattre un ennemi commun. Et on ne peut pas dire que ça a été une réussite.
— Mais tu sais... "Belette", en temps de guerre comme ici, il n'est pas rare que dans le chaos et la confusion, quelqu'un se fasse tuer sans pour autant qu'on sache l'identité de l'agresseur.
— Vous ne voulez pas dire...?
— Tu auras juste à te servir au mieux de tes talents de voleuse et de tueuse, à prendre soin de ne laisser aucune marque de ton passage et évidemment, à éviter de te faire prendre si possible.
— Vous n'êtes pas sérieux !
— Que t'arrive-t'il, mon enfant ? Je pensais que tu haïssais l'Alliance...
— C'est le cas ! Je leur en veux toujours pour la manière dont ils ont traité mon peuple quand ils avaient plus que jamais besoin de leur aide. Et rien ne me ferait plus plaisir que d'assassiner moi même ceux qui ont juré à l'éradication de mon peuple pour une faute qu'ils refusent d'assumer, les égorger comme les porcs qu'ils sont. Mais au vu des circonstances... Peut-être serait-il plus avisé d'attendre que la Légion soit vaincue avant de passer à l'acte...
— Tu me déçois beaucoup, "Belette" ! Je t'ai vue plus audacieuse et moins récalcitrante quand tu t'en prenais à ce butor de Brotar.
— Mais au fait, pourquoi tenez-vous à ce que je l'élimine ce bon à rien en armure ? Vous avez aussi une dent contre lui ? Vous lui devez de l'argent ?
— Comment espères-tu devenir une tueuse professionnelle si tu perds ton temps à poser des question plutôt que de t'exécuter ?
— Justement ! C'est une chose de s'en prendre à quelqu'un à qui on a un compte personnelle à régler, c'en est une autre de tuer à l'aveugle pour le compte d'une tierce personne. Si vous tenez réellement à ce que j'élimine ce bon à rien, j'aimerais d'abord connaître vos raisons. Histoire d'être sûre que vous ne vous servez pas de moi..
— Si tu veux tout savoir, ce n'est pas tant ce bon à rien qui me pose problème mais bien son entourage qui pourrait nuire à mes projets !
— Ah d'accord, ce n'est même pas lui la cible à abattre mais tout un groupe de personne ! Ça fait gros quand même ! Et encore une fois, ça ne risque pas de compromettre nos chances de vaincre la Légion...
— Je me charge de la Légion Ardente, tu t'occupes de mes ennemis, compris ? Pour ta gouverne, je tiens autant à venir à bout de cette maudite Légion qu'à me débarrasser de quelques gêneurs potentiels.
— Ha ! Je comprends mieux maintenant ! Et donc, vous engagez une tierce personne pour faire le sale boulot à votre place histoire de garder les mains propres, quelqu'un dont les intérêts servent les vôtres et à qui faire porter le chapeau en cas de pépin. Ouais, ça aussi j'ai connu il y a cinq ans...
— N'essaie pas de jouer au plus maligne avec moi. N'oublie pas que c'est grâce à moi que t'es encore en vie aujourd'hui. Et je pourrai te faire vivre un enfer s'il te vient à l'envie de le mettre des bâtons dans les roues.
— Je vous rappelle que nous y sommes déjà, en enfer. Et rien de ce que vous pourrez m'infliger ne sera pire que ce que les humains m'ont fait subir durant la captivité.
— Tu crois ça ? Tu te dis orpheline mais j'ai de bonnes raisons de penser que tu as encore de la famille quelque part. Ou du moins une vieille relation qui ne serait pas très ravie d'apprendre ce que tu es devenue aujourd'hui.
— Qu... Comment...? D'où...?
— J'ai de très bon informateurs dans le Néant Distordu d'où j'appelle mes serviteurs. Et qui savent se passer le mot.
— Si... Si je fais ce que vous me demandez, vous me promettez de ne pas mêler mes... vieilles relations à tout ça ?
— Je savais bien qu'on trouverait un accord, chère enfant !
Ainsi Sonulia serra la main putride de Morpsev en signe d'accord, tout en cachant sa gêne concernant la requête du mort-vivant.
"Fais ton boulot et je m'assurerai personnellement à ce que tout nos problèmes soient résolus !" tel furent ses mots quand il mit fin à l'entretien.
Et dire qu'elle avait fait tout ce chemin dans le but d'être suffisamment prise au sérieux pour qu'on lui confiât ce genre de mission, voilà qu'elle commençât à le regretter.
Comment allait-elle faire pour mener à bien sa mission ?