Le Royaume des Rats

Chapitre 51 : Montée en souffrance

8376 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2021 22:14

Le Prince n’avait pas eu besoin d’écouter l’intégralité du rapport de son petit-fils pour comprendre que quelque chose de terrible se profilait. Le regard du Skaven Noir s’était avéré suffisamment éloquent.

 

-         Tu es sûr que qui est arrivé à Friedrichsdorf n’est pas un acte isolé ?

-         Certain. Sur le chemin du retour, mes Gardes Noirs m’ont suggéré de passer par deux ou trois autres petits villages. Nous l’avons fait, nous avons questionné, et les habitants ont eu à souffrir du même fléau. Certains enfants Skavens parmi les plus jeunes ont disparu sans laisser de trace, et quelques adultes liés à ces enfants ont été retrouvés assassinés.

-         Hum… Voilà qui est très fâcheux.

 

Le Prince se leva, et fit quelques pas de long en large dans son bureau. Sigmund déclara d’une voix monocorde :

 

-         Je retrouverai les responsables.

 

L’Humain s’arrêta, et pivota vers le Skaven Noir.

 

-         Sigmund, je te demanderai de bien faire attention ; tu es très compatissant, en particulier lorsque les victimes sont des enfants. Et justement, ça peut t’entraîner dans des situations délicates. Tu as fait beaucoup de progrès, ces derniers mois, je te l’accorde, mais tu dois garder la tête froide. Nous avons affaire à des calculateurs. Si personne n’a rien vu jusqu’à présent, c’est qu’ils sont très appliqués. Je sens que les semaines à venir vont être particulièrement tendues. Et j’ai besoin de toi et de tout le reste de ta famille au mieux de ses moyens : calme, discipline, raison doivent être les comportements à tenir. Je vais voir avec Romulus et le Commandant Renata quelles dispositions prendre. Va te reposer, je te laisse quartier libre jusqu’à demain matin, nous verrons ce que tu feras.

-         Bien, Opa.

-         Et pour ce qui est de Friedrichsdorf… pour le moment, ce n’est pas une priorité. Mais quand les choses se seront arrangées, nous verrons si on peut y envoyer un peu de main d’œuvre pour aider la population locale à rétablir l’équilibre.

-         Je vous remercie pour votre générosité.

-         Tel est le rôle d’un vrai monarque, mon petit. Va, je dois retourner à la salle du trône.

 

Le jeune homme-rat s’inclina, et quitta le cabinet de travail. Il s’empressa de rendre visite à sa petite sœur au temple de Verena.

 

Quand il entra devant le grand bâtiment austère, il s’arrêta devant le grand autel de Verena. Le meuble de marbre était toujours impeccable, épousseté et astiqué tous les matins. Derrière, un grand vitrail représentait Verena, la Déesse de la Justice. C’était une grande femme qui brandissait une épée d’une main, et tenait une balance équilibrée dans l’autre. Ses yeux bandés rappelaient à ses fidèles et aux gens qui respectaient les commandements des dieux de l’Empire qu’elle appliquait la justice de manière aveugle, impartiale et équitable. Sigmund grommela dans sa barbe.

 

« Impartiale » et « équitable »… ça dépend pour qui !

 

Le Skaven Noir savait qu’il était impossible de vivre dans une société où tout le monde était sur un pied d’égalité face à la justice. Même si son grand-père et les garants des lois de Vereinbarung s’appliquaient à faire de leur mieux, quitte à condamner quelqu’un d’aussi important que Schmetterling, il y avait toujours des profiteurs, des hommes de loi corrompus, et des injustices impunies. C’était fatal. Et le Royaume des Rats ne pouvait pas faire exception.

 

Mais Sigmund ne voulut pas manquer de respect à cette déesse qu’il priait lui-même régulièrement. Conformément aux coutumes des adeptes de l’ordre, il plaça ses deux mains en coupe au niveau de la taille, puis il les écarta pour imiter les deux plateaux d’une balance. Il s’inclina, et reprit son chemin vers les quartiers réservés aux membres du culte.

 

Il passa par un couloir étroit. Alors qu’il ouvrit la porte vers l’aile où étaient les cabinets des responsables du culte, il bouscula presque un Skaven gris clair un peu ventripotent sous sa robe de bibliothécaire. Celui-ci paniqua.

 

-         Oh, je vous demande pardon, messire !

-         Ce n’est rien, pas de quoi vous mettre dans cet état.

 

Le Skaven était tout en sueur et tremblait comme une feuille.

 

-         Cap… Capitaine… Steiner ! Mille pardons !

-         Hé, détendez-vous, on dirait que vous venez de voir le Grand Théogoniste !

-         C’est que… vous êtes le frère de la… Grande Archiviste !

-         Ouais, et alors ? Comme vous, je paie les taxes, je fais mon boulot, et je dois passer aux latrines tous les matins. N’imaginez pas que mon nom fasse de moi quelqu’un de meilleur que vous, ou de plus important pour faire tourner le royaume.

-         Être le Capitaine de la Garde Noire est une responsabilité que je ne saurai jamais endosser !

-         Et à quoi cela servirait d’être Capitaine sans soldats derrière moi, et sans citoyens comme vous à défendre ? Allez, laissez tomber, vivez sans vous prendre la tête avec ça, ça n’en vaut pas la peine.

 

Sans attendre de réponse, Sigmund continua son chemin. Quelques instants plus tard, il frappa au bureau de la Grande Archiviste. Bianka ouvrit. Son minois renfrogné de contrariété s’illumina instantanément.

 

-         Siggy !

 

La Grande Archiviste se jeta au cou du Skaven Noir.

 

-         Tu es revenu !

-         Je t’avais dit qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter.

-         Alors, c’était un problème bénin ?

 

Sans le laisser paraître, la jeune fille-rate espéra entendre son frère répondre par l’affirmative. Elle eut une désagréable sensation à ces mots :

 

-         Non. C’est beaucoup plus grave qu’on ne pensait. Il va falloir prendre des mesures. Je pense que Mère en parlera au souper.

 

Bianka sentit ses oreilles se rabattre sur son crâne.

 

-         En parlant de ça, nous devrions peut-être rentrer maintenant ?

-         Bonne idée. Il faut d’abord aller chercher Isolde.

-         Ah oui, c’est vrai.

 

En effet, quelques semaines auparavant, Psody et Heike avaient jugé qu’il était grand temps pour la benjamine de la famille d’apprendre à lire et à écrire. Contrairement à leurs craintes, la petite fille-rate avait accueilli cette nouvelle avec une joie immense, enchantée à l’idée de pouvoir lire par elle-même les livres de la bibliothèque familiale, et le missel du temple de Shallya. Il avait été décidé de faire appel aux services d’une prêtresse de Verena pour cela, afin de donner un cadre spécial à cet apprentissage, en faire une activité à part entière, plus solennelle que la vie quotidienne. Pour la même raison, Isolde était emmenée chaque jour au temple de Verena, par sa mère ou par Magdalena, où elle pouvait travailler dans un petit bureau non loin de celui de sa grande sœur, qui la ramenait généralement à la maison.

 

Les jumeaux quittèrent le bureau, et Bianka mena le pas jusqu’à une autre porte, au bout du couloir. Elle frappa. Une voix claire lui répondit :

 

-         Entrez !

 

Isolde était en train de finir d’écrire une série de lettres. Elle s’appliquait, et tirait la langue alors que la plume glissait un peu trop vivement sur le papier. Elle essayait tant bien que mal de ne pas dépasser la ligne tracée à la règle par Sœur Esther. L’exercice était ardu. Ce fut à peine si elle entendit la voix de la prêtresse de Verena.

 

-         Ah, Grande Archiviste, vous voilà. Oh, bonsoir, Capitaine !

-         Bonsoir, Sœur Esther.

 

La petite fille-rate couleur crème leva les yeux, et son cœur s’emballa à la vue du grand Skaven Noir.

 

-         Siggy !

 

Elle bondit de son siège et se jeta au cou de Sigmund.

 

-         Eh bien ! Quel enthousiasme ! railla la prêtresse.

-         J’ai l’habitude, Sœur Esther.

 

Sœur Esther était une femme de grande taille, mince, qui avait vécu près de trois décades. Née de parents Norses, elle avait hérité des yeux bleu pâle de sa mère, et de la crinière blonde de son père, qu’elle nouait toujours en chignon. Elle aimait porter une robe qui soulignait ses courbes, et savait passer en un clin d’œil de la plus délicate des douceurs à la dernière fermeté.

 

Par rapport à Isolde, cependant, ce n’était jamais nécessaire. Encore que…

 

-         Tout s’est bien passé, Sœur Esther ?

-         Ça ira, Grande Archiviste, mais j’ai connu votre petite sœur un peu plus attentive…

-         C’est dur ! Ces lettres sont trop difficiles à bien recopier ! gémit alors Isolde, qui se laissa retomber à terre.

-         Il est vrai qu’on arrive aux caractères qui aiment bien franchir la ligne. Les « J », les « Y », les « ß »… Mais je trouve que tu n’étais pas bien concentrée, aujourd’hui. Moins qu’hier, en tout cas.

-         Peut-être qu’elle a une vraie raison de perdre sa concentration ? suggéra Sigmund d’une voix grave.

 

Sœur Esther soutint le regard du Skaven Noir.

 

-         Vous pensez à quelque chose en particulier, Capitaine ?

-         Pas encore.

 

Bianka ne prononça pas un mot, mais son regard envoya à son frère des reproches tout aussi éloquents. Celui-ci, conscient que les mauvaises nouvelles qu’il avait apportées à son grand-père n’étaient pas encore connues de tous, décida de baisser les armes. Il marmonna :

 

-         Bon, on y va ?

-         Merci, Sœur Esther. Nos parents trouveront avec Isolde ce qui n’allait pas aujourd’hui. Nous arrangerons le problème.

-         J’en suis convaincue, Grande Archiviste. Bonne soirée.

 

Une fois les trois Steiner sortis du temple, Bianka ne manqua pas de mettre des mots sur son ressenti :

 

-         Attention, Sigmund : j’ai toute confiance en Sœur Esther pour prodiguer un apprentissage de qualité, au moins égale aux leçons de Frère Seehecht.

 

Frère Karl Seehecht était le prêtre de Verena qui avait servi de précepteur aux trois premiers enfants de la fratrie Steiner. Gabriel n’avait eu besoin que d’à peine quelques heures de travail sur les exercices de ses aînés.

 

-         Et alors ?

-         Alors, tâche de ne pas remettre en cause ses compétences devant Isolde, elle n’a pas besoin de ça !

-         Qu’est-ce que c’est, « remettre en cause ses compétences » ? demanda la petite fille-rate.

-         Ça veut dire que c’est très mal élevé de dire que Sœur Esther ne t’apprend pas bien à lire et à écrire devant toi. Après, tu risques de penser que c’est vrai, et d’être encore moins attentive aux cours.

-         Et… c’est pas vrai, hein ? J’aime bien Sœur Esther, elle est gentille, et j’aime apprendre avec elle.

-         Oui, tu as raison. Sœur Esther est une bonne préceptrice, et j’aimerais que Sigmund fasse plus attention quand il parle d’elle !

 

Le Skaven Noir se décida à être plus clair :

 

-         Ce n’est pas à cause de Sœur Esther qu’Isolde est moins attentive. Peut-être que c’est parce qu’elle sent que quelque chose ne va pas ?

-         Non, je ne sens rien ! répliqua Isolde, surprise.

-         Voyons, Siggy ! Tu recommences avec notre petite sœur, maintenant ?

 

Sigmund grogna, furieux d’être ainsi repris par la Skaven blonde.

 

-         D’accord, tu reviens avec de mauvaises nouvelles. Mais il vaut mieux garder ça pour la maison.

-         Des mauvaises nouvelles ? Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta Isolde.

-         Mère en parlera tout-à-l’heure, maugréa Sigmund. Allez, rentrons !

 

Ils passèrent par l’écurie du temple. Bianka monta Buell, et Sigmund grimpa sur le dos d’Okapia. Isolde, toujours heureuse de voyager sur la jument de son aîné, monta en croupe derrière lui.

 

*

 

Une nouvelle fois, le Prince recevait les citoyens de Vereinbarung qui avaient des doléances à lui rapporter. Une nouvelle fois, il trouvait le temps bien long. Il avait déjà dû traiter six affaires depuis le début de l’après-midi. Il ne s’était autorisé une courte pause que pour écouter le rapport de Sigmund, avant de faire de nouveau face à des gens venus lui soumettre leurs problèmes.

 

Devant lui se tenait Mère Morgana, la principale responsable du Culte de Rhya à Steinerburg, et par extension de tout le Royaume des Rats. Après Verena, Rhya était la déesse la plus révérée dans cette partie des Royaumes Renégats. Déesse de la Moisson et de la Fertilité, elle était particulièrement appréciée par les fermiers, les cultivateurs et les forestiers.

 

Mère Morgana n’était pas la plus ancienne prêtresse de l’Ordre, mais elle avait su s’imposer comme étant la plus apte à gérer les affaires de ce Temple en particulier. C’était une grande femme, fortement charpentée, aux yeux clairs. La blancheur de sa peau contrastait avec la crinière rousse qui ondulait sur ses épaules. Ses bras nus laissaient voir des tatouages simples de symboles liés à Rhya, symboles qui ornaient également son visage rond. Elle portait quelques bijoux en bois, des plumes et autres ornements noués à ses tresses, et une épaisse toge en toile blanche, plutôt grossière.

 

Mère Morgana était connue pour son franc-parler et son caractère obstiné, ce qui pouvait être à la fois une qualité et un défaut dans sa profession, et à sa position. Née et élevée dans une famille de paysans du Talabecland, elle était fermement rattachée aux anciennes coutumes qui régissaient la civilisation Humaine depuis la fondation de l’Empire par Sigmar Heldenhammer. Par extension, elle n’aimait pas du tout ce qui avait attrait au monde moderne, et aux machines destinées à augmenter les productions.

 

Aussi, quand elle avait appris que la bourgmestre de Grüneweiden avait appelé des volontaires partout dans Vereinbarung pour travailler comme ouvriers à la construction de nouvelles machines destinées à augmenter la production de la laine qu’elle vendait, la Mère supérieure du temple de Rhya avait immédiatement décelé une source de problèmes. Elle n’avait guère attendu pour filer directement jusqu’au manoir princier et exprimer sa pleine désapprobation.

 

Le Prince secoua lentement la tête.

 

-         Je peux comprendre votre inquiétude, Mère Morgana, mais à mon avis, laisser la situation telle quelle ferait plus de mal que de bien. Nous devons moderniser le Royaume des Rats.

-         Moderniser, moderniser, c’est bien beau, mais lorsque Mère Nature aura été saignée à blanc par la folie technologique, elle nous le fera payer au prix fort.

-         Grüneweiden n’est pas Nuln, Mère Morgana. Il ne sera pas question d’y construire d’immenses fonderies qui tourneront toute la journée ! Simplement quelques machines mécaniques qui fonctionneront à la force des bras, du vent ou des chevaux. En quoi est-ce si gênant pour Rhya ?

-         Aujourd’hui, rien de préoccupant, mais demain, qui sait si nous ne risquons pas de voir toutes nos villes devenir aussi polluées que Nuln ?

-         C’est le prix à payer pour maintenir notre peuple au-dessus des autres, grâce au progrès. Vous n’approuvez pas le progrès ? Vous ne souhaitez pas voir notre peuple s’épanouir, les gens vivre plus longtemps, et plus confortablement ? Vous voulez rester cloîtrée dans l’ancien monde ?

-         Je tiens aux traditions, votre Majesté.

-         Moi aussi, les traditions constituent un socle solide sur lequel peut reposer une société, c’est un fait. Et je suis d’autant plus sensible à votre requête que j’ai été moi-même élevé dans le culte de Taal. Je viens de Talabheim, vous vous souvenez ? Même si j’ai passé la plus grande partie de ma vie à Altdorf, je n’ai jamais oublié ni négligé la place qui revient de droit à Mère Nature. Seulement, la société peut changer, et les traditions peuvent s’adapter pour permettre le changement. Vous n’aimez pas le changement ?

 

L’Humaine réfléchit une paire de secondes avant de répondre :

 

-         Si, bien sûr, le changement évite d’être enraciné. Mère Nature elle-même ne cesse de nous en faire la démonstration. C’est juste que je crains que ce changement-là ne soit malvenu.

-         Vous ne verrez pas les cheminées des forges de Nuln sur nos terres, Mère Morgana.

-         Moi, non, mais celles et ceux qui me succéderont ? Mes enfants ? Vos enfants ? Je pense que c’est l’avenir du Royaume des Rats dans son entier qui est à présent en jeu. Grüneweiden est le premier brasier d’un immense incendie qui ravagera toute la campagne de Vereinbarung. Mon rôle est d’empêcher cet incendie.

 

Le Prince ne voulut pas continuer indéfiniment le débat.

 

-         Si ça peut vous rassurer, je demanderai à la bourgmestre Schmidt de limiter dans un premier temps la modernisation de Grüneweiden, que ça n’aille pas plus loin que les limites de cette ville. Nous verrons bien d’ici quelques années comment les choses se présentent, et si Rhya émet des protestations claires et nettes, alors seulement, nous réviserons nos positions en conséquence. Est-ce que ça vous conviendra ?

 

La prêtresse se frotta le menton. Elle finit par acquiescer. Le Prince déclara presque négligemment :

 

-         Parfait, je savais que nous trouverions un terrain d’entente.

-         Attention, votre Altesse, comptez sur nous pour écouter les paroles de Rhya, et vous faire part de la moindre petite protestation qu’elle émettra !

-         J’en suis sûr. En attendant, la bourgmestre Schmidt pourra moderniser Grüneweiden. Le Prince a parlé.

 

Mère Morgana reconnut le « point final » traditionnel de la conversation. Elle s’inclina et quitta la salle du trône. Une fois partie, le Prince poussa un long soupir. Il se leva, étira son dos, et grommela.

 

Verena me pardonne, ces séances deviennent de plus en plus éreintantes !

 

D’autant plus qu’il n’avait pas pu sérieusement penser à autre chose que les terribles nouvelles que son petit-fils lui avait rapportées. Des Skavens Sauvages avaient le culot de s’introduire dans son royaume, et enlever des enfants !

 

Vereinbarung avait bien besoin de ça, tiens ! Comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de problèmes…

 

Il avait ordonné à Sigmund de garder son calme, et était bien conscient de devoir respecter lui-même cette consigne. Mais il ne pouvait pas s’empêcher d’être contrarié. Ces voyous auraient à répondre de leurs crimes. Et pas question de leur accorder la moindre chance !

 

Les différents clochers aux alentours sonnèrent ensemble sept coups. Steiner voulait rejoindre sa famille, mais sa journée de travail n’était pas terminée. Une longue soirée de travail l’attendait.

 

Avant toute chose, je dois parler à Heike !

 

 

Gabriel fut le premier à s’installer à table. Cela ne manqua pas de surprendre sa mère. Son plus jeune fils était habituellement à la traîne, trop absorbé dans ses plans ou ses lectures. Sigmund prit place à son côté. Les deux sœurs arrivèrent ensemble, Isolde racontait joyeusement à Bianka comment elle comptait s’appliquer pour le lendemain.

 

La Skaven blonde perçut une très nette inquiétude sur le visage de sa mère.

 

-         Hé bien, mais qu’est-ce qui se passe, Mère ? Quelque chose ne va pas ?

-         Je t’en parlerai à la fin du souper, ma chérie. Magdalena ?

 

La fidèle servante des Steiner servit les cinq personnes à table. La cadette s’étonna.

 

-         On n’attend pas Père ?

-         Non, Isolde. Il doit travailler avec Opa Ludwig.

-         Pourquoi ?

-         Parce qu’ils sont en train de voir comment construire une nouvelle école de magie, pour les Magiciens de l’Ombre.

 

Un goût aigri vint contrarier le palais de Bianka quand l’image des deux magiciens se moquant d’elle lui revint en mémoire. Ces ceux-là devaient certainement être aussi dans le bureau du Prince. Isolde demanda encore :

 

-         Et Kit ?

-         Il est au temple de Verena, il soupera plus tard. Maintenant, cesse de poser des questions et mange, je te prie.

 

Les enfants obéirent à leur mère. Il plana même un lourd silence au-dessus de la table. Enfin, Bianka parla de ce que Sœur Esther lui avait expliqué. Heike se tapota la pommette.

 

-         Pourquoi es-tu moins appliquée, Isolde ? Y a-t-il quelque chose qui te tracasse, et qui t’empêche de bien travailler ?

-         Je… je ne sais pas, Mère. C’est comme s’il y avait des nuages dans ma tête !

-         Des nuages… Allons bon !

-         Je ne comprends pas. Normalement, ça passe bien, mais aujourd’hui, j’avais les mains qui tremblaient, et les oreilles qui écoutaient moins bien.

-         Bon… Peut-être que ça ira mieux demain ?

 

Heike tâcha de garder son calme. En vérité, elle repensa à ce que son père lui avait révélé juste avant le repas. Peut-être que sa fille ressentait instinctivement cette ombre qui paraissait lentement sur le Royaume des Rats ?

 

Il était temps de mettre les choses au point.

 

Le souper sembla interminable pour tout le monde. Une fois le dessert terminé, elle se leva, posa les mains sur la table, et regarda gravement ses enfants. Ceux-ci firent silence. Quand leur mère avait cette attitude, c’est qu’elle avait quelque chose d’important à dire, et généralement, ce n’était pas bon signe.

 

-         Gabriel, Isolde, aujourd’hui votre grand-père m’a appris une mauvaise nouvelle. C’est quelque chose de très grave qui vous concerne. Je peux vous en parler, car vous êtes assez grands pour comprendre. Voilà : dans des petits villages, des enfants Skavens ont été enlevés par des Skavens Sauvages.

 

Isolde sursauta et se blottit contre Bianka. Gabriel écarquilla les yeux. La mère-rate continua :

 

-         À partir d’aujourd’hui, et ce jusqu’à ce qu’on ait retrouvé et arrêté les coupables, je ne veux plus que vous quittiez l’enceinte du domaine Steiner. Et pendant la nuit, vous resterez entre les murs du manoir, et vous n’en sortirez sous aucun prétexte.

 

Gabriel osa :

 

-         Mais… Mère, je ne comprends pas ! Nous sommes bien à l’abri, ici ! Non ?

-         Rappelle-toi qu’un Skaven Sauvage a réussi à remonter jusqu’à notre chambre, répondit Heike. Tu as raison, cet endroit est mieux protégé qu’un hameau isolé, mais il y a tout de même un risque, et moi, je ne veux prendre aucun risque. Nous allons aussi prendre des dispositions pour être sûrs de ne jamais vous laisser seuls. Isolde, tu dormiras dans la chambre de ta grande sœur, il y a de la place pour y mettre ton lit. Gabriel, tu vas t’installer dans les appartements de Kristofferson. Ce sera mieux, car il ne devrait pas quitter Steinerburg, contrairement à Sigmund qui va probablement multiplier les patrouilles.

 

Sigmund confirma d’un hochement de tête. Isolde demanda :

 

-         Comment faire pour mes leçons ? J’ai envie de continuer à apprendre à lire et à écrire !

-         Ne t’en fais pas, mon poussin, je demanderai à Sœur Esther de venir ici. Bianka, tu pourras t’en charger ?

-         Bien entendu, Mère. Dois-je lui expliquer pourquoi ?

-         Pas encore, dis-lui juste que c’est une demande particulière de ma part. On paiera un supplément au temple, en échange.

-         Elle sera ravie de l’apprendre.

 

La mère-rate regarda de nouveau ses deux plus jeunes enfants.

 

-         Écoutez, je sais que c’est dur. Quand j’avais votre âge, je devais rester enfermée toute la journée pour ne pas être vue par les Humains. Je ne quittais jamais la propriété de votre grand-père, et la nuit, je ne sortais jamais non plus. La différence, c’est que pour vous, nous ferons tout pour que ça dure le moins longtemps possible. Quoi qu’il en soit, vous devez faire très attention à partir de maintenant. Ce sont des individus dangereux. Ils peuvent frapper n’importe qui, n’importe quand.

 

Heike repensa à la marque sur le lit d’Isolde, à la trahison de Schmetterling, et aux meurtres dus aux serviteurs d’Iapoch.

 

-         Si jamais vous voyez quelque chose d’anormal, vous devez absolument en parler à Opa Ludwig, votre père ou moi, tout de suite. N’importe quoi, même si ce n’est rien.

-         Même si on croit que c’est un Skaven Sauvage, et puis non ? murmura Isolde.

-         Même dans ce cas. Je préfère qu’on s’inquiète pour quelque chose qui n’est pas grave, plutôt que de laisser passer un problème grave. Bianka, Siggy, je compte aussi sur vous deux pour aider Gab et Soso s’ils viennent vous chercher, d’accord ?

 

Les jumeaux acquiescèrent avec une lueur identique dans le regard.

 

*

 

En tant que frère aîné de la Grande Archiviste, Kristofferson avait quelques petits avantages sur le commun des habitants de Steinerburg, notamment la possibilité de pouvoir consulter des documents réservés aux personnes accréditées, et ce passé l’heure de fermeture au public du temple. Il était seul dans la salle de lecture, même le préposé à la surveillance était parti souper sans être revenu.

 

Le Skaven brun finissait de consulter le rapport du procès de Johannes Schmetterling. Bien sûr, au moment des faits, il n’avait pu y assister, à cause de sa terrible blessure. Et s’il n’avait pas complètement oublié cette affaire, il avait préféré l’occulter. Ce souvenir restait encore douloureux.

 

Les paroles de Walter avaient cependant fait leur petit effet : d’abord, il s’était interrogé longuement sur le regard des Humains sur les Skavens. Lui-même membre de la famille princière, il n’était sans doute pas un élément représentatif de la population des Libérés. Aucun Humain ne lui adressait des paroles désagréables ou des regards méfiants. Et donc, pour vérifier les dires de son ami, il était important de voir comment les Humains considéraient les Skavens plus modestes, et donc moins influents.

 

Kristofferson ne voulait pas devenir complètement paranoïaque, et chercher des « indices » de cette soi-disant méfiance dont les Humains feraient preuve à l’égard des Skavens. Partir sur ce chemin était la meilleure façon d’interpréter le moindre geste ou le moindre mot n’importe comment. Non, il fallait du concret.

 

Il s’était donc plongé dans l’affaire, et en découvrait la conclusion, à son grand soulagement. La lecture du document l’avait épuisé. Il posa le rapport, et se frotta les yeux avec une grimace. Les dernières déclarations du Commandant traître ne laissaient pas la moindre place au doute : il craignait un soulèvement de la population Skaven, dont il avait traité les représentants de « sales rats », « vermines » et autres « créatures ». Il avait manipulé une blanchisseuse, désigné comme Capitaine un individu raciste, peut-être avait-il fait de même dans d’autres casernes ?

 

La grosse cloche du temple égrena ses neuf coups. Il était plus que temps de rentrer au bercail, manger un morceau, et se détendre un peu avant d’aller se coucher.

 

Un léger craquement attira subitement son attention.

 

Kristofferson se redressa. Il regarda tout autour de lui, à l’affût du moindre mouvement, du moindre bruit. Il n’y avait personne. Ses oreilles tiquèrent sous l’effet de plusieurs craquements irréguliers. Quoi de plus normal, dans la salle de lecture d’une bibliothèque ? Les meubles, les fenêtres, les gonds des portes faisaient résonner leur présence, chacun son tour. Le Skaven brun repéra ainsi encore quelques sons disparates, mais rien d’inquiétant.

 

Il se leva, déposa le dossier sur le bureau du préposé, nota l’heure de son départ dans le registre de présence, et quitta la salle de lecture. Peu après, il se retrouva dans les rues bien éclairées du Quartier de la Balance. Il passa à l’écurie du quartier, et récupéra Weissherz.

 

Les sabots ferrés du cheval blanc claquèrent sur les pavés de la rue. À cette heure, le quartier restait animé. Les riches habitants festoyaient dans les tavernes de luxe, certains parmi les plus fortunés organisaient des soirées avec des artistes dans leur propriété, d’autres discutaient groupés sous un lampadaire. Et les patrouilles de gardes circulaient à intervalles réguliers.

 

Tout était habituel, presque rassurant.

 

Et pourtant, Kristofferson eut une sensation désagréable.

 

Il regarda par-dessus son épaule, puis tout autour de lui. Rien n’attira son attention en particulier, et pourtant, il avait l’impression, presque la certitude, que quelqu’un était en train de l’épier. De le suivre.

 

Son œil se focalisa sur une petite ruelle sombre, coincée entre deux bâtiments, sur sa droite. L’endroit idéal pour se planquer et le surprendre. Ses yeux de Skaven lui permirent de distinguer clairement l’espace étroit… et vide.

 

Quelque chose bougea juste au-dessus. Il leva nerveusement la tête. Il avait vu une ombre bondir de toit en toit, par-dessus la ruelle. Il en était presque certain ! Il plissa les yeux, il se concentra, tâcha de focaliser ses sens sur les toits éclairés par en-dessous. Il guetta, il s’attarda sur les cheminées, à l’affût du moindre mouvement, il s’attendait à voir une silhouette se cacher derrière les colonnes de brique… mais il ne vit rien.

 

Il glapit discrètement de rage, et fit semblant d’éternuer pour masquer sa frustration.

 

Peut-être que je me fais des idées ?

 

Rien d’étonnant après les dernières heures, à avoir baigné de nouveau dans l’affaire Schmetterling. Ceci, plus le manque de sommeil et la faim, voilà une combinaison idéale pour perturber le cerveau. La meilleure chose à faire était de rentrer chez lui.

 

 

Trois quarts d’heure plus tard, il finissait le ragoût préparé par la cuisinière. Tous les membres de sa famille étaient déjà couchés, il était seul dans la grande salle à manger. Le feu dans la cheminée mourait doucement. L’ambiance lui parut encore plus sinistre, plus inquiétante. Il ramassa une pomme dans la corbeille à fruits et croqua dedans. Son œil se cala sur les nombreuses fenêtres qui donnaient directement dans le parc. Son museau se fronça.

 

N’avait-il pas discerné encore un mouvement ?

 

Il réfléchit encore quelques instants…

 

-         Oh, et puis zut !

 

Il se rassit fermement, et décida de ne plus y penser. En quelques coups de dents, il finit sa pomme, jeta le trognon dans la cheminée, se servit un dernier verre de vin, et quitta la pièce pour gagner ses appartements.

 

Arrivé à l’étage des appartements, Kristofferson grommela. Il franchit le premier seuil qui donnait sur son bureau, puis ouvrit la porte de sa chambre. Mais à peine il posa ses orteils sur le plancher qu’un cri aigu le fit sursauter.

 

-         Hi !

 

Il aperçut Gabriel dans un coin de la pièce. Le jeune garçon-rat, tout nu, se recroquevilla, sa tunique nerveusement serrée contre sa poitrine.

 

-         Oh, pardon ! s’exclama le grand Skaven brun avant de ressortir précipitamment.

 

Il tourna le dos à la porte, et se maudit intérieurement.

 

C’est vrai, on l’a installé là. Je vais devoir faire plus attention !

 

Il entendit la voix de son frère dire faiblement à travers le bois :

 

-         C’est bon…

 

Kristofferson rouvrit la porte de sa chambre. Son cœur se serra quand il vit Gabriel assis sur son lit. Engoncé dans sa chemise de nuit, maigrichon, tremblant, il avait l’air malheureux.

 

-         Je suis… désolé, Kit.

-         Mais enfin, il n’y a pas de quoi !

-         Je ne devrais pas… être gêné par ta présence. J’occupe ton domaine, et puis… tu es mon frère.

 

Kristofferson fit une petite moue.

 

-         Ce n’est pas la question. Frère ou pas frère, tu as droit d’avoir un minimum d’intimité. Et pour l’heure, cette pièce est désormais autant à toi qu’à moi. C’est à moi d’être désolé. Je vais tâcher de m’habituer à vérifier que tu es visible avant d’entrer.

-         Tu… voudras que je sorte… pour… ?

-         Je me changerai dans mon bureau.

 

Le Skaven brun se rendit compte de l’état du petit Skaven gris clair. Celui-ci semblait prêt à pleurer.

 

-         T’as vraiment pas bonne mine, Gab.

-         J’ai peur, Kit…

-         Hé, il n’y a pas de quoi !

 

Il avait du mal à croire à ce qu’il venait de dire. Son imagination lui avait-elle joué un tour, ou bien avait-il effectivement été suivi ? Si la deuxième réponse était la bonne, il allait devoir faire deux fois plus attention, Gabriel pouvait être le prochain…

 

Il ne faut surtout pas que je parle de ça !

 

Le petit Skaven gris clair murmura, la gorge nouée :

 

-         Et pourtant… je sens quelque chose.

 

Kristofferson s’assit sur son lit, et tapota le matelas pour inviter son frère à s’asseoir à côté de lui. Sans un mot, Gabriel se leva et prit place sur le matelas.

 

-         Alors, Gab, qu’est-ce qui te fait peur ?

 

Gab essaya à plusieurs reprises de commencer une phrase. Comme il n’y parvint pas, il s’écroula sur l’épaule de Kristofferson, et pleura en silence. Pétri de compassion, le grand Skaven brun l’enlaça avec douceur.

 

-         Tout va bien, Gab. Chut, c’est rien.

-         Je… j’ai peur… Kit !

-         Allez, dis-moi : qu’est-ce qui te fait si peur ?

 

Le petit garçon-rat releva la tête, les yeux trempés, le nez enflé.

 

-         J’ai peur que Siggy parte et ne revienne jamais. J’ai peur qu’il y ait à nouveau la guerre, du sang et des morts. J’ai peur qu’un Skaven Sauvage surgisse du placard et m’enlève !

 

Kristofferson réfléchit. Les peurs de son frère étaient toutes justifiées, les atténuer n’allait pas être un exercice facile. Il posa sa main sur la joue duveteuse de Gabriel.

 

-         Sigmund est le meilleur guerrier de tout le Royaume, il a affronté les Skavens Sauvages de nombreuses fois. Pour le moment, ce n’est pas la guerre, c’est juste des éclaireurs, et quand nous aurons trouvé leur cachette, on s’en débarrassera. Et ici, nous sommes à l’abri. Les Skavens Sauvages ne pourront pas entrer.

-         Il y en a déjà eu un !

-         Justement, les gardes vont faire deux fois plus attention. Peut-être même qu’Opa en fera venir d’autres ? Je demanderai à Wally de nous envoyer ses meilleurs éléments.

 

Gabriel hocha la tête. Il poussa un soupir, et ses yeux se firent rêveurs.

 

-         Des fois, j’aimerais être un Griffon.

-         Un Griffon ? Et pourquoi donc ?

-         Parce que c’est un animal particulièrement majestueux, puissant, capable de voler, et brave. Je voudrais être aussi brave qu’un Griffon.

-         Tu sais, il n’y a pas besoin d’être un Griffon pour être brave.

-         Oui, bien sûr. Tu n’es pas un Griffon.

 

Gabriel n’avait pas dit ça sur un ton de reproche, ou de déception. Kristofferson l’avait perçu, et avait donc très bien compris la signification de ces mots simples, mais sincères. Il se pencha vers Gabriel et murmura d’une voix douce :

 

-         Tu n’as pas à avoir peur, Gab. Tant que tu restes entre les murs du domaine, personne ne pourra te faire du mal. Et si jamais un Skaven Sauvage s’avise de mettre ses sales pattes sur toi, je l’attrape, et je le fais suffoquer jusqu’à ce qu’il me supplie d’arrêter… comme ça !

 

En un éclair, il saisit son petit frère, le cala sur ses genoux, le serra contre sa poitrine, et se mit à le chatouiller furieusement, passant ses doigts sur ses côtes, son ventre, son cou, ses aisselles. Le petit Skaven gris clair explosa d’un rire nerveux. Il essaya désespérément de lutter, de gigoter, mais il n’arriva pas à s’extraire de l’emprise du Skaven brun. Il rit aux larmes, essaya d’appeler à l’aide entre deux halètements, et au bout d’une longue demi-minute, il finit effectivement par avoir du mal à reprendre son souffle. Kristofferson le repoussa sur le matelas. Aussitôt, Gabriel se jeta sous son propre lit et n’en bougea plus.

 

Fier de sa blague, Kristofferson sourit quand il distingua sous le lit les yeux fiévreux du jeune garçon-rat et le bout de sa queue qui frappa le tapis.

 

-         Alors, Gab ? C’est bon de rire, parfois, tu ne penses pas ?

-         Je pense surtout que tu as de la chance que j’aie pris mes précautions avant d’aller me coucher, Kit. Autrement, je n’aurais pas hésité à te faire pipi dessus !

 

Le grand Skaven s’esclaffa. Gabriel s’extirpa lentement de sa cachette et rit un peu plus faiblement, mais de bon cœur.

 

-         Je t’adore, Gab.

 

Sans répondre, le petit Skaven gris clair se glissa dans son lit. Kristofferson lui fit une petite bise.

 

-         Tu n’as rien à craindre, petit frère. Nous te protégerons.

 

Puis il prit sa propre chemise de nuit, et quitta la chambre pour se changer. Avant de franchir la porte, il murmura encore :

 

-         Je te protégerai.

 

 

Cinq minutes plus tard, il était déjà en train de dormir comme un bienheureux. Les inquiétudes de la journée ne l’avaient pas empêché de trouver le sommeil.

 

Contrairement à Gabriel.

 

Son cerveau fonctionnait en accéléré, et son esprit s’éparpillait de manière incontrôlable. De temps en temps, il rouvrait les yeux, et jetait un petit coup d’œil vers le Skaven brun assoupi de l’autre côté de la chambre. Sa voix fit encore écho dans ses oreilles.

 

« Je te protégerai. »

 

Contre les Skavens Sauvages, j’en suis sûr… mais contre…

 

Hé oui, le petit Skaven gris clair n’avait pas osé parler à Kristofferson de sa pire peur. Celle qui noyait son cœur dans une brume impénétrable depuis quelques jours, déjà.

 

Je ne vaux rien ! Je ne suis qu’un fabricant d’armes !

 

Mais les armes n’allaient-elles pas être nécessaires dans les prochains jours à venir ? La voix de sa mère le lui rappela :

 

« Ce sont des individus dangereux. »

 

Dangereux… Dangereux jusqu’à quel point ? Un assassin était passé par la fenêtre de la chambre de ses parents. Un autre pourrait tenter sa chance ?

 

« Nous te protégerons. »

 

Tant qu’il avait encore un intérêt, comme concevoir des machines de guerre. Mais si les choses changeaient ? Mais si on décidait de passer à autre chose ?

 

« Ça te dirait de créer-diriger un Collège de Jade ? »

 

Une fois les Collèges de Magie mis en place, plus besoin de ses inventions. Et par conséquent, plus besoin de lui.

 

« Nous te protégerons ».

 

« Ça te dirait de créer-diriger un Collège de Jade ? »

 

« Ils peuvent frapper n’importe qui, n’importe quand. »

 

« Ça te dirait de créer-diriger un Collège de Jade ? »

 

« Je te protégerai ».

 

Les voix se mélangeaient, les idées avec. Le malheureux petit garçon-rat sentait de nouveau ses tripes se nouer, et les larmes lui monter aux yeux, alors que ses pires peurs le tourmentaient aussi cruellement qu’un chat jouant avec une souris. Comment faire, comment faire pour pouvoir…

 

Soudain, un déclic fort et sec résonna dans son cerveau.

 

Les voix se turent, les images se dissipèrent.

 

Il releva la tête, sa respiration ralentit, il se calma un peu.

 

Dans le noir, ses commissures se relevèrent peu à peu, et ses yeux se mirent à briller de satisfaction et d’excitation.

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