Le Royaume des Rats

Chapitre 79 : Pugilat aux portes de l'antre

6240 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/06/2023 15:29

Dans la fosse, Marjan était toujours en train d’attendre, au milieu des garçons-rats, sur le qui-vive, prête à réagir à la moindre alerte. Au loin, les cris de colère et les coups de feu retentissaient toujours. Mais les deux gardes aux yeux lumineux n’avaient pas bougé. Ils étaient immobiles comme des statues, c’en était presque effrayant.

 

C’est alors qu’un léger grondement se fit entendre. Le grondement s’amplifia rapidement, puis soudain, deux chocs retentirent simultanément.

 

-         Qu’est-ce que c’était ? demanda un des petits prisonniers.

-         J’en sais rien, répliqua Marjan. Gardez les yeux ouverts.

 

Un autre enfant Skaven leva le doigt vers l’ouverture.

 

-         Hé, regardez ! Les gardes ont disparu ! Je ne les vois plus !

 

C’était vrai. Du fond de la fosse où ils se trouvaient, les prisonniers ne pouvaient plus distinguer les silhouettes des deux gardes, pas plus que l’éclat de leurs yeux verts.

 

-         Du calme, les enfants. Surtout, ne bougez…

 

Tout le monde sursauta à cause du bruit causé par un lourd raclement, comme si quelqu’un traînait quelque chose de très lourd sur le sol. Un lourd cliquetis retentit, et peu à peu, la grille se souleva, juste assez pour laisser passer une personne, puis elle s’immobilisa.

 

-         Quelqu’un vient de nous ouvrir, constata Marjan.

-         Qui ? Qui ?

 

L’un des petits Skavens cria :

 

-         Ohé ? Qui est là ?

 

Balin s’empressa de lui couvrir la bouche de sa main.

 

-         Tais-toi donc ! On ne sait pas ce qu’il y a, là-haut !

 

Il relâcha sa prise, et se tourna vers l’Humaine.

 

-         C’est peut-être un piège ?

 

Marjan secoua la tête.

 

-         Je ne pense pas. C’est pas du tout leur genre.

-         Alors, on s’enfuit ! Vite !

-         Oui, oui ! Fuyons ! s’exclamèrent tous les enfants-rats.

-         Non !

 

Marjan avait haussé le ton et levé la main. Un lourd silence s’abattit dans la fosse.

 

-         Si nous sortons tous en même temps d’ici, nous n’avons aucune chance d’échapper aux Skavens Sauvages.

-         Hein ?

-         Comprenez bien : vous êtes petits, vous êtes faibles, certains d’entre vous n’arrivent même pas à tenir debout. Jamais nous ne pourrons leur échapper tant qu’ils ne sont pas repoussés par nos amis ! Seulement, pour ça, il faut qu’ils puissent entrer. Ils ont besoin qu’on les aide, et c’est ce que je vais faire. Vous restez tous ici, et je vais voir ce que je peux faire.

 

Contrairement à ses attentes, cette réponse ne rassura personne. Balin bredouilla :

 

-         Vous… vous allez nous abandonner ?

 

À cette terrible hypothèse, la peur s’insinua dans les esprits aussi rapidement qu’un feu dans une prairie d’herbes sèches. Quelques-uns commençaient déjà à pleurer.

 

-         Écoutez, je sais que ce n’est pas facile, mais vous devez me faire confiance. Je devrais pouvoir trouver un moyen d’aider nos troupes à entrer. Quand j’y serai arrivée, je reviendrai vous sauver. En attendant, je vais sortir de cette fosse, et je refermerai la grille derrière moi, comme ça, les Skavens Sauvages ne se méfieront pas.

-         Ils verront bien que les gardes ne nous surveillent plus ! gémit un petit Skaven.

-         Peut-être, mais s’ils regardent à travers la grille, comme vous serez toujours là, ils vous laisseront tranquilles.

-         Mais s’ils se rendent compte que vous n’êtes plus avec nous ?

 

La grande femme blonde soupira d’agacement.

 

-         D’accord, c’est un petit risque à courir. Mais si je ne fais rien, si je reste avec vous, il y aura un gros risque pour que nos soldats ne puissent pas entrer, et qu’on reste ici pour toujours ! Alors, je choisis de mettre ma vie en danger pour vous sortir de là. Faites-moi confiance, soyez sages, et tout ira bien.

 

Il y eut de nouveau un court silence. Les enfants-rats avaient l’air d’accepter cette réalité. Balin demanda encore :

 

-         Vous reviendrez nous chercher, vous le promettez ?

 

Marjan s’agenouilla pour être à la hauteur du petit garçon-rat.

 

-         Oui, je te le jure, fiston. Je le jure, au nom d’Ulric, dès que j’aurai ouvert la route à nos troupes, je reviendrai vous chercher. Le feu froid révèle tout.

-         Qu’est-ce que ça veut dire ?

 

La grande femme blonde eut un petit sourire en coin.

 

-         C’est ce que disent les gens qui prient Ulric pour faire un serment sans mentir. Souhaitez-moi bonne chance, je n’en aurai pas pour longtemps.

 

Quelques petits Skavens répondirent « bonne chance ». Satisfaite, Marjan sauta contre le mur, s’accrocha aux pierres saillantes, et grimpa en quelques instants jusqu’à l’ouverture. Elle roula sous la grille, et se retrouva à l’air libre. Elle se pencha en avant et dit encore :

 

-         N’ayez pas peur, je rabaisse la grille pour éviter d’attirer l’attention. Quand elle bougera de nouveau, ce sera pour vous faire sortir !

 

Les petits ratons virent la grille retomber dans un grand bruit. Puis ils entendirent ses pas s’éloigner. Ils se regardèrent les uns les autres.

 

-         Nous sommes seuls, constata l’un d’eux.

-         Restons forts, déclara fermement Balin. Comme a dit Dame Marjan.

 

*

 

-         Stupides choses-hommes… maugréa Karhi.

 

Du haut du rempart de l’ancien avant-poste Nain, le Prophète Gris regardait les troupes ennemies. Ils n’avaient pas bougé. Le Skaven Blanc eut un méchant sourire quand il pensa avoir compris pourquoi. Il cria de toutes ses forces :

 

-         Trop peureux pour affronter les Fils du Rat Cornu ! Lâches-poltrons ! Et vous, les traîtres à notre race, le Rat Cornu vous bouffera un par un, vous avalera, vous digérera, et vous chiera !

 

Les envahisseurs avaient bien entendu ses terribles menaces, mais pour toute réponse, le Prophète Gris n’obtint que des éclats de rire et des insultes. Il trépigna de rage.

 

-         Jezzails ! Clouez-moi ces becs-becs !

-         Mais… ils sont trop loin, ô merveilleux-sublime…

-         Obéissez, ou subissez ma colère ! coupa Karhi, les yeux injectés de sang.

 

Affolés, les quelques fusiliers du Clan Skryre visèrent, et les balles de malepierre fusèrent à travers le tunnel. Comme ils l’avaient redouté, les Skavens Sauvages virent les traînées vertes se dissiper avant d’avoir atteint le moindre ennemi. Leurs jezzails étaient en réalité de piètre qualité.

 

-         Vous êtes vraiment tous de misér…

 

Brusquement, la fourrure du Skaven Blanc se hérissa.

 

Tiens-tiens ?

 

Le Prophète Gris venait d’éprouver une sensation bizarre. Il s’abrita derrière le créneau, et réfléchit. Qu’est-ce qu’il avait ressenti ? Un drôle de petit pincement dans sa moelle épinière, un picotement électrique…

 

Quelqu’un a utilisé de la magie-magie dans mon terrier !

 

Oui, c’était ça ! La magie du Warp qui parcourait en permanence la cité d’Ysibos venait de vibrer, comme l’eau d’une grande flaque dans laquelle tombait un petit caillou. Mais malgré sa concentration, il ne parvint pas à comprendre, encore moins identifier la nature de cette magie.

 

Il n’eut pas le loisir d’y réfléchir davantage. L’un des Skavens près de lui pointa le doigt vers les troupes choses-hommes et couina :

 

-         Prophète Gris, Prophète Gris ! C’est quoi, ça ?

 

Au fond du tunnel, les choses-hommes étaient en train de s’écarter pour laisser passer des assemblages de bois montés sur roues. Karhi claqua la nuque du Guerrier des Clans.

 

-         Jamais vu-vu de catapulte, imbécile ? Mais ils sont idiots-stupides ! Cette porte chose-naine est trop solide.

 

 

Himmelstoss surveillait les Skavens Sauvages avec sa longue-vue.

 

-         Le Blanc a l’air en pétard, Capitaine !

-         On va lui donner une bonne raison pour ça. Vous autres, où en êtes-vous ?

 

Les Nains finissaient de pousser les catapultes qu’ils avaient assemblées derrière le régiment. Il y en avait une demi-douzaine. Ils actionnèrent les freins.

 

-         Quand vous voulez, Capitaine Steiner !

-         Alors, armez !

 

Les Nains les plus forts sortirent des caisses les tonnelets explosifs, et les placèrent dans les cuillères. Une fois les six catapultes prêtes, Sigmund pointa son épée vers le portail.

 

-         Feu !

 

Les ouvriers de Maître Barisson coordonnaient les gestes : l’un allumait la mèche du tonnelet, l’autre relâchait le levier qui maintenait le bras de l’engin de siège, et le projectile partait s’écraser sur la muraille. Sans attendre, les deux opérateurs tournaient ensemble les volants pour réarmer la catapulte, tandis que les costauds ramenaient des munitions.

 

Une première salve de tonnelets provoqua un effrayant tintamarre. Les flammes de poudre illuminèrent la voûte, le souffle leva des tourbillons de fumée, et le bruit des explosions tonna à travers toute la caverne, recouvrant les couinements furieux et effrayés des Skavens Sauvages. Même s’il ne pouvait pas le voir, Himmelstoss sourit en pensant au Prophète Gris, il l’imaginait en train d’écumer de frustration.

 

Mais la fumée se dissipa, et l’amère réalité s’imposa à l’armée de Vereinbarung. Ickert cracha de colère.

 

-         La porte a tenu bon !

-         C’est de l’artisanat nain, c’est construit pour durer !

 

Sigmund s’inquiéta. Il se tourna vers les Nains.

 

-         Vous autres, combien avons-nous de munitions ?

-         Peut-être de quoi lancer trois ou quatre autres salves, pas plus, Capitaine, répondit Skadia Gandolfsdöttir.

-         Bon sang ! C’est tout ?

-         On ne pouvait pas en mettre davantage dans le bateau, c’est que ça pèse lourd, les tonnelets à poudre ! protesta l’un des Nains.

 

Sigmund ne voulut pas provoquer un conflit avec les ouvriers. Il leva la main.

 

-         Bon, d’accord, je comprends. Préparez quand même une nouvelle salve !

 

 

Karhi sortit de son abri. Son cœur était littéralement tiraillé par deux instincts contradictoires, mais aussi forts l’un que l’autre : la peur et la fureur. D’un côté, les explosifs envoyés par les choses-hommes et les choses-naines avaient passablement secoué tous ses Guerriers des Clans, lui-même avait réussi à se cacher in extremis derrière une Vermine de Choc. Plusieurs Skavens avaient été blessés par les éclats des tonnelets qui avaient explosé dans les airs, certains avaient même péri. D’un autre côté, l’épaisse porte avait tenu bon, les choses-hommes n’étaient pas plus avancés, et surtout, une telle obstination de leur part était un affront, une insulte au Rat Cornu, et au fond de lui, Karhi le savait.

 

Le Rat Cornu veut-réclame le sang de ces cafards !

 

Il décida d’arrêter de regarder les choses-hommes bombarder son terrier et de riposter. Il fouilla dans sa sacoche, et en sortit une petite boulette de malepierre de la taille d’une noix. Il la goba d’un coup, et aussitôt, l’énergie Warp cristallisée se déchaîna dans son estomac. Son visage se tordit de colère, il braqua son regard vers les rangs adverses.

 

Karhi agita les mains tout en marmonnant des syllabes en queekish, puis il étira les doigts au-dessus de sa tête, vers le fond du tunnel.

 

 

Les Nains finissaient de charger les catapultes, lorsque soudain une odeur abominablement pestilentielle écœura toutes les narines. Un nuage verdâtre traversé de volutes violettes s’abattit sur le régiment. L’effet fut immédiat. Les premiers exposés furent pris d’une quinte de toux violente. Certains furent pris de spasmes, se roulèrent dans la poussière, et toussèrent, toussèrent à en cracher leurs poumons.

 

Les Skavens, dont l’organisme était naturellement renforcé contre ce genre de désagrément, ne furent pas gênés à ce point. Sigmund eut le réflexe de se mettre un bout de tissu sur le visage. Mais le nuage lui piqua méchamment les yeux. Il s’accroupit, et dut s’essuyer les paupières. Il cria :

 

-         Catapultes, tirez !

-         Mais… on n’y voit rien, Capitaine !

-         Les catapultes sont toujours orientées vers l’ennemi, non ? Alors, feu !

 

 

Sur le rempart de l’ancienne forteresse Naine, Karhi ricana.

 

-         Choses-hommes et traîtres au Rat Cornu vont comprendre que le Rat Cornu ne rigole-plaisante pas !

 

En réponse à sa provocation, six tonnelets explosifs crevèrent le nuage de pourriture magique et explosèrent sur les remparts. Les flammes roussirent les poils du Skaven Blanc.

 

-         Espèce de vermine insolente !

 

 

La panique gagnait les Guerriers des Clans qui attendaient toujours derrière les grandes portes. Blokfiste beuglait pour leur intimer de se calmer.

 

Et dans l’ombre, Marjan Gottlieb guettait la scène, et attendait une occasion.

 

Elle repéra bien vite le levier d’ouverture, et les esclaves tremblants de peur, recroquevillés dans la cavité.

 

Il n’y avait plus à hésiter.

 

Elle courut aussi vite et silencieusement qu’elle put jusqu’à l’une des échelles. Au passage, elle ramassa une épée qui traînait par terre. En quelques instants, elle fut en haut. Elle se précipita sur les esclaves, et leur montra la roue avec un doigt énergique.

 

-         Hé, vous trois ! Debout, et ouvrez cette porte ! ordonna-t-elle en queekish.

 

Surpris et effrayés, les trois Skavens n’osèrent pas bouger. La jeune Humaine grogna d’énervement, et balança son pied dans le flanc du plus proche. La malheureuse chose couina de douleur.

 

-         Allez ! Vite-maintenant !

 

Les esclaves se levèrent, et obéirent, motivés par la peur des coups. Les lourdes chaînes cliquetèrent, les panneaux de la porte s’ébranlèrent. Karhi le remarqua aussitôt.

 

-         Mais qu’est-ce que vous foutez-foutez ?

 

Le gros Skaven Blanc jeta un coup d’œil rageur vers les esclaves, et ses yeux s’écarquillèrent à la vue de la grande femme blonde. D’un geste, il empoigna le pistolet à malepierre accroché à son ceinturon, le braqua vers la femme, et pressa la gâchette. Marjan bondit sur le côté, et évita la balle, qui ricocha sur la pierre, avec une étincelle verdâtre. Karhi serra la main dans sa direction.

 

-         Abattez cette chose-femme !

 

Trois Guerriers des Clans coururent vers Marjan, armes en avant. De son côté, l’Humaine fit tournoyer son arme. Bien sûr, cette lame récupérée n’était pas du tout de la même qualité que son épée personnelle, mais cela ne gêna pas trop la guerrière. En quelques secondes, elle trancha la gorge du premier Skaven Sauvage, puis fracassa la tête du deuxième, et comme elle n’arrivait pas à retirer l’épée rouillée, trop profondément enfoncée dans le crâne de l’homme-rat, elle fit basculer le troisième du haut du rempart d’un coup d’épaule bien placé.

 

Une fois débarrassée des Guerriers des Clans, elle empoigna la hache de l’un d’eux, et se tourna vers les esclaves qui la regardaient, pétrifiés d’épouvante.

 

-         J’ai pas dit d’arrêter ! Ouvrez cette porte, maintenant-maintenant ! ordonna-t-elle derechef.

 

Les trois Skavens malingres retournèrent à la tâche avec deux fois plus de zèle.

 

Le grand guerrier en armure rouge avait tout vu. Il brandit sa masse d’armes, et gronda :

 

-         Décidément, Karhi, tu es entouré de bons à rien ! Je vais m’en occuper ! Restez en bas, mes gars, je reviens !

 

Et Lennart Sang-de-Feu gravit quatre à quatre l’un des escaliers. Marjan l’attendait de pied ferme. Le Guerrier du Chaos s’arrêta à quelques pieds de la femme pour reprendre son souffle.

 

Les deux combattants restèrent face à face sans bouger ni parler. Le tumulte autour d’eux ne semblait pas avoir le moindre affect sur leurs sens. Puis le personnage en armure rouge brandit sa masse d’armes à deux mains au-dessus de sa tête, et l’abattit avec un rugissement furieux vers la jeune femme. Elle roula sur le côté, et évita la tête de fer cloutée. Les pierres du rempart éclatèrent. Lennart fit un balayage de gauche à droite, et une fois de plus, l’Humaine esquiva le coup, plus gracieusement. L’arme massive siffla dans l’air une troisième fois, et une troisième fois Marjan ne fut pas touchée. En revanche, elle profita de cette ouverture pour balancer un grand coup de pied dans le flanc du Guerrier du Chaos. Lennart recula avec un grognement.

 

Karhi n’avait rien perdu de la scène.

 

-         Elle essaie de gagner-gagner du temps, imbécile ! Tue-la vite, et arrête ces esclaves !

 

Le combattant en armure rouge gronda, et balança son poing vers la figure de Marjan. Le choc la fit rouler sur le rempart. Lennart ricana, et leva de nouveau sa masse d’armes. La femme blonde plongea en avant, passa entre les jambes du Guerrier du Chaos, se releva et le renversa d’un coup de manche de hache sur le dos. Lennart s’étala de tout son long.

 

Marjan posa le pied sur le dos de Lennart, leva sa hache, lorsque son adversaire se redressa brusquement, avec une force irrésistible. Elle bascula en arrière. À peine sur pied, Lennart ramassa son arme, et l’abattit de toutes ses forces vers l’Humaine. Marjan eut le réflexe de rouler sur son épaule, vers l’arrière, et évita de justesse la tête de fer. Elle se releva dans le mouvement, et sa hache percuta le bras du guerrier en armure.

 

Pendant ce temps-là, les esclaves continuaient d’enrouler la chaîne.

 

Karhi était abasourdi. Il ne savait pas contre qui il devait se fâcher le plus : les Guerriers des Clans pour leur incompétence ? Les esclaves pour avoir osé obéir à une créature aussi inférieure qu’une chose-femme ? Ce grand balourd de Lennart qui n’arrivait guère à la corriger comme elle le méritait ? Il rechargeait tant bien que mal son arme tout en réfléchissant à qui serait destinée la prochaine balle ?

 

Les choses-hommes allaient entrer, c’était un fait.

 

La panique provoquée par l’incapacité à ses serviteurs de faire quoi que ce soit l’avait déconcentré, et le nuage pestilentiel se dissipait rapidement. Les portes étaient désormais trop ouvertes, ils n’auraient pas le temps de les refermer avant la charge des envahisseurs. Même la grande chose-bizarre en armure rouge n’était pas maîtresse de la situation, son combat contre la chose-femme aux cheveux jaunes s’éternisait. Et pour ajouter une couche de malheur, une troisième salve de tonnelets explosifs ébranla toute la caverne.

 

L’instinct du Skaven Blanc lui dicta la meilleure chose à faire.

 

Il descendit rapidement du rempart par l’échelle la plus proche, et une fois en bas, il fit de grands gestes vers l’armée au bout du tunnel.

 

-         Guerriers des Clans ! Lutter-combattre choses-hommes ! Pour la Gloire du Rat Cornu !

 

Il ne leur laissa pas le temps de réfléchir davantage, et courut plus profondément dans les entrailles d’Ysibos. Au passage, il attrapa Blokfiste par le bras.

 

-         Viens avec moi ! Défends ton Prophète Gris !

 

Blokfiste n’était pas impatient de se battre contre les choses-hommes alors que l’avantage n’était plus aussi clairement de son côté. Il suivit le gros Skaven Blanc sans protester.

 

 

-         Soldats de Vereinbarung, en avant ! Chargez ! ordonna Sigmund.

 

Le Skaven Noir et les cavaliers partirent en tête, suivis par les fantassins qui chargèrent avec des cris guerriers.

 

Il ne fallut que quelques dizaines de secondes aux destriers pour parvenir au portail. Les Skavens Sauvages équipés de jezzails à malepierre, trop impressionnés par la tournure des événements, tirèrent au hasard sans toucher personne. Juste de l’autre côté du seuil de la grande porte se tenait la masse compacte des Guerriers des Clans, qui n’étaient pas plus rassurés, mais semblaient préférer combattre pour la Gloire du Rat Cornu plutôt que fuir et contrarier leur Dieu.

 

-         Ralentissez ! s’écria Sigmund en tirant sur les rênes d’Okapia.

 

Enfin, la première ligne de cavaliers percuta le régiment de Guerriers des Clans dans un grand fracas de métal et de chair. La manœuvre du capitaine Steiner avait amoindri la violence du choc, et ainsi les armes des Skavens Sauvages meurtrirent les chevaux moins durement.

 

Et ce fut le début d’un violent assaut.

 

Les cavaliers frappèrent à tour de bras, tailladaient la masse de Guerriers des Clans. Leurs destriers n’étaient pas en reste, et les coups de sabots martelèrent les Skavens Sauvages.

 

Marjan et Lennart continuaient à se battre, quand soudain, le Guerrier du Chaos recula, tourna la tête en contrebas, et tapa du pied.

 

-         Quelle bande de pauvres cons ! Tous autant qu’ils sont ! Tant pis pour eux, Khorne a soif !

 

Et il rompit le combat, dégringola plus qu’il ne descendit d’une des échelles, et courut vers sa bande de maraudeurs, eux-mêmes en attente d’un ordre. Ordre qui ne tarda pas.

 

-         Allez, mes guerriers ! Tapez sur tout ce qui ne porte pas la marque de Khorne ! Du sang pour le Dieu du Sang !

-         Des crânes pour le trône de Khorne ! répondirent les maraudeurs du Chaos à l’unisson.

 

Les Chaoteux se jetèrent dans la mêlée, et tapèrent à leur tour sur les Skavens Sauvages. Ils entamèrent le régiment par le flanc gauche.

 

Toujours sur Okapia, Sigmund distingua les maraudeurs.

 

-         On fonce ! Qu’ils massacrent les Skavens Sauvages, nous devons passer ! Transmettez la consigne aux fantassins !

 

Les coups de Sigmund redoublèrent de violence alors qu’il forçait le passage à travers les rangs des Skavens Sauvages.

 

D’autres Skavens Sauvages déboulèrent du fond de la grotte, impatients de faire couler le sang de chose-homme. Lennart Sang-de-Feu s’en aperçut. Il leva sa masse d’armes dans leur direction.

 

-         Allez, on tue ceux-là ! Du sang pour le Dieu du Sang !

 

Ses hommes lui obéirent. Ils cessèrent de s’en prendre aux Skavens Sauvages déjà occupés avec l’armée de Vereinbarung pour attaquer les nouveaux venus.

 

 

Du haut du rempart, Marjan pouvait assister à la bataille. Son cœur battit plus fort quand elle reconnut la grande silhouette musclée de Sigmund. Elle leva le poing, et poussa un petit cri de joie. Puis elle se reprit vite. Il était temps d’aller sauver les enfants !

 

Un hennissement abominable lui déchira les tympans. Elle repéra un Skaven Noir entouré d’une demi-douzaine de Guerriers des Clans qui se battait désespérément, alors que son cheval était lacéré de blessures. L’un des Skavens Sauvages déchira le ventre de l’animal de long en large. Ses tripes se déversèrent dans la poussière, et la bête s’écroula sur place.

 

Marjan agrippa l’une des échelles, et descendit aussi vite qu’elle put jusqu’au soldat. Elle se jeta sur le Skaven Sauvage le plus proche avec un cri terrible, et lui éclata le crâne d’un coup de sa hache. Son voisin n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passait, il se retrouva avec les côtes éclatées.

 

Encouragé par ce renfort inattendu, Pankraz Ickert redoubla d’énergie. Il enchaîna les bottes et les moulinets. En quelques secondes, la situation désespérée s’était renversée, et les deux combattants purent souffler. Marjan s’essuya le front.

 

-         Bien joué, Soldat !

-         Sans vous, ils m’auraient zigouillé ! Je vous remercie, Dame… Dame comment ?

-         Gottlieb. Marjan Gottlieb. Tout le plaisir était pour moi, mon cher ! Et vous êtes… ?

 

Ickert se mit au garde-à-vous.

 

-         Soldat Pankraz Ickert, membre de la Garde Noire, pour vous servir !

-         M’est avis que je ne vais pas tarder à avoir besoin de vous, Soldat !

 

Elle chercha du regard une nouvelle cible, mais ne vit personne. Elle entendit alors de nouveau des cris surexcités venant de l’extérieur. C’était la deuxième vague menée par la commandante Renata. La grande Tiléenne, en tête sur son destrier de guerre, était suivie par une demi-douzaine de cavaliers, et un autre régiment complet de soldats prêts à se battre de toutes leurs forces. À la vue de Marjan et Ickert, la commandante donna l’ordre de s’arrêter.

 

-         Dame Gottlieb ! Vous êtes vivante !

-         Plus ou moins, oui, Commandante. On ne peut pas en dire autant de tous ceux-là, répondit Marjan en montrant d’un geste large du bras le désastre.

 

Tout autour d’eux n’était plus que sang et cadavres. Les combattants de Vereinbarung, mieux équipés et entraînés, accusaient moins de pertes que les Fils du Rat Cornu. Elles n’en étaient pas moins graves. Certains étaient à terre, morts. D’autres, cependant, vivaient encore et se relevaient péniblement.

 

La commandante montra la sortie derrière elle.

 

-         Dame Marjan, d’après ce que nous a dit Grangecoq, vous avez été leur prisonnière. Quittez donc ces lieux et allez voir le prieur Romulus, il vous soignera.

-         Je peux encore me battre, répliqua la grande femme blonde. Et c’est ce que je vais faire ! Je vais aller délivrer les enfants !

-         Vous savez où ils sont enfermés ?

-         Oui, Commandante, je connais le chemin. J’ai juste besoin de quelques gars pour m’accompagner.

-         Aucun problème, ma Dame.

 

Renata fit sortir des rangs une dizaine de fantassins. Elle demanda ensuite :

 

-         Avez-vous vu leur chef, ma Dame ?

-         Oui, mais ce misérable lâche s’est enfui quand j’ai ouvert la porte.

-         Et les agents du Chaos ? Ils sont toujours en ces lieux ?

-         Affirmatif, Commandante. Ils sont partis à la recherche de quelqu’un à tuer plus profondément dans cette turne. Ils ont commencé à taper sur les rats sauvages, vous devriez les laisser se démolir les uns les autres.

-         C’est à moi de juger, ma Dame. Que Myrmidia vous aide dans votre entreprise !

 

Et la commandante repartit au galop, suivie par ses cavaliers et les fantassins. Une demi-minute plus tard, un grand silence plana au-dessus du champ de bataille. Marjan et Ickert étaient à présent en compagnie d’une petite dizaine de soldats en pleine forme.

 

-         Soldats, vous allez me suivre, nous allons retrouver les enfants de nos concitoyens et les évacuer.

 

Aucun n’émit la moindre protestation, la noblesse connue de Marjan Gottlieb suffisait à assurer son autorité sur eux.

 

-         Bien, à présent, sui…

-         Ma Dame ?

 

Une hallebardière fit un geste vers la gauche de la femme blonde. Celle-ci entendit au même moment un petit bruit de pas de course ponctué de halètements épuisés. Elle pivota vers le bruit, et écarquilla les yeux de surprise quand elle vit arriver dans sa direction le fils cadet des Steiner. Il courait à perdre haleine.

 

-         Gab ?

 

Gabriel s’arrêta juste devant elle, et resta à reprendre son souffle, la langue pendante.

 

-         Mais qu’est-ce que tu fous ici ?

-         Pas de temps… d’expliquer… Dame Marjan ! Dites-moi… dites-moi…

 

La femme fut surprise de voir le petit Skaven gris clair capable d’aligner plus de trois mots à son attention. Hélas, il se rendit compte qu’il se trouvait en face d’une douzaine de soldats tous plus impressionnants les uns que les autres pour le petit garçon-rat qu’il était. Il suffoqua, toussa, et secoua la tête. Marjan voulut le rassurer pour l’aider. Elle posa sa main sur son épaule.

 

-         Du calme, fiston. Ne te bouscule pas.

-         Où… est… Emil ? haleta Gabriel.

-         Qui ça ?

-         Un petit Skaven Blanc ! Où est-il ?

-         Je n’en sais rien. J’ai été enfermée avec les gosses, mais celui-là n’était pas avec moi.

-         Le… le Prophète Gris… doit le garder… dans ses quartiers !

-         Peut-être, oui.

-         Savez-vous… où c’est ?

-         Non, fiston. Il s’est probablement installé dans un endroit isolé et sûr, comme un entrepôt ou une cave à vin.

-         Je vais… le chercher. Vous… venez avec moi ?

 

Elle secoua la tête.

 

-         J’ai tous les enfants à sauver, Gabriel. D’ailleurs, tu devrais faire demi-tour et retourner au camp !

-         Non ! Je veux sauver Emil !

-         Si je te laisse partir seul, ta mère me tuera ! Sois raisonnable !

-         Je veux… oh, et puis, zut !

 

Gabriel fila de nouveau à toute vitesse sans prévenir. Marjan n’eut pas le temps de le retenir. Furieuse, elle soupira.

 

Quelle tête de lard ! Comme ses frères et sa grande sœur !

 

-         Qu’est-ce qu’on fait, ma Dame ? demanda l’un des soldats.

 

Elle regarda celui qui avait parlé d’un œil mauvais.

 

-         On se tait et on me suit !

 

Et le petit régiment s’engagea à son tour dans le tunnel qui conduisait au cœur de la colonie des Skavens Sauvages.

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