Malédiction.
Tout à commencé par un déménagement. Celui de ma famille, oncles, tantes et grand-parents compris. Oui, ils nous quittent rarement, à mon père et moi.
J'avais cru comprendre qu'on n'était plus en sécurité dans la ville où je suis née.
Je n'avais jamais posé de question, croyant que nous avions des problèmes avec des types importants et louches, qui n'hésiteraient pas à s'en prendre à n'importe lequel d'entre nous.
Le fait est que nous avions quitté le sud chaud et ensoleillé pour une ville humide, sans cesse recouverte par une masse nuageuse menaçante, privés de notre dose d'UV.
Malgré tout, je ne m'en préoccupais pas tant que ça : je n'avais jamais été trop intégré dans mon ancienne ville.
Comme si tous nos voisins, les jeunes de mon lycée et même les touristes étaient au courant que nous étions peu fréquentables.
Je dois avouer que mes oncles et mon père ont l'air de sales grosses brutes sans cervelles : tatouages pour certain, super grands et possédant d'imposantes musculatures, regards menaçants et un rien bestial... Je m'en suis rendu compte qu'à mes quinze ans, de leurs différences, y étant habitué depuis ma plus tendre enfance.
Les femmes de la familles n'avaient pas l'air commode non plus, même si c'était à un autre niveau. C'était leurs façon de vous regarder comme si vous n'étiez rien. La pire étant ma grand-mère : elle a fait fuir la seule amie que j'ai jamais eu rien qu'en haussant un sourcil.
J'vous jure.
Et malgré mon apparence normale (quoiqu'un poil trop grande et sportive, mais beaucoup de filles frôle le mètre soixante dix huit maintenant, et peuvent courir un 100m en 10secondes, non ?), mon inclination à rire et ma grande difficulté à fixer quelqu'un plus de deux secondes, on aurait dis qu'ils avaient quand même peur de moi.
Voilà pourquoi je n'étais pas mécontente de changer de ville.
Je ne reproche absolument rien à ma famille : je l'adore ! Je ne l'ai jamais considéré comme un poids et encore moins reprochée le désert de ma vie sociale. Ils me suffisent amplement.
Mais bon, à 17 ans, j'ai bien envie de régler le problème de ma vie sentimentale.
Enfin, je ne me trouve pas vraiment repoussante. Quand je me regarde dans le miroir, je vois les cheveux blonds-dorés de mon père, bouclés et refusant de se laisser dompter, les yeux bleus un peu trop vif de mon grand-père... Ce dernier m'a dit un jour que le reste, la forme amande de mes yeux, les lèvres souriantes et mes traits fins, me vient de ma mère. Je suis bien obligé de le croire sur parole, vu que je ne l'ai jamais connue. Elle m'a laissé devant la porte de mon père, deux mois après ma naissance. Mon oncle Harry a tenté de m'expliquer que la charge d'un enfant été trop lourde pour une femme sans le sous et sans diplôme, et qu'elle avait fait le bon choix en me confiant à mon paternel et sa famille plus qu'aisée. (Quoiqu'un rien conservatrice...)
Je n'avais rien voulu entendre quand j'avais été dans ma phase rébellion (très courte, puisque immédiatement prise en main par mes tantes Katy et Bridget, qui se sont révélées vraiment très douées pour trouver des punitions mémorables...) mais j'ai fini par ne plus y penser et ne plus lui en vouloir, vu que ma vie me satisfaisait amplement et que je n'aurais pu rêver d'en avoir eu une meilleure.
Mais finissons en là pour les lamentations.
Nous aménageâmes un beau samedi de novembre.
Enfin, « beau »... disons qu'il ne pleuvait pas.
Mes grand parents avaient acheté une sorte d'immense manoir, avec une bonne dizaine de chambres, presque autant de salles de bain, un salon avec cheminée et bibliothèque, un salon avec la télé, une salle à manger avec une énorme table en chêne capable de contenir largement les neufs membres de ma famille, à savoir mes grands parents, Sophie et Jacob, mon oncle Harry et sa femme Claire, mes tantes Katy et Bridget, mon autre oncle Zacchari, qui devait avoir à peine une dizaine d'année de plus que moi, mon père Johnathan et moi. Il y avait aussi une cave immense, un jardin impressionnant, et nous étions placé à la lisière d'une forêt dont la vue remplissait toute ma fenêtre.
Oui, mon père habite encore chez ses parents, de même que ses frères et sœurs. Non, cela ne me dérange absolument pas. J'en ai l'habitude. Et puis, vous les connaitriez, vous verrez qu'ils peuvent être aussi immature que moi.
J'avais hérité de la chambre avec salle de bain relié, un peu à l'écart. Tout avait déjà été installé avant notre arrivée, tant bien que j'avais l'impression d'avoir habité ici toute ma vie.
C'était l'une des qualité de ma grand-mère : savoir exactement ce qui nous mettait à l'aise. Comment nous garder auprès d'elle, malgré tous ses défauts.
Bref. A peine installé, Zac proposa une ballade en forêt. Je refusais sous prétexte d'avoir un roman à dévorer.
A dire vrai, j'avais plutôt envie de visiter ce manoir aux proportions hallucinantes, et de bricoler ma voiture, encore en travaux.
Oui, je conduis. Non, je n'ai pas le permis. Non, je ne me suis jamais fait attrapée. Oui, on m'encourage sur cette voie.
J'aime la vitesse et encore plus lorsque c'est au volant d'une bagnole ou d'une bécane que j'ai bricolé au préalable.
C'est Harry qui m'a appris la mécanique et tout ces trucs de mecs, malgré les protestations des femmes de la famille.
« Si jamais elle a une panne ou autres, il vaut mieux qu'elle sache s'y prendre, non ? » répondait il en haussant les épaules.
D'autant plus que je m'éclatais à mettre les mains dans le cambouis, avec mon oncle qui racontait des conneries en travaillant sur une autre bagnole.
Si je n'avais pas dit mes projets à ma famille, c'était bien pour qu'Harry ne se sente pas partagé entre moi et la ballade.
Ils adorent ça, la forêt.
Moi aussi, mais quand je suis seule. Leur facilité à se mouvoir et à trouver leur chemin me gênais.
Une fois qu'ils furent partis, je sortis ma Mercedes-Benz 190 SL datant de 1955 , toute cabossé, gris métallisé, du garage.
Ça fesait trois mois que je l'avait sauvé de la casse, la pauvre chérie. Elle m'avait tapé dans l'oeil, me rendant amoureuse.
Bon, j'avais du refaire une bonne partie de la carrosserie, et le moteur était carrément H-S. Mais c'était ma chouchoute.
J'ouvris le capot avec délicatesse et me mis au boulot.
Habituée à manipuler sans erreurs, mon esprit était libre de vagabonder.
Allais je me faire des amis ? Un garçon serait il intéressé par moi ?
Imaginer la grimace que ferait mon père si le dit-garçon venait chez nous m'arracha un gloussement.
Si Zac ne le faisait pas fuir d'entrée. Il prenait toujours des expressions terrifiantes lorsqu'il me voyait en compagnie d'un garçon...
Non, définitivement, je n'amènerais personne ici.
Je poursuivis mon bricolage jusqu'au couché du soleil et ne rendit même pas compte de la présence de Zac dans mon dos avant que ce dernier ne se penche à côté de moi en sifflant.
Je me redressais un peu trop vivement sous l'effet de la surprise et me cogna l'arrière de la tête sur le capot.
« Merde ! »
Mon oncle éclata de rire.
C'était assurément la personne la plus proche de moi, ici.
« Eh bien, quel juron, El !
Note bien que c'est de ta faute s'il a été prononcé, grommelais je. La ballade était bien ? » -
Ses yeux pétillèrent de plaisirs. J'avais du mal à croire qu'il approchait de la trentaine, il faisait bien plus jeune, à peine plus âgé que moi. J'adorais ses cheveux noirs, sa haute taille (Il était presque aussi grand que mon père, mais plus fin que le reste des hommes de la famille) et ses yeux d'un verts étincelants ajoutant encore plus de charme à son visage souriant et d'une beauté déroutante.
« J'aurais aimé qu'elle se prolonge. (Il jeta un coup d'œil à ma voiture.) Le roman était trop ennuyeux ?
- Je ne l'ai même pas ouvert, avouais je en rougissant. (Il rit encore.) Je ne voulais pas qu'Harry...
- Oui, comme d'habitude. Alors, dans combien de temps comptes tu la mettre à l'épreuve ?
- Quand j'aurais acheté les pièces manquantes, répondis je en refermant le capot. Mais disons que j'ai pas mal avancé.
- Tu vas la revendre ?
- T'es fou ? Souris je. Je ne revendrais aucun de mes bébés à des gens qui risque de les esquinter...
- Mais tu as déjà la Mini Austin et la MV Agusta...
- J'suis amoureuse, pas de ma faute... (Il se passa la main dans les cheveux avec un immense sourire.
- Toi, alors...
- J'vous critique pas pour vos hobbies, moi.
- Ce n'est pas une critique, juste que tu pourrais avoir des intérêts plus féminin. »
Éternel débats avec Zac. Mes activités trop masculines le gênaient encore plus qu'à mes tantes. Je m'essuyais les mains avec un chiffon – sans grand succès, au vu de la saleté du dit chiffon – et le suivit jusqu'au manoir.
« Prête pour le lycée ? Fit il, l'air de rien.
- J'ai encore demain pour préparer mon sourire avenant.
- Tu vas t'en sortir ?
- Dans un lycée de 400 élèves ? (Il leva les yeux aux ciels.) Je pense.
- C'est nouveau, tout ça, pour toi...
- T'en fais pas, tonton... »
Il grimaça.
Dans notre famille, les « mamie », « tonton » et même les « papa » n'était pas de mise. On s'appelait par nos prénoms. Je ne me permettais de légers écart qu'avec Zac. Et simplement pour le taquiner car il détestait vraiment ça. Comme les autres manières étranges de la famille, je n'y prêtais pas attention et appliquait à la lettre les règles imposées sans poser de questions. J'accélérais pour me retrouver à la hauteur de mon jeune oncle.
« Vous êtes allez loin ?
- Assez loin, oui, répondit il avec un haussement d'épaule.
- Assez loin pour quoi ? Établir un périmètre de sécurité ? Me moquais je.
- On est pas parano à ce point là, fit il avec un sourire en coin. On est allé assez loin pour que ce soit intéressant.
- Vous avez vu des ours ? Continuais je.
- Si on en avait vu, nous ne serions probablement pas là, El. (Ses sourcils se froncèrent et son regard fixa le vide.)
- Tu sais que je plaisantais, Zac.
- Je sais.
- Je ne vois pas pourquoi, à chaque fois que je pose une question absurde, vous réagissez tous ainsi !
- C'est que... On ne sait jamais, tu as un intellect tellement inférieur à la moyenne... »
Je voulus lui frapper l'arrière du crâne mais il esquiva en riant puis m'attrapa les poignets pour m'empêcher de recommencer.
Ses mains étaient grandes et puissantes. Je ne parvenais jamais à me libérer. Je capitulais donc et on alla rejoindre le reste de la famille dans le salon à la cheminée.
Sans même lever les yeux vers moi, ma grand-mère fronça le nez de son rocking-chair et fit sèchement :
« Encore à t'amuser dans l'huile ?
- Je n'ai pas résisté, m'excusais je. Ma mercedes ne se remettra pas sur roues toute seule.
- Quand bien même, tu aurais pu te changer. Ton pull est...- Oui, Sophie. Désolée. »
Elle leva enfin les yeux de son ouvrage de broderie, me transperçant de son regard d'acier.
« Tu n'as pas l'air le moindre du monde d'être désolée, ma chérie.
- C'est qu'elle ne l'est pas vraiment, ricana Zac en traître.
- Elle devrait ! Rugit Harry en déboulant. »
Je poussais un petit cri quand il me jeta sur mon épaule pour me balancer sur un fauteuil.
« Alors, comme ça, tu as un bouquin que tu meurs d'envie de lire ? Gronda t il en plaçant ses mains au dessus de mes épaules, menaçant.
- J'allais pas te faire râler...
- Écoutez là ! Tu as bidouillé la mercedes ? - Ouais. (Il grogna en se redressant.)
- Tu ne toucherais pas à la corvette sans moi ?
- Nan, t'inquiète pas. (Je lui souris avec innocence.) Je ne me le permettrai jamais !
- Et en plus tu te permets de te foutre de moi...
- Harry, laisse donc El tranquille... soupira Claire en se laissant tomber sur le canapé, à côté de Katy – je ne l'avais même pas vu entrer. On dirait un gosse.
- Tu m'as épousé en étant parfaitement au courant de mon caractère, chérie, répliqua mon oncle sur un ton mielleux.
- Quand bien même, j'aurais pensé que tu te bonifierais avec l'âge.
- Qui se bonifierais avec l'âge ? Demanda mon père en entrant.
- Mon mari. »
Mon père ricana et bouscula son frère. Se dernier ronchonna en allant s'asseoir à côté de son épouse. Mon paternel s'installa sur le fauteuil à côté de moi. Il ne manquait plus que Bridget et la famille se tenait au complet devant mes yeux. Mais celle ci était écrivain, et devait travaillé sur son nouveau roman.
Mon grand père Jacob ne parlait presque jamais. Mais son regard en disait presque toujours trop. Comme à l'instant. D'un clin d'œil, je lui promis que je lui montrerais l'avancement de ma mercedes.
Puis le silence s'installa. Ce silence que je n'osai jamais brisé tant il était bienfaisant. Seul Zac se tortillait sur son fauteuil, ne tenant jamais en place. Sans un bruit, je me levais et l'invita à me suivre.
On alla jusqu'à sa chambre, qui ressemblait exactement à celle de notre maison dans le pays du soleil. Le seul endroit où ma grand mère n'avait aucune emprise.
Je m'affalais en soupirant sur son lit tandis qu'il branchait la console.
« Combat ou RPG ? Demandais je.
- RPG. Final Fantasy n'attend pas. »
Je souris. Je passais souvent des nuits blanches à jouer avec lui. Un coup dans sa chambre, un coup dans la mienne. Il m'arrivait de m'endormir au petit matin, bien au chaud sous sa couette, dans les bras protecteurs de mon oncle préféré. J'avais quelque fois l'impression qu'il était mon frère, tant notre différence d'âge ne se voyait pas et tant on s'entendait bien.
Je pris la manette en premier et repris la partie là où on l'avait laissé, plongeant ma main dans le paquet de chips.