Un monde brisé

Chapitre 5 : En route pour les Royaumes de l'Est

2441 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/04/2021 11:24

Aussi pratique était le voyage en mer, ce n'était pas le mode de transport que Gahahli appréciait le plus. Elle trouvait ses voyages monotones à moins qu'un banc de dauphins, de baleines ou qu'une tortue de mer géante fît son apparition pour la distraire, elle n'appréciait pas le contact avec l'eau de mer, l'air marin lui faisait tourner la tête à long terme, la nourriture se composait principalement de poisson et elle se sentait nauséeuse dès lors que la mer commençait à s'agiter. Fort heureusement, elle n'en était pas à son premier voyage maritime et elle commençait doucement à s'y accoutumer.

Elle ne pouvait pas en dire autant de Baelbo ou d'Ouladre qui étaient encore plus sensibles qu'elle au mal de mer, sans même que la mer fût agitée.

D'autant que cela faisait partie de l'aventure, un mode de vie dans lequel elle avait décidé de s'y plonger corps et âme et où il fallait mettre son confort personnel de côté.

Et puis elle préférait ça au Tram de Profondeurs... qu'elle redoutait déjà car tant que le port de Hurlevent n'était pas rénové, elle et sa troupe allaient devoir inévitablement emprunter pour se rendre à la cité des humains.


La troupe — comprenant Fyrvas qui ne voyait plus l'intérêt de rester à Darnassus maintenant qu'il avait été évincé du Cercle Cénarien et voulait garder un œil sur sa fille — fit escale à la cité-état Theramore, le principal bastion des humains sur Kalimdor, afin de présenter le peuple draeneï en la personne d'Ouladre à sa dirigeante et fondatrice, Jaina Portvaillant. Cette dernière, ayant également participé à la Bataille du Mont Hyjal et étant dès lors entrée en bon terme avec la prêtresse Tyrande, était plutôt ouverte à l'idée d'intégrer ce peuple d'un autre monde au sein de l'Alliance tant qu'ils luttaient ensemble contre un ennemi commun, à savoir la Légion Ardente. Tout comme Tyrande, elle saisissait l'importance de mettre ses différends de côté et d'accepter l'aide de n'importe qui, aussi insolite fût-elle, surtout face à un ennemi comme la Légion. Et pour cause, elle et ses concitoyens avaient pratiquement tout perdu et dû fuir leur foyer quand la Légion avait commencé son invasion cinq ans plus tôt.

Malheureusement, comme son homologue elfe de la nuit, elle ne pouvait décider à elle-seule de l'intégration des draeneïs, il fallait pour cela l'aval des autres dirigeants de l'Alliance et pouvait seulement donner le sien.

C'était déjà ça.


Le trajet pour se rendre de Teldrassil à Theramore était relativement court et aisé, ils avaient à juste à contourner Kalimdor par le nord et resté à distance des territoires occupés par la Horde. Pour ce rendre aux Royaumes de l'Est, ils devaient traverser la Grande Mer, autrement dit tout un océan, éviter certaines îles hostiles (car occupées par des gobelins, des trolls ou des humains hostiles à l'Alliance) et surtout le Maelstrom situé à mi-chemin entre les deux continents et qui était assez large pour engloutir une cité.

Et le voyage pouvait prendre une semaine avec un vent favorable.

La troupe avait donc intérêt à avoir l'estomac solide.


Une nuit, alors que presque toute la troupe était endormie, Gahahli profita du calme de la mer pour prendre un peu l'air sur le pont, en compagnie de son Sabre-de-Nuit. Leur cabine sentaient un peu le renfermé et elle n'aimait pas se sentir à l'étroit, en particulier quand ils étaient plusieurs à se partager la cabine. En plus, ces compagnons de chambre étaient au moins trois à ronfler.

En tant qu'elfe de la nuit, elle était encore très sensible à la lumière du jour ainsi qu'à sa chaleur et c'est pourquoi elle continuait de préférer la douceur et la fraîcheur de la nuit.

À l'exception d'un matelot qui maintenait la barre, le pont était désert. Idéal pour Gahahli qui avait besoin d'espace.

Le ciel était parfaitement dégagé. Ainsi elle pouvait contempler les deux Lunes — la Dame Blanche, la plus large qui était associée à sa déesse Elune, et l'Enfant Bleu. Et puis il y avait les innombrables étoiles qui selon les légendes elfiques seraient les esprits des elfes choisis par Elune pour leur vaillance afin de chevaucher à ses côtés à travers le ciel et ainsi veiller sur les vivants. Tout en grattant distraitement la tête de son "partenaire" à fourrure, la jeune elfe aux cheveux bleus se demandait si sa mère était parmi eux et quelle étoile pouvait-elle être si c'était le cas.

Et si un jour il lui arrivait quelque chose de grave, qu'elle ne s'en tirait pas, est-ce qu'elle aura été assez vaillante pour rejoindre Elune ainsi que ses ancêtres ?

...

Mais pourquoi se posait-elle ce genre de question, au juste ?

Elle avait pour philosophie de vivre au jour le jour, de profiter de l'instant présent, sans se soucier du lendemain qui de toute façon était impossible à prédire — et sur ce point, elle en savait quelque chose. Si elle devait se soucier d'être assez digne de rejoindre ses ancêtres, et bien ce ne serait pas avant le moment venu et le plus tard possible. Ainsi, elle aurait toute sa vie pour prouver sa vaillance.

Elle chassa cette idée saugrenue de la tête et reporta son intention sur la mer, à la recherche de quelques créatures marines. Elle se souvint lors de son premier voyages pour les royaumes de l'Est avoir aperçu au loin une tortue de mer tellement gigantesque que si sa tête reptilienne n'avait émergé de l'eau, on aurait dit une île qui se déplaçait d'elle-même. C'était un soir identique à celle-ci et elle avait été la seule suffisamment attentif pour apercevoir ladite tortue. Avec un peu de chance, peut-être la reverrait-elle.

L'eau était étonnamment calme, si bien que la lueur des deux lunes se reflétaient parfaitement à la surface et qu'on oublierait la présence du Maelstrom à quelques lieues plus au nord.

Pas l'ombre d'une tortue ou d'une île en mouvement à l'horizon. Seulement une épaisse masse de brume qui se dessinait au loin, plus au sud. Qu'est-ce que ces brumes pouvaient bien dissimuler ? Le bout du monde, peut-être ?

Une brise vint gonfler les voiles et fit virevolter les longs cheveux bleus de l'elfe qui lui chatouillèrent la nuque et la joue. Une sensation plutôt agréable et qui l'amusait même, comme si le vent venait la taquiner tout en lui permettant d'atteindre plus rapidement sa destination.

Peut-être était-ce l'esprit de sa mère qui s'était réincarnée en vent pour lui offrir un coup de pouce ? Ce serait bien son genre !

Finalement, le voyage en mer est plutôt agréable une fois qu'on s'y est habitué. Et tant que la mer n'est pas déchaîné.


Gahahli entendit quelqu'un monté sur le pont et venir dans sa direction.

C'était Harrina, la magicienne humaine aux cheveux auburns.

— Toi aussi t'arrivait pas à fermer l'œil à cause des ronflements ? lui demanda-t-elle indiscrète. Tu ne vois pas d'inconvénients à ce que je me joigne à toi ?

N'y voyant aucune objection, la jeune elfe accepta poliment sa compagnie. Pourtant, et elle n'osait l'avouer ouvertement, la présence d'Harrina le mettait un peu mal à l'aise.

Cela n'avait rien avoir avec la magicienne en elle-même. Elle était plutôt agréable, facile à vivre et depuis que Fyrvas avait fait sa connaissance, Gahahli sentait que son père s'était adouci étrangement. Même Baelbo qui l'avait connu à Dalaran avant l'invasion de la Légion Ardente et qui en avait gardait le souvenir d'une femme froide et distante, ils n'ont jamais été en meilleurs termes depuis leur retrouvailles, selon les dires du gnome.

Non, ce qui posait problème à la jeune elfe vis-à-vis de l'humaine aux cheveux auburns, c'était son père auquel Gahahli et ses compagnons d'infortunes avaient eu le malheur de se confronter dans les Bois de la Pénombre. Pour cause, c'était un mort-vivant Réprouvé doublé d'un démoniste et lors de leur précédente confrontation, il avait tenté d'aspirer leurs âmes à elle et ses compagnons, après s'être brièvement associé à un nécromancien qui les avaient tous dupé. Déjà que Gahahli avait les démons en horreur, elle haïssait tout autant les morts-vivants, déjà considérés en soi comme des aberrations aux yeux de ses congénères, et ceux qui usaient de la magie démoniaque à leurs fins. Et ce mort-vivant démoniste était à lui-seul l'incarnation de tout ce qu'elle et son peuple détestaient. Elle avait peut-être su le mettre en déroute avec l'aide de ses compagnons mais elle avait néanmoins eu un aperçu de sa puissance ainsi que de sa malveillance. Et l'idée qu'un tel être pût encore être en liberté quelque part dans les Royaumes de l'Est (ou peut-être même ailleurs) inquiétait fortement la jeune elfe.

Toutefois, elle n'osait évoquer ce sorcier mort-vivant en la présence d'Harrina de peur de la froisser ou de l'importuner. Après tout, comment réagirait-elle si on lui informait ou qu'on lui rappelait qu'un de ses proches était devenu la nouvelle incarnation du Mal ? Si elle était assimilée à l'être le plus maléfique sur Azeroth ?

— Au fait... Gahahli... depuis le temps que je... qu'on m'a parlé de toi... on a pas eu l'occasion d'apprendre à se connaître, tenta d'aborder Harrina tout en cherchant ses mots.

À l'entendre, la magicienne ne semblait pas plus à l'aise que la jeune elfe aux cheveux bleus. Cette dernière doutait toutefois que ce fût pour les mêmes raisons.

— Alors, ton premier voyage dans les Royaumes de l'Est... ça t'a plu ? lui demanda enfin la magicienne. T'as pas trop été dépaysée ?

L'elfe lui répondit d'un haussement d'épaules et d'un léger sourire pour dire qu'elle n'avait pas eu trop de problèmes de ce côté là. À part peut-être qu'elle avait dû s'accoutumer au rythme de vie diurne de ses compagnons et de ce fait, à la lumière du jour.

— Pressé d'y retourner alors ?... De retrouver d'anciens amis ?... Comme ce charmant paladin aux cheveux blond-roux ?

Cette évocation fit réagir Gahahli. Elle devait clairement faire allusion à Bartélo, le paladin de l'équipe qu'elle et ses compagnons avait créé au cours de leurs aventures.

— Charmant, lui ?

— Pourquoi, il ne l'est pas ?

— Comment dire... ? Vous avez quoi comme terme pour désigner les hommes qui accumulent les liaisons lendemain avec les femmes qu'ils séduisent ?

— Mmh... Un coureur de jupons ? Un chaud lapin ?

— Voilà, il est tout ça à la fois ! En plus, il n'a rien dans le crâne.

— Ah bah je suis désolée ! tenta de s'excuser la magicienne confuse. J'avais cru comprendre qu'il t'avait tapé dans l'œil.

— Qu... Comment savez-vous ça ? demanda l'elfe prise de court.

— Via un certain maître "Bibi", comme j'aime l'appeler, lui répondit Harrina.

Elle devait faire allusion à Baelbo. Le sale petit cafteur !

Gahahli lâcha un soupir d'exaspération avant de finalement s'expliquer :

— C'est vrai, j'ai eu un faible pour lui. Mais c'était jusqu'à ce que je comprenne que c'est un... chaud coureur de lapins, comme vous dîtes.

— Je vois, il t'a trompé.

— Qu... NON, par Elune ! s'offusqua l'elfe. Il ne s'est rien passé entre nous ! En fait, il s'est avéré que je ne l'intéresse pas ! Alors pourquoi je m'intéresserait à lui !

— Je... Je n'avais aucunement l'intention de te froisser, tenta de se justifier Harrina. Je m'en excuse. Cela dit, ça m'étonne qu'une fille comme toi n'intéresse pas un type comme lui...

— Apparement, je serais trop "insolite" à son goût ! rétorqua amèrement Gahahli.

— Mouais, c'est peut-être pas une si mauvaise chose que tu te désintéresses de lui, dit la magicienne. En tout cas, je te soutiens sur ce coup. T'es trop bien pour lui, de toutes façons !

— Vous croyez ? demanda la jeune elfe sceptique.

— Bien sûr ! Bon, je ne te connais pas aussi bien que les autres mais de ce que j'ai entendu, t'es quelqu'un d'intrépide, de déterminée, de débrouillarde, de généreuse et d'amusante. T'as tout pour plaire.

Gahahli se sentit gênée par tant d'éloges à son égard, bien qu'elle se doutait que ça ne devait pas être les mots exacts de son père qu'Harrina côtoyait tant. Le connaissant, il aurait plutôt dit d'elle inconsciente, irresponsable, impulsive et obstinée. Les mots de Baelbo, à la limite, lui qui avait tendance à en faire des tonnes quand il narrait ses exploits ou ceux de ses compagnons.

— Allez, ne t'en fais pas ! tenta de la réconforter la magicienne. Je suis sûre que tu trouveras quelqu'un qui sera digne de toi.

— Ah mais j'ai déjà quelqu'un ! répondit Gahahli en grattant à nouveau la tête de son Sabre-de-Nuit qui ronronnait de plaisir. Hein, Jakua ? Je t'ai toi !

— Ce n'est pas tout à fait ce que j'avais en tête ! dit Harrina confuse. M'enfin, je ne vais pas juger. Chacun fait ce qu'il veut.

La jeune elfe savait où la magicienne voulait en venir sans pour autant le laisser transparaître. Seulement, elle n'avait pas envie d'aborder le sujet.

Elle avait retenue deux ou trois choses de sa déception avec Bartélo. Premièrement, elle ne se laisserait plus avoir par le physique avantageux des gens. Deuxièmement, elle n'était pas encore assez mûre affectivement pour s'engager dans une relation intime avec qui que ce fût, aussi plaisante fût la personne. Et troisièmement, elle était trop fière pour renoncer à son indépendance au profit d'une telle relation. Elle se sentait beaucoup plus heureuse comme ça et elle n'en demandait pas plus. Encore moins si c'était pour être traitée comme les conquêtes du paladin.

— Bon, d'après le capitaine, on devrait débarquer au Port Menethil dans la journée si tout se passe bien, reprit Harrina avant de retourner dans sa cabine, laissant ainsi Gahahli seul avec son félin sur le pont.


Au loin, elle devina les terres des Royaumes de l'Est se dessiner à l'horizon.

Mais ce qu'elle percevait surtout depuis le bateau, c'étaient de gros nuages sombres qui recouvraient tout l'horizon. Des nuages encore plus sombres que la nuit elle-même.

Pourvu que ce ne fût pas un mauvais présage.

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