L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 5 : Le vrai visage de Brissuc

8258 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 01:22

Moly du Clan Pestilens ouvrit péniblement les yeux. Il vit qu’il avait la figure à moitié engloutie dans la gadoue. Il se redressa tant bien que mal en s’appuyant sur les mains. La tête lui tournait plus que d’habitude, et plusieurs petites douleurs le piquaient çà et là. Il sentit surtout un petit vent glacé sur son échine, et frissonna. La nuit était retombée, ce qui ne gênait pas tellement ses sens de Skaven habitués à l’obscurité. En revanche, sa tête lui faisait un mal de chien.

 

Qu’est-ce qui s’est passé ? On m’a frappé dans le dos ! Combien de temps j’ai été inconscient ?

 

Il tâtonna là où la douleur irradiait, et grimaça alors qu’elle s’intensifia. Il sentit quelque chose de poisseux maculer ses poils. Du sang. Le choc lui avait écorché la peau du crâne. Un autre souvenir lui revint : un bruit étrange, quelque chose avait attiré son attention. Il avait demandé à ses trois jeunes aspirants Pestilens de l’attendre, puis était arrivé jusqu’à l’arbre qui se dressait devant lui. Un léger craquement avait retenti dans son dos, puis un choc violent à l’arrière du crâne l’avait précipité sur le sol boueux.

 

Il se remit lentement debout, et eut une surprise très désagréable.

 

Mais… je suis tout nu !

 

En effet, à part ses bandelettes moisies couvrant partiellement ses bras, ses pieds et son visage, il n’avait absolument rien sur lui. Pris de panique, il regarda partout.

 

Où est ma bure ? Des vêtements ! N’importe quoi !

 

Sa respiration accélérait avec la montée de son angoisse, et la peur exsuda de tous les pores de sa peau. Il pria le Rat Cornu de ne rencontrer personne. C’était déjà humiliant pour un Skaven de se faire voir dans le plus simple appareil, mais pour lui, un Pestilens conscient d’avoir un corps ravagé, rien ne pouvait être pire.

 

Crotte ! Psody avait parlé de quelque chose… Un point de ralliement !

 

Il huma furieusement l’air, et perçut enfin la fragrance de l’urine de son frère Blanc. Il courut dans la direction qu’il jugea bonne. Mort d’angoisse, il gémissait des « pourvu que personne ne me voie, pourvu que personne ne me voie ! ». Enfin, il distingua le grand arbre au sommet de la colline. Il vit également le lac où avait eu lieu l’attaque désastreuse. Soudain, il repéra l’un de ses confrères, tombé sous les coups des maraudeurs du Chaos. Vite, il se précipita vers la dépouille comme un enragé. Il déshabilla le cadavre, et passa ses guenilles immondes. Il rabattit la capuche sur sa tête, et poussa un soupir de soulagement.

 

Il reconsidéra sa situation. Il était seul au milieu du marécage, ses frères et ses alliés l’avaient sans doute cru mort. Ou bien ils étaient morts, eux. Il avait froid, la faim commençait également à lui tenailler l’estomac. Il résolut d’agir, et partit dans la direction qu’il croyait bonne.

 

Il se fiait à l’odeur, et se félicita d’avoir pris l’initiative de laisser régulièrement des traces tout le long du trajet. Bien sûr, les fragrances ne manquaient pas dans un tel endroit, mais même les Pestilens étaient capables de reconnaître le parfum de leur urine à de longues distances. Il grogna. Sa jambe lui faisait mal, et la tête lui tournait. Il fouilla dans la poche du froc, espérant trouver quelque chose pour atténuer ces sensations. Il trouva quelques morceaux de champignon.

 

Le Moine de la Peste fit la grimace. Son organisme était habitué à des drogues beaucoup plus puissantes, celle-ci n’aurait pratiquement pas d’effet. Il se résolut tout de même à fourrer les champignons dans sa bouche et à les mastiquer. Au bout d’une minute, il sentit moins la douleur au genou. C’était toujours ça.

 

Les heures passèrent, de plus en plus pénibles. Au loin, il vit le ciel se teinter peu à peu d’un voile orangé. Le soleil se levait. Il était sorti du marais, et trottinait maintenant sur un petit chemin qui serpentait entre des champs cultivés. Il pressa le pas tant bien que mal, de plus en plus inquiet. Il avait un peu étudié les mœurs des choses-hommes, et savait très bien que celles-ci travaillaient toute la journée une fois le soleil suffisamment haut dans le ciel. Le danger de se faire repérer lui parut plus grand qu’il ne l’avait jamais ressenti auparavant. Contrairement à Klur, il n’était pas très doué pour courir ou se cacher, et ses blessures le handicapaient davantage.

 

Enfin, il repéra la petite colline près de Niklasweiler. Il jeta un bref coup d’œil vers le village, et constata avec horreur que des lumières poignaient aux fenêtres de certaines maisons.

 

Le village n’a pas été totalement abandonné ! Ou alors, d’autres choses-hommes sont arrivées ! Il faut que j’en informe le Diacre !

 

Il utilisa ses dernières forces pour grimper au sommet de la butte. Il s’aida de ses mains et s’accrocha aux brins d’herbe pour monter plus vite. Une fois au sommet, il se jeta dans le terrier. Il courut encore une trentaine de secondes, puis il s’arrêta, et s’effondra sur le sol. Il ferma les yeux, et poussa un soupir de soulagement.

 

Sauvé… Le Rat Cornu a décidé d’être clément avec moi.

 

Il roula sur lui-même, se mit sur le dos, et murmura dans un souffle :

 

-         Merci, ô Rat Cornu.

 

Il resta ainsi allongé un temps indéfinissable, puis repartit.

 

 

Quand il parvint dans les zones habitables de Brissuc, d’autres Skavens le repérèrent, surpris de le voir dans un tel état.

 

-         Hé, c’est Moly du Clan Pestilens !

-         Eh ben ! Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

-         Va prévenir Soum !

 

Moly sentit un nouveau vertige d’épuisement renverser le monde autour de lui. Il se retrouva à genoux, incapable d’avancer plus loin.

 

-         Moly ! Moly !

 

Le Pestilens redressa la tête, et vit Diassyon se précipiter vers lui. Il fit un vague geste de la main.

 

-         Ça va, ça va. Laisse-moi.

-         Moly ! J’ai cru que ces sagouins t’avaient tué-tué, toi aussi !

-         Je vais bien, je te dis. Fiche-moi la paix.

-         Moly… Psody est mort !

 

Le cerveau du Skaven crème mit quelques secondes à assimiler cette terrible nouvelle, et à réagir en conséquence. Il manqua de souffle, et se retrouva de nouveau face contre terre.

 

-         Moly ! Attends, mon frère ! Accroche-toi !

 

Diassyon voulut aider son frère à se relever en glissant son bras sous son aisselle. Mais à peine avait-il posé la main sur le dos du Moine de la Peste que ce dernier sursauta et aboya dans sa direction :

 

-         Ne me touche pas !

 

Le Technomage bondit en arrière, et resta immobile, pétrifié par une telle explosion de rage. Le Pestilens avait les yeux exorbités de colère sous sa cagoule, et respirait en sifflant bruyamment entre ses incisives. Diassyon déglutit péniblement.

 

-         Je… je ne voulais pas…

 

Moly se rendit compte de ce qu’il venait de faire. L’expression de son faciès passa de la colère au dépit. Il leva lentement la main, et articula :

 

-         Je t’assure… que je vais bien. J’ai l’habitude, Diassyon. Si tu t’approches trop de moi, si tu me touches… tu risques d’attraper toutes les maladies que je porte. Ton corps deviendra aussi pourri que le mien, et seuls les Pestilens te regarderont sans te mépriser ouvertement. Ce n’est pas ce que tu veux… n’est-ce pas ?

 

Le jeune Technomage secoua négativement la tête. Moly s’assit sur une grosse pierre.

 

-         Comment c’est arrivé ?

-         Les choses-bizarres l’ont piégé.

-         Et Klur ?

-         Il s’est échappé de justesse. Un de mes Tirailleurs y est resté, ainsi que deux Coureurs Nocturnes.

-         Et mes acolytes ? J’en ai retrouvé un mort, mais les deux autres ?

-         Ils n’ont pas reparu, dit alors la voix de Klur.

 

Le Coureur d’Égout était appuyé contre une colonne métallique, bras et jambes croisés.

 

-         Cette mission est un échec ! constata le Skaven anthracite, d’une voix cinglante.

-         Je m’en fous ! On vient de perdre un frère ! cria le Skryre.

 

Les yeux de Klur roulèrent, lui faisant une expression effrayante.

 

-         Les Skavens ne vivent que s’ils sont dignes du Rat Cornu. Surtout ceux qui portent sa marque personnelle. Il n’y a rien à ajouter.

 

Diassyon serra les poings de rage. Il vit du coin de l’œil qu’un Guerrier des Clans attendait sa réaction en le regardant fixement. Avec un feulement sauvage, le Skaven brun lui flanqua un coup de poing dans l’œil, puis il déguerpit dans un tunnel.

 

Klur contempla le Pestilens avec pitié. Celui-ci en eut assez. Il se traîna vers les quartiers de son Clan, afin de récupérer des herbes médicinales. De longues minutes plus tard, il franchit la porte du secteur infesté par les pestiférés.

 

 

Les Skavens du Clan Pestilens étaient les plus nombreux de la colonie de Brissuc, et par conséquent, leur dirigeant était le plus puissant du terrier. Il répétait à qui voulait l’entendre qu’il aurait été un excellent chef pour la colonie, s’il n’avait pas « choisi de se plier à la volonté du digne Fils de Thanquol ». Moly le connaissait suffisamment pour être sûr du contraire, mais il ne pouvait rien faire d’autre que courber l’échine pour pouvoir rester en vie.

 

Les quartiers du Clan Pestilens étaient à l’image de leur philosophie : insalubres à l’extrême, glauques, chargés d’immondices de toutes sortes. Des déjections, de la viande pourrie, du sang séché, des vomissures constellaient les couloirs étroits, et laissaient un florilège d’odeurs toutes plus écœurantes les unes que les autres. Cette puanteur était telle qu’elle tenait éloignés tous les Skavens qui ne faisaient pas partie du Clan. Elle rappelait à quel point leur vie ne tenait qu’à un fil : tout être vivant qui pénétrait dans ce secteur contractait rapidement plusieurs maladies, et s’il n’y succombait pas immédiatement, il était dévoré par les Pestilens ou contraint de rejoindre leurs rangs.

 

Cette zone, la plus vaste de toute la colonie, était inaccessible même au Prophète Gris Vellux. Dans cet endroit, les Moines de la Peste avaient établi leurs propres règles. C’était aussi le quartier le plus grand, il s’étalait sur trois immenses étages de cavernes, de tunnels entrelacés de passerelles et d’échelles faites avec des assemblages de tuyaux de cuivre et de laiton volés au fil des décennies aux égouts des grandes villes voisines. Les caves les plus profondes gardaient encore quelques traces d’un boyau creusé par les choses-naines qui avaient autrefois exploité la mine de charbon voisine.

 

Moly se traîna jusqu’à une cage mouvante attachée à une lourde chaîne par un anneau de fer sur le toit. Cette curieuse mais bien pratique invention du Clan Skryre avait été pompeusement baptisée « montetdescendtoutseul ». Il saisit la petite cordelette d’un gong, et fit sonner le disque cuivré deux fois. Dans un grand concert de grincements et de craquements, la cabine monta lentement, se bloquait de temps en temps, et tanguait dangereusement. Enfin, quand le « montetdescendtoutseul » s’arrêta, le jeune Pestilens en sortit. Il erra à travers de longs couloirs éclairés par des globes émettant une lumière violacée – encore une invention des Skryre. Il croisa un de ses confrères Moines de la Peste. Celui-ci vomissait sur ses propres pieds.

 

Enfin, le Skaven crème soupira de soulagement en arrivant en vue d’un long couloir dont les cloisons étaient constellées de trous creusés directement dans la pierre. Il rampa sans hésiter jusqu’à une ouverture en particulier, celle marquée de ses fluides corporels. Il s’allongea sur le tas de chiffons qui s’y trouvait, et se pelotonna dans son « nid ».

 

Désormais à l’abri, il réfléchit sur ce qui venait de se produire.

 

Psody est mort… j’ai été humilié… mes frères de Clan sous ma responsabilité sont morts… j’ai crié sur Diassyon… je me sens mal… Psody est mort… Diassyon est triste… Chitik est très triste… et moi… je suis triste, aussi. Pourquoi, ô Rat Cornu ? Pourquoi malmener à ce point-là le pauvre Moly ?

 

Il sentit alors des picotements irriter ses yeux jaunes. Il gémit doucement en comprenant qu’il était en train de pleurer. Là-dessus, il s’endormit, et son sommeil fut hanté par les pires moments de cette terrible journée.

 

*

 

Quand Diassyon atteignit la grande place devant le temple du Rat Cornu, il vit que Klur s’y trouvait déjà. Cela le surprit.

 

-         Tiens, tu as été convoqué, toi aussi-aussi ?

-         En effet, frère, murmura le Skaven anthracite.

-         Pourquoi ça ?

-         Sais pas.

 

Le Skaven brun sentit son visage s’illuminer en voyant arriver l’imposante silhouette massive de Chitik. Le grand Skaven Noir avait encore un bandage de tissu sale en travers du torse, mais il récupérait rapidement et était suffisamment vaillant pour marcher sans difficulté. Il échangea un regard avec Klur, un regard plutôt troublant. Pendant une fraction de seconde, le Coureur d’Égout crut que la Vermine de Choc avait compris, puis il se rappela :

 

Non, autrement, il m’aurait déjà sauté dessus. Je me demande à quoi il pense ?

 

Chitik n’aimait pas le Skaven anthracite, c’était un fait. Mais jusqu’à présent, il avait toujours accaparé toute son attention sur Psody, toujours prêt à lui obéir, et ne l’avait jamais ouvertement menacé, lui. Maintenant que le petit Skaven Blanc avait disparu, bien des choses allaient sans doute changer. Klur se promit de rester vigilant. Diassyon adressa ce qu’il espérait être son plus beau sourire au Skaven Noir.

 

-         Content-content de te revoir, Chitik.

 

Le grand Chitik ne dit rien, mais lui tapota gentiment l’épaule. Un râle caractéristique retentit alors sous la voûte de roche, créant d’étranges échos ricochant sur les murs irréguliers. Le son d’une canne battait la mesure régulièrement, accompagné de légers tintements. Et une odeur épouvantable envahit tout à coup l’air ambiant. Les trois Skavens tournèrent la tête en même temps, et virent deux autres fils du Rat Cornu se déplacer vers eux en zigzaguant. Pour être plus juste, l’un d’eux zigzaguait, et l’autre, plus petit, s’appliquait à suivre son mouvement, quitte à trébucher à sa suite. C’était la marque d’une indéfectible obéissance. Quoi de plus normal que de montrer du respect envers l’éminence grise de Brissuc ?

 

Moly était aux côtés de Soum, le Diacre de la Peste du terrier. Le Pestilens était le Skaven le plus âgé de la communauté, et avait déjà vécu plus d’une quinzaine de cycles saisonniers, un âge honorable pour un Skaven, surtout du Clan Pestilens. Tout son corps n’était plus qu’un foyer d’infection ambulant. Il portait une robe de tissu brun lourd et sombre avec de petits grelots cousus çà et là dessus, et une capuche assortie percée de deux trous pour les yeux et deux autres pour les oreilles recouvrait intégralement sa tête. Chaque centimètre carré de sa carcasse exposé à l’air libre était gangrené. Sa fourrure était inexistante, sa peau tombée par quartiers depuis bien longtemps, ne laissant voir que des chairs noires à vif. Il avait le dos voûté, et sa colonne vertébrale se dressait entre ses deux omoplates par-dessus sa nuque en une impressionnante bosse. Sous sa robe, il paraissait d’une maigreur presque surnaturelle, seul son ventre laissait voir un renflement. Klur jugea que son estomac ne devait pas être plus gros qu’une pomme.

 

Il tendit vers les trois jeunes Skavens une main à laquelle il manquait un doigt et tous les ongles. Son unique œil droit brilla d’une lueur jaunâtre comme les taches sombres qui maculaient sa robe au niveau de l’entrejambe. Diassyon frissonna en entendant un gargouillis issu du plus profond de la gorge du Diacre murmurer son nom.

 

-         Diassyon du Clan Skryre… Je sens ta tristesse. Elle se voit sur ta figure-figure comme un énorme abcès. Tu as peur, aussi. Ne crains rien, mon petit. Tu n’as rien à craindre de moi. Et je veillerai à apaiser cette tristesse.

 

La créature pivota lentement vers Chitik.

 

-         Mais sa tristesse n’est rien comparée à la tienne, Chitik la Vermine de Choc. Tu as un terrible chagrin. Je le sais. Et c’est normal. Dans la même journée, tu as failli à ton plus important devoir-devoir, et tu as perdu celui à qui tu étais le plus attaché. Oh, mon jeune ami… Je te serrerais volontiers dans mes bras, si je le pouvais.

 

Enfin, le vieux Pestilens regarda Klur.

 

-         Quant à toi, ton sens du devoir envers la colonie et le Rat Cornu t’ont préservé de ces affres. Tu es fort, audacieux, agile. Tu fais honneur à ton Clan, et à tout notre peuple.

 

Klur inclina la tête, plus par réflexe de survie que par conviction, car il était aussi surpris que les autres. Le Diacre Soum avait parlé avec une voix douce, rassurante, un ton auquel aucun des trois frères n’avait été habitué. Le contraste avec Vellux était saisissant. Le Prophète Gris était plutôt agréable à regarder pour un Skaven, mais avait un sale caractère, et se fâchait promptement et grandement pour des raisons souvent bénignes. Or, si le Diacre Soum était une grave insulte pour l’œil et le museau, il émanait de lui une sorte de chaleur troublante, indéfinissable… et agréable. Il pencha la tête sur le côté, et demanda :

 

-         Alors… êtes-vous prêts à me servir ? Vous dépendrez essentiellement de moi. Votre chef pourra toujours vous donner des instructions, bien sûr, mais les miennes passeront avant.

-         Même si ça va contre l’avis des chefs ? demanda le Coureur d’Égout.

-         Oui, car je vois mieux les choses qu’eux. Ils ne peuvent pas entendre le Rat Cornu. Moi, je peux. Comme notre Prophète Gris. Et si vos chefs ne sont pas d’accord avec moi… qu’ils subissent la colère du Rat Cornu.

 

Klur répondit par un sourire cruel. La perspective d’un meurtre ou deux pour l’exemple le réjouissait. Les deux autres se regardèrent, étonnés. Diassyon n’avait jamais pensé à se dresser contre le Maître Technomage Mabrukk. Quant à Chitik, il n’arrivait même pas à imaginer ce que ça signifiait. Le vieux Skaven reprit :

 

-         Continuez à bien servir votre Clan et notre colonie. C’est tout ce que je vous demanderai pour l’instant. Puis, plus tard, quand vous serez plus sûrs de vous… on passera à autre chose. D’accord ?

 

Sans mot dire, les trois frères hochèrent la tête, encore un peu surpris. Diassyon s’avança et bredouilla :

 

-         Je ne comprends pas.

-         Quoi donc ? demanda le Diacre avec douceur.

-         Ben… Moly n’arrête pas de grogner, de se plaindre… Je croyais que tous les Pestilens était comme ça. Mais vous… ô grandeur splendide avec la parole sacrée du Rat Cornu… vous êtes… gentil.

 

« Gentil »… Un mot qui n’avait que trop rarement sa place dans la société bestiale des Fils du Rat Cornu, qui sonnait généralement comme une moquerie ou une insulte. Il n’était pas possible de voir l’expression du Diacre, mais les quatre frères comprirent qu’il l’avait bien pris en entendant une quinte de toux régulière qui s’avéra être un rire. Les grelots résonnèrent en cadence.

 

-         Mes enfants, je crois que vous méritez un traitement différent des autres Skavens, parce que vous êtes différents. Vous êtes du même sang qu’un Prophète Gris. Vous êtes plus intelligents et plus capables que vos frères de Clan respectifs. Nous savons qu’il y a deux moyens de s’assurer de l’obéissance et de l’efficacité d’un Skaven : la force et la gentillesse. Pour vous, je me demande si on ne devrait pas essayer cette deuxième solution. J’ai réussi à convaincre le Prophète Gris Vellux que ça valait le coup-coup d’essayer. Alors je vais tenter l’expérience de la gentillesse. Et puisque nous parlons de gentillesse… il y a quelque chose que je souhaiterais vous demander. Non pas un ordre-ordre, plutôt une faveur.

 

Encore un terme dont bon nombre de fils du Rat Cornu ignorait l’existence.

 

-         La… laquelle, Diacre ? demanda Klur, de plus en plus troublé.

 

Le Diacre de la Peste cligna de l’œil en direction de Moly, qui se tenait toujours près de lui.

 

-         Moly, je t’ai choisi parce que tu m’as semblé le plus digne de transmettre notre message. Je te revois, petit raton accroché à la vie comme à la mamelle de la pondeuse qui l’a engendré.

 

Il posa une main bienveillante sur l’épaule de son jeune disciple, et se tourna vers les autres.

 

-         Savez-vous comment s’est passé votre répartition, mes enfants ?

 

La « répartition » désignait le moment où les principaux responsables des Clans d’une cité Skaven se partageaient les nouveau-nés viables d’une portée qui ne présentaient aucun signe particulier. Dans la plupart des villes Skavens, on les plaçait dans le Clan de leur père, mais certains terriers avaient adopté cette méthode relativement nouvelle, car elle permettait d’équilibrer le nombre d’individus par Clans. On n’avait pas non plus besoin de se soucier de qui avait engrossé la pondeuse. Le plus important était que les Pestilens pouvaient ainsi gonfler leurs rangs sans risquer de transmettre leurs maladies aux reproductrices.

 

-         Nous avons repéré le Skaven Noir et le Skaven Blanc tout de suite, bien sûr. Chitik a été placé dans la crèche de Furghân, et le Prophète Gris Vellux a pris Psody sous son aile. Puis les quatre représentants des Clans majeurs se sont répartis les quatre autres. Un pour chacun, personne n’allait être spolié. Cependant, le Clan Pestilens étant le plus représenté à Brissuc, j’ai eu l’avantage de pouvoir choisir le premier. Je vous ai alors regardés, vous trois, et votre frère du Clan Moulder. C’est alors que je t’ai repéré, toi, que j’allais appeler Moly. Tu n’étais pas le plus grand, mais tu étais le plus costaud, en dehors du Skaven Noir. Celui qui allait être le plus à même de résister à toutes les marques de notre Clan, afin de les transmettre. Je n’ai jamais regretté ma décision.

 

Il tapota paternellement l’épaule du Skaven crème.

 

-         Ne soyez pas trop durs avec votre jeune frère. Nous autres, du Clan Pestilens, avons notre manière de raisonner. Nous sommes un Clan à part dans la société Skaven. Le Rat Cornu a décidé de nous faire cadeau de son essence physique la plus intime. Cela laisse des traces sur notre corps. Et toute vie sociale ordinaire nous est interdite. Les Pestilens restent entre eux, et les autres Skavens les méprisent sans chercher à les comprendre.

 

Moly baissa la tête, visiblement honteux. Le Diacre le serra contre lui. Il continua d’une voix de plus en plus traînante :

 

-         Pour vous, c’est une malédiction répugnante, un sujet de moquerie. Mais nous voyons ça comme un fardeau, un sacrifice consenti pour le bien de notre peuple. Un jour, les races inférieures seront anéanties, et s’il y a des survivants, ils ramperont devant nous et nous supplieront d’en faire nos esclaves pour vivre encore un peu. Le monde sera tel que le veut le Rat Cornu. Et c’est nous, les Skavens du Clan Pestilens, qui serons les architectes de ce monde. Or, d’ici là, nous devons courber l’échine, et accepter ce sacrifice. Moly a été choisi par le Rat Cornu pour cette tâche. Et je vous assure qu’il en est digne-digne.

-         Pourtant, j’ai l’impression qu’il perd la tête, contesta Klur. Hier, il n’a rien fait !

-         Je sais, mon petit. Mais ce n’est qu’une impression. Plus le temps passe, et plus son corps s’adapte. Hier, il a réussi à rejoindre Brissuc tout seul. Il a parcouru des lieues dans un environnement dangereux, blessé et désorienté. Il a la peau dure-dure, et j’aime ça. Et très bientôt, son esprit sera suffisamment illuminé par la grâce du Rat Cornu pour que je puisse lui apprendre à utiliser la Magie Pestilens.

 

À ces mots, les quatre frères grognèrent d’étonnement, Moly le premier. Il existait trois écoles de magie chez les Fils du Rat Cornu, et celle des Pestilens était tournée vers les malédictions débilitantes, la pourriture des matières mortes ou vivantes, et la propagation de la maladie. Comme toutes les formes de magie, son apprentissage nécessitait une intelligence et une application bien au-dessus de la moyenne. Or le jeune Moine de la Peste paraissait en deçà des qualités exigées, surtout à ses propres yeux.

 

-         Moi… ? Mais… Diacre… je…

-         Mais oui, Moly. Ça fait longtemps-longtemps que je n’ai pas formé de Prêtre de la Peste. Mon savoir ne doit pas disparaître avec moi, il me faudra bien un successeur. Ton frère Psody était touché par la grâce spirituelle du Rat Cornu, et notre Prophète Gris m’a expliqué qu’il avait des capacités exceptionnelles pour un Skaven Blanc. Alors, pourquoi pas toi, son frère de sang ? Si ça se trouve, tu es appelé à devenir le nouveau Skrolk ?

 

Skrolk, le Seigneur de la Peste, était une légende pour les Skavens du Clan Pestilens, l’incarnation même de la déchéance et de la corruption, qui avait réussi à mettre la main sur de puissants artefacts appartenant au dieu de la maladie des choses-bizarres. L’idée qu’on puisse le comparer à cette figure extraordinaire fit monter le sang aux joues du jeune Moine. Soum relâcha son étreinte, et s’adressa de nouveau aux trois autres.

 

-         Je ne peux pas vous demander de le traiter comme un des vôtres. Mais je vous prie d’être plus gentils avec lui. Et vous verrez que le jour où il sera Diacre de la Peste, ce sera toujours bon de l’avoir de votre côté. Songez-y.

 

Le vieux Skaven passa sa main sous son masque pour tousser plusieurs fois. Il essuya le mucus glaireux sur sa robe, et annonça d’une voix plus forte :

 

-         Maintenant que c’est dit, il est temps de passer à la suite-suite. Votre jeune frère était chargé de lutter contre le sorcier chose-bizarre Aescos Karkadourian. Le Prophète Gris Vellux m’a demandé de le remplacer, et de mener ce combat. Notre stratégie va devoir évoluer. Pour commencer, il va falloir faire très attention-attention aux traces. Les choses-bizarres laissent toujours des traces quand elles polluent les choses-hommes.

-         Oh oui, je me souviens ! réalisa Diassyon. Quand nous sommes sortis pour la première fois, dans le village au-dessus du terrier, les choses-hommes faisaient des choses vraiment étranges-étranges ! J’en ai vu une qui s’accouplait avec un… cheval !

-         Et moi, j’en ai vu deux qui se cognaient dessus, mais ça les faisait rire, marmonna Moly. Pas normal-normal.

 

L’unique œil du Diacre étincela.

 

-         Exactement ! C’est de ça dont je parle. Karkadourian sert Slaanesh. C’est le dieu des plaisirs pas normaux. Et sa magie peut rendre fou !

 

Diassyon repensa à ce qu’il avait vu la veille. Il revit les deux jeunes Tirailleurs copulant entre eux, et son faciès se renfrogna.

 

-         Magie dangereuse-dangereuse.

-         Exact, Diassyon. Nous devons faire attention. À partir de maintenant, chaque fois que vous verrez un Skaven de Brissuc ou une chose-homme qui s’accouple n’importe comment, ou bien qui est content qu’on lui fasse du mal, alors vous me prévenez immédiatement. Klur, tu partiras faire des rondes aux alentours. Tu es celui qui pourra le mieux espionner les choses-hommes. Tu es donc mes yeux et mes oreilles à l’extérieur de la colonie.

 

Le Skaven anthracite inclina la tête. Le Diacre pivota vers Chitik et Diassyon.

 

-         Vous deux, vous continuez à servir vos chefs, mais dès que je saurai où trouver Karkadourian ou ses agents, je vous appellerai, et vous viendrez m’aider à le débusquer.

 

Le Skaven Noir s’agenouilla, imité par le Skryre. Soum tapota encore l’épaule de son disciple.

 

-         Quant à toi, Moine de la Peste, je vais t’apprendre à fabriquer des potions-potions plus redoutables encore. Ce sera la première étape vers ton apprentissage.

 

Le Diacre recula, se courba en avant, et cracha un flot de salive noirâtre et mousseuse.

 

-         Je vais maintenant vous laisser, et me retirer pour prier le Rat Cornu. Avec sa force, nous ne pouvons que gagner. Moly, tu me retrouveras dans une heure à mon étude. D’ici là, fais ce qu’il te plaira.

-         Merci, ô mon grand et indéfectible maître.

 

Soum amorça un mouvement vers l’un des tunnels, et marcha à pas traînants. Il s’arrêta, et dit encore sans se retourner :

 

-         Une dernière chose : ne parlez pas de mes instructions. Vellux sait, mais pas vos chefs de Clan, et je ne veux pas que ça change. Et surtout, ne dites à personne ce que je compte faire de Moly. Un jour, la colonie l’apprendra, mais j’aimerais que ce soit de ma bouche seulement. Tâchez de vous en souvenir.

 

Il reprit son chemin et disparut, laissant les quatre jeunes Skavens seuls. La Vermine de Choc se redressa, sa figure n’exprimait qu’amertume.

 

-         Je ne comprends pas. Pourquoi j’ai mal au ventre, comme ça ?

-         Parce que tu es triste, siffla Diassyon. Je sais ce que ça fait.

 

Chitik se tourna vers le Skryre, avec un regard qui mêlait profond chagrin et interrogation. Le Skaven brun continua à l’attention de ses trois frères :

 

-         Écoutez-écoutez ! Nous ne sommes maintenant plus que quatre d’une portée suffisamment exceptionnelle pour avoir eu un Skaven Noir et un Skaven Blanc ! Vous savez ce que ça signifie ? Nous aussi, nous sommes favorisés par le Rat Cornu ! Nous ne devons pas le décevoir ! Nous devons rester unis-unis !

-         Pas de lien de sang chez les Skavens ! grogna d’une voix forte le Moine de la Peste. Nous sommes tous des Fils du Rat Cornu, et rien d’autre !

-         Moly, tu commences à m’agacer-agacer ! glapit Diassyon. Tu n’aimais pas Psody, mais ce n’est pas une raison pour être aussi méprisant !

 

Le Skaven brun tremblait de colère, et ses yeux lançaient des éclairs de rage. Il repensa à la manière dont le Pestilens l’avait réprimandé la veille, et sa colère en fut attisée. Chitik prit peur et s’interposa entre ses deux cadets.

 

-         Diassyon ! Moly ! Pas de bagarre ! Le Diacre nous a demandé d’être « gentils » !

 

Personne ne bougea, et un silence moite plana pendant une dizaine de secondes. Le Moine de la Peste baissa la tête.

 

-         Je ne le détestais pas, Diassyon. Je l’admirais. J’aurais vraiment aimé le connaître un peu plus. Mais les Moines de la Peste sont condamnés-condamnés à n’être compris que par les Moines de la Peste. Tu as entendu le Diacre, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais osé changer ma façon de voir, et Psody m’a toujours méprisé, comme tous les autres.

-         Tu pissais sur ses idées et sa personnalité !

-         Non plus.

 

Cette fois, le Pestilens soutint le regard du Skryre.

 

-         Psody avait des idées étranges. Le Rat Cornu lui murmurait des choses que nos anciens n’approuvaient pas. Je n’approuvais pas ces idées non plus, mais je ne les trouvais pas méprisables. En fait, elles me fascinaient, mais elles me faisaient peur, en même temps. Elles étaient très différentes, et si on les suivait, elles pouvaient changer beaucoup de choses. Je crois que c’est ça qui l’a tué. Il n’a pas voulu faire comme tous les Skavens, et du coup il est mort. Diassyon, si nous nous conduisons comme lui, nous finirons de la même-même façon.

-         Je suis d’accord avec toi ! déclara alors Klur, qui n’avait pas pipé mot depuis le départ du Diacre.

 

Le Coureur d’Égout s’était allongé sur la paroi concave d’un large tuyau de cuivre. Il murmura :

 

-         Nous avons toujours vécu comme nous vivons. Notre société est constituée comme ça, et nous ne devons pas en perturber l’équilibre. Psody pensait comme toi, Diassyon. Il était attiré par la lumière du jour, et par les idées nouvelles. Il a voulu prendre des pondeuses maudites à son service. Il a remis en question nos lois en insistant pour qu’on te laisse en vie, Chitik. Quelque chose me dit que si les maraudeurs choses-bizarres ne l’avaient pas tué, quelqu’un d’autre l’aurait fait. Un autre fils du Rat Cornu.

-         Tu… tu crois ? bredouilla le Pestilens.

-         J’en suis sûr. Maintenant, oublions-le, notre mission continue, pour la gloire de notre dieu, et de Brissuc !

 

Et l’Eshin disparut sans bruit dans le tunnel. Diassyon et Chitik restèrent à regarder leur frère décrépit. Celui-ci s’assura que Klur ne fût plus là, et à la surprise de ses deux aînés, il s’assit par terre, et éclata en sanglots.

 

-         Pauvre, pauvre de nous ! Pauvre Psody !

 

Soudainement submergé de compassion, le grand Skaven Noir s’approcha du Skaven crème, mais le Skaven brun l’attrapa par le bras.

 

-         Non !

-         Mais… regarde-le, il est très triste ! On peut pas le laisser comme ça !

-         Il ne faut pas le toucher, Chitik ! Tu risques de tomber malade !

-         Oh…

 

Chitik et Diassyon furent soudain terriblement gênés. Jusqu’à présent, ils n’avaient jamais éprouvé une telle émotion. Autant ils se montraient impitoyables envers leurs ennemis, et complètement indifférents à l’égard des autres Skavens, autant le chagrin manifeste de leur jeune frère les bouleversa. Était-ce une manifestation des « liens du sang » dont Vellux et Soum avaient parlé ? Instinctivement, le Skryre avait lui aussi envie de se rapprocher du Moine de la Peste, le toucher amicalement, le serrer contre lui pour le réchauffer… mais il savait très bien le danger que ça représentait. Quant à Chitik, l’aîné de la portée, il se sentit complètement impuissant. Voilà un mal contre lequel il ne pouvait pas lutter, cette pensée le fit trembler.

 

Finalement, Moly se calma un peu, et releva la tête.

 

-         Je suis… désolé.

-         Je ne peux pas te soulager, Moly, et ça me rend très triste. Vraiment-vraiment.

-         Je sais, Diassyon, je sais. Pas grave.

 

Moly se remit debout, renifla un bon coup, et bredouilla :

 

-         Je dois y aller. Je vous retrouve plus tard.

 

Il se dirigea à pas lents et traînants vers le quartier des Pestilens. Les deux Skavens se regardèrent.

 

-         J’aime pas le voir comme ça, articula Chitik.

-         Moi non plus. Et je ne crois pas qu’il soit méchant-méchant, au fond.

-         Soum a raison, on devrait être « gentils » avec lui. Mais Klur ne voudra jamais.

-         Qu’il crève.

 

Chitik allait répondre, mais il se retint, se gratta le crâne, et finit par hocher la tête. Le Skaven brun ajouta :

 

-         Ouais… Je préfère contrarier Klur que laisser pleurer Moly.

-         Moi aussi. Et si Klur te cherche, il va me trouver !

 

La Vermine de Choc allait retourner vers les quartiers des Skavens Noirs, lorsque le Skaven brun le retint par le bras.

 

-         Attends !

 

Le Skryre regarda à droite puis à gauche, et chuchota :

 

-         Écoute, frère, je ne suis pas Psody, c’est vrai. Je ne pourrai jamais le remplacer. Je n’ai pas de poils blancs, pas de cornes, et le Rat Cornu ne me parle pas directement. Mais je suis là. J’ai le même sang que toi. Je me fiche de ce que Klur a dit, je me sens mieux quand je suis avec toi. Si tu veux bien, laisse-moi être ton nouveau protégé.

 

Et pour appuyer ses dires, Diassyon s’agenouilla, laissa glisser son gilet sous son tablier, et présenta sa nuque au Skaven Noir. Ce geste, très rarement accompli de plein gré chez les Skavens, était une façon pour celui qui le faisait de mettre sa vie entre les mains de celui à qui il était adressé. L’autre devait marquer de son urine le cou du soumis. C’est ce que fit le Skaven Noir.

 

Une fois ce petit cérémonial accompli, Chitik serra contre lui Diassyon. Il pleura encore sur son épaule, le Skryre le réconforta, et finalement les deux Skavens se séparèrent.

 

 

-         Et donc, il l’a marqué de son jus ?

-         Oui, Prophète Gris.

-         Tu as pu les voir ?

-         Ils étaient trop occupés à pleurnicher. Je n’ai rien raté.

-         Bien.

 

Le Prophète Gris Vellux eut un méchant sourire.

 

-         Continue à bien les surveiller. Ils sont comme Psody et toi, ils ont une forte tête. Il ne faudrait pas qu’ils fassent les mêmes erreurs-erreurs.

-         J’y veillerai, Prophète Gris.

 

Vellux tendit à Klur une petite bourse de cuir. Quand l’Eshin l’ouvrit, il ricana en voyant les petites pépites de malepierre à l’intérieur.

 

-         Tu sais ce qui t’attend si tu essaies de tricher avec moi, Klur du Clan Eshin.

-         Bien sûr, ô porteur de la grande parole du Rat Cornu. Mais je ne suis pas comme mes frères. Je sais à qui obéir, moi.

-         Alors, ne change rien. Sers-moi intelligemment, et tu auras ta récompense.

 

Le Skaven anthracite grogna d’impatience. Il s’aplatit sur le pavage poussiéreux du laboratoire, et se retira prestement. Une fois seul, Vellux ricana doucement.

 

Pauvre idiot ! Jamais tu ne pourras utiliser la magie du Clan Eshin !

 

 

Une colonne de lumière douce descendait de la crevasse pratiquée dans le plafond. C’était le trou par lequel Diassyon du Clan Skryre aimait contempler le ciel, quand il avait envie de se détendre un peu. Longtemps, il s’était demandé où menait ce grand trou, et pourquoi les choses-hommes n’avaient jamais eu le courage de descendre par-là pour les surprendre. Et puis, un jour, il avait réussi à parvenir au sommet grâce à sa « supergrimpette », un jezzail sans poudre, mais avec un ressort très puissant, auquel était attaché un long câble terminé par un grappin. Il avait envoyé le grappin qui s’était accroché entre deux racines au bord du trou, et était remonté en rembobinant le câble.

 

Tous les Skavens qui avaient assisté à l’événement avaient d’abord ricané, mais les moqueries avaient laissé place à l’admiration excitée. Une fois à la surface, le Skaven brun n’avait pas entendu les hourras et les couinements de joie de ses pairs, tant il avait été subjugué par le spectacle. Le trou menait tout simplement à une clairière qui se trouvait sur une grande colline à quelques lieues de Niklasweiler. Un lieu dans la forêt profonde, où les choses-hommes n’osaient jamais aller. L’espace entre les arbres était suffisamment large pour permettre au soleil et aux lunes d’y déverser leur lumière.

 

Le décor en lui-même n’était pas très enchanteur, mais ce jour et cette prouesse se gravèrent dans la mémoire du Skryre. Il n’avait plus jamais douté pouvoir atteindre l’une des lunes, un jour ou l’autre. Cette caverne était désormais son sanctuaire personnel.

 

Diassyon était assis par terre, les yeux levés et grands ouverts vers cette promesse que lui faisait la voûte en le laissant voir les centaines de petites lumières scintillant dans le ciel bleu sombre.

 

Psody lui avait expliqué que ces petites choses n’apparaissaient que la nuit, et qu’on les appelait « étoiles ». Ces « étoiles » étaient rassemblées en groupes, et c’était d’elles que le Rat Cornu transmettait sa puissance à ses plus proches serviteurs. Elles contenaient beaucoup de magie, et permettaient de communiquer avec les esprits d’autres Skavens Blancs.

 

Diassyon savait bien qu’il n’arriverait jamais à percevoir le plus petit pouvoir de l’une ou l’autre de ces petites étincelles brillantes. Il voulut cependant faire une dernière prière. Tout en contemplant fixement les cieux, il revit le visage du jeune Skaven Blanc disparu, et songea :

 

Psody, où que tu sois désormais… que le Rat Cornu veille sur toi, mon frère.

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