Quai n°3

Russel venait tout juste de rentrer de chez Jamie. Il ne s'était pas trop éternisé là-bas et avait préféré rentrer juste après que Kate se soit endormie devant un dessin animé. Sur le trajet du retour, Jamie et lui avaient un peu parlé de son dernier moment avec Glen à la gare. Il avait remercier son ami de l'y avoir emmener. Après tout, il était content d'avoir pu échanger quelques mots et un baiser avant que Glen ne parte. Désormais, il avait la conscience tranquille, malgré ce vide en lui. Dès qu'il poussa la porte de son appartement, il alluma quelques lampes et mit un vinyle à tourner sur sa platine. Vu son état d'esprit, le silence ne serait pas son ami ce soir. Il avait soif. Il défit sa veste et partit dans sa cuisine se chercher une bière. En refermant la porte du petit réfrigérateur, il se rendit compte que les lettres en plastique aimantées avaient changé de place. Un sourire s'étira sur ses lèvres lorsqu'il lut "faggot". Ça, ça ne pouvait être qu'un coup de Glen. Il se releva et repartit au salon ouvrir sa fenêtre. Là, il se posta au bord pour regarder le soleil se coucher lentement tout en sirotant sa bière. Ses derniers rayons projetaient sur les nuages une palette de couleurs rose-orangées. C'était un spectacle dont Russel ne se lassait jamais. L'air était frais et les rues, plutôt calmes. Il profita de cet instant paisible pour aller chercher l'enveloppe que Glen lui avait donné. Il avait voulu être seul pour l'ouvrir. Lorsqu'il la prit entre ses mains, un sourire nostalgique apparut sur son visage. Il l'ouvrit délicatement, encore ému par ce cadeau que le jeune homme lui avait fait. Il repensa aussi à ses larmes. Glen s'était enfin laissé aller devant lui. Finalement, cette carapace qu'il s'était forgé n'était pas invincible. Et Russel avait trouvé sa faille. Malgré son départ, le jeune homme lui avait montré qu'il tenait à lui, et cela lui suffisait. Voilà ce qu'il restait de sa rencontre avec Glen : des souvenirs et une enveloppe. Il l'avait ouverte mais se laissait encore un peu de temps avant de découvrir son contenu. Qu'est ce que ça pouvait bien être ? Il avait beau réfléchir, il ne voyait pas... Il attendit quelques secondes puis sortit l'objet en question de son paquet. Celui-ci était un petit boîtier en plastique noir. Russel le tourna dans tous les sens et reconnut un enregistreur. Lorsqu'il pressa le bouton "play", la voix de Glen retentit soudain, grave et grésillante. 

"Salut Russel. Hm... Je ne sais pas si tu te souviens de ces enregistrements dont je t'avais parlé. Un de mes supers projets artistiques. En fait, ils étaient tous sur ce truc mais... je les ai effacé. Finalement, ils n'avaient pas vraiment d'importance et... ces hommes ne représentaient rien pour moi. Alors je ne savais pas quoi faire de l'enregistreur. Et j'ai pensé à toi. J'en profite juste pour te dire ce que je n'ai jamais osé te dire... J'ai toujours essayé de fuir ma vie lorsqu'elle devenait trop routinière. En permanence, je déménageais, et je laissais tout ce que j'avais construit derrière moi. Cette fois encore c'est arrivé. Mais je ne veux pas que tu penses que tu fais partie de ces choses auxquelles j'ai essayé d'échapper. Je dirais plutôt que tu fais partie de mon nouveau départ. Il ne commencera pas en Angleterre... En fait, il a déjà commencé peu après notre rencontre. C'est ce que je pense. Et ma vie avant toi n'était pas vraiment importante. C'est aussi pour ça que j'ai tout effacé... Enfin bref, j'espère que tu feras meilleur usage de cet enregistreur que moi. Ne pense pas trop à moi, et... ne change pas. Je ne sais pas si on se reverra un jour, alors je te souhaite tout le bonheur que tu mérites... Merci pour tout."

Pendant quelques secondes, le grésillement se fit entendre, mêlé à la respiration de Glen. Puis, le bouton se remit à sa place en un claquement sonore. Russel lui, avait les larmes aux yeux sous le coup de l'émotion. Jamais il ne pensait que Glen lui dirait ces choses là. Il était heureux, simplement. Finalement, leur relation leur avait appris beaucoup à tous les deux. Il n'oublierait jamais, ça c'était certain. Ses yeux se perdirent loin devant, vers le soleil qui avait maintenant presque disparu. Désormais, le mieux pour eux était de continuer leur vie, tout en gardant ces souvenirs enfouis quelque part, dans leur mémoire. Et un jour qui sait, ils se reverraient peut-être... Après tout, la vie était pleine de surprises.