Horrortale : Pomme Pourrie

Chapitre 8 : L'entrée des enfers

2085 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Frisk regardait le paysage défiler à travers la vitre de la voiture, l'estomac noué. Ils se rapprochaient de leur destination. Installée à côté de lui, madame Vonichelle ne le quittait pas des yeux. L'enfant avait terriblement envie de confier ses craintes à Chara, mais la petite fille n'avait pas pu entrer dans la voiture. Il la voyait de temps en temps apparaître avec Asgore au coin de la rue, comme s'ils étaient traînés par le véhicule à mesure qu'il avançait. Frisk ne savait pas comment ça fonctionnait. Il espérait que ça ne leur fasse pas mal. Ce n'était pas comme s'il pouvait faire quoi que ce soit pour les aider de toute manière.


La vieille harpie donna une tape sèche sur son genou, ce qui le fit sursauter.


— Tiens-toi droite et arrête de regarder par la fenêtre comme un chiot perdu, dit-elle en claquant de la langue. Ce n'est pas possible d'être à ce point indisciplinée. Et moi qui pensait naïvement avoir réussi à t'inculquer quelque morale pendant toutes ces années. Quelle perte de temps.


— Heureusement que tout le monde ne pense pas comme vous, répliqua Frisk, pris d'un courage qu'il ne se connaissait pas jusque-là.


La réponse ne tarda pas à se faire attendre. La main de madame Vonichelle claqua sèchement sur sa joue et le força à regarder ailleurs. Il n'esquissa pas un geste. Il en avait malheureusement l'habitude. Il ne tomberait pas sous son emprise une nouvelle fois.


Les grilles de l'orphelinat s'ouvrirent devant la voiture. Frisk ne put réprimer un violent frisson de dégoût à la vue de ce bâtiment trop familier. Il s'agissait d'une des plus vieilles bâtisses de la ville, mais contrairement à d'autres, celui-ci n'avait pas été rénové. Pas assez d'argent. Et puis qui pouvait bien s'intéresser au sort de rebus de la société ? La façade de briques rouges tombait en ruines, plusieurs fenêtres étaient brisées et couverte de plastiques et l'écriteau « Orphelinat Vonichelle » était illisible depuis aussi loin que l'enfant s'en souvenait. Le bâtiment était assez petit, et encerclé par de grandes grilles noires qui faisaient le tour d'une pelouse mal entretenue dans laquelle reposaient les restes d'un parc pour enfants. Frisk était bien loin de la maison chaleureuse de Toriel ou de celle étrange de Sans et Papyrus. Ce n'était ni chaleureux, ni original, simplement froid, lugubre et terriblement banal.


La voiture ralentit. Le chauffeur sortit et vint ouvrir la porte à son bourreau. Frisk ne bougea pas d'un pouce. Il put entendre distinctement la femme pousser un soupir d'agacement.


— Marianne, sors de là, ordonna-t-elle d'une voix qui se rapprochait d'un crapaud. Ne me force pas à venir te chercher.


— Je ne m'appelle pas Marianne, répliqua l'enfant d'une voix sombre.


— Très bien.


Elle fit le tour de la voiture et vint ouvrir sa portière. Frisk sourit et se déplaça tranquillement vers le milieu du siège, hors d'atteinte. Sa tutrice l'incendia du regard. L'enfant lui tira la langue et fonça par la portière qu'elle avait fait l'erreur de laisser ouverte. Frisk bondit dans les cailloux et sprinta vers la grille le plus vite qu'il le pouvait. Vonichelle hurla son prénom et le chauffeur lui courut après. Le portail était en train de se refermer, mais s'il insistait, il pouvait se glisser entre les barreaux. Il réussit presque à atteindre son objectif quand une main ferme lui saisit le bras et le tira en arrière. Frisk se débattit et cria sa colère, mais déjà, les assistantes de l'orphelinat accouraient pour aider.


Non.


Non, il était hors de question qu'il abandonne. Il porta la main à sa ceinture et sortit un couteau. Il le planta de toutes ses forces dans le bras de l'homme qui hurla de douleur. Il le lâcha et l'enfant reprit sa course. Le portail se referma à son nez. Il prit de l'élan et fonça entre les barreaux, son épaule en avant. Les barreaux étaient résistants, mais il continua de pousser pour se glisser. Les larmes lui montaient aux yeux alors qu'il réalisait que ses chances de fuite s'amenuisaient.


Son âme se chargea de détermination alors qu'il redoublait d'efforts pour passer entre ces fichus bouts de métal. Il avait réussi à glisser entre les doigts d'Undyne alors qu'elle dirigeait les gardes royaux de tous les Souterrains. Il avait aussi battu Asgore alors que tout le monde lui répétait qu'il ne passerait jamais le Roi en vie. Il était toujours vivant, et ce n'était pas pour se retrouver enfermer comme un vulgaire chien dans une chambre bétonnée.


Soudain, le haut de son corps passa au travers. Il agita les jambes pour passer le reste. Des bras lui agrippèrent le pull, mais il ne se laissa pas faire. Il grogna et à force de coups de pieds et de coups de poings, il passa le reste de son corps à l'extérieur. Malgré la douleur et les bleus qui ne tarderaient pas à recouvrir les endroits qui avaient eu plus de mal à passer, il se mit à courir. Il regarda autour de lui. Il devait trouver un endroit où se cacher. L'orphelinat était entouré de champs, et par chance, celui de droite contenait du maïs. Il plongea à l'intérieur et s'enfonça le plus qu'il put entre les plantes, en se concentrant sur son souffle.


Finalement, après un moment, il se laissa tomber à terre et ne bougea plus. Assis au milieu du champ, immobile, il était presque invisible. Des voix criaient encore après lui plus loin, mais il lui semblait que les voix s'éloignaient. Pour la première fois, il baissa les yeux sur son corps. Ses genoux étaient salement éraflés et il avait arraché son pull encore plus dans sa fuite. Ses yeux cherchèrent du regard la Montagne. Elle était loin, mais pas inatteignable. Le plus dur serait de s'y faufiler sans être remarqué de nouveau.


Une chaleur familière lui fit tourner la tête. Chara et Asgore venaient de réapparaître derrière lui.


— Tu... Tu vas bien ? demanda Chara, inquiète.


— J'ai connu pire, grogna l'enfant. On doit retourner dans la Montagne. Je me fiche de savoir si tout le monde pense que j'ai tué Asgore. Sans me croira, et... et Papyrus aussi. On va trouver une solution, c'est... c'est pour ça qu'il y a une scientifique royale et... et... tout sera mieux.


Les bras et les jambes de Frisk se mirent à trembler violemment avant qu'une nouvelle crise de larmes ne ravage son visage.


— Je n'aurais jamais dû partir comme ça. Maintenant ils vont se douter que je veux y retourner. Et si... Et s'ils décident d'y aller et qu'ils attaquent tout le monde à cause de moi ?


— Les Souterrains sont bien protégés, répondit Asgore d'une voix douce. Les Ruines sont remplies de puzzles dangereux et la Barrière est impénétrable. Si des personnes malintentionnées réussissent à s'infiltrer, Undyne les arrêtera. C'est son travail. Ne t'inquiète pas pour eux. En revanche, toi, tu peux passer la Barrière dans les deux sens. Si nous trouvons un moyen d'y aller sans se faire remarquer, ils ne pourront pas nous suivre. Frisk, je commence à réaliser que j'ai peut-être été trop ambitieux en t'encourageant à sortir chercher de l'aide. Tu n'es qu'un enfant, et même si tu es extraordinaire, je ne pense pas que tu puisses quoi que ce soit contre la méchanceté de certains représentants de ton espèce. Mais nous allons nous en sortir, d'accord ?


— D'a... D'accord, répondit-il d'une petite voix. Il va bientôt faire nuit, et je sais qu'il y a une forêt pas loin. Peut-être que je pourrai trouver un endroit où passer la nuit, le temps qu'ils arrêtent de me chercher. Je...


— Marianne ? Tu es là ? appela une voix toute proche.


Frisk se figea et se tut instantanément. Il se remit sur ses jambes et recula avec lenteur plus loin dans le champ. Le haut du corps d'une femme blonde dépassait des plantations. Il eut à peine le temps de bouger que le mouvement attira son regard. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise et elle bondit en avant. Frisk tenta de lui échapper, mais une autre dame lui barra la route un peu plus loin.


— Du calme ! Du calme, tempéra la femme blonde. Tu n'as pas à t'inquiéter. Tout va bien se passer. On va... On va te faire une petite injection pour t'aider à te calmer, d'accord ? Tu es... Tu es sous le choc. Madame Vonichelle nous a dit que tu as erré des jours dans la Montagne, tu dois être fatigué.


— Non ! Laissez-moi tranquille ! hurla Frisk.


L'autre dame lui agrippa le bras et il sentit une forte douleur dans son épaule. Il cria de douleur et reprit sa course. Il ne put faire que quelques pas avant que le monde ne se mette à tanguer autour de lui. Il tomba à quatre pattes, haletant, mais continua à ramper vers la Montagne avec les maigres forces qu'il lui restait.


— To... Toriel ! appela-t-il à l'aide d'une voix implorante.


Et il perdit connaissance.


***********


— Fr... Frisk, tu m'entends ?


L'enfant poussa un grognement et tenta de se retourner sous la couverture. Quelque chose bloqua son mouvement. Il insista, mais il ne parvint pas à tirer sa main vers lui. Il ouvrit un œil. Il faisait noir. Il pouvait sentir les lattes de bois du lit dans son dos et ça n'avait rien de confortable. Dans un grognement, il essaya de relever la tête et hoqueta de surprise. Des attaches blanches le maintenait au ventre et au poignet. Il se débattit, mais ne parvint pas à se libérer les mains malgré la force qu'il y mettait. À bout de force, il abandonna la lutte et se laissa retomber sur le matelas. Assise dans un coin, Chara le regardait tristement. Asgore était plus proche. Il essayait de lui prendre la main, mais malheureusement, celle-ci ne cessait de passer au travers. Il pouvait lire la détresse dans le regard du roi. Asgore voulait l'aider et le rassurer, mais il ne le pouvait plus.


— Tout va bien, dit-il finalement. Tu... Tu es dans une des chambres de l'orphelinat. Ils t'ont attaché pour éviter que tu ne tentes encore une fois de t'enfuir. Reste calme et ils finiront forcément par laisser tomber. Il doit encore y avoir une solution pour...


— Non, c'est fini, répondit Frisk d'une petite voix. Ils ne me laisseront pas m'enfuir une deuxième fois. Je ne vais pas pouvoir retourner à la Montagne.


Asgore se tut et s'assit à même le sol, le visage livide.


— Ce... Ce n'est pas de votre faute, tenta de le consoler Frisk. C'est de la mienne. Peut-être que... Si j'avais forcé Flowey à recracher les âmes, j'aurais pu retourner dans le hall pour emmener Sans avec moi. Sans... Sans aurait su quoi faire. Mais maintenant, je ne vais pas pouvoir tenir ma promesse et il va me détester comme tous les autres.


— Arrête de dire ça, grogna Chara. Personne ne te déteste. Tu comptes vraiment baisser les bras ? Juste... Juste comme ça ? On est... On est si proches du but !


— Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ? cria Frisk, la voix brisée. Je ne peux pas partir d'ici, je ne peux plus sauvegarder ou revenir en arrière, et ils me prennent tous pour un cinglé ! C'est fini, Chara !


La petite fille sursauta et disparut.


— N... Non, appela Frisk. Ce n'est pas ce que... Je ne voulais pas que...


— Elle a juste besoin d'un peu de temps, le rassura Asgore. Tu as fait ce que tu as pu, Frisk. Les Monstres peuvent attendre, mais il va falloir que tu t'occupes un peu de toi avant ça. Il faut que tu sortes d'ici sans que cela soit plus douloureux que nécessaire. Je suis désolé de ne pas pouvoir t'aider plus que ça. Je...


— Je me débrouillerai. Je l'ai toujours fait.


— Bien. Tu devrais te reposer maintenant. La journée a été longue. Nous en discuterons demain, d'accord ?


— D'accord. Merci... Papa.


Asgore ouvrit grand les yeux, surpris pendant quelques instants, avant de sourire doucement.


— Ne t'inquiète pas, fiston. Je vais m'assurer que plus personne ne te fasse de mal. Je te le promets.


Laisser un commentaire ?