Un monde brisé

Chapitre 2 : Rencontre du troisième type

2874 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/04/2021 14:11

— Alors... c'est ici que tu as grandi ? demanda Baelbo gêné. Ça... ça devait être ravissant, à l'époque.

— Oh oui, ça l'était, lui répondit Gahahli d'une voix qui trahissait à la fois la nostalgie et l'amertume. Avant que les démons et les orcs corrompus ne viennent tout saccager.

Devant le gnome en tenue de mage et l'elfe de la nuit en tenue d'éclaireuse se tenait les vestiges de la forêt où cette dernière avait passé son enfance, une région au sud-est de la forêt d'Orneval qui fut rebaptisée les Collines Gangrefeu depuis le passage de la Légion Ardente. Bien que cette avancée de démons fut défaite cinq plus tôt, la trace de leurs passage restait indélébile. Ce fut notamment le cas pour ces collines qui transpiraient encore la corruption et la malveillance, comme si le démon qui avait mené l'assaut et pris possession de cette terre après avoir soumis les orcs à sa volonté n'était jamais parti.

La jeune elfe au cheveux bleus contemplait ce triste paysage aux arbres morts et au sol stérilisé avec tristesse, se rappelant d'à quel point cette partie de la forêt était verdoyante et prospère et surtout, là où elle avait passé sa tendre enfance. Et elle se rappelait encore du jour où les orcs et les démons étaient venus tout détruire, incendiant sa forêt, mettant à sac son village natale, massacrant sans vergogne les citoyens, et ce avant de lui enlever sa mère qui avait tout juste eu le temps de la mettre à l'abri des assaillants. Les cris, le sang, l'odeur de brûlé, les flammes qui n'avaient rien de naturel, le rire gras et guttural du démon qui avait lancé l'assaut, tout cela hantait encore les cauchemars de Gahahli qui n'était encore qu'une gamine à l'époque. Pour elle, ça avait marqué la fin de son enfance, la fin de son innocence.

Cinq ans s'étaient écoulés depuis, la jeune elfe était désormais en fin d'adolescence et approchait de l'âge adulte. Mais dans sa tête, ce jour funeste, c'était comme si c'était encore la veille. Et le simple fait que le paysage n'eût pas changé durant tout ce temps ne fit rien pour contredire cette idée.

— Et vos druides ? demanda à nouveau le gnome. Ils ne peuvent pas restaurer cette terre dévasté.

— Ça n'aurait pas été faute d'avoir essayé ! lui répondit Gahahli, elle-même fille d'un druide ayant lui aussi survécu à l'invasion des démons mais non sans quelques séquelles. Mais d'après an'da ("père" en elfique), les dégâts causés par les démons et leur magie gangrenée sont les plus difficiles à dissiper. Sans l'aide de notre demi-dieu Cénarius, nos druides peuvent seulement contenir cette magie corruptrices.

Il a fallut que les orcs l'abattent comme un vulgaire gibier ! pesta intérieurement la jeune elfe.


Depuis ce jour, Gahahli avait nourrit une profonde rancœur et une aversion vis à vis des démons et tous ceux qu'elle considérait comme les ennemis de la Nature et de ses enfants. Ce pourquoi elle s'était jurée de les traquer et les exterminer si besoin, les démons ainsi que leurs serviteurs ou simplement qui se servaient de leur magie destructrice à leur propres fins.

Seulement, ce n'était encore qu'une gamine aux yeux de ses semblables, manquant de discipline, de retenue et de prévoyance. Et même sans ça, elle restait une elfe bien menue en comparaison des autres elfes de la nuit. Tout ce qu'elle savait faire était tirer à l'arc, chasser et apprivoiser des bêtes sauvages — du moins, elle avait su apprivoiser un tigre Sabre-de-nuit au pelage noir et rayé qu'elle avait baptisé Jakua et qui dès lors la suivait comme son ombre. Celui-ci couvrait d'ailleurs les arrières de sa "partenaire" et de son ami court sur pattes.

Et puis il y avait son père, le druide Fyrvas, qui était devenu très protecteur à son égard depuis l'invasion des démons, au point de lui interdire de jouer les aventurières ou les héroïnes. Ce qui avait conduit la jeune elfe bien indisciplinée à rejoindre l'Alliance aux Royaumes de l'Est contre l'avis de son paternel car désireuse de faire ses preuves.

En chemin, elle avait fait la connaissance de Baelbo, un gnome mage reconnaissable à ses cheveux d'un bleu ciel et à sa barbe à la Souvarov, ayant également tout perdu à cause des démons — notamment son foyer, la cité des mages de Dalaran — et avec qui elle s'était liée d'amitié. Ensemble, ils s'étaient réunis des compagnons d'infortune et avaient sauvé le royaume humain de Hurlevent d'une organisation criminelle ainsi que d'une dragonne qui manipulait les politiciens dans l'ombre. Et dire que cette rencontre allait souffler sa première bougie d'anniversaire d'ici quelques semaines.


— Bon, puisqu'on est là, tu veux voir ce que les orcs ont défboiser depuis leur arrivée ? proposa Gahahli.

— Je crois que ça ira pour aujourd'hui, répondit Baelbo. Rentrons à Darnassus, tu veux bien ?

Sage décision du gnome ! Bien que la jeune elfe n'aurait pas été contre une "visite de courtoisie" à la Horde.

Seulement, depuis son retour des Royaumes de l'Est, elle avait promis à son père de se tenir à carreau en son absence, ce qui incluait de rester dans les limites de leurs territoires et de ne pas engager de combat avec l'ennemi. Car malgré les exploits héroïques de sa fille, Fyrvas n'avait pas du tout apprécié sa fugue l'an passé et avait du remuer ciel et terre pour la retrouver. Et Gahahli ne pouvait pas trop lui en vouloir, tant sa décision fut prise sur un coup de tête et que son séjour dans les Royaumes de l'Est avait été plutôt mouvementé, voire périlleux.

Récemment, son père était parti pour les îles Brume-Azur au large de la côte nord-ouest de Kalimdor, enquêté sur un météore qui s'y serait écrasé après avoir déchiré le ciel un mois plus tôt. Et en compagnie d'une mage humaine, Harrina, dont il avait fait la rencontre durant son voyage pour retrouver Gahahli — car lui aussi s'était fait quelques amis en sortant de sa cambrousse. Ce qui était d'autant plus drôle que jusque là, il ne voyait l'alliance humain-elfe de la nuit d'un très bon œil.

Il n'en demeurait pas moins que plusieurs semaines s'étaient écoulés depuis leur départ pour les îles Brume-Azur et ils pouvaient revenir d'un instant à l'autre. Et Gahahli connaissait trop bien son père, il piquerait une crise en apprenant que sa fille s'était à nouveau aventurée jusqu'au seuil des territoires ennemis.


Ils rebroussèrent donc chemin à travers la forêt luxuriante et sans âge.

À pieds, cependant. Car aucun des deux n'avaient encore le permis de vol et ne pouvaient emprunter d'hippogriffe. Baelbo pouvait les téléporter jusqu'à Darnassus avec sa magie mais c'était un sort très couteux en énergie arcanique, surtout sur une aussi longue distance, et n'en faisait usage que dans des cas d'extrême urgence. C'était une règle que le gnome mettait un point d'honneur à suivre, ne jamais abuser de sorts aussi coûteux en mana.

Il y avait bien Jakua qui pourrait servir de monture à sa "partenaire", comme s'était de coutume chez les elfes de la nuit de chevaucher des Sabres-de-nuit apprivoisés. Seulement il n'avait pas encore atteint sa taille adulte et n'était donc pas assez grand et fort pour supporter le poids de sa "partenaire", aussi menue fût-elle. Il accepta néanmoins (et devant l'insistance de la jeune elfe) de prendre le gnome sur son dos. De plus, à en juger par la taille de leur jambes respectives, Gahahli avait jugé bon de laisser sa place à Baelbo.

Et puis cela la plaisait de marcher sans se presser à travers sa forêt natale — en tout cas, ce que ni la Horde ni la Légion Ardente n'avait encore détruit. Malgré l'épanouissement que lui procuraient ces arbres millénaires et majestueux qui l'avaient vue naître et faire ses premiers pas, elle se doutait qu'ils ne seraient pas éternels. Elle l'avait appris à ses dépens durant l'invasion des démons et des orcs, qu'une parcelle de cette forêt vieille de plusieurs millénaires pouvait disparaître et être réduite en cendres en un instant. Donc autant profiter de leur présence avant le prochain assaut.

Si seulement Gahahli était assez puissante pour défendre ses terres. Si seulement elle savait faire autre chose que tirer à l'arc et dresser des félins à dents de sabres.


En sortant d'Orneval pour déboucher sur la forêt côtière de Sombrivage au nord, la jeune elfe commença à trouver le voyage de retour monotone. Se sentant d'humeur taquine (en plus de ressentir un besoin de se changer les idées), elle décida d'y ajouter un peu de piment, proposant d'un regard complice à son Sabre-de-nuit de faire la course jusqu'à Auberdine avec le gnome sur le dos. Un défi que le félin accepta aussitôt, malgré les protestations de Baelbo qui ne voulait pas dépasser la vitesse de croisière. Cela amusait l'elfe de courir après son Sabre-de-nuit, déjà bien plus rapide qu'elle avec ses quatre pattes, tout en entendant les cris et les plaintes qui se démenait comme un beau diable pour rester accrocher au félin. Fort était de constater que même avec un gnome sur son dos, le félin ne perdait pas de sa vigueur.

Arrivés à la ville portuaire d'Auberdine, tous reprirent leur souffle. Gahahli et son Sabre-de-nuit pour avoir couru durant tout le trajet, Baelbo pour son rodéo improvisé.

— Franchement... ce n'était pas drôle ! protesta de plus bel le gnome entre deux souffles. J'aurais pu... tomber et... me faire très mal.

— Et t'as pourtant tenu tout le long, lui fit remarquer l'elfe espiègle. Et pour un baptême de monte de Sabre-de-nuit, c'est très impressionnant je dois dire.

— Oh, arrête de te moquer de moi, tu veux bien ? rouspéta Baelbo.

— Et bien, on s'amuse à ce que je vois ! clama soudains une voix grave sur un ton sarcastique.


Gahahli sursauta et s'étrangla au son de cette voix qu'elle reconnaissait entre milles.

Son père, Fyrvas, se tenait devant eux, à l'entrée d'Auberdine. Un elfe de la nuit d'une taille et d'une carrure imposante, vêtue d'une robe druidique aux couleurs et motifs de la Nature, arborant une crinière de cheveux du même bleu que ceux de sa fille, les yeux couleurs ambres au regard perçant et à qui il manquait une moitié d'oreille. Tout en lui indiquait que c'était le genre d'individu à ne jamais mettre en pétard.

— On-on-on... On a juste fait une petite balade, an'da, balbutia la jeune elfe. M-m-mais on n'est pas allé très loin.

Pour toute réponse, Fyrvas émit un petit rictus, comme si l'attitude de sa fille l'amusait plus qu'autre chose.

— Aucune altercation avec une race ennemie ? demanda-t-il d'un air inquisiteur.

— Non aucune ! répondirent en chœur Gahahli et Baelbo précipitamment.

— C'est bon ! C'est l'essentiel.

— Vous... vous êtes déjà rentré des îles Brumes Azur ? demanda le gnome.

— En effet, mais nous avons raté de peu le bateau pour Teldrassil, répondit le druide. Alors en attendant qu'il revienne, Harrina et moi faisons visiter Auberdine à notre... nouvel ami.

Un nouvel ami ?

— Ma foi, ce mandu vapeur était un régal ! s'exclama une autre voix qui cette fois était inconnue aux oreilles de la jeune elfe.

— En parlant du loup, justement ! commenta Fyrvas en se retournant vers la provenance de la voix.


Gahahli et Baelbo reconnurent Harrina, une jeune humaine au cheveux auburn et vêtue d'une robe pourpre et noire, en compagnie d'un étrange individu vêtu quand à lui d'une robe au couleur éclatante et qui marchait d'une manière insolite, comme s'il sautillait à chaque pas.

Il était presque aussi grand que le druide. Sa peau était d'un bleu clair, ses yeux brillaient d'un ton également bleu, son front était surmonté de protubérances osseuses et des sortes d'appendices semblables à des tentacules sortaient et pendaient de ses tempes ainsi que de son menton telle une barbe. Une queue sortait de son postérieur et en scrutant ses pied, la jeune elfe constata qu'il avait des sabots fourchus à la place, ce qui devait expliquer sa démarche.

L'image d'un être similaire lui revint soudain à l'esprit et la figea sur place. L'être en question avait la peau plus grisâtre, n'était vêtu que de larges épaulières ainsi que d'une large collerette et avait une taille colossale. Mais tout le reste concordait, la stature, les sabots, la queue, le front protubérant, les "appendices" qui pendaient au menton. C'était pratiquement la même créature.

Il lui revenait aussitôt l'image de cet être maléfique commandant toute l'armée de démons venus ravager les terres elfiques, balayant les défenses humaines, orques et de la Nature aussi aisément que si ça avait été des mouches et grandissant en taille au fur et à mesure qu'il gravissait le Mont Hyjal et approchait de son objectif, l'Arbre-Monde Nordrassil, un arbre gigantesque et sacrée pour les elfes de la nuit, jusqu'à prendre la taille d'une montagne. Son but était de drainer l'arbre de son énergie. Ce qu'il était sur le point de le faire quand en désespoir de causes, les anciens esprits de la forêt appelés feux follets se rassemblèrent par milliers autour du seigneur démon avant de se faire eux-même exploser, détruisant le démon dans la foulée. Un acte désespérée qui avait certes mis fin à l'invasion de la Légion Ardente mais également sacrifié l'immortalité des elfes en même temps que l'Arbre-Monde.

Une rage et une haine irrépressible s'emparèrent de la jeune elfe se remémorant d'aussi tristes souvenirs.

Ni une ni deux, elle sortit son arc ainsi qu'une flèche de son carquois, l'encocha et banda l'arc en direction de l'individu à la peau bleue pris de court par ce geste, prête à l'abattre d'une flèche entre les deux yeux.

Elle sentit à ses côtés Baelbo en train de charger ses mains de boules de feu, lui rappelant que lui aussi avait eu affaire au démon auquel elle pensait et qui lui avait pris son foyer, Dalaran. Clairement le gnome partageait son ressentiment et son intention.

Alarmés, Fyrvas et Harrina se précipitèrent vers les deux compères et tentèrent de les calmer.

— Tout va bien ! Tout va bien. C'est un ami, clama Harrina. Il ne ferait pas de mal à une mouche !

— Veillez excusez l'attitude de ma fille ainsi que son compagnon, dit le druide en direction de l'homme bleu. Ils ont tendance à agir avant de réfléchir. Surtout ma fille.

— Je commence à avoir l'habitude, rétorqua sobrement l'homme bleu qui s'exprimait d'un air mondain.

— Mais an'da, protesta la jeune elfe. C'est un... c'est...

— Je sais à qui il te fait penser, l'interrompit Fyrvas tout en essayant de la rassurer. J'ai eu la même impression, la première fois. Mais je peux t'assurer qu'il n'a rien à voir avec Archimonde. Ni lui ni aucun de ses semblables.

— Parce qu'il y en a d'autres des comme lui ? s'écria Baelbo.

— Toute une communauté, en effet, affirma l'homme bleu.

— Le météore qui a déchiré le ciel il y a un mois, c'était leur vaisseau, leur expliqua la magicienne. Il s'est écrasé sur les îles Brume-Azur.

— Et je ne vous parle pas des dommage qu'a provoqué leur engin sur l'environnement, commenta le druide avec une pointe d'amertume. Il a fallu que j'invoque mes confrères pour amenuiser les dégâts.

— M-mais, qui sont ces gens ? demanda la jeune elfe perplexe qui consentit toutefois à baisser son arc.

— Permettez que je me présente, intervint enfin l'homme bleu. Je suis Ouladre, prêtre de la Lumière et je suis ce qu'on appelle un draeneï.

— Un... dranaïe ? répéta l'elfe sans savoir quand elle devait le prononcer.

— Dans ma langue natal, ça signifie "exilé", expliqua le dénommé Ouladre. Voyez-vous, contrairement à Archimonde à qui vous avez eu affaire il y a cinq ans de ce que j'ai compris, nous ne sommes pas alliés à la Légion Ardente. Et pour cela, nous avons été persécuté à travers le cosmos par les démons, ainsi que par ceux que nous appelions jadis nos frères.

— Du coup, ceux sont aussi vos ennemis ? questionna le gnome sceptique.

— En effet, mon brave petit monsieur, confirma le draeneï. Et c'est d'ailleurs ce qui m'amène ici. On m'a envoyé en tant qu'émissaire pour m'entretenir avec vos dirigeants.

— Dans quel but ? demanda la jeune elfe.

— Leur proposer une alliance, naturellement ! répondit le draeneï. D'unir nos forces contre nos ennemis communs.

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