Malédiction.

Chapitre 15 : Méfiance et guerre ouverte 2

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:37

Par où commencer ce genre de discussion ? « Salut ! Tu sais aujourd'hui, je t'ai vu dans la forêt ! Ouais, le gros fauve blanc, c'était moi, ça te dirait qu'on aille prendre un verre ? »

Super. Vraiment.

C'est en plein dilemme que Keira me surprit, devant le téléphone. Je baissai les yeux vers cette petite chose qui n'avait pas eu peur, elle, d'engager la conversation sur un sujet épineux. Je me laissai tomber au sol, le dos contre le meuble, le fixe sans fils contre mon cœur.

Elle s'accroupit à côté de moi, souriante.

« Qu'est-ce qu'il t'arrive, chaton ? »

Je clignai des yeux avant de partir dans un fou rire.

« Chaton ? Toussai-je en me calmant.

  • Bah oui ! Je trouve ça mignon, pas toi ? »

Je renversai la tête en arrière sans cesser de sourire.

« Oui. Je n'y aurais pas pensé...

  • Ah ! Je suis une pro des surnoms, tu sais !

  • Je vois ça...

  • Mais tu esquives ma question, là. Pourquoi tu bloques comme ça ? »

Je lui jetai un regard, hésitant à lui parler de mon problème. Après tout, je pouvais attendre le lendemain pour parler avec Dev. Mais la partie de moi qui était égoïste voulait passer une bonne nuit. Finalement, je me lâchai.

« Je sais que c'est Dev que j'ai senti, j'ai vérifié. Je veux lui en parler, savoir s'il va bien, parce qu'apparemment, ils ont été attaqué. Je veux lui dire que ça ne changera rien, et que l'on va s'occuper des serpents et des taureaux. J'veux plus de secrets entre lui et moi... Mais le soucis, c'est que je ne sais pas par où commencer. »

Elle cligna plusieurs fois des yeux et se laissa tomber sur les fesses, entortillant ses cheveux noirs entre ses doigts fins.

« Tu pourrais lui donner rendez-vous dans un lieu neutre.

  • Hum... (Je me pris la tête entre les mains.) Le soucis, c'est qu'il n'y a pas d'endroit vraiment neutre où nous serions en sécurité. Il suffit qu'un de nos ennemis me voie isolée pour saisir sa chance, surtout si je suis sous forme humaine. Et la forêt, ce n'est même pas envisageable.

  • Et pourquoi pas chez lui ? Il se sentira en sécurité, en terrain connu. Moi, en tout cas, je n'ai jamais peur chez moi. »

Comme c'était si simple pour elle de trouver une solution ! Je baissai le menton et souris.

« Ouais. Chez lui, c'est une bonne idée. Comme ça, s'il lui faut une preuve, je pourrai la lui donner. Il est impossible qu'il puisse se transformer sous le nez de sa mère sans qu'elle ne s'en rende compte.

  • Et bien voilà, appelle ! »

J'inspirai profondément et composai le numéro.

Ce fut lui qui décrocha.

Paniquée, je restais sans voix.

« El ? Je sais que c'est toi, je reconnais ton souffle. »

Et merde. Moi aussi je reconnaissais le sien à travers le combiné.

« Ouais. Euh...

  • Je n'ai pas beaucoup de temps, qu'est-ce tu veux ?

  • Tu... tu sais très bien que je dois te parler d'un truc. (J'entendis des cris derrière.) Qu'est-ce qu'il se passe ? »

Un silence tendu s'installa. Je tendis l'oreille, et reconnus la voix de son frère, qui grognait, hurlait pratiquement, sous l'effet de la douleur.

« C'est ton frère qui s'est fait toucher ? M'écriai-je, paniquée.

  • Ouais... A cause des bestioles que vous nous avez ramenés, les autres monstres et toi ! »

Je cessai de respirer, choquée.

« Monstres ? Tu viens de me traiter de monstre ?!

  • Je t'ai reconnu, Leya, je sais que c'était toi. Et tu... Tu t'es transformée en quelque chose qui n'existait pas.

  • Cela ne veut pas dire que je suis forcément un monstre !! (Je me pinçai l'arrête du nez.) Dev, on doit parler, je vais tout t'expliquer...

  • Je n'ai pas le temps.

  • Mais je peux peut-être vous...

  • Non. Si tu viens sur notre territoire, tu en payeras les conséquences.

  • Mais je ne suis pas mauvaise ! Les serpents et les taureaux, eux le sont ! On veut les détruire. Éviter qu'ils ne sèment des cadavres sur leur passage...

  • J'ai cru remarquer qu'il était déjà trop tard ! »

Je sentis une larme couler sur ma joue.

« Laisse moi venir, qu'on s'explique...

  • Va te faire voir, El ! Toi et les tiens vous n'êtes pas les bienvenus ! »

Tout à coup, je sentis la rage gronder dans un petit foyer, près de mon estomac.

« J'arrive.

  • Si tu...

  • Ta gueule, Dev. Sérieusement, ferme-la. Je vais demander qui peut soigner ce genre de blessure ici, et je débarque. Qu'un seul de tes potes ose me montrer les dents et je l'assomme, compris ?! Ton frère souffre, et j'ai peut-être le moyen de le soigner, alors tes réflexions à la con, tu te les gardes jusqu'à ce que ton frère soit sur pied. T'en dis quoi ? »

En écoutant sa respiration je voyais bien qu'il était aussi furieux que moi. Mais qu'il hésitait... Je pris une voix douce.

« Dev... Je n'ai pas changé. Enfin, si. C'est tout récent, en fait... Je voulais t'en parler même si je pensais que tu n'étais qu'un humain... Tu crois que je voudrais faire du mal à quiconque intentionnellement ? Tu me connais bien, quand même. »

Le soupir qu'il poussa me confirma que j'avais bien fait de baisser d'un ton.

« D'accord, mais seulement une seule personne en plus de toi. Et, El ?

  • Oui ?

  • Je suis toujours furieux.

  • Tant mieux, je le suis aussi. »

Et je raccrochai. Keira secoua la tête.

« Bon sang, j'ai cru un moment que tu allais forcer le passage.

  • Je pense que c'est ce que j'ai fait. Désolée, la soirée n'est pas finie. Si tu veux aller te coucher, y'a pas de soucis.

  • Je vais attendre. »

J'hésitai puis lui tapotai le crâne, comme à un enfant. Elle me sourit.

« Merci, Keira.

  • De rien. J'ai envie de devenir ton amie... Alors... »

Je haussai les épaules.

« Tu vas en avoir du boulot.

  • Tant mieux ! »

Je ris doucement en me redressant. Elle sautilla à côté de moi en me suivant jusqu'au salon. Je dis sautiller parce que cette fille ne savait pas marcher normalement. Tout en elle me faisait penser à un petit être joyeux et dansant...

Ce fut Sophie qui me parla avant même que je ne mette un pied dans la pièce.

« Jacob va t'accompagner.

  • Tu sais soigner, grand-père ? Fis-je en le regardant. »

Il hocha la tête. Je vous avais déjà dit que c'était le seul de la famille que j'appelais naturellement par son titre familial ? C'était le plus calme de tous, le seul qui venait me caresser les cheveux quand je réussissais quelque chose. Oh, Zac le faisait aussi, mais pas avec autant de tendresse paternelle dans les yeux. Quant à mon père, il ne s'était jamais remis du départ de ma mère. Zac interrompit mes pensées par des protestations.

« Je t'accompagne aussi.

  • Il m'a dit une seule personne.

  • Quand bien même, si nous nous faisons attaquer, je serais un atout. Il ne faut pas qu'on se déplace à moins de trois, maintenant qu'on sait que les taureaux sont là aussi. Ils comprendront.

  • Ils nous voient comme des monstres, Zac. Et leur prouver qu'on a pas de parole...

  • Rappelle-le. S'il est vraiment ton ami, il comprendra. »

Je soupirai. J'en avais marre de toujours me battre pour n'importe quoi.

« Ok. »

J'appuyai sur la touche bis du téléphone et attendis que Dev répondre en foudroyant mon Zac des yeux.

Il répondit, paniqué.

« Bordel, débarque vite, on ne sait pas quoi faire ! »

Je grognai.

« On vient à trois, nous craignons une attaque.

  • Ouais, mais vite, s'il te plait.

  • Bon, on vient sous forme animale. »

Je raccrochai.

« Je vais prendre les affaires et rester en forme humaine. Zac, tu vas me porter. »

Les deux hommes hochèrent la tête et sortirent. Une fois transformé, je ramassai leurs affaires et grimpai sur Zac. J'étais tellement perturbée par la voix paniqué de Dev que je ressentais tout de manière floutée. Zac s'élança, ne plaisantant plus. Je me demandais si mon odeur trahissait mon angoisse. Il faudrait que je demande à Zac …

On arriva en peu de temps. Le comité d'accueil était au nombre de cinq humains et deux loups. Je descendis de Zac en sautant et leur rendis leurs affaires avant de me tourner vers les loups.

« Dev m'a dit que...

  • Quand vous serez en humain. »

Je grimaçai. Sa voix n'était pas à proprement parlé agressive, mais n'en était pas loin. Je cherchai parmi eux un visage connu, et je vis qu'il y en avait au moins trois qui étaient dans mon lycée. Ils me regardaient avec moins de méfiance que les autres, mais mon grand père et Zac les mettaient en rogne.

Quand ces deux derniers furent enfin prêts, on s'approcha. Ils nous bloquèrent le chemin. J'entendis Zac gronder, prêt à les attaquer. La tension était palpable, il fallait que je fasse quelque chose, que je calme les hommes qui m'entouraient.

« Bon, Dev m'a dit de venir. Apparemment, un truc cloche. Vous êtes prêt à vous battre avec nous au risque de voir votre compagnon crever ? »

Ils se regardèrent. Puis, enfin, s'écartèrent. Passant rapidement devant eux, j'entrai dans la maison de Dev. Ce dernier se tenait au chevet de Kyle, qui était très mal en point. Jacob me devança vivement et s'accroupit devant le blessé. Sans même le toucher, il l'examina.

« Ce petit salopard avait enduit ses cornes de poison, grogna t il. C'est souvent le cas lorsqu'un taureau s'allie avec des serpents.

  • Que doit on faire ? Lui demandai-je en me penchant.

  • Le mieux serait d'avoir le poison et d'en faire un antidote, mais on a pas assez de temps pour ça. Surtout que je ne connais rien sur l'espèce de ce genre de métamorphe. Mais on peut aspirer le poison si ça ne fait pas longtemps qu'il s'est infiltré. Je ne sais pas si ça va le tuer comme pour un humain ou le paralyser comme nous... Ou ralentir le processus de guérison. Tout est possible.

  • Ok. Comment fait-on pour aspirer le venin ?

  • Celui qui le fera aura les effet du poison, légèrement diminué. Donc il vaut mieux que ce soit un de nous trois.

  • J'm'y mets.

  • Non, tu es meilleure combattante que moi. Si jamais ils se pointent de nouveau, je préfère que ce soit toi qui me protège plutôt que de craindre de te perdre. »

Je grognai mais acquiesçai. En vérité, je voulais éviter Dev. Éviter son regard, ses questions et tout le reste. Mon courage et ma fureur avait disparut en voyant Kyle allongé, le ventre tailladé. La blessure en elle même n'était pas très grave. Mais le poison, lui, était inquiétant. Et je savais que cela touchait mon ami, ce qui me rendait encore plus triste. Finalement, j'osai le regarder. Il était paniqué. J'échangeai un regard avec Jacob qui acquiesça. Je me tournai vers Zac.

« Reste avec Jacob. J'm'occupe du reste.

  • Mais...

  • S'il te plait... »

Je lui montrai Dev du menton. Il grogna mais haussa les épaules.

Je pris Dev par le bras.

« Viens, mon grand-père va s'occuper de lui...

  • Je veux rester !

  • Écoute, il vaut mieux que tu quittes la pièce, tu vas gêner. Sans déc'. »

Il me regarda enfin. Puis se laissa entraîner. On alla dans le salon, au milieu des autres membres de la meute. Enfin, dont je soupçonnais faire parti des loups-garou, au vue de leur odeur qui m'était à présent définissable : cette touche de sauvagerie et de chaleur qui avait démarqué Dev des autres m'apparaissait comme l'odeur de leur meute à présent. Je cherchais alors ce qui rendait Dev différent des autres, le petit truc que je n'avais pas capté, l'odeur camouflée sous celle de sa meute. Je portai sa main, que je tenais fermement, contre ma joue et inspirai. La vanille. Sa peau était parfumée d'une douce odeur de vanille. Pas de la vanille artificielle, comme celle des produits de beauté, mais de la vanille naturelle comme si il en était imprégné. Il me tira vers le canapé pour s'y asseoir, et me cala autoritairement sur ses genoux, s'enroulant autour de moi. Il inspira à son tour.

Je lui caressais les cheveux doucement, me désintéressant des autres.

« Tu es comme ça depuis combien de temps ? »

Je levai la tête. Celui qui avait parlé était dans mon lycée. Mais son nom ne me revenait pas.

« Comme quoi ?

  • Un monstre. »

Je sentis Dev réagir à la tension qui tendit brusquement mes muscles. Il me massa doucement les hanches des pouces, essayant de me calmer.

« Si je suis un monstre, vous l'êtes tout autant, grognai-je à voix basse et menaçante. Évite de m'insulter alors que je viens sauver Kyle, mec. Sérieux.

  • Alors, combien de temps ? Insista un autre. »

Je soupirai en calant mon visage dans le cou de Dev qui continuait à tenter de me calmer.

« Assez peu pour parvenir à me contrôler face à autant d'agressivité. Les gars, on est pas vos ennemis, justement. Les trois créatures que vous avez vu, en revanche... Ils tuent pour le plaisir, nous pourchassent depuis des millénaires, tuant beaucoup des nôtres, nous obligeant à fuir. Tout ça à cause d'une malédiction de merde. À cause d'une femme qui aimait un chasseur et d'un chaman à la noix. Donc, non, sérieux, on est vraiment pas vos ennemis.

  • C'est cette histoire de chasseur et de chaman ? Me demanda doucement Dev, sortant de son mutisme. »

Je lui tapotai la joue.

« Ça fait parti des choses que je meurs d'envie de te raconter.

  • Il n'empêche, ta famille de monstre les a entrainés ici, continua le petit chieur. »

Je le fusillai du regard, sentant mes muscles tressauter de colère. Il recula d'un pas, l'odeur de sa peur voletant vers moi comme le fumet d'un met délicieux. Je m'entendis gronder avant de me rendre compte qu'il m'avait sérieusement mis en colère. Mais je me moquais bien de lui. Je savais juste qu'il était hostile et qu'il avait peur. Cela suffisait à mon Dae pour le considérer comme une proie potentielle ou comme un ennemi.

Je montrai les dents, prête à lui sauter dessus à la prochaine insulte, malgré l'étreinte solide de mon ami enroulé autour de moi. Il répondit de la même manière, sans se douter qu'il n'avait aucune chance. J'étais plus forte que lui, car il n'était pas un alpha, pas comme moi. Je le sentais, je le voyais. Je n'en ferai qu'une bouchée, même sous forme humaine.

Son grondement fut ce qui déclencha la bagarre. Dev n'eût pas le temps de me retenir ou de prévenir l'autre que je sautais à la gorge du loup, une fureur sans nom décuplant ma vitesse et ma force. Je le projetai à l'autre bout de la pièce, faisant peu cas des meubles. Il m'avait insulté, et mon Dae ne le supportait pas. J'entendis les autres bouger autour de moi, mais j'évitais ces mains qui tentaient de me saisir, concentrée sur ma proie. Au lieu de chercher à se défendre, ce dernier tremblait et me regardait d'un air affolé. La voix de Dev me parvint sous le battement furieux de mon cœur, me demandant de me calmer. Je lui jetai un regard curieux, laissant l'occasion aux autres de m'attaquer. Le poing d'un des membres de la meute me percuta au menton, m'envoyant sur le canapé, où un autre se jeta sur moi pour m'immobiliser. Mon propre sang sur ma langue me fit voir rouge et je mordis dans l'ennemi le plus proche, déchirant la peau tendre de son épaule. Il hurla mais ne lâcha pas prise. Je mordis alors plus fort et me cambrai, le déstabilisant. Sa poigne fut moins ferme, me permettant de le projeter loin de moi. Je sautais sur mes pieds, cherchant celui qui m'avait frappé. Je le vis à travers la brume rouge et l'attaquai sans plus de forme. Mes mains s'étaient transformées en pattes griffues, pas si loin de celles que je possédais en forme animale, et je tentai de l'éventrer.

Ce fut alors qu'une main, que je reconnaitrais entre mille, m'attrapa le bras, me tirant contre un torse dont je rêvai découvrir les muscles.

Je levai la tête, voyant Zac qui, furieux, me regardait d'un air réprobateur. Je feulai un avertissement auquel il répondit un grondement d'avertissement. La Dae en moi se recroquevilla automatiquement, ayant peur d'avoir déçu celui qui serait notre compagnon.

« Il suffit, El. Tu en as assez fait. »

Sa voix était douce, contredisant son regard furibond et la tension de son corps prêt à utiliser la force. Si Zac était aussi furieux, c'était que j'avais fait quelque chose de mal, et je ne voulais pas faire quelque chose de mal. Je secouai la tête, essayant de dissiper l'envie de tuer, agrippant à deux mains aux bras de Zac qui me ceignaient à présent. La voix de Dev parvint ensuite jusqu'à moi.

« Que lui est-il arrivé ? Je ne l'ai jamais vu dans un tel état !

  • Elle s'est transformée il n'y a pas longtemps. En temps de crise, l'animal prend le dessus. Et vu que votre odeur nous rappelle celle des animaux, elle n'a pas pu réfléchir clairement. Personne n'est trop grièvement blessé ? »

J'entendis les autres mâle répondre à la négative. Je tentai de repousser la soif de sang et le mode de pensé animal qui me submergeait, sans grand succès. Mon côté humain m'aida néanmoins à articuler quelques mots. Zac baissa la tête.

« Quoi ?

  • A-aide m-moi... »

Il me souleva d'une main, enserrant ma mâchoire de l'autre pour me tourner vers lui. Je me tordis dans tous les sens pour m'enrouler autour de sa taille, cherchant le maximum de contact. Mais il me tenait fermement loin de ses lèvres, cherchant à me capturer du regard.

« El, El ! »

Je levai les yeux pour me plonger dans les siens. Ils étaient redevenus humain, mais j'étais quand même envoutée. La soif de sang avait disparut, mais j'étais toujours sous l'emprise de la sauvagerie. Jusqu'à ce qu'il se décide, enfin, à poser ses lèvres sur les miennes. Je m'engouffrais dans ce baiser, cherchant à fusionner avec lui. Puis, peu à peu, je me sentis redevenir humaine. La peur des dernières heures, la fureur, le besoin de protéger ceux qui m'étaient cher, tout se réduit à l'échelle humaine, me laissant épuisée et honteuse. Zac recula un bref instant pour vérifier que j'étais redevenue moi-même, avant de m'embrasser fugacement et de me reposer à terre. Je regardai autour de moi, hagarde, constatant que je n'avais pas fait énormément de dégâts. Deux des loups avaient des traces de sang : le premier s'était ouvert la main sur le meuble qu'il avait brisé en tombant dessus, et le deuxième était celui que j'avais mordu. Je baissai les yeux sur mon tee-shirt, dégoûtée. Je n'osai regarder Dev, de peur d'y voir cette même lueur de dégoût que celle qui devait être peinte sur mon visage.

« Tu vas bien, El ? »

Sa voix n'avait pas l'air ni coléreuse ni dégoûtée. Mais inquiète et incroyablement douce. Je levai les yeux vers lui. Il tendait la main, prudemment. Je hochai la tête, m'éloignant de tout le monde.

« Désolée, il faut que je prenne l'air. »

Et je me suis enfuie comme une lâche.

 

 

 

 

 

 

 

La brume fraîche acheva de me rendre mes esprits. Bon sang ! Comme incident diplomatique, je n'aurais pu faire pire ! J'avais attaqué la meute sans un seul avertissement, rien que pour quelques insultes. Ils avaient raison, j'étais un monstre.

« El ? »

Je me tournais, surprise. Dev était à deux mètres de moi, distance de sécurité, à ne pas en douter.

« Tu as peur de moi maintenant ? Ronchonnai-je pour cacher la honte qui serrait mon cœur.

  • Non. C'est juste que... (Il soupira. Je l'entendis se rapprocher de moi.) Je voulais éviter de te faire peur.

  • Éviter le risque que je me comporte de nouveau comme un monstre cherchant à massacrer tes compagnons ? »

Il se planta devant moi, m'attrapant les épaules.

Je me débattis, mais il ne lâcha pas prise.

« Arrête, me prévint il. Je ne suis pas comme Jael. Je suis le deuxième de la meute, je n'ai pas peur de toi. »

Je me tins immobile, les yeux vers le sol.

« Bien. El. Je suis désolé de t'avoir insulté... Zac nous a expliqué qu'il était très dur pour un nouveau transformé de maitriser sa colère... Et chez nous aussi, c'est la même chose. Quand on devient un loup, on a énormément de mal au début à ne pas partir en fureur à la moindre provocation. Ils n'y ont pas pensé. Désolé. »

Je le regardai timidement. De son odeur à sa posture, j'en déduisais qu'il ne mentait pas. Je haussai les épaules.

« Quand même, je ne sais pas ce qu'il m'a pris.

  • Je trouve que tu te contrôles mieux que moi à mes débuts, enchaina-t-il. Je me serais déjà transformé pour mâchouiller cet imbécile. Ton odeur témoignait de ta fureur. Il aurait du se la boucler. Tu es une dominante après tout.

  • Comment peux-tu le savoir ?

  • À ta posture. Et aussi quand je t'ai vu attaquer les hommes-serpents. C'est toi qui a sonné la chasse.

  • Ah...

  • C'était donc ça le grand secret que tu ne pouvais pas me dire ? Sourit il.

  • Ouais, le même que le tiens ! Heureuse coïncidence ? »

Il éclata de rire en me lâchant.

« Je comprends mieux ton avertissement de tout à l'heure, alors. Et moi qui pensait que c'était Alex et sa clique qui perdaient les pédales !

  • Quoi ?

  • Rien, il faudra qu'il t'en parle lui même. (Il alla s'asseoir sur les marches du perron.) Allez, viens, explique-moi tout. »

Je lui obéis et commençai le récit. Je n'omis rien, vidant mon sac avec soulagement. Quand j'eus fini, il poussa un long soupir en étirant les jambes.

« Et bien... C'est une sacrée merde. Vous avez enfin répondu à l'appel de guerre de ces psychopathes, ils nous ont trouvés sur le champs de bataille et nous ont attaqués. Ils sont aussi responsables des meurtres ?

  • Je suis prête à parier ma vie dessus.

  • Ne pars pas trop loin. Je doute que la meute ait une quelconque objection à s'allier avec vous. Même après ton petit spectacle de tout à l'heure. Bon sang ! Tu m'a fait flipper à un moment, je te jure. Tes yeux... Heureusement que ton oncle est arrivé. Enfin, ton oncle. On dirait que tu as dépassé le stade du « Je veux qu'il me lâche les basques ! » ! »

J'eus la bonne idée de rougir. Il me bouscula gentiment.

« Allez, avoue, tu t'es fait à l'idée que tu pourrais te le taper. Pas la peine de faire la timide avec moi, on est pote. »

Je le fusillais du regard mais lui répondis quand même.

« Il est le seul qui parvient à me calmer. Et puis... Mon côté Dae le revendique comme nous appartenant.

  • Après le baiser de tout à l'heure, y'a pas à en douter.

  • Bordel, je n'ai jamais voulu dépendre de lui de cette façon !

  • Et alors ? Si c'était comme ça que ça devait se passer ? Si c'était ton âme sœur ? Tant pis si tu le connais depuis toujours, au fond de toi, tu ne l'as jamais aimé comme tu l'aurais voulu. »

Je lui jetai un regard moqueur.

« Grand romantique ?

  • Ne te moque pas... Je te raconterai un jour toutes nos légendes. Tu comprendras pourquoi je te dis ça.

  • Dis moi maintenant.

  • C'est...

  • S'il te plait. J'en ai par dessus la tête des hommes-serpents et leur potes bodybuldeur. Parle moi d'un truc bien.

  • Tu as déjà entendu le terme « Imprégné » au lycée ? »

Je réfléchis un petit instant.

« Oui. Une fille râlait parce qu'elle croyait que toi et moi on était imprégné de l'autre.

  • En réalité, imprégnation vient seulement du loup. Dès qu'il voit l'autre être, ce dernier devient automatiquement le centre de la vie du loup. C'est irréversible, seule la mort peut le séparer de l'objet de sa fascination. En temps normal, les deux êtres deviennent des amants sinon plus. Mais le loup fait tout pour être avec la personne dont il est imprégné. Meilleur ami, oncle, frère, protecteur. Et lorsqu'il s'imprègne, il devient alors si heureux que rien ne peut plus l'arrêter.

  • Une version un peu psychotique de l'âme sœur, en fait.

  • Voilà. Ton histoire de l'amour unique m'y a fait pensé. Un peu comme une imprégnation, mais en plus ciblé. Pas question de se contrôler avec les Daes j'ai l'impression !

  • Tu l'as dit... Tu crois qu'on a le même mode de fonctionnement ?

  • Je dirais plus que vous avez un comportement d'animal fidèle, sans vouloir te vexer. Un peu comme si ton côté animal savait reconnaître l'homme qui te conviendrait parfaitement, et que ton côté humain verrait en lui l'amour de ta vie. Tu vois ?

  • Ouais... Enfin, je n'y avais jamais pensé.

  • Que ressentais tu en temps qu'humaine, avant ta transformation ? Tu étais toujours avec lui, tu n'étais bien qu'avec lui, blessée quand il te repoussait. Et maintenant ? Tu sais qu'il est fait pour toi. Je ne te dis pas de te jeter dans ses bras, laisse le encore galérer à ce malade, mais je dis juste que tout ce que tu ressens doit être normal. Et je pense même qu'il se mord les doigts de t'avoir brusquer, puisqu'il doit forcément t'aimer.

  • Pourquoi forcément ?

  • Regarde toi ! El, si un homme est sain d'esprit, une fille comme toi, on la veut pour la vie. Ou alors on est gay. Enfin, sauf pour moi, moi, je sais que je t'aime comme une amie, tu es trop dominante pour être ma compagne.

  • Tu parles d'un macho !

  • C'est le loup qui parle, chaton ! Le loup... »

Chaton... Je me rappelais brusquement que c'était le petit surnom qu'avait proposé Keira.

« Tu connaitrais pas Keira, toi, par hasard ?

  • Keira ? Une fille du lycée ? J'ai déjà entendu parlé d'elle. Une des rares humains extérieur qui connait notre secret. Mais je ne l'ai jamais vu. Pourquoi ?

  • Elle m'a appelé chaton...

  • Tu la connais d'où ?

  • On lui a sauvé la vie, tout à l'heure. Et elle est dans notre classe, apparemment.

  • Je suis arrivé après les autres, j'ai pas vu le sauvetage. Et je me souviendrais d'elle si elle était dans notre classe.

  • Ah... J'ai du mal la comprendre, alors.

  • Elle est chez toi ?

  • Oui. Elle n'a pas était mordue, mais elle a quelques blessures superficielles, alors elle se repose.

  • Je viendra voir demain. »

Je hochai la tête. Un frisson me rappela que j'étais dehors, dans une atmosphère froide et humide, dans un tee-shirt imprégné de sang. Dev le remarqua.

« On rentre ? Ça a du se calmer, dedans.

  • On vient de passer une heure dehors, j'espère que ça s'est calmé... »

Il ricana en m'ouvrant la porte.

 

 

 

 

 

 

En entrant, je vis mon grand-père allongé sur le canapé et Kyle debout derrière lui, remis. Jacob me gratifia d'un clin d'œil.

« Je crains que vous allez devoir me porter, les enfants, je suis trop faible pour me transformer.

  • Tu pourras t'accrocher ?

  • Zac est le plus habitué, il n'aura aucun mal à maintenir l'équilibre.

  • Monsieur... »

Je me tournai vers Kyle qui se tordait les mains.

« Vous m'avez sauvé la vie. Et il est surement plus facile de chevaucher un loup. Si vous m'autorisez, monsieur... »

Dev et moi échangeâmes un regard surpris. Kyle, timide ? Je pouffais.

« Pas la peine de prendre cet air contrit, le loup, marmonna Jacob. Ils sont là à cause de nous, je devais faire quelque chose. Et puis, tu es encore blessé, jeune homme. Ça risquerait d'aggraver tes blessures.

  • Mais, monsieur...

  • Je pense, intervins-je, que tu pourrais nous accompagner, si ta blessure est refermée, bien sûr. Vu que Jacob est mal en point, si on est attaqué, une paire de griffes supplémentaire ne sera pas de trop !

  • Je viendrai avec vous, alors. »

Je lui souris. La tension avait considérablement diminuée dans la pièce, et je me sentais moi-même beaucoup plus calme. Avoir raconté mes soucis à Dev avait été libérateur et pour moi, et pour mon côté Dae. Je fis signe à Zac de porter notre grand-père à l'extérieur, et entrainai le reste de la meute derrière moi.

Je fis passer mon tee-shirt par dessus la tête en me tournant vers Dev.

« Restez sur vos gardes. Maintenant qu'ils sont au courant de votre existence, ils vont surement vous attaquer. Ne laissez personne seul, même à deux.

  • Le mieux serait qu'ils viennent s'entrainer avec nous, proposa Zac.

  • Bonne idée. (Je descendis mon pantalon.) Évitez les lieux trop isolés, même la forêt, jusqu'à ce qu'on sache à peu près où ils squattent.

  • Tu vas te dessaper devant moi comme ça ? Plaisanta Dev.

  • Je vais me transformer, et en temps normal, des fringues humaines ne réussissent pas trop à survivre après une transformation. Donc, oui, tu vas me voir à poil pour la première fois de ta vie, sale pervers de loup ! »

Il éclata de rire tandis que je jetai mes dernières affaires au sol. Immédiatement, je changeai de forme. La douleur, très brève, m'arracha un court cri. Je levai la gueule vers Dev une fois sous forme animale. Il me regardait d'un air étonné.

« Tu as l'air beaucoup plus grande que ce que je n'aurais cru. Tu es toujours toi ? »

Je hochai la gueule avant de me tourner vers Zac.

« Ouais ouais, fit ce dernier. Jacob, tu t'occupes de nos affaires ?

  • Pas de problème, mon garçon. Transforme-toi. »

Lorsque mon Zac frotta son flanc contre le mien, mêlant sa fourrure noire à la blanche-dorée de la mienne, je me mis à ronronner, ce qui fit pouffer la meute.

« Bordel, quand ils font ça, ils font vraiment moins flipper !

  • Ils forment un Duo. Quand ils sont ensemble, ils semblent moins sauvage. (Jacob sourit à Dev.) Mais ça ne veut pas dire qu'ils sont domestiqués pour autant. Ils peuvent à tout moment, surtout si l'un est menacé, devenir très dangereux.

  • Je croyais que El s'était transformée il y a peu de temps. Comment avez vous fait pour en savoir autant sur eux ? »

Je vis le regard de Jacob s'illuminer.

« Ma femme et moi formons aussi un Duo. »

Cela ne méritait aucun commentaire. Kyle se transforma à son tour. Je le regardai, curieuse. Même sous ma forme Dae, j'étais intriguée de voir s'ils étaient comme nous.

Ma surprise fut telle que je lâchai un grognement. La transformation avait été fluide, encore plus fluide que celle de Zac, et si rapide que j'avais l'impression que le loup était apparut d'un claquement de doigt. Pas d'os qui craquent, pas de fourrure qui pousse à vue, rien de comparable à nous. Je devinais alors qu'ils ne pouvaient pas, comme nous, changer certaines parties de leur corps. Je devinais aussi qu'ils n'étaient pas de véritables loups-garous. Ne me demandez pas comment, je le sentais. C'était comme si mon instinct me le dictait, comme si leur odeur aurait du contenir une odeur de lune. Le loup qui se tenait devant moi n'avait pas le regard étrange d'un animal avec une conscience humaine, il avait le regard d'un humain. Je m'approchais de lui pour le renifler. Il recula doucement. Je grognai en me détournant. Je poserai des questions une fois humaine.

La course fut rapide mais néanmoins beaucoup plus légère qu'à l'allée. J'eus même le temps de m'émerveiller de la rapide remise en forme de Kyle et de la vitesse de ses déplacements. Presque aussi véloce qu'un Dae, avec cependant une force supplémentaire, comme si c'était plus naturel pour lui que pour nous de courir entre ces bois. Ou peut-être était-ce juste le fait qu'il était sur le territoire de sa meute.

Il me rendit le regard, nous observant sans doute à son tour. Comment ne pas être curieux ? Nous ne ressemblions à rien de connu, notre course n'était semblable à aucune autre... Et je supposais qu'il n'avait jamais vu d'autre type de métamorphe.

On arriva bien trop vite à la maison, malgré le fait que Zac portait mon grand père. Comme s'ils avaient l'habitude de ce genre de déplacement !

J'entrai sous ma forme Dae, tandis que Zac et Kyle se transformaient. Keira était dans le salon avec Sophie. Quand elle me vit sous ma forme animale, elle poussa un petit cri de ravissement. Ma grand mère, elle, me foudroya du regard.

« Va te transformer ! »

Je grognai en tournant la gueule vers les trois hommes qui rentraient dans la pièce. Jacob se tenait légèrement sur Zac, seulement habillé d'un jean. Fascinée, je n'avais pas remarqué que Kyle était rentré à leur suite. Ce fut seulement quand je sentis la... Comment expliquer ce grésillement, cette énergie électrique qui parcourut le salon à ce moment là ? L'odeur de musc et de loup inonda aussitôt mes poumons, et un long frisson me parcourut l'échine. Je dévisageai Kyle. Il semblait... ailleurs. Ses yeux brillaient de fascination... d'adoration. Sa respiration était saccadée, ses membres tremblait. Envoûté, immobile... L'odeur venait de lui. Ce qui était à l'œuvre me dépassait totalement ! Mon Dae ne comprenait pas. Aussi, je me métamorphosai sans même y penser. Une fois humaine, je me tournai vers Sophie. Elle regardait Keira. Cette dernière avait les lèvres entrouvertes, le regard brillant. Et sa peau dégageait un parfum féminin entêtant. Elle fixait Kyle.

« Que se passe-t-il ? »

C'était Zac. Il sentait comme moi la magie qui parcourait la pièce.

« Je crois que l'on vient de faire des loups nos alliés, répondis je avec un sourire. »

Il fronça les sourcils. J'approchai de Kyle et lui touchai le bras. Il cligna des yeux et s'arracha à la contemplation de Keira.

« Je te présente Keira. La jeune fille que nous avons sauvée. »

Un long frisson le parcourut.

« Sauvée ? Demanda t il d'une voix rauque, comme s'il avait oublié de déglutir.

  • Des serpents. »

Il plissa les yeux et se tourna vers elle. Je me tournais vers ma nouvelle amie.

« C'est Kyle. Un loup. »

Elle ouvrit la bouche pour parler, mais seul un soupir passa ses lèvres. Kyle s'approcha doucement d'elle, lui frôla les entailles sur sa joue du bout des doigts. Il gronda.

« Je serais avec vous contre ces monstres. »

Je souris.

Puis regardai Zac. Il paraissait tout aussi perplexe que les autres. Personne ne comprenait. Il avait assis mon grand père sur un fauteuil et se tenait à un mètre de moi. Je m'approchai de lui et glissai mes bras autour de son cou, encouragée par l'ambiance qui pesait sur mon cœur.

« Des âmes sœurs. Ils sont Imprégnés. »

Il haussa un sourcil. J'enfouis mon nez dans son cou en riant. La magie avait aussi effet sur moi.

« Comme nous... soufflais je. »

Je me redressais pour l'observer. Il avait compris. Il eut son petit sourire en coin, plaqua ses mains sur mes reins, m'attirant contre son jean.

« Avec deux meutes... Que la guerre soit ouverte ! »

Je souris d'un air carnassier et glissai un regard vers Kyle et Keira. Si j'en croyais Dev, ce qui venait de se passer nous assurait la coopération des loups. Je me blottis contre Zac.

Le temps de la méfiance était fini entre les deux clans. Place aux combats !

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