L'Enfant Terrible du Rat Cornu
Chapitre 31 : Dans les griffes du Prophète Gris
8435 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 11/04/2020 11:14
Quatrième partie : émancipations
Chapitre 31 : Dans les griffes du Prophète Gris
Le printemps revenait lentement, mais sûrement, sur le Vieux Monde. L’hiver avait été plutôt doux, et la ville d’Altdorf n’avait pas eu à trop souffrir d’importantes chutes de neige. Le soleil avait percé les nuages à plusieurs reprises, et même les jours les plus froids de l’année se révélèrent plus secs et ensoleillés que d’habitude. Mais si le soleil brillait dans le ciel, une brume glacée et ténébreuse étouffait le petit cœur d’une jeune demoiselle.
Ludwig Steiner était soucieux. Il aimait sa fille Heike plus que tout au monde, il était prêt à tout pour son bien-être. Il avait déjà pris de gros risques pour éviter que le secret de son identité ne soit découvert par la populace. Or, pour la première fois, il ne savait pas quoi faire. Pendant quelques semaines, Heike, d’habitude très réservée, s’était montrée épanouie comme jamais elle n’avait été en présence du petit Skaven Blanc. C’était son premier véritable ami, et cette amitié avait très rapidement évolué en quelque chose de plus fort. Or, il était parti, était à l’autre bout du monde. Peut-être avait-il été blessé, ou pire encore. Elle essayait de ne pas y penser, mais c’était vraiment difficile.
Il lui arrivait de passer de longues soirées à contempler le ciel étoilé, par la fenêtre, sans mot dire. Son père savait très bien ce qu’elle éprouvait. Il savait aussi que ni les promenades, ni les cadeaux ne lui rendraient le sourire. Un seul être au monde était capable de faire à nouveau étinceler son minois de joie de vivre.
La jeune fille Skaven se rendait bien compte des efforts de son père, et tâchait malgré tout de faire bonne figure devant lui. Au cours d’une conversation, elle lui confia qu’elle comprenait désormais le lot des princesses des contes de fée, languissantes pendant l’attente de leur amant romantique. Elle lui avait dit, entre un sourire triste et quelques larmes amères, qu’elle regrettait désormais de vivre pour de vrai ce genre de situation, alors qu’elle l’avait fantasmé maintes fois.
Un jour, le marchand décida de lui faire une surprise.
Parmi ses relations, il comptait un artiste de théâtre à succès, un Elfe du nom de Yavandir Pâlerameau. C’était un original qui ne se promenait jamais à visage découvert – il prenait un malin plaisir à porter en permanence un masque, il en possédait toute une collection, du foulard le plus simple à l’œuvre d’art de plâtre et de velours, en passant par le loup, plus pratique pour manger. Metteur en scène très apprécié, ventriloque hors pair et jongleur plus agile qu’un singe, il connaissait bien Steiner et sa fille. En vérité, il avait fait partie de la petite équipe qui avait découvert la jeune Skaven, avec Brisingr Mainsûre. Il était aussi membre de l’ordre des Gardiens de la Vérité de Verena, au même titre que le commerçant et le prieur Romulus.
Steiner lui demanda d’organiser un spectacle en l’honneur de sa fille. Il loua le temps d’un après-midi un petit théâtre luxueux, et le comédien, accompagné de sa troupe, interpréta l’une des tragi-comédies les plus connues du célèbre dramaturge Detlef Sierck. Steiner était au premier rang, accompagné de Magdalena, qui joua le rôle d’Heike, comme à son habitude. Tout le gratin d’Altdorf assista à la pièce, qui fut un triomphe.
La véritable Heike avait été installée discrètement dans une petite loge dérobée, et fut émue aux larmes. Quand elle vit maître Pâlerameau dédier le spectacle à son attention, elle comprit très bien que malgré les apparences, il ne s’adressait pas à la servante blonde aux côtés de son père, mais bien à elle. Une fois le spectacle terminé et le public parti, le metteur en scène vint la voir dans sa loge. Elle le félicita encore et encore, et le marchand insista pour retenir l’artiste à souper. Le soir, après un plantureux repas, Steiner lui remit une bourse bien remplie. Yavandir accepta poliment le don, remercia la jeune fille pour son enthousiasme, et repartit vers de nouvelles représentations.
Cet événement fit du bien à la jeune fille-rate, et passa un peu de baume sur son cœur soupirant.
Un jour, enfin, il y eut du nouveau.
Heike était dans le parc, en train de contempler les bourgeons naissants sur les arbres de la propriété. Elle vit arriver Magdalena, celle-ci semblait plutôt nerveuse.
- Heike ! Viens vite !
- Quoi, quoi ?
- C’est ton père. Il vient de recevoir une missive !
Comprenant immédiatement de quoi il s’agissait, la jeune Skaven suivit d’un pas pressant la servante. Elle se retrouva dans le bureau de son père, un instant plus tard. Ludwig Steiner, installé derrière l’immense table de bois ouvragé, l’accueillit avec un grand sourire.
- Ah, ma fille ! Entre !
- Père, vous avez des nouvelles ?
- Un pigeon voyageur vient d’apporter un message, mon cœur. C’était de la part de Romulus ! Tiens, lis-le.
Il lui donna un petit bout de papier déplié. Elle reconnut l’écriture de son précepteur, ainsi que son sceau. Le message disait juste :
« De retour à Marienburg. Avons trouvé ce que nous cherchions. Tout va bien. Serons à Altdorf sous huitaine. »
La jeune fille posa la missive sur le bureau, et regarda son père, droit dans les yeux.
- Il… il va bien ! Il va revenir !
- Oui, mon enfant.
- C’est… merveilleux !
Quelqu’un frappa à la porte. C’était Samuel, l’intendant de la propriété. Aussitôt, Heike se jeta sur lui, et l’entraîna dans une valse endiablée avant de quitter le bureau en continuant de danser. L’Humain ventripotent fut surpris.
- Ouf ! J’arrive peut-être au mauvais moment ?
- Au contraire, mon ami. Tu vas me préparer un grand festin pour le retour de l’expédition de Lustrie. Ils seront là dans moins de huit jours. Tu sais combien ils sont, c’est sur leur contrat.
- D’accord. Euh… doit-on louer une salle ?
- Non, nous ferons ça ici. Ne t’en fais pas pour Heike. N’oublie pas que Psody est avec eux, ils pourront bien la voir, au point où ils en sont.
- D’autant plus que le capitaine Ludviksson ne vous a jamais posé de problèmes, n’est-ce pas. J’organise tout ça. Et… permettez-moi de vous dire que je suis ravi de revoir mademoiselle Heike avec le sourire.
- Nous le sommes tous, Samuel.
*
Le soir même de l’arrivée de cette heureuse nouvelle, le ciel se couvrit. La lune de Mannslieb resta dissimulée sous une épaisse couche de nuages, plongeant toute la ville d’Altdorf dans une nuit noire. Les allumeurs de lampadaires remplissaient leur office, car même si la froide saison touchait à sa fin, les lumières perçaient encore difficilement l’obscurité. Un léger vent frais sifflait dans les ruelles, et les hommes et femmes qui circulaient reboutonnaient leur chemise, rehaussaient le col de leur manteau, et hâtaient le pas jusqu’à leur logis.
Le vieux quartier d’Altdorf était le plus calme. Les personnes aisées de la capitale ne traînaient jamais dans les rues. Quand fête il y avait, c’était toujours entre les murs ou dans des lieux fermés. Les patrouilles de gardes passaient et repassaient, garantissant la tranquillité des rues.
Ludwig Steiner travaillait, assis au bureau du laboratoire installé dans l’annexe de sa propriété. Il finissait de recopier ses notes dans son grand livre. Cela faisait des semaines qu’il mettait au propre ce qu’il avait appris auprès de son jeune invité. Comme celui-ci lui avait énuméré à peu près tout ce qu’il savait sur la société des Skavens, il avait décidé de clore cette partie de son étude avec ce volume. D’ailleurs, allait-il continuer plus avant ? Peut-être qu’il était temps de passer à autre chose, à présent ? S’intéresser aux hommes-rats de cette façon était certes une expérience intéressante, mais les choses allaient peut-être pouvoir évoluer ?
Peut-être que l’expédition allait lui apporter de nouvelles questions ? Et puis, qu’allait faire Psody, une fois rentré ? Allait-il seulement rester, ou bien partir mener sa vie ailleurs ? Cette dernière pensée fit un petit pincement au cœur du marchand. Il ne pouvait pas empêcher le petit homme-rat de suivre sa destinée selon son désir et de partir vers de nouvelles aventures s’il en avait envie. Mais comment pourrait réagir sa fille dans ce cas ?
Bah ! On verra bien. Demain est un autre jour.
Satisfait, il rangea son plumier, se leva, quitta son bureau, puis franchit la porte de l’annexe qu’il ferma à clef derrière lui. Au loin, on entendait les cloches du temple du quartier. Il vit la silhouette de l’un de ses hommes de main, appuyé contre le mur.
- C’est bon, Jonasz, j’ai terminé. Vous pouvez aller dormir.
Le dénommé Jonasz ne réagit pas. Steiner fronça les sourcils.
- Jonasz ? Vous dormez déjà ?
S’assoupir à son poste n’était pas dans les habitudes du garde. Steiner s’approcha, faisant claquer ses talons sur les pavés qui constituaient le petit chemin qui entourait le bâtiment. Il posa la main sur l’épaule de son employé.
- Jonasz ?
Jonasz pivota lentement sous le mouvement du marchand qui sursauta de frayeur. Le garde avait l’œil vitreux et la chemise ensanglantée, ce qui n’avait rien d’étonnant si l’on considérait la plaie béante qui déchirait sa trachée.
- Par la balance de Verena !
Mais il n’eut pas le temps de dire ou faire davantage. Il entendit juste un petit froissement de tissu au-dessus de lui, et quelque chose lui tomba dessus, le jetant à terre. Il tenta de se débattre en voyant une petite silhouette encapuchonnée sur lui. Il sentit la morsure d’une lame sur son cou, ainsi que des doigts noueux pourvus de longs ongles pointus sur sa bouche. L’agresseur pointa son doigt devant son visage masqué, l’incitant à ne pas crier.
Une minute… comment peut-il tenir ce couteau, maintenir ma bouche fermée et faire ce geste ?
En baissant les yeux, il vit que la lame qui tenait l’arme blanche sous son menton n’était pas tenue par une main, mais une queue rose de rat géant. En un instant, il comprit à qui il avait affaire. De légers tapotements, autant de bruits de pas sur la pelouse, se rapprochèrent, et d’autres silhouettes courbées l’entourèrent rapidement.
Heike se réveilla avec un petit gémissement, la gorge sèche, sa chemise de nuit humide de sueur. Encore un cauchemar.
Psody, tu me manques tant ! Rentre vite, je t’en prie !
Elle se leva, tendit le bras vers sa petite table de nuit sur laquelle étaient posés un broc d’eau et un verre. Elle se servit à boire. Dehors, il faisait toujours nuit. L’horloge du clocher le plus proche sonna dix coups. Elle se recoucha, et se pelotonna dans son lit. Peu à peu, le sommeil lui revint, elle sentit son esprit s’enfoncer dans les brumes du pays des songes… lorsque quelque chose lui fit ouvrir les yeux d’un coup.
Sans bouger, elle réfléchit, et réalisa qu’il y avait… une odeur. Oui, son nez affûté de Skaven avait détecté une odeur particulière. Ce parfum n’était pas spécialement désagréable en soi, c’était comme un mélange de terre, d’herbes, de poussière. Seulement, elle n’avait jamais senti une telle odeur dans sa chambre, et il n’y avait aucune raison pour que cela changeât. Normalement, c’était plutôt le genre d’odeur qu’on percevait dans les tunnels… mais comment pouvait-elle en être si sûre ? Parce qu’elle avait déjà senti cette odeur. Cela éveilla au plus profond de sa mémoire un souvenir refoulé très, très ancien. Elle réfléchit à toute vitesse. Soudain, elle se rappela, et son sang se glaça dans ses veines.
Non ! C’est impossible !
Elle se mit à trembler jusqu’au bout de la queue. Un petit bruit la fit sursauter. Elle vit, hallucinée, la poignée de la porte de sa chambre s’abaisser lentement, très lentement, millimètre après millimètre. Son cœur accéléra, adoptant un rythme effréné. Le pêne céda, et la porte s’ouvrit en grinçant. Heike se mordit la lèvre si fort qu’elle sentit le goût du sang descendre dans sa gorge nouée. Quelqu’un respirait, et ce n’était pas elle. La lune dardait ses rayons par la fenêtre, éclairant l’encadrement de la porte, et une sombre forme. Une tête avança. La jeune fille distingua un long museau, des oreilles larges et pointues, et deux braises verdâtres qui luisaient dans l’obscurité se tournèrent droit vers elle.
Heike se leva d’un bond, et cria de toutes ses forces. L’intrus glapit un ululement effrayant en se redressant. La fille-rate saisit le broc et le jeta vers le Skaven, l’atteignant au faciès. Elle voulut se jeter par la fenêtre, préférant prendre le risque sachant qu’elle était au premier étage, mais un deuxième agresseur en jaillit avec un sifflement farouche et bondit sur elle. Elle cria encore, se débattit, mais fut rapidement immobilisée.
Trois paires de mains crochues forcèrent Steiner à retourner dans le pavillon après avoir récupéré la clef dans sa poche, et le jetèrent au milieu du grand bureau. Steiner se réceptionna dans son fauteuil, et considéra rapidement la situation. Il était entouré de cinq Skavens, tous plus nerveux et agressifs les uns que les autres. Un sixième Skaven pénétra dans la pièce. Il était grand, bien nourri, portait une cape bleue par-dessus un gilet gris. Son pelage était tout blanc, et des cornes s’enroulaient sur son crâne. Le marchand sentit aussitôt le danger et l’insanité mentale émaner de ce nouvel arrivé. La créature siffla dans un reikspiel alourdi d’un fort accent :
- Bonsoir, chose-homme.
- Qui êtes-vous ?
- Celui qui pose les questions.
- Pas de ça avec moi, Skaven ! Vous êtes chez moi, et je ne vous ai pas invités, ni vous, ni vos larbins !
Le Skaven Blanc approcha, et agrippa de ses longs doigts la gorge de l’Humain.
- Ne compte pas sur tes esclaves, chose-homme. J’ai dit à mes Coureurs d’Égout de te laisser en vie, mais ils ont reçu l’ordre de tuer toutes les autres choses-hommes sur leur chemin ! Maintenant, dis-moi : où est-il ?
- Qui ?
- Tu sais de qui je parle, chose-homme. Il y a un Skaven, ici.
- Oui, il y en a même six devant moi.
- Je parle du Skaven Blanc qui s’est installé chez toi.
Steiner prit un air amusé.
- C’est certainement une erreur, mon brave. Je n’héberge aucun Skaven.
Deux autres Skavens entrèrent alors dans la pièce, tenant à bout de bras Heike, ligotée solidement et bâillonnée. Ils la laissèrent tomber par terre. L’Humain ne sourit plus.
- Sales rats !
- Oh, vilain menteur-tricheur, ironisa le Skaven Blanc.
- Et c’est un Skaven qui me dit ça !
Le Skaven Blanc contempla la jeune fille-rate. Il fit un geste, et les deux Skavens la remirent sur ses pieds.
- Je savais bien que j’avais senti une odeur particulière, en arrivant ici. Ce n’est pas le Skaven que je cherche, mais…
Il avança vers Heike, renifla, posa sa patte sur sa poitrine, et ouvrit les yeux de surprise en sentant quelque chose de rond et moelleux sous le tissu de la chemise de sa victime. Il fit lentement glisser ses doigts de plus en plus bas, caressant chaque relief, jusqu’à s’arrêter entre ses cuisses. Il ricana en sentant sa proie se crisper, et retira sa main.
- Tiens, tiens, tiens… Je vois que nous avons affaire à une femelle !
- Laissez-la tranquille ! ordonna Steiner.
- Je n’en avais jamais vu comme ça, continua le Skaven Blanc. Les pondeuses Skavens sont toujours très grosses, complètement abruties, incapables de se tenir debout. Or, celle-là… c’est comme si elle avait vécu comme un mâle.
- Je sais comment vous traitez vos femmes, Skaven. Je me suis occupé d’elle comme un enfant qu’on aime, et pas comme une machine à reproduire qu’on entretient pour qu’elle tourne à plein régime !
Le Skaven Blanc pencha le museau près de l’oreille de la malheureuse. Il lui arracha son bâillon d’un coup sec et cracha en queekish :
- À moi, un Prophète Gris, tu vas répondre, n’est-ce pas ? Où est-il ?
Elle ne répondit pas, se contentant de secouer négativement la tête, nerveusement. Le Skaven Blanc répéta plus fort :
- Où est-il ? Parle-parle ! Je te l’ordonne !
Elle ne dit toujours pas un mot, et commença à gémir de peur.
- Inutile de vous énerver, elle ne parle pas votre langue, expliqua Steiner.
- Peuh ! Comme si ça la changeait des autres pondeuses ! Alors, femelle, tu vas me dire tout, dit le Skaven Blanc en reikspiel. Où est-il ?
- Qu… qui ?
- « Qui ? Qui ? » répéta le Prophète Gris en imitant la jeune fille-rate. Tu sais bien qui ! Cet espèce de misérable petit avorton-vermisseau ingrat-traître que j’ai eu le malheur de recueillir sous mon aile ! Je parle de Psody ! OÙ est Psody ?
La jeune Skaven cria encore alors que le Skaven Blanc la prit par les épaules pour la secouer. Steiner eut une moue méprisante.
- Vous êtes Vellux.
Vellux, car c’était lui, se retourna vers le marchand en entendant son nom.
- Alors, il est bien là ! C’est lui qui t’a parlé de moi !
- Oui, et maintenant que je vous vois, je comprends pourquoi il vous a quitté. Ça, et tout le reste.
- Pauvre imbécile ! Tu ne peux pas comprendre ! Ton esprit est trop étriqué !
- Tandis que le vôtre est empoisonné par la malepierre, et par le caractère propre à votre race. La peur, la paranoïa, la fourberie, la lâcheté ! Psody était bien là, il n’y a pas très longtemps, mais il est parti, et je ne sais pas du tout s’il reviendra.
- Où est-il parti ?
- Je n’en sais rien. Il a eu beau être amical, il gardait tout de même ses petits secrets.
Le Prophète Gris eut une expression surprise, puis il ricana.
- « Amical » ? Quelle blague ! Il n’a rien d’amical ! C’est moi qui l’ai élevé, je sais très bien comment il raisonne ! Il s’est servi de vous tous pour parvenir à ses fins ! Tout ce qui l’intéresse, c’est grappiller toute la puissance qu’il peut pour la retourner contre moi ! Et vous l’avez aidé dans sa traîtrise sans le savoir !
- Non ! protesta alors Heike.
Le Skaven Blanc se tourna vers la jeune fille-rate.
- Quoi ? Tu n’es pas d’accord ?
- Non. Psody n’est pas comme ça ! Il est gentil ! Il a du cœur ! Il est sincère ! Il est… il est humain !
À ces mots, Vellux éclata d’un rire sardonique.
- Bien sûr, et je suppose qu’il t’a fait les yeux doux pour endormir ta méfiance. Comme font les choses-hommes qui veulent profiter de la naïveté des reproductrices. J’imagine qu’il t’aurait besognée un soir ou deux avant de tous vous anéantir ! Mais je ne le lui en laisserai pas l’occasion. Psody est à moi ! Je l’ai marqué de mon urine le jour où la pondeuse qui l’a fabriqué l’a évacué de ses entrailles, je l’ai lié à moi avec mon sang quand je l’ai nommé Prophète Gris, je décide de vie et de mort sur lui !
- Espèce de monstre ! cria plus fort la jeune fille.
- Pas plus monstrueux que toi !
Le Prophète Gris caressa le menton et les joues de sa prisonnière avec un sourire amusé. Il siffla :
- N’oublie pas que nous sommes de la même espèce. Comme tous les Skavens, tu me dois le respect, et bientôt tu m’adoreras et tu m’obéiras, toi aussi !
Le Skaven Blanc s’adressa de nouveau au marchand.
- Tu aimerais bien savoir comment je vous ai trouvés, je parie !
- Non, répondit Steiner.
En vérité, le marchand avait bien envie de savoir, mais il soupçonnait son interlocuteur de vouloir le contrarier en faisant exprès de répondre le contraire de sa propre réponse. Aussi ne fut-il pas surpris de voir Vellux ricaner :
- Non ? Eh bien je vais quand même te le dire ! Tu te sentiras moins inférieur !
Heike était épouvantée. Elle n’osa pas dire un mot de plus, mais une larme de peur glissa sur sa joue. Vellux eut un petit rire sifflant, et commença fièrement son explication :
« Les Fils du Rat Cornu sont les plus grands-forts habitants du monde ! Et moi, un Prophète Gris, je suis l’un des plus intelligents de tous, peut-être le plus futé-rusé ! L’un de mes serviteurs m’a montré un prisonnier. Il a cru que c’était une chose-homme ordinaire, mais j’ai été plus malin-malin que lui ! Le prisonnier était une chose-bizarre déguisée en chose-homme. La chose-bizarre venait du château Gottliebschloss.
« La chose-bizarre avait trop peur de moi pour résister. Craché le morceau. M’a dit qu’un Skaven Blanc s’était rendu aux choses-hommes, et était parti vers Altdorf. Il me l’a décrit, et j’ai tout de suite reconnu Psody ! Quelle misérable petite vermine ! Sale traître ! Je l’ai suivi en emmenant des Coureurs d’Égout. J’ai demandé aux Skavens de Sub-Altdorf. Ils m’ont dit qu’une chose-homme cachait régulièrement des Skavens chez elle, que plusieurs Skavens avaient disparu en tentant d’aller voir pourquoi ils avaient senti une odeur étrange. »
Steiner réprima difficilement un frisson. Les répurgateurs n’étaient pas les plus dangereux, les Skavens l’avaient déjà à l’œil depuis quelque temps !
« Mes espions ont finalement repéré ton clapier, chose-homme. La nuit dernière, je suis resté près d’ici, et mon odorat très fin-efficace a reconnu l’odeur de ce cafard ! Tu as de la chance, j’étais curieux, et je voulais te parler, c’est pour ça que je me suis donné du mal ; j’ai donné quelques petits disques d’or à une chose-homme mendiante pour qu’elle te bouscule, et te vole un petit objet portant ton odeur. Ainsi, mes Coureurs d’Égout savaient qui tuer, et qui ne pas tuer. Tu devrais me remercier, et surtout, reconnaître ma supériorité intellectuelle ! »
Une fois encore, le marchand sentit glisser un filet de sueur. Le matin même, alors qu’il se rendait au cabinet d’un huissier, un clochard l’avait effectivement percuté. Et quand il avait retiré son manteau, il avait remarqué que son foulard avait disparu.
Psody ne plaisantait pas ! Ces êtres peuvent être d’une intelligence retorse !
- Tu as pu voir la véritable intelligence des Fils du Rat Cornu, chose-homme. Et Psody va regretter de s’être ainsi dressé contre moi !
Encore une fois, le Prophète Gris se tordit de rire et trépigna d’excitation.
- Je suis le plus malin ! Je suis le plus fort ! Je suis le meilleur ! Alors, chose-homme, qu’en penses-tu ?
- Que vous racontez n’importe quoi. Il ne vous a pas trahi, ni comploté pour vous renverser. C’est vous qui avez décidé de vous débarrasser de lui, alors qu’il ne demandait qu’à vous servir avec honneur – enfin, j’imagine que vous ne connaissez pas le sens de ce mot. Et je suis certain que vous avez tout fait pour vous donner le beau rôle. Et le plus ironique, c’est que vous savez déjà tout ça.
La réponse de Steiner doucha net le Skaven Blanc. Puis il tapa du pied, et balaya du revers de la main les outils de calligraphie sur le bureau. Son regard tomba alors sur l’épais livre à reliure de cuir.
- Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il ouvrit le volume d’un coup sec, plissa les yeux, et lut péniblement à haute voix :
« Grâce aux témoignages de mon collaborateur inattendu, je commence maintenant à distinguer la philosophie profonde des Skavens. Ils constituent un peuple de conquérants, ils sont nombreux, ils ont la science et la magie, et leur manque total de scrupules en fait de redoutables guerriers qui pourraient dominer l’Empire, si seulement ils n’étaient pas aussi aveuglés par leur arrogance.
« En effet, ils semblent incapables de se remettre en question individuellement, et se condamnent eux-mêmes à commettre les mêmes erreurs encore et encore, sans en tirer des leçons. D’autre part, ils conservent une part animale très marquée dans leur comportement, et agissent très souvent de manière impulsive. Un plan savamment orchestré par un Prophète Gris peut être réduit à néant à cause d’une initiative personnelle et soudaine de l’un de ses sous-fifres, au mépris de la plus élémentaire stratégie. Et surtout, ils n’agissent que dans leur intérêt immédiat. Un Skaven peut agir d’une manière complètement inverse de ce qu’il faisait un instant plus tôt, pourvu que ça prolonge un tant soit peu son espérance de vie. Cela peut donner lieu à des comportements contradictoires jusqu’à l’aberration. »
Il ferma le livre dans un grand claquement, le prit à deux mains et le jeta par terre. L’épais volume se brisa, et plusieurs pages glissèrent sur le dallage.
- Tu crois tout savoir sur la parole d’un traître-opportuniste ? Nous avons nos stratégies, et elles marchent toujours ! Jamais je n’ai failli une seule fois dans ce que je voulais faire ! Jamais je n’ai agi de manière « contre victoire » ! Je suis un élu du Rat Cornu, et je fais tout ce que je veux. Un jour, je serai le nouvel Hérésiarque. Je prendrai la place qui me revient de droit au Conseil des Treize. Mais tu ne seras pas là pour le voir, chose-homme !
Il approcha lentement, et fit un geste. Aussitôt, trois des assassins saisirent Steiner par les bras et le forcèrent à se relever. Quand il ne fut plus qu’à un pas de l’Humain, le Prophète Gris murmura :
- Une chose-homme avec autant de connaissances sur mon peuple ne doit pas pouvoir vendre la mèche. Mon devoir est de te tuer tout de suite.
- Non ! Je vous en prie, laissez mon père ! supplia Heike. Ne lui faites pas de mal !
- Tout va bien, Heike ! dit Steiner à son attention. Ne t’en fais pas pour moi.
- S’il vous plaît ! Épargnez sa vie !
Le Skaven Blanc tourna la tête vers la jeune fille.
- Oh, tu m’énerves !
Il couina quelques instructions dans sa langue natale, et deux Skavens emportèrent Heike hors du bureau. Vellux ferma la porte derrière eux.
- Là, comme ça, elle nous fichera la paix. Ta si précieuse femelle ne sera pas une bonne reproductrice-pondeuse. Elle n’a pas été suffisamment soumise à la malepierre, et son organisme doit être trop chétif pour pondre des régiments. Et maintenant, elle est trop vieille pour être mutée efficacement. Tant pis, quand elle m’aura servi à capturer Psody, je m’en servirai comme animal de compagnie !
Vellux ricana en adressant à l’Humain un rictus sadique, mais Steiner ne broncha pas. Il poussa juste un petit soupir méprisant.
- Et vous croyez vraiment m’effrayer ? Laissez-moi rire. La peur vient de l’inconnu, or je sais tout de vous. Cela fait des années que j’étudie votre peuple en cachette, plusieurs de vos pairs ont fini sur ma table de dissection. Vous l’avez vu vous-même, j’ai fini par rassembler beaucoup d’informations à votre sujet. Vous vous croyez supérieur parce que vous avez les poils blancs et une paire de cornes sur la tête, mais au fond vous êtes comme tous les autres : une sale vermine vivant de détritus corrompus par le Chaos, obligée de se cacher sous terre, et incapable de faire front à un adversaire qui ne serait pas en nette position d’infériorité ! Vos beaux discours et vos menaces ne m’impressionnent pas. Vous n’êtes qu’un rat, une misérable saleté de rat droguée à l’extrême, et on ne discute pas avec les rats !
Vellux lacéra la joue de Steiner de ses griffes.
- Je parie que ton cher protégé va lui courir après dès qu’il sera rentré. Grâce à ta petite femelle, je l’attirerai dans un piège, je le capturerai, je lui ferai couper les bras et les jambes, et je lui crèverai les yeux, mais ça ne l’empêchera pas de parler ! Il me racontera tout ce qu’il a fait depuis sa trahison. Alors, je trousserai ta pondeuse devant lui, il pourra l’entendre crier ! Et quand il me suppliera-suppliera de l’achever, je le ferai. Pas avant.
Il rouvrit la porte, couina de nouveau quelques instructions, et les deux Skavens sortirent de l’annexe en emportant Heike. Quand il entendit la voix de sa fille crier, l’appeler à l’aide, Steiner réalisa pleinement que ce Skaven Blanc était en train de lui arracher son unique raison de vivre. Il se précipita à la fenêtre et hurla à son tour :
- Tiens bon, je viendrai te chercher !
L’un des Skavens cagoulés le repoussa fermement. Sur un geste du Prophète Gris, les trois assassins encore présents arrachèrent à l’Humain ses vêtements. Vellux ramassa le coupe-papier qui traînait par terre. Il murmura avec un rictus dégoulinant de salive :
- Si tu as la volonté-hargne, tu pourras me servir de messager.
- Allez, vite-vite ! Faut qu’on y aille !
Les Skavens du Clan Eshin vidaient le dernier bidon d’huile qu’ils avaient trouvé dans la réserve. Une forte odeur flottait dans l’atmosphère, et le Prophète Gris sentit son nez le piquer. Il éternua, renifla bruyamment, et se gratta furieusement la tête entre les oreilles, laissant tomber une boule de poils blancs maculés d’eau d’égout.
- Où en êtes-vous ?
- Nous avons fini-fini, ô incommensurable messager du Rat Cornu.
- Parfait.
Le Skaven Blanc sortit de la poche de son gilet un briquet à amadou, ainsi que quelques pages arrachées du livre de notes de Steiner. Il mit le feu au papier, et le laissa tomber sur la flaque d’huile. Il dut s’y prendre à deux fois à cause d’un courant d’air, mais bientôt, les flammes jaillirent, et zigzaguèrent vers le laboratoire. En quelques minutes à peine, le feu se propagea sur toute la longueur du bâtiment. Sans attendre davantage, Vellux répéta l’opération avec le manoir. Le Prophète Gris éclata d’un rire dément en voyant l’incendie. Puis il siffla en montrant la porte de sortie dérobée qui menait à la ruelle arrière où se trouvait la bouche d’égout par où lui et ses espions étaient passés pour entrer.
Assise sur un muret de pierres humides, Heike était morte de peur. Les deux Skavens l’avaient emportée jusque dans les égouts, où d’autres Skavens aussi nerveux et répugnants les avaient rejoints. Depuis un temps indéfinissable, elle attendait, n’osant dire le moindre mot. Les assassins ne la quittaient pas des yeux. Enfin, l’un d’eux releva la tête, et huma l’air bruyamment. Il murmura :
- Vellux...
Un instant plus tard, les trois assassins cagoulés apparurent dans la galerie, suivis par le grand Skaven Blanc. Ce dernier aboya :
- La chose-homme qui a perdu son temps avec toi vivra, si elle en a envie. Maintenant, debout ! Nous allons devoir marcher !
Il couina des ordres dans sa langue natale. Les Skavens relevèrent la jeune fille-rate par les bras, et Vellux gifla sa nuque.
- En avant !
*
La pauvre Heike cligna des yeux lorsqu’elle se retrouva à l’air libre. Ses ravisseurs l’avaient évacuée d’Altdorf en passant par les voies d’évacuation des déchets, et elle avait marché dans des eaux immondes et saumâtres pendant près d’une heure. Ils étaient finalement passés par un tuyau qui débouchait directement sur le Reik. Deux des Skavens l’avaient fermement tenue aussi bien pour l’empêcher de se noyer que pour la maintenir captive. Quelques instants de nage, et tous furent sur la terre ferme. Elle reprit son souffle, et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. La capitale de l’Empire lui apparut comme elle n’avait jamais vu : une grande muraille derrière laquelle on distinguait de nombreux panaches de fumée sortant des cheminées, des lumières scintillantes, et des bruits de roues de charrettes, de volets grinçants, et autres sons indéfinissables. Le grand Skaven Blanc la poussa méchamment dans le dos.
- Allez ! Ne rêvasse pas, pondeuse ! Nous sommes attendus !
Ils reprirent leur escapade. Cette fois, ils coururent à travers la campagne impériale pendant près de deux heures. La malheureuse pensa que son rêve de voir le monde extérieur était en train de se réaliser, mais sous des auspices particulièrement désagréables. Elle n’était pas habituée à marcher aussi longtemps, et à un tel rythme. Plusieurs fois, elle manqua de souffle, mais chaque ralentissement de sa part était immédiatement réprimandé par une exclamation colérique de Vellux.
Enfin, ils ralentirent à la vue de plusieurs lumières, des flammes de feu de camp. Le Prophète Gris rejeta la tête vers l’arrière et poussa un cri long et guttural, à laquelle répondit un piaillement similaire.
- Nous sommes arrivés, dit-il à l’attention de la jeune Skaven.
Heike déglutit devant un spectacle qui ne lui rappela que trop bien des souvenirs qu’elle avait cru évanouis à jamais. De sa vie, elle n’avait jamais vu autant de Skavens. Il y en avait des dizaines, peut-être une centaine, et elle pressentit qu’ils ne représentaient qu’une partie des forces dont disposait son ravisseur. Son angoisse monta quand elle réalisa qu’ils se rassemblaient tous en cercle autour d’elle. Quelques-uns ricanaient, d’autres émettaient des couinements surpris. Le Skaven Blanc, toujours à ses côtés, leva les bras pour réclamer le silence, puis prononça quelques paroles dans l’odieuse langue des Fils du Rat Cornu. Il se tourna vers la prisonnière.
- Je leur ai dit que personne n’avait le droit de te toucher, tant que je l’ordonne. Comprends-tu, pondeuse ? Je suis ta meilleure protection. Si tu es sage, il ne t’arrivera rien. Mais si tu te rebiffes… Tu vois les deux qui se battent, derrière ?
La jeune fille-rate déglutit, et acquiesça lentement sans mot dire. Vellux expliqua avec un sourire cruel :
- Ils sont en train de se mettre d’accord sur lequel des deux te passera dessus le premier.
Elle baissa la tête, et cacha ses yeux gorgés de larmes de terreur.
- Tu es prévenue. À la première bêtise, je donne à tous mes guerriers la permission de s’accoupler avec toi, autant de fois qu’ils le pourront. C’est compris ?
N’osant imaginer la scène, la jeune fille ne put articuler le moindre mot, et hocha la tête maladroitement.
- Bien. Je vais te confier à un Skaven qui te surveillera, et empêchera les autres de t’approcher. Tâche de ne pas t’éloigner de lui, ou de moi, si tu tiens à ta vie !
Une fois encore, il aboya un ordre qu’elle ne comprit pas. C’est alors qu’un Skaven particulièrement hideux l’aborda. Il n’était pas possible de voir son visage sous sa cagoule, mais il était très maigre, bossu, et sa robe était maculée de taches de matières sombres et malodorantes. Le Skaven Blanc poussa fermement Heike, la faisant tomber dans la boue, et rejoignit l’autre.
Heike vit le Prophète Gris s’éloigner, et elle sentit l’effroi lui tordre les intestins quand elle vit le cercle de Skavens se resserrer lentement autour d’elle. Elle se leva, et bredouilla :
- Non ! Non ! Votre maître… votre maître vous l’a interdit !
Hélas, ces paroles n’eurent aucun effet. Pire, ils se rapprochaient de plus en plus. Elle distingua des yeux étincelant de lubricité, des bouches étirées en d’affreux sourires gourmands, des pattes griffues gratter le sol. Le contact d’une main sur son épaule la fit sursauter, et elle bondit en avant. Elle se retourna, le temps de voir l’un des Skavens ricaner, probablement celui qui l’avait touchée, puis elle sentit quelque chose frotter son postérieur. Cette fois-ci, elle cria, tentait désespérément de rester au centre du cercle qui rétrécissait, rétrécissait… Finalement, l’un des Skavens n’y tint plus. Il s’avança, bondit sur la malheureuse et la renversa sur le dos. Elle hurla, se débattit avec l’énergie du désespoir. L’autre lui saisit la chemise de nuit, la retroussa d’un coup sec jusqu’à sa poitrine avec un glapissement surexcité. La malheureuse souhaita perdre connaissance lorsqu’elle sentit le Skaven lui écarter les jambes.
Soudain, une main agrippa l’agresseur par la gorge, et le souleva à deux pieds du sol. Médusée, la jeune Skaven distingua un immense homme-rat, le plus grand, le plus musclé et le plus terrifiant qu’elle eût jamais vu. Son pelage était noir comme de l’encre, et ses deux grands yeux bleus jetaient des éclairs de rage vers le forcené, qui se mit à couiner de peur. Le grand Skaven Noir lui saisit fermement de son autre main l’entrejambe, ce qui le fit brailler encore plus fort. Puis il le retourna d’un geste précis, et lui écrasa la tête directement sur le sol. Un sinistre craquement fit taire définitivement les cris du Skaven.
Il n’y eut plus le moindre son. Tous les Skavens regardaient le grand Noir, subitement paniqués. Le sauveur providentiel d’Heike fit un pas en avant, et tous les hommes-rats se dispersèrent avec moult cris effrayés.
Le premier choc passé, la pauvrette se redressa, resta assise dans la boue, enfouit son visage dans ses mains, et éclata en sanglots. Elle n’avait pas conscience d’être toute seule avec le grand Skaven Noir. Elle pleura ainsi quelques instants, puis se calma un peu, et regarda autour d’elle. Son agresseur gisait par terre, le crâne et la colonne vertébrale disloqués. Le grand Skaven Noir était debout devant elle. Son faciès avait perdu toute trace d’hostilité. Elle le vit s’accroupir, et entendit une voix de basse dire en reikspiel :
- Pas peur. Je… veiller toi. Comprendre ?
Surprise à l’extrême, elle hocha la tête, sans oser ajouter une syllabe, tout en rajustant tant bien que mal son vêtement. L’immense Skaven Noir tendit alors la main vers elle pour l’aider à se relever. Elle fut surprise quand elle sentit sur son poignet une pression à la fois ferme et douce. Toujours en la tenant par la main, le géant la conduisit tranquillement à travers le campement, sous les regards ébahis de ses congénères. Pas un ne dit mot, ni ne fit un geste. Les plus proches s’écartèrent craintivement à leur passage. De son côté, Heike sentit l’étonnement remplacer peu à peu la peur. Ce Skaven Noir avait quelque chose de différent par rapport aux autres. Elle ne sentit aucune violence ni lubricité à son encontre émaner de lui, simplement une immense tristesse résignée, un peu comme s’il était désolé d’obéir aux ordres de Vellux.
Il la mena ainsi jusqu’à une cage, et lui montra la porte ouverte. Elle baissa la tête, la hocha avec résignation, et entra docilement dans la cage. Son geôlier ferma la porte à clef derrière elle, et resta debout devant sa prison.
- Impressionnante démonstration, observa le Diacre Soum.
- Ah, ça… Chitik prend son rôle-rôle très au sérieux. Je savais que cette petite femelle ne risquait pas grand-chose.
- Ô votre suprême suprématie, ne craignez-vous pas une réaction violente de sa part, s’il voit Psody ?
Le Prophète Gris avait finalement mis le Diacre dans la confidence en lui avouant que le petit Skaven Blanc était toujours en vie, sans toutefois préciser que Klur avait tenté de le tuer sur son ordre. Soum continua :
- Et le Skryre, là… Diassyon ? Il tenait beaucoup à son frère de sang, lui aussi. Ils pourraient être furieux contre vous s’ils comprenaient que vous leur avez menti !
Vellux leva le doigt.
- Ils sont doués, tous les deux. Mais je suis le chef, et c’est moi-moi qui commande. Au moindre geste de révolte de l’un d’eux, je le tue !
Le Diacre ne pipa mot, se contenta de baisser la tête. Le Skaven Blanc s’impatienta.
- Allez ! Le jour va se lever, on va se reposer un peu. Apportez-moi à manger !