Le Royaume des Rats
Lettre de Sœur Carolina Kuhlmann, prêtresse du Temple de Shallya de Wüstengrenze, à Sœur Judy Hoffnung, prêtresse du Temple de Shallya de Steinerburg, écrite le vingt-sept Pflugzeit de l’année deux mille cinq cent trente du Calendrier Impérial.
Ma chère bienfaitrice,
Cela fait quelques semaines que nous avons tant bien que mal résisté au terrible assaut des Orques. Dame Franzseska Gottlieb a pratiquement terminé de faire l’inventaire, ainsi que la macabre liste des citoyens de Vereinbarung décédés sous les coups des Orques. En plus des villageois de Klapperschlänge, beaucoup de soldats venus de Steinerburg sont tombés, et même les renforts de Wüstengrenze ont subi des pertes. Nous avons soigné tous les blessés qui ont survécu, mais les plaies du cœur sont encore béantes. Tous les villageois de Klapperschlänge ont reçu une sépulture dans le respect des sacrements de Morr, dispensés par Frère Herschel, le prêtre de Morr de Wüstengrenze. Mais les soldats survivants ne se sont pas abandonnés au désespoir, et ont redoublé d’efforts pour rendre son éclat à Klapperschlänge. Vous le savez peut-être, ce village est situé à proximité de terres rendues fertiles grâce aux enchantements des Druides engagés par le Prince il y a trois ans. Les Peaux-Vertes n’ont pas pris le temps d’incendier les terres, ils se sont directement attaqués à nos compatriotes. Les têtes pensantes de Wüstengrenze se sont concertées, et ont décidé d’installer quelques villageois volontaires à Klapperschlänge – certains insatisfaits par la vie à Wüstengrenze y ont vu l’occasion d’un nouveau départ.
Cette idée a été grandement approuvée par l’Intendante Princière, Dame Franzseska Gottlieb. Quand elle est arrivée avec Maître Kristofferson, le capitaine Müller lui a expliqué la situation ainsi que ce projet de reconstruction. Elle l’a chargé de la direction du chantier. Je ne connaissais Dame Gottlieb que de réputation, mais je constate qu’elle est redoutable dans son domaine. Personne n’ose contester son autorité. J’aurais aimé faire sa connaissance plus tôt, car elle me paraît être une femme particulièrement forte ! J’ai profité d’un petit temps de pause pour échanger des opinions sur la condition de nous, les femmes, à Vereinbarung. Ses idées sont moins souples que je n’espérais, mais en même temps je n’oublie pas qu’elle est veuve d’un seigneur, et pas des plus tendres, m’a-t-elle confié.
Cette personne a néanmoins toute mon admiration. Avant de prendre la bure au cœur saignant, vous le savez, j’étais moi-même une enfant de la haute société de Talabheim, et j’ai vu de mes yeux le résultat lorsqu’un foyer est géré par la poigne de fer d’un seigneur de guerre, chez plusieurs de mes amies ou de mes sœurs. Jusqu’à présent, je croyais le résultat toujours identique : la malheureuse est rapidement brisée mentalement, si ce n’est en plus physiquement, que ce soit par une discipline dangereusement étouffante, ou une négligence désespérante de la part du mari.
Ce n’est pas le cas pour Dame Gottlieb. Elle m’a clairement fait comprendre avec un petit sourire complice que feu son mari le seigneur Wilhelm Gottlieb était craint par tout son entourage, sauf elle. Elle n’hésitait pas à braver sa colère, à répondre à ses menaces, et à lui faire comprendre qu’il était dans son intérêt de filer doux avec elle. Et le jour où il a levé la main sur elle dans le but de la soumettre, elle lui a aussitôt rendu la pareille – il aurait d’ailleurs eu des difficultés pour aller là où vous savez pendant trois jours, la douleur occasionnée rendant toute évacuation particulièrement pénible.
Leurs enfants, les jumeaux Marjan et Jochen, ont eu une éducation sévère, stricte, mais Dame Franzseska les aime profondément, et a toujours veillé à leur montrer. Ceux-ci lui rendent pleinement cet amour. Quand elle m’a parlé d’eux, Dame Franzseska m’a paru plus sereine, moins triste. Elle ne semble pas regretter le seigneur Wilhelm. Celui-ci ne se serait d’ailleurs jamais aventuré dans le Royaume des Rats, il avait des idées trop arrêtées pour accepter de voir les Skavens devenir nos amis. J’ignore si Romulus vous l’a raconté, mais une fois de plus, Vereinbarung lui doit une fière chandelle : lorsque le Maître Mage Prospero, alors simple petit Prophète Gris de l’Empire Souterrain, s’est rendu au couple des Gottlieb, il y a une demi-douzaine d’années, Dame Gottlieb faisait partie des gens bien décidés à l’exécuter, ce qui serait sans doute arrivé sans l’intervention directe de notre sauveur commun. Et sans Prospero, nous ne serions sans doute pas là aujourd’hui !
Plus sérieusement, Dame Franzseska a toute mon admiration. J’aimerais vraiment que d’autres jeunes filles mariées contre leur gré à des seigneurs irrespectueux puissent être aussi débrouillardes. Que celles qui n’ont pas les capacités physiques d’une femme de guerre du Nord soient suffisamment astucieuses pour maîtriser leur mari, et le contrôler par des paroles tantôt mielleuses, tantôt menaçantes.
Bien évidemment, quand je dis cela, je ne fais sans doute pas plaisir à Shallya. Mais si nous voulons vivre dans une société équilibrée, il est important de poser des bases solides, et l’égalité entre hommes et femmes me paraît indispensable. Peut-être que dans quelques siècles, nous pourrons nous permettre le luxe d’établir cet équilibre par l’éducation. Cependant, pour l’heure, notre monde reste encore trop violent, le peuple trop ancré dans la superstition et la terreur des menaces perpétuelles du Chaos, des Orques et autres. Et donc, nous sommes obligées de bâtir cet édifice comme les Nains construisent un karak : en faisant un édifice aux fondations sans fioriture, massives, énormes, qui sera peu à peu enjolivé, jusqu’à devenir un chef-d’œuvre appelé à tenir debout pendant des siècles.
J’ai eu aussi l’occasion de parler plusieurs fois avec Maître Kristofferson Steiner. C’est quelqu’un qui a le souci de bien faire. Quand il est arrivé, il a eu beaucoup de mal à regarder en face les soldats qui l’attendaient. La première chose qu’il a faite a été de reconnaître ses torts au sujet des villageois de Klapperschlänge. Le fait qu’il soit le fils aîné de la famille le pousse à prendre sur ses épaules plus de responsabilités qu’il ne devrait vraiment. Après tout, nous étions tous d’accord pour lui dire qu’il n’avait pas à assumer cette faute tout seul ; plusieurs éléments ont abouti à ce carnage, notamment la négligence de l’ancien capitaine Kreutzer.
Kristofferson est également un jeune homme cultivé, qui affiche un visage beaucoup plus humble quand nous nous parlons de manière informelle. C’est une personne un peu étonnante. En termes d’âge, techniquement, il n’a pas vécu tellement plus d’années que moi, et nous avons la même maturité physique et intellectuelle. Et pourtant, j’ai l’impression qu’il a vécu le triple de ce que j’ai vécu jusqu’à présent. Il m’a parlé de ses nombreuses maraudes dans les terriers. Il a été volontaire dès sa majorité atteinte, ce qui n’avait pas tellement plu à sa mère, vous le savez sans doute. J’oscille entre l’admiration et la compassion, car je pense que beaucoup d’autres braves gens qui auraient affronté la même chose que lui n’auraient pas un caractère aussi joyeux. À moins que ce ne soit une manière de dissimuler sa propre tristesse ? En effet, je n’ai pas pu m’empêcher de déceler chez Kristofferson une certaine mélancolie, notamment quand il repense aux villageois de Klapperschlänge. Comme je vous l’ai dit auparavant, nous lui avons répété à plusieurs reprises qu’il ne devait pas tant se blâmer. J’espère sincèrement qu’il finira par pleinement l’accepter.
Kristofferson peut être heureusement d’une compagnie très agréable. Les moments où il est le plus radieux, je trouve, prennent place à la fin de la journée. Une fois l’entraînement terminé, la supervision des ressources faite, les travaux achevés, alors il s’autorise à se détendre un peu. Tous les autres apprécient alors sa véritable nature : celle d’un joyeux camarade toujours prêt à remonter le moral avec une plaisanterie, et avec chaleur. J’ai déjà eu l’occasion de voir des meneurs s’attirer la sympathie des gens, mais qui restaient malgré tout froids et distants, un peu comme la Dame Gottlieb. Lui, c’est tout le contraire. Bien sûr, il prend garde à ne pas tomber dans l’excès, et je ne l’ai jamais vu boire plus d’un verre d’alcool par jour. Mais il est tout de même capable de provoquer les rires rapidement et de manière franche.
Je me doute que sa vie n’a pas toujours été très amusante du point de vue familial ; en tant que petit-fils du Prince, il y a tout le côté protocolaire à respecter. Nous avons parlé de sa famille. Il m’a notamment confié quelques inquiétudes au sujet de son frère cadet, Sigmund. Le deuxième-né de la famille Steiner serait quelqu’un de très triste, bien plus que lui ou les autres membres de la fratrie, m’a-t-il dit. Je suppose que je ne vous apprends pas grand-chose, vous êtes probablement l’Humaine qui connaît le mieux les enfants du Maître Mage, en dehors du Prince lui-même. Son meilleur ami, maître Walter Klingmann, m’a raconté quelques anecdotes sur leurs moments passés ensemble pendant leur enfance, et a confirmé le côté formel des jeunes années du fils aîné du Maître Mage.
Kristofferson m’a également confié que sa jeune sœur Isolde a le cœur sur la main, au point de demander régulièrement à ses parents leur bénédiction pour rejoindre notre ordre. Une fois encore, vous êtes mieux placée que moi pour confirmer cette affirmation ou non. Mais d’après ses mots, si elle n’a pas encore l’âge, elle a la passion. Après tout, pourquoi pas ? Il y a déjà quelques Skavens entre les murs du temple de Shallya de Steinerburg, principalement des orphelins à qui la vie n’a pas trop laissé le choix. Mais si des individus sentent monter en leur cœur la vocation, et souhaitent volontairement porter la bure, pourquoi les en empêcher ? Comme vous le savez, Shallya aime tous les êtres vivants, à l’exception de ceux qui suivent Nurgle, alors pourquoi pas une petite fille pétrie d’amour ?
Quoi qu’il en soit, Kristofferson est une bonne personne. D’une certaine manière, je le trouve même séduisant. Bien sûr, je n’ai pas du tout l’intention d’aller plus loin que l’amitié chaste avec lui. Je ne sais pas si les dieux approuveraient une union entre un homme et une femme aussi… différents ? Autant certains peuples peuvent éventuellement se métisser, autant les Skavens… cela me paraît impossible. Mais je reste satisfaite de compter parmi les gens dont il apprécie la compagnie. J’espère que son cœur cicatrisera complètement un jour, et je suis sûre que Shallya l’y aidera. Nous savons que c’est la présence de sa Majesté Ludwig Steiner qui se manifeste à travers ce jeune homme. C’est quelqu’un de bien, et je suis heureuse de l’avoir pour ami. D’ailleurs, il m’a dit aussi qu’il s’entendait très bien avec les deux enfants de Dame Franzseska. Ils ont bourlingué ensemble pendant les Récoltes, cela a créé des liens. Quand il parle de Dame Marjan, ses yeux brillent d’un éclat particulier. Étrange…
En parlant de personnes bien moins fortunées…On a aperçu la triste figure de l’ancien capitaine Kreutzer qui rôdait autour de la caserne. La dernière fois qu’il nous est apparu, il avait l’air complètement hagard, titubant, avec une forte odeur d’alcool flottant autour de lui. Je pense qu’il a trouvé refuge dans la petite auberge de Klapperschlänge, qui est restée intacte. Il doit piocher dans les réserves de bière et de vin qui n’ont pas encore été déplacées. Il faudra bien le déloger lorsque les nouveaux habitants viendront s’installer.
Les derniers jours m’ont laissée optimiste, mais une ombre plane toujours sur nous, cela se sent dans les regards et les voix. La menace des Orques est bien présente. Certes, nos guerriers les ont repoussés, mais il est fort à craindre que d’autres vont revenir. Le capitaine Müller a expliqué à Dame Franzseska qu’il n’avait pas vu de barbare particulièrement grand et costaud le soir de la bataille. L’intendante nous a expliqué que tous les Orques suivent un grand chef, le genre qu’on peut reconnaître facilement de loin. Un chef Orque est généralement deux fois grand comme un homme, et a suffisamment de muscles pour briser le dos d’un cheval. Il est très probable que ce chef soit quelque part dans la région, en train de préparer un assaut trois fois plus redoutable.
Nous avons tous peur, mais avec Dame Franzseska, le capitaine Müller, Kristofferson et ses amis, la lumière de l’espoir brille faiblement, mais distinctement, dans les cœurs. D’autres soldats devraient par ailleurs se joindre à nous, à titre préventif. Dame Franzseska compte sur eux pour renforcer les fortifications que les paysans préparent, aidés par les soldats. Nous nous apprêtons à nous battre une nouvelle fois contre les Peaux-Vertes, et je pressens que ce nouveau combat sera bien plus meurtrier encore que le précédent. Mais les dieux nous ont permis de bâtir Vereinbarung, ils nous permettront de le garder, j’en suis certaine.
J’espère sincèrement que, de votre côté, les choses se déroulent au mieux ; Kristofferson a murmuré à demi-mot qu’il y avait eu des tensions à la frontière de la principauté de Sueño. Je sais que son Altesse le Prince Steiner saura remédier à cette complication supplémentaire, et que nous pourrons bénéficier de suffisamment de renforts pour repousser et vaincre définitivement les Orques.
Ma sœur, je vous remercie de votre attention. Sous la bienveillance de Shallya, louée soit-elle, je vous souhaite de bien vous porter, et de continuer à faire profiter au mieux les habitants de Steinerburg de vos multiples talents.
*
- Je suppose que c’est une plaisanterie ?
- Non, Père, répondit Sigmund dans un murmure embarrassé.
Psody n’était pas content du tout. Il voulut être sûr d’avoir compris ce que son fils venait de lui avouer.
- Tu as vraiment permis à ce Skaven Sauvage de quitter sa cage ? Et pendant ton sommeil, en plus ?
- Il… il avait l’air docile.
À ces mots, la colère du Skaven Blanc éclata.
- Mais dis-moi que je rêve ! Donc, par ta faute, non seulement il y a maintenant un Skaven Sauvage en vadrouille-cavale dans notre royaume, mais en plus nous n’allons pas pouvoir retrouver ses alliés-complices ! Eh bien, bravo ! Je te félicite !
Le Skaven Noir baissa honteusement la tête.
- Heureusement qu’il n’a pas profité-profité de la situation pour te tuer-égorger !
Sigmund sentit son cœur se glacer à cette pensée. Il releva la tête nerveusement. Son père vit son expression angoissée, et continua :
- Il aurait pu le faire. C’est seulement parce qu’il avait trop peur de rater son coup qu’il ne l’a pas fait. Tu as échappé à la mort, je ne vais donc pas te punir tout de suite. Mais je te préviens, Sigmund : si jamais un paysan vient nous trouver pour dire qu’un Skaven Sauvage a dévoré ses bêtes ou attaqué sa famille, ce sera toi qui paieras les pots cassés !
- Bien, Père… Mais j’ai vraiment cru bien faire. Il semblait si malheureux !
- Bien sûr qu’il avait l’air malheureux ! Les Skavens Sauvages sont des experts en lamentations-pleurnicheries ! Plus ils sont convaincants, plus ça prolonge leur espérance de vie ! Et toi, comme un imbécile, tu t’es fait avoir ! C’est ton plus gros problème, Sigmund : tu te laisses trop submerger par tes sentiments !
- Sans mes sentiments, je serais aussi sauvage qu’eux ! rétorqua Sigmund.
- J’aurais dû écouter les Jumeaux, et le faire exécuter ! Il n’y aurait aucun risque de problèmes, et les autres auraient reçu le message.
- Le tuer aurait été un meurtre !
- Il a infiltré notre royaume pour m’éliminer, tu te rappelles ? Cette sentence n’aurait été que justice-justice.
- Justement, tu n’arrêtes pas de le dire ! « Soyons justes », « soyons Humains », encore et encore ! Eh bien, tu as raison : je suis un citoyen de Vereinbarung, pas un assassin sans cœur qui tue un pauvre type sans défense sans la moindre pitié !
- Je ne dis pas qu’avoir eu pitié de lui était mal ! Tu as eu une réaction humaine en insistant pour qu’on le laisse vivre, c’est compréhensible. Mais tu as été trop confiant ! Un jour, ça va vraiment te jouer un sale tour ! Il suffit qu’un Skaven Sauvage fasse semblant de fondre en larmes pour t’apitoyer-amadouer, et tu cesses de réfléchir !
- Il ne faisait pas semblant.
- Dès l’instant où il a profité de ta clémence pour déguerpir, il est passé du repenti terrifié au manipulateur éhonté, Sigmund. Je te le répète : les Skavens Sauvages ont l’habitude d’agir comme ça, à tel point que c’est leur mode-mode de vie.
Le Skaven Noir voulut protester en faisant preuve d’une mesquinerie peu coutumière :
- Tu es bien placé pour le savoir, hein ? Tu es Skaven Sauvage de naissance ! C’est pour ça que tu mets tant d’acharnement à vouloir les éliminer ! Parce que tu rejettes ce que tu es !
- Absolument pas ! Tu as raison, je suis né Skaven Sauvage, et j’ai vécu-vécu comme tel pendant quatre ans. Mais j’ai appris à être Humain, peu à peu, et nous t’avons élevé comme un Humain, ta mère et moi. Si j’ai « tant d’acharnement à vouloir les éliminer », ce n’est pas par haine-rancune, mais par prudence : je connais leur manière de penser, et je sais comment traiter avec eux. Je te rappelle que j’ai failli mourir de la main de ton oncle Klur ! Il m’a poignardé dans le dos avant d’essayer de me noyer dans un marais ! Voilà comment ça marche, chez les Skavens Sauvages ! C’est le plus fourbe-traître qui survit le plus longtemps ! Le problème, avec toi, c’est que tu vois trop les Skavens Sauvages comme des Humains. Mais ils ne sont pas comme les Humains, et encore moins comme nous !
- Ce n’est pas ce que tu nous as dit à notre première Récolte !
Fatigué par l’argumentation de son fils, Psody s’interrompit. Il poussa un profond soupir, et expliqua d’une voix plus douce :
- Tu as raison, mais je parlais du point de vue du sang. Notre sang et le leur sont semblables, nous ne sommes pas plus ou moins forts-intelligents qu’eux de par la nature, c’est vrai. Mais il y a une différence : ce qu’on a dans la tête ! Tu dois cesser de t’identifier à eux ! C’est comme pour les Récoltes ! Puisque tu en parles, souviens-toi : tu pensais qu’on était des voleurs d’enfants. Mais ce n’était pas le cas, je te l’ai expliqué-expliqué ! Nous n’avons pas volé les ratons à leurs parents, nous leur en avons donné ! Pour nos rapports avec les Skavens Sauvages, c’est pareil, tu dois arrêter de les considérer comme des Humains ! Tu as vu comment ils vivent dans leurs terriers ? L’Empire Souterrain n’est pas l’Empire des Humains, et ses habitants sont de vrais enragés, dressés pour être comme Larn à peine sortis de la pouponnière ! C’est pour ça que je veux tous les éliminer ! Les Skavens Sauvages sont des monstres assoiffés de violence qui torturent leurs femmes et poussent leurs enfants à dévorer tout ce qu’ils peuvent ! Si je me bats contre eux, ce n’est pas pour me venger ou me racheter. Je me bats pour ta mère, pour tes sœurs, pour Teresa, pour toutes les filles de notre peuple ! Et à moins qu’un jour, une communauté entière qui raisonnerait comme nous viendrait nous demander une alliance, ce qui m’étonnerait vraiment-beaucoup, il n’y a rien de bon à espérer des Fils du Rat Cornu. Siggy, je veux que tu gagnes un peu en maturité, et que tu acceptes les Skavens Sauvages comme ils sont ! Ça t’évitera de recommencer !
Cette fois-ci, Sigmund ne répondit pas. Il repensa à toutes les escarmouches contre les Skavens Sauvages au fil de leurs Récoltes. Il imagina Larn en train de s’enfuir en ricanant, satisfait d’avoir berné celui qui avait eu la faiblesse de lui faire confiance. Son oreille tiqua lorsqu’il entendit de nouveau la voix de son père.
- J’étais de l’avis des Gottlieb, mais j’ai voulu te donner une chance de me prouver ce que tu valais. J’ai eu ma réponse-réponse. Elle m’a fort déçu. Tant que tu ne seras pas plus responsable, je ne permettrai jamais que tu risques d’en faire souffrir les autres, Siggy. Que ça te serve de leçon !
Le jeune homme-rat se leva, et grogna :
- Excuse-moi d’avoir donné une chance à un prisonnier qui a supplié pour sa vie !
Il allait quitter le bureau, quand il entendit son père le rappeler. Il décida d’ignorer toute invective, et sa main avait déjà baissé la poignée de la porte, mais les mots que reçut son oreille le retinrent au dernier moment.
- Quand tu es rentré de Rabanera, tu étais prêt à tuer tous les Skavens Sauvages du continent, Sigmund.
Sans se retourner, Sigmund rétorqua :
- Je disais des conneries. J’étais saoul.
- Et pourtant, ça t’a rendu plus clairvoyant !
Le Skaven Noir pivota sur ses talons, à la fois incrédule et agacé.
- Depuis quand l’alcool fait dire des choses sensées, Père ? Il révèle ce qu’il y a de pire en nous ! Même les types bien peuvent battre leur femme, quand ils boivent trop !
- Ce n’est pas l’alcool qui les rend violents, Siggy. L’alcool ne fait qu’extérioriser la violence qui dort en eux. Les « types bien » ne frappent jamais leur femme, même sous l’emprise de l’alcool. Il leur reste assez de raison pour se retenir, ou ils tombent dans un coma éthylique. Toi, tu es quelqu’un de bien, même si tu ne te respectes pas toujours. Chaque fois que tu bois trop, tu restes suffisamment lucide-conscient pour ne lever la main sur personne. Par contre, ça révèle cette tristesse que tu enfouis sous une chape de colère, en prétextant-invoquant la Rage Noire. Et ça te démolit. Et je peux t’assurer que nous sommes tous très sensibles à ça ! Ta mère, tes sœurs, tes frères… nous tous, on veut que tu ailles mieux-mieux !
Sigmund sentit les larmes lui monter aux yeux. Psody se planta devant lui.
- Mon petit, promets-moi que tu ne vas pas te saouler, cette fois. La bouteille ne fait que déplacer le problème.
- C’est promis, articula le Skaven Noir, la gorge serrée.
Le Skaven Blanc soupira de soulagement. Son fils demanda encore :
- Tu crois qu’il va rejoindre son terrier ?
- Peut-être, et peut-être pas. Cela dépend, si ça se trouve, le point de rendez-vous était encore loin-loin. Mais il peut s’en prendre à quelqu’un sur le chemin ! Il doit être affamé et avide de tuer-tuer. S’il attaque un Humain, ça risque de semer la zizanie-discorde ! Certains Humains n’attendent qu’une occasion comme ça pour créer des problèmes à la Couronne ! Espérons que ça ne contrarie pas trop ton grand-père.
- Je… je vais tout lui avouer.
Sigmund avait déjà vu le prince Ludwig en colère, et savait que l’Humain si cordial pouvait être vraiment effrayant quand il était fâché.
- Laisse tomber, rétorqua son père. Je m’en occupe. Va dans tes appartements, et réfléchis-médite sur ce qui s’est passé aujourd’hui.
Le grand Skaven Noir quitta le bureau sans ajouter une parole.
Mais il ne regagna pas ses quartiers. Il monta l’escalier de l’aile des appartements familiaux jusqu’au dernier étage. Il avait besoin de prendre l’air. En effet, le toit du bâtiment avait été aménagé en terrasse, avec des bancs de bois et des grillages suffisamment hauts pour éviter une chute accidentelle, mais qui permettaient d’apprécier la vue. Et la vue, Sigmund l’adorait. En particulier quand il avait besoin de penser à autre chose.
Le grand Skaven Noir fit quelques pas sur les dalles de marbre bien entretenues qui constituaient le sol, et contempla les alentours. Il ne se lassait jamais de ce spectacle. Toute la ville de Steinerburg était à ses pieds, et vivait, respirait, riait… Il ne se voyait pas comme un dieu, un père bienveillant, un esprit supérieur, il n’avait pas de telles ambitions. Il se sentait être pleinement un citoyen, soucieux de son bien-être et de celui des gens auxquels il était attaché. Il savait que les Skavens Sauvages ne pouvaient jamais éprouver une telle connexion avec leurs semblables. Ses vrais semblables étaient ici, d’honorables hommes et femmes qui travaillaient ensemble depuis six ans pour construire et faire prospérer le Royaume des Rats.
Il se souvint d’une soirée, quelques années auparavant. Son grand-père l’avait amené sur cet espace. La pipe à la bouche, il lui avait parlé du peuple, et de l’importance de la vie des citoyens. Eux avaient la chance de vivre plus que confortablement, grâce aux ressources et au travail acharné du patriarche, qui avait su faire fructifier l’argent de son propre père. « Mais ce n’est pas tout », avait dit Steiner. « Rappelle-toi, Siggy, que tout ceci n’aurait pas été possible sans tous ces hommes et toutes ces femmes sous nos pieds. Tu n’étais pas encore né quand c’est arrivé, mais ils ont travaillé très dur pour faire de ces terres un pays où il fait bon vivre. Nous sommes les souverains, mais nous avons besoin des sujets. Sans les citoyens, nous ne serions rien. N’oublie jamais de leur montrer le respect qu’ils méritent tous. Ils te respecteront tout autant. »
Il approcha de la barrière, et son cœur se réchauffa un peu. Le soleil qui se couchait éblouissait les toits, les rues, les citernes d’eau, et les tours des plus hauts bâtiments. Il distingua les différents quartiers de la capitale de Vereinbarung. Même la Souricière présentait son plus beau visage. Il était particulièrement fasciné par la forme longue et régulière de l’aqueduc bâti par les Nains, qui avait amené l’eau. Avec le temps, d’immenses réservoirs avaient été implantés çà et là, afin de toujours garantir des réserves d’eau pour les habitants en cas de siège, et surtout de destruction de l’aqueduc.
Quand il se tourna de l’autre côté, Sigmund fit face à la falaise. Le domaine Steiner n’avait pas à craindre grand-chose de ce côté, pour sûr. La falaise était bien trop haute et trop escarpée, à moins d’être un grimpeur d’exception. Ou de voler, par magie ou sur une monture ailée. Les lèvres du jeune homme-rat se plissèrent en un rictus ironique. Les Skavens Sauvages, habitués aux souterrains, n’avaient pas de machines volantes. Du moins, pas à sa connaissance. En revanche, il avait entendu parler des Gobelins, et de leurs inventions catastrophiques. Bien plus hasardeuses que celles concoctées par son frère Gabriel.
Sigmund sentit son cœur se serrer quand le visage inquiet de son petit frère se matérialisa dans son esprit. Il était rentré depuis déjà plusieurs jours, et n’avait pas pris le temps de venir lui parler, seul à seul. Apprécier ses inventions, lui demander ce qu’il avait fait pendant leur absence… Des banalités, mais des petites choses qui constituaient le ciment qui consolidait ce concept tellement cher au Skaven Noir : la famille.
Le jeune Steiner adorait sa famille, chacun d’entre eux. Et pourtant il ne pouvait pas s’empêcher de leur parler plus rudement qu’il le souhaitait, de s’énerver sur eux pour des futilités. La dernière fois qu’il avait vu son grand frère, il l’avait envoyé paître. Il venait tout juste de se disputer avec ses parents.
Mais comment ? Pourquoi ? C’est… ma différence ?
Encore la question de la Rage Noire pour venir le hanter. Il se flanqua nerveusement une tape sur la tempe pour penser à autre chose. Soudain, son oreille pivota lorsqu’il entendit la voix d’Isolde derrière lui.
- Siggy ? Ça ne va pas ?
Sigmund pivota sur ses talons. La petite fille était devant lui, l’air inquiet, une poupée entre les mains. Bianka se tenait à ses côtés. Le jeune homme-rat avala péniblement sa salive.
- J’ai… juste voulu respirer un peu.
- Père avait l’air en colère.
- C’est rien, c’est rien. J’ai juste fait une bêtise.
- C’est à cause du tueur ?
Un éclat de glace traversa le cœur du Skaven Noir. Il bredouilla :
- Mais… de quoi tu…
- Elle sait, coupa Bianka. Elle a entendu les Jumeaux parler.
Sigmund ne savait pas s’il devait être effrayé par le sérieux dont faisait preuve sa petite sœur qui était encore une enfant, ou furieux à l’encontre de ses amis qui n’avaient pas pris assez de précautions. Bianka profita de cet état d’indécision pour l’obliger à faire face à ses responsabilités.
- Maintenant, je veux que tu lui expliques ce qui s’est passé, et ce que tu comptes faire.
Sigmund s’agenouilla devant Isolde, et posa délicatement ses mains sur ses épaules.
- J’ai voulu donner une chance à ce Skaven Sauvage. Malheureusement, il m’a trompé, et s’est enfui.
- Tu… tu crois qu’il va revenir se venger ?
Elle tremblait déjà, et des larmes glissaient sous ses yeux écarquillés.
- Non, petit cœur. Il est trop loin, et de toute façon il est trop lâche.
- Mais… d’autres pourraient venir ?
Le Skaven Noir essuya délicatement ses larmes avec son pouce.
- On fait tout pour éviter ça. Nous trouverons leur cachette, et nous les chasserons.
- Et s’ils sont cachés dans la ville ?
- Non, on les aurait déjà repérés. Et toi, tu n’as pas besoin d’avoir peur. Tant que je serai là, tu ne crains absolument rien, petit cœur. N’oublie pas que je suis le Skaven le plus fort du Royaume des Rats. Je balaierai toute la maison avec les fesses du premier Skaven Sauvage qui osera te menacer.
La petite fille sourit péniblement entre deux sanglots. Sigmund tourna la tête vers Bianka.
- Et Gab ? Il est au courant, lui aussi ?
- Pas encore, mais ça ne saurait tarder.
- Et nos parents ? Ils savent qu’elle sait ?
- Je leur parlerai.
La Skaven frissonna.
- Il se fait tard. Tu viens, Soso ? Il faut dormir.
- Oui, Bianka.
Sigmund embrassa sa petite sœur une dernière fois, et les deux filles rentrèrent, le laissant seul. La nuit était tombée, et les deux lunes brillaient. Le vent soufflait, et les nuages défilaient à toute vitesse, masquant par intermittences les étoiles.
Le grand Skaven Noir se releva, et songea :
Kit, Siggy, Gab, Soso… Dommage que Bianka n’ait pas accepté de surnom !
*
- Tout cela est plutôt contrariant, en vérité…
Le Prince Ludwig Steiner tira une bouffée de sa pipe. Le nuage de tabac s’éleva au-dessus de ta tête.
- Et donc, les enfants sont au courant.
- Hélas, Père. Bianka me l’a confirmé.
- Eh bien, le secret n’aura pas duré bien longtemps.
- Je tâcherai de rappeler-rappeler aux Jumeaux le sens du mot « secret », marmonna Psody, contrarié.
- Oh, ils l’auraient appris d’une façon ou d’une autre. Entre les bruits de couloir, les rumeurs, les superstitions… sans parler des dégâts que Larn pourrait faire !
La mère-rate se mordit la lèvre.
- Pourvu qu’il n’y ait pas trop de conséquences !
- Le pire sera le relationnel, Heike. Personnellement, je ne pense pas qu’un Skaven Sauvage seul, affaibli et sans armes, représente un réel danger. Le gros problème, c’est que ça risque de générer de sérieuses tensions !
- Qu’est-ce que tu préconises ? demanda Romulus.
- Continuer à garder le secret pour le moment. Pas de scandale, il faut étouffer l’affaire, du moins tant qu’on n’a pas arrêté Larn. L’idéal serait de l’éliminer sans que personne ne le sache. Mais si jamais il crée des problèmes, alors nous devrons le châtier sévèrement, et publiquement. Il faut que nos concitoyens comprennent bien que nous ne tolérerons pas la présence des Skavens Sauvages dans nos frontières ! Et, Romulus, je voudrais que tu préviennes les Gardiens de la Vérité de l’Empire. Au besoin, ils pourront toujours nous aider à confiner le problème à l’intérieur de Vereinbarung.
- J’ai confiance en vous, Père ! déclara alors Heike d’un ton catégorique.
- C’est gentil de ta part, mon enfant, mais je ne suis pas parfait, je le reconnais. Gérer un royaume est quelque chose que je fais depuis six ans, et jusqu’à présent, je n’ai jamais eu à m’occuper de ce genre de crise. Il y a un début à tout. Aussi, toute aide sera bonne à prendre.
Le prieur quitta le cabinet du Prince. Ce dernier s’autorisa à prendre un air plus soucieux.
- J’espère que Sigmund en tirera quelque chose, cette fois.
- Je l’espère aussi, mais ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus. Père, il va falloir nous préparer-apprêter. D’autres vont arriver ! Déjà, nous savons qu’ils ont infiltré Sueño, en voir ici-ici est la suite logique.
- Depuis six ans, nous vivons selon un mode de vie inédit qui implique des Skavens, récapitula Heike. Les Humains sont peu à peu au courant, et ce que savent les Humains, les Skavens Sauvages le savent à leur tour bien vite. Le Conseil des Treize a appris l’existence de Vereinbarung, c’était fatal.
- Ils ont même donné à ton compagnon un sobriquet plutôt évocateur. « Grand Blasphémateur »… j’ai entendu plus original.
- Les Skavens Sauvages n’ont que faire de l’originalité, Père. Leurs méthodes sont toujours les mêmes. C’est pour ça que je suis sûr-certain qu’il y a un contingent quelque part, pas loin. Nous devons le trouver !
Le front du Prince se creusa de sillons inquiets.
- Quand même, ceux-ci sont bien loin de l’Empire ! Ils sont audacieux !
- D’autres Skavens Sauvages ont voyagé bien plus loin auparavant, Père, rappela Heike. Souvenez-vous des Pestilens partis en Lustrie, ou des Eshin au Cathay. Ils ne sont probablement pas plus spéciaux que d’autres. Seulement, ce n’est pas pour autant qu’il faut relâcher notre vigilance.
- Tu as parfaitement raison, ma chérie. Cet intrus n’est pas tombé du ciel. Psody, crois-tu qu’il y aurait une colonie dans le Royaume des Rats ?
- Pas sous une grande ville, sinon nous l’aurions sentie-repérée. Les habitants Skavens se seraient plaints de mauvaises odeurs inhabituelles, il y aurait des disparitions, ce genre de chose. Mais nous devrions faire des patrouilles en rase-campagne. Brissuc était un terrier sous un petit village, je pense qu’on a affaire à une colonie rurale.
- Je vous conseille de prévenir les autres princes voisins, aussi, ajouta Heike.
- Ils vont tous nous déclarer la guerre ! supposa Psody. Ils vont nous reprocher d’avoir attiré sur eux les Sauvages !
- Si nous mentons par omission et que nos voisins l’apprennent, ils le prendront forcément très mal, mon fils. Verena souhaite nous voir rester honnêtes. De toute façon, comme tu l’as dit, Sueño est déjà soumise à une invasion Skaven. Autant prouver aux princes des alentours que nous reconnaissons nos torts dans cette affaire et que nous sommes prêts à les assumer.
- Même si nous n’avons pas non plus tous les torts, répliqua Psody.
Mais l’avait-il fait pour rassurer son père et son épouse… ou lui-même ?
Les deux Skavens étaient sur le point de se coucher. Heike était déjà sous les draps. Mais son compagnon, qui finissait de mettre sa chemise de nuit, se dirigea vers la porte.
- Où est-ce que tu vas ? Allez, viens par ici !
- Une minute, j’ai une précaution-précaution à prendre.
Il quitta la chambre, chandelle à la main, puis descendit jusqu’à son bureau. Il se dirigea jusqu’à un petit meuble dans un coin de la pièce, le poussa, et révéla ainsi une cache pratiquée dans le mur. Dans cette cache attendait un petit coffret. Le Skaven Blanc posa la boîte ouvragée sur le bureau, l’ouvrit, et en sortit un pistolet. Il le chargea lentement, mécaniquement, puis rangea la boîte, prit la petite arme de défense par le canon, et regagna sa chambre.
Heike ouvrit de grands yeux effrayés quand elle distingua le pistolet.
- Est-ce vraiment nécessaire ?
Le Skaven Blanc se tourna vers son épouse, l’air amer.
- On a essayé de me tuer-tuer, ma chérie. Larn a échoué, mais un autre essaiera.
- Mais pourquoi une arme ? Tu as bien ta magie.
Psody fit la grimace.
- Deux raisons-raisons, mon cœur : je pratique la magie de Ghyran, la magie de la vie. Il n’est pas question de m’en servir pour tuer un être vivant. Griller un démon ou un Mutant sans cervelle, ou encore un mort-vivant passe encore. Mais pas un être vivant.
- Tu peux neutraliser un être vivant sans le tuer, non ?
- Oui, mais c’est la deuxième raison : utiliser la magie requiert au moins quelques secondes. La prochaine fois que je verrai un Coureur d’Égout à la fenêtre, je n’aurai pas quelques secondes. Vaincre un ennemi sans le tuer demande le luxe d’avoir le temps pour réfléchir. Tirer sur une menace avec un pistolet ne demande qu’une demi-seconde.
Il ouvrit lentement le tiroir de la table de nuit, et y déposa précautionneusement l’arme. Puis il s’installa à son tour dans le lit, et poussa un profond soupir.
- Ne t’en fais pas, Psody. Nous avons tout surmonté, jusqu’à présent. Toi, tu as échappé à ta vie de Skaven Sauvage, et moi, j’ai survécu à une vie interdite dans l’Empire. Nous avons travaillé très dur depuis notre arrivée ici, surtout toi, qui as risqué ta vie de nombreuses fois pendant les Récoltes. Aujourd’hui, nous sommes réunis dans un royaume qui a été créé pour nous, nous avons cinq enfants merveilleux, des amis fidèles, et un peuple qui a confiance en nous. Personne ne pourra nous enlever tout ça.
Elle passa ses doigts graciles sur sa poitrine, d’abord, délicatement, puis avec sensualité. Le Skaven Blanc sentit ses lèvres se relever en un sourire complice. Il tendit la main, lui caressa la joue, puis le cou. Elle eut un petit rire quand il glissa ses phalanges dans le col de sa chemise de nuit. Il n’en fallut pas davantage pour précipiter les choses. Elle rabattit la couverture, se redressa sur le lit, et envoya son vêtement de nuit par-dessus son épaule. Psody ricana à son tour alors qu’il arracha furieusement sa liquette. Quand la femme-rate se jeta sur lui, tous les soucis des deux derniers jours s’envolèrent dans la nuit, à travers la fenêtre.