Juste un baiser

Chapitre 3 : Juste un garçon

6183 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2024 22:46


Disclaimer : Twillight ne m'appartient pas.

Avant-propos : toujours pas de bêta, par contre, je me suis rendu compte hier que je m'étais (c'est pas la première fois) trompée en publiant le chapitre 2 ^^" J'avais inversé les fichiers, donc j'avais publié une version "non finale", avec quelques fautes et phrases en moins/en plus (qui plus est le chapitre était écrit au passé, ce qui était troublant par rapport au chapitre 1 xD), bref, tout ça pour dire que j'ai corrigé mon erreur :p

Voilà, un chapitre focalisé sur Rosalie. Bonne lecture !


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Rosalie lutte pour contrôler sa force inhumaine et ne pas crisper ses mains sur le volant au point de l’écraser, le pied sur la pédale d’accélération, elle pousse la voiture la plus rapide et passe-partout des Cullen au maximum de sa vitesse. Un sentiment d’urgence la maintient en état de tension et d’alerte depuis qu’elle a entendu la voix hésitante et apeurée de l’humaine d’Edward sortir du téléphone de Jasper.


Bella Swan est beaucoup de choses que Rosalie exècre, mais elle n’est pas une personne pusillanime ou une pleurnicharde qui passe son temps à demander de l’aide. C’est même tout l’inverse. La fille passe son temps à risquer sa vie stupidement et à les prier de ne pas s’impliquer lorsqu’elle est plongée dans les ennuis jusqu’au cou. Aussi que la fille – dans un état de bouleversement complet – ait appelé Jasper à la rescousse pour venir la récupérer à la lisière du territoire Quileute, est loin d’être un événement anodin. C’est un mystère. Un mystère inquiétant. Rosalie ne peut deviner ce qui a autant effrayé la future femme d’Edward, mais elle n’aime pas l’idée que Bella soit blessée ou paniquée au point de devoir compter sur l’aide de vampires sanguinaires.


La fille a-t-elle été impliquée dans une bagarre de loups-garous ? Ça semble peu probable – absurde même – pourtant elle n’a pas de meilleure explication qui lui vienne à l’esprit.


Peu importe la situation, elle ne peut qu’approuver la réaction à vif de Jasper. Bella « pour le meilleur et pour le pire » fait maintenant partie intégrante de leur famille. Ils doivent s’assurer qu’elle va bien et est en sécurité.


Rosalie a pu constater, de la pire des façons, qu’il n’y aurait pas de retour en arrière : Edward est entiché de l’humaine au point de commettre les actes les plus stupides et mélodramatiques. Moins d’un mois auparavant, son frère adoptif avait presque mené à terme son interprétation de Roméo, lorsqu’il s’était rendu à Volterra, croyant la fille morte. La mort en tête comme seul objectif. Si Bella et Alice ne l’avaient pas trouvé à temps et n’avaient pas réussi à déjouer son projet macabre, il serait mort. L’idiot. Edward serait mort et ça aurait été la faute de Rosalie, qui avait passé un coup de fil insensible pour annoncer – à tort – le décès de l’humaine, espérant faire revenir les choses à la normale. Esmée aurait perdu un autre enfant, Carlisle, son premier compagnon… ils auraient tous perdu une personne avec laquelle ils avaient vécu durant des décennies. Par sa faute.


Et Alice aurait également pu mourir à Volterra. Si elle avait mal réagi à l’exécution, été jugée « complice » d’Edward ou que son refus de rejoindre la garde avait été interprété comme une inacceptable défiance par les monarques, elle aurait pu être exécutée. Ça aurait également sa faute. Ils auraient donc perdu deux membres de leur famille.


Trois en fait.


Un empathe en deuil n’était sans doute pas un phénomène que quiconque voulait à sa proximité directe, mais, connaissant Jasper, il n’aurait pas été en deuil longtemps. Si Alice avait été tuée par les Volturi en tentant de sauver Edward, aucune force au monde n’aurait pu empêcher son frère « jumeau » de renouer avec le pire de qu’il était et de se rendre en Italie, pour commettre ce qui aurait sans doute été le plus grand carnage de la décennie. Rosalie se demandait combien de personnes Jasper aurait massacré à Volterra avant que quelqu’un parvienne à l’arrêter. Et cet homme – qu’elle avait apprit à aimer autant que s’il était réellement son frère biologique – serait mort là-bas : seul, désespéré, enragé et meurtrier. Si loin de lui-même et si proche de ce qu’il avait été avant de rencontrer Alice. La perspective faisait naître en elle un sentiment sordide.


Ils avaient manqué de perdre trois membres de leur famille parce qu’Edward était tombé amoureux de Bella Swan et que Rosalie n’avait pas réussi à admettre le phénomène.


Rosalie n’avait jamais pleinement compris ce qui captivait autant Edward chez la fille. Pour les Cullen, c’était un insupportable imbroglio de dangers et de tragédies depuis que le télépathe avait amené cette adolescente banale dans leur maison et lui avait révélé tous leurs secrets. Depuis qu’il leur avait durablement imposé sa présence, tout semblait aller de mal en pis. Comme un grain de sable destiné à enrayer une mécanique bien huilée.


C’était une humaine, rien de plus, rien de moins, avec la vie devant elle : la certitude que cette fille – mortelle et cassable – n’avait pas sa place parmi eux, lui avait longtemps étreint la poitrine, la poussant à être féroce avec elle pour la révulser et lui donner un peu de bon sens sur la valeur de l’humanité qu’elle voulait sacrifier par amour, en un claquement de doigt. Une part d’elle la méprise toujours pour ce choix, mais Rosalie n’a plus la force de haïr la fiancée de son frère. Elle admet sa présence inéluctable dans leur existence : que cela lui plaise ou non Edward paraît plus que sérieux sur ses intentions. Il compte épouser la fille et a finalement accepté de la transformer. Rosalie juge que c’est un choix stupide et absurde, mais c'est le leur. Alors, elle s’est résignée et a accepté la notion. Bella fait maintenant partie de sa famille. Et Rosalie protège sa famille.


Elle n’est plus qu’à deux kilomètres de la frontière Quileute à présent. Elle fait habilement slalomer la berline entre les pins pour lui faire éviter les zones les plus impraticables. Zut ! Elle soupire, range le véhicule sur le bas-côté et ouvre la portière. La voiture n’ira pas plus loin, la végétation devenant plus fournie et sauvage à cet endroit de la forêt. Encore plus d’un kilomètre. Elle dresse l’oreille : à cette distance, elle peut déjà entendre les respirations étouffées de Bella et les battements affolés de son cœur. De deux cœurs, en fait. Jasper et Bella ne sont apparemment pas seuls à la frontière.


— Bella ! Qu’est-ce que tu fais avec lui ? Je ne comprends pas… tu…


— Va-t’en ! Je ne veux pas te voir !


— C’est ridicule ! Tu as laissé ton camion à la Push… laisse-moi aller le récupérer et je te ramènerai chez toi.


— Je… je ne vais nulle part avec toi ! Dégage !


Le ton de Jacob est agité, presque colérique, celui de Bella également, mais avec une touche larmoyante.


— Recule et rentre chez toi, Black. Maintenant.


La voix de Jasper est basse et courroucée, la menace parfaitement audible dans chaque mot qu’il prononce. Rosalie n’a aucune idée de la situation, mais elle sait qu’elle doit les rejoindre avant que ça dégénère. Avec sa vitesse surnaturelle, il lui faudra moins d’une minute pour parcourir la distance… Elle saute dans un arbre au moment où la sonnerie de son portable retentit ; elle le décroche par réflexe en voyant le nom du correspondant. Alice.


— Oui ?


— Que se passe-t-il ?


Le ton d’Alice est inhabituellement froid, sa voix sévère. Rosalie peut percevoir une inquiétude perçante derrière la question laconique.


— Qu’as-tu vu ?


— Jasper était dans la forêt, il tenait Bella dans ses bras. Elle pleurait et avait le bras blessé… je ne sais pas pourquoi, il me manquait le démarrage de la séquence et, subitement, ils ont disparu tous les deux ! Toi aussi : tu conduisais la voiture dans la forêt juste avant que je t’appelle, mais tu viens aussi de disparaître de mes visions ! Je n’arrive plus à vous voir. Aucun de vous. Et Jasper ne répond pas au téléphone ! Que se passe-t-il ?


Rosalie entend les voix agitées d’Emmett et Edward résonner à bas bruit en arrière-fond.


— Un problème avec les Quileutes. Rien que nous ne puissions gérer. Je dois y aller. Je rappelle dès que possible.


Elle raccroche avant qu’Alice ne puisse ajouter un mot et court à pleine vitesse : les trois silhouettes aux abords de la frontière sont en vue, une poignée de secondes plus tard. En atteignant la lisière de la réserve, Rosalie sent une étrange vague de calme l'envahir et ralentit inconsciemment son pas… Apparemment, elle vient d’entrer dans le champ d’influence de Jasper, et celui-ci essaie visiblement de maintenir la situation sous contrôle, en enveloppant la zone d’une couverture de fausse sérénité.


Elle devine que son frère s’efforce de maintenir tout le monde en paix — ou du moins, de tempérer l’atmosphère suffocante qui doit régner autour de Bella et de Jacob — et qu’elle a, par erreur, également été prise sous le rayonnement empathique. Son pouvoir éclabousse les environs, Jasper poussant visiblement son don à son maximum et émettant de constantes ondes de calme pour essayer d’apaiser un peu l’humaine et le loup qui sont visiblement sur le sentier de la guerre.


Son frère se tient là, à quelques mètres à peine de la frontière du traité, enlaçant la fiancée d’Edward avec une précaution que Rosalie lui a rarement vue. Jasper n’est pas du genre tactile : si on excepte Alice à laquelle il est toujours collé ; en plus de cinq décennies, les fois où elle l’a vu prendre quelqu'un dans ses bras se comptent sur ses dix doigts. Et Jasper évite généralement l’humaine autant que faire se peut, gardant toujours une distance de sécurité… surtout depuis le jour où il a manqué de la tuer et – bien malgré lui – déclenché la situation mélodramatique ayant conduit à leur brusque déménagement.


Aujourd'hui pourtant, il la tient contre lui avec une douceur qui contraste violemment avec l’expression orageuse qu’il arbore, fusillant des yeux Jacob par-delà la ligne de la frontière. Sa posture est tendue et ses yeux, aussi noirs que du charbon, transpercent le garçon avec une froide fureur. Rosalie est surprise que le jeune métamorphe ne tremble pas face à l’intensité de son regard : aux yeux des autres créatures surnaturelles, les cicatrices couvrant le corps de Jasper sont, en temps normal, déjà une mise en garde terrifiante ; concilié à la lueur meurtrière qui danse à présent dans ses prunelles, ça devrait être un argument solide pour que le loup décampe sans demander son reste.


Elle jette un regard oblique à son frère et analyse sa posture en fronçant les sourcils : il est étonnant qu’il parvienne à émettre un tel sentiment de sérénité, alors qu’il est si visiblement furieux ; il doit être en train de se rendre malade. C’est presque imperceptible à détecter pour un œil non aguerri, mais son corps entier est raide et tendu sous l’effort, sa mâchoire autant crispée par la colère que la concentration. Non seulement Jasper doit rester parfaitement immobile pour ne pas risquer de blesser l’humaine entre ses bras, mais la gestion émotionnelle de la situation explosive doit lui coûter toute son énergie. L’ancien soldat n’aime pas utiliser son don à son plein potentiel – ça lui rappelle trop ses années de guerre – et il est complexe pour lui de transmettre des émotions étant aux antipodes des siennes : ce qu’il ressent maintenant doit le dévorer… pourtant, il tient bon et essaye d’instaurer une ambiance aussi pacifiste que possible, en dépit de ses propres sentiments. Il va vite s’épuiser. Il n’arrivera pas à maintenir longtemps leurs émotions sous contrôle.


Les yeux de Rosalie glissent sur Bella, appuyée contre son frère : son regard est presque absent à cause des vrilles de calme surnaturelles que l’empathe lui transmet, mais sa bouche est pincée et son visage, blême et marqué par les larmes, transpire la tristesse et la douleur. Rosalie peut apercevoir de là où elle se tient la légère déviation du bras et les phalanges rougies : foulé ou cassé ? Bella paraît vraiment frêle, blottie contre – le mince mais très grand – Jasper, une expression pitoyable vissée au visage. La voir dans cet état de faiblesse déclenche un drôle de sentiment chez Rosalie qui essaie de percer malgré la camisole de sérénité qui l’étreint. Elle serre les poings si fort que ses ongles émettent un étrange crissement en entaillant sa peau dure comme le diamant. Bella peut l’agacer au-delà du raisonnable, mais ce spectacle — celui de son visage ruiné par des larmes — fait bouillir Rosalie de l’intérieur.


Et Jacob Black se tient là, les bras croisés à la lisière de la frontière. Affichant un air fatigué – sans doute l’influence de son frère – mais boudeur, presque vexé. Rosalie n’a pas les tenants et aboutissants de la situation, mais la morgue dont le garçon fait montre, alors qu’il est apparemment responsable de l’état de Bella, l’insupporte.


– Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Sa voix est glacée comme une lame.


Jacob hausse les épaules et se mord un moment les lèvres avant de lui répondre, une lueur de défi dans les yeux.


– Strictement rien, Blondie. C’est un malentendu. Elle s’est blessée toute seule ! C’était juste un putain de baiser. Peut-être que je n’aurais pas dû l’embrasser vu qu’elle est avec ton… vampire de frère, mais ça n’excuse pas ce foutu drame. Laissez-nous discuter et regagnez votre maison des horreurs !


Un baiser ?


Les mots indélicats de Jacob sont comme une gifle. Elle jette un regard plus attentif sur Bella et les traces noirâtres – des empreintes de doigts – sur la mâchoire et la nuque de la fille lui sautent subitement aux yeux. Elle sent un grondement furieux se construire dans sa poitrine et lui échapper. Elle s’avance de quelques pas, la colère grondant en elle. Une lancinante sensation de torpeur la stoppe dans son élan, s’enfonçant en elle jusqu’elle se sente plus ennuyée qu’enragée : Rosalie comprend alors que Jasper ne l’avait pas « par erreur » incluse dans son champ d’influence. Au contraire : il la ciblait volontairement – et avec toute sa ténacité – depuis son arrivée sur les lieux. Évidemment. Il craignait qu’elle perde la tête à l’entente du motif de la dispute entre l’humaine et le métamorphe…


Par un accord tacite, conclu peu après son arrivée chez les Cullen en 1950, Jasper n’utilise presque jamais intentionnellement son pouvoir sur Rosalie. Il sait qu’elle considère déjà comme une intrusion insupportable de sa vie privée qu’il puisse lire ses émotions, aussi, ne prend-il pas la liberté de les modifier, même quand elle est bouleversée. Les seules exceptions faites au fil des ans concernaient toutes des moments où son état émotionnel aurait pu mettre les Cullen en danger et les exposer aux yeux des humains : les situations qui la font dégoupiller sont toujours tristement similaires, malgré les années qui passent.


Plus de soixante-dix ans n’ont pas suffi à lui rendre moins pénible le souvenir de sa dernière nuit vivante à Rochester. L’événement la hantera jusqu’à la fin des temps. Quand elle entend parler de faits divers sordides dans les journaux télé ; quand elle lit par erreur un entrefilet évoquant le viol comme « arme de guerre » : elle sent un sentiment d’effroi très ancien qui veut remonter, des images qui sont restées gravées quelque part sous sa peau, des blessures cicatrisées mais indélébiles. Des blessures qui, parfois, lui donnent envie de se terrer à jamais dans son garage ou de réduire tous les hommes qui l’approchent en lambeaux. Les bruits de couloirs qui courent dans les lycées qu’ils fréquentent sur « telle fille qui a été agressée » mais dont « c’est un peu la faute parce qu’elle n’avait pas une tenue correcte […] avait envoyé des signaux contradictoires […] était alcoolisée […] traînait seule le soir […] passait la soirée avec des garçons qu’elle ne connaissait pas », ça lui donne envie de hurler et de fracasser tout ce qui lui tombe sous la main. Même quand ce n’est pas aussi mauvais, ça la fait frémir de rage. Les plaisanteries misogynes qui minimisent la gravité de battre ou de violer une femme sous couvert d’humour noir ; les filles harcelées, voire pelotées, dans les transports scolaires et les garçons qui s’en sortent avec une tape sur les doigts parce que « les garçons seront toujours des garçons […] ça existe depuis la nuit des temps et, avant, on n’en faisait pas un tel cinéma, il n’y a pas mort d’homme […] et puis, vous avez vu la longueur de la jupe ? ». Des excuses nauséabondes. Il n'y avait pas plus de sens à chercher à faire une gradation de la part de responsabilité des victimes qu'à trouver des circonstances atténuantes aux agresseurs. Autant discuter du sexe des anges que de discourir de la longueur d'une jupe.


Jacob Black est – était ? — le meilleur ami de Bella et il s’est senti en droit de l’embrasser de force. S’est senti autorisé à la violenter. Et en se défendant – parce qu’elle a été obligée de se défendre – Bella s’est blessée. Si, même avec quelqu’un considéré comme un ami proche, les femmes ne peuvent pas se sentir en sécurité avec qui peuvent-elles l’être ? La notion donne le vertige à Rosalie, faisant remonter un sentiment acide. Tout le calme que Jasper a en réserve ne va peut-être pas suffire à l’apaiser.


Une agression était une agression. Et ce garçon l’avait agressée alors que Bella était seule avec lui et qu’elle lui faisait totalement confiance. Et il prétend être son ami ? Pire. Il prétend être amoureux d’elle.


– Rose, le traité…


Elle entend l’avertissement implicite contenu dans les trois mots. Elle comprend l’intérêt de la mise en garde : en cet instant, Rosalie a une furieuse envie de franchir la frontière pour arracher la tête de Jacob Black.


Et elle doit se seriner à elle-même que c’est « juste un garçon » pour ne pas dériver. Elle ne va pas tuer un enfant si elle n’y est pas strictement forcée : le loup n’a que seize ans et elle est presque sûre qu’il a plus de bêtise que de cruauté en lui. Elle doit faire taire le chuchotement pernicieux qui lui remémore que Royce et les autres avaient autour de dix-huit quand ils l’ont massacrée. Il ne faut pas qu’elle compare les situations, c’était « juste un baiser »… Le leitmotiv lui laisse une sensation amère dans la bouche.


Toute la situation la rend folle de rage. Elle se force à se contenir, réprimant le tourbillon d’émotions trouble qui monte en elle ; davantage pour le bien de son empathe de frère que pour tout autre chose : Jasper doit déjà quasiment être à bout de nerfs, entre sa fureur, la sienne et les émotions agitées de Bella et Jacob.


Elle lance un regard méprisant au jeune loup, avant de répondre d’une voix tranchante.


– Juste un baiser ? C’est vraiment ce que tu crois ? Ose la regarder et dis-moi si elle a l’air d’avoir apprécié ton élan d’affection.


Black fronce les sourcils et jette un regard presque déconcerté à la forme de Bella, qui s’accroche toujours de son bras valide à la chemise de Jasper – qui a relâché son étreinte et s’est légèrement écarté d’elle pour lui donner de l’espace – comme si sa vie en dépendait. La fille lâche un drôle de son, à mi-chemin entre un sanglot étouffé et un gémissement de colère, mais elle réussit finalement à retrouver sa voix et à se calmer suffisamment pour sortir complètement du giron de l’ancien soldat et faire face au métamorphe. Elle regarde fixement le loup et lui lance un regard dur, relevant le menton. Même si elle a des larmes plein les yeux, elle se maîtrise et fait face à Jacob avec plus de colère que de tristesse, ce que Rosalie ne peut qu’approuver : la fille est une battante.


– Rentre chez toi, Jake… je… je ne veux plus te voir et je ne veux pas en discuter. Rentre chez toi, maintenant !


Jacob a un rictus incrédule et la fixe avec une expression blessée, presque trahie. Il est secoué par la colère et l’humiliation.


– Ils t’ont complètement retourné la tête ! Tu sais que je t’aime et… Comment tu peux me faire ça ? Je ne comprends même pas à quoi tu joues ! Comment peux-tu me faire ça ?!


Bella vacille, la respiration saccadée, reculant un peu machinalement vers Jasper. Cherchant inconsciemment sa protection. Elle bégaye un peu sous le coup de l’émotion.


– Je… Qu’est-ce que tu racontes ? Toi… tu t’es jeté sur moi et…


Mais Jacob l’interrompt d’un grand geste agacé, tremblant de rage et d’indignation. À ce rythme, il va entrer en phase et ils vont se retrouver avec un loup géant sur les bras. Foutu métamorphe dévoré par les hormones.


– Je sais que tu essaies de me faire passer pour le méchant pour prouver que tu es fidèle à ton suceur de sang, mais là, c’est ridicule. Arrête de jouer à ça, Bella ! Je comprends pas comment tu oses me faire ça ! Tu voulais ce baiser autant que moi !


– Je voulais ce baiser ?!


L’exclamation de Bella sonne moitié outrée, moitié écœurée. La fille secoue la tête et étouffe un bruit qui ressemble à un haut-le-cœur. Rosalie sent la colère de Jasper monter en flèche à mesure que Bella se recroqueville sur elle-même et que des larmes recommencent à déborder de ses yeux. Elle-même doit user de chaque parcelle de son self-control pour ne pas exploser. Son frère ne bouge pas, figé comme une statue, mais Rosalie perçoit la tempête qui bouillonne cachée derrière son expression impavide : ses yeux, toujours entièrement noirs, sont braqués sur Jacob avec une expression de haine si pure qu’elle a l’impression que sa rancœur pourrait franchir la frontière pour poignarder l’adolescent. Si Jacob Black avait la moindre once d’instinct de survie, il tournerait les talons et déguerpirait sur le champ. Si le garçon franchit la ligne du traité en cet instant, Rosalie doute qu’il puisse regagner le territoire Quileute entier.


Il faut qu’elle prenne la situation en mains avant que ça dégénère : peu importe à quel point, elle souhaiterait enseigner les bonnes manières au métamorphe, elle ne va pas laisser la situation s’envenimer.


– Non, petit garçon. Ce n’est pas à toi de décider ce qu’elle veut ou ce qu’elle ressent. Tu n’avais aucun droit de la toucher contre son gré.


Son ton suinte la condescendance et elle se permet un sourire moqueur, ayant envie d’humilier le louveteau qui lui fait face plus que tout. Elle préfère de loin essayer de prendre de la hauteur et se moquer du gamin, que de céder à ses pires instincts : les métamorphes de la tribu ont en moyenne dix-sept ans… Carlisle et Esmée seraient proprement horrifiés si elle et Jasper perdaient la tête au point de déclencher une guerre avec une bande de bambins.


De l’autre côté de la frontière, Jacob reste figé un instant, le visage déformé par la stupeur. Vite remit du camouflet, il fulmine.


– Contre son gré ?! Je la connais mieux que vous. Elle a juste peur de ses sentiments pour moi, c’est pour ça qu’elle est bouleversée ! Mêlez-vous de vos putains d’affaires !


Le garçon fait de grands gestes colériques mais sa voix a presque des accents plaintifs – comme un enfant qui bouderait parce qu’on lui refuse un jouet. Et ses yeux brillent d’une étrange conviction quand il parle des sentiments de Bella envers lui. C’est révoltant.


Rosalie n’en peut plus. Il ne comprend pas. Il refuse de comprendre. Elle serra les dents et laisse échapper de nouveau un grognement hargneux. Elle doit lutter contre elle-même pour ne rien faire de drastique : c’est un foutu gosse en dépit de son apparence.


Et sans une once de jugeote avec ça. Comment peut-il être idiot à ce point ? La morgue avec laquelle il s’en prend à son soi-disant grand amour, comme si elle était responsable de la situation… Ça enrage Rosalie et fait monter en elle un insidieux sentiment de dégoût. Il parle comme s’il savait mieux que la fille ce qu’elle ressentait, comme si tout cela était anodin. Comme si le fait de se croire amoureux d’elle, excusait, voire justifiait, ses actes.


– C’était son choix, Black, pas le tien. Elle a dit non. Et tu l’as ignorée. Tu es un connard irrespectueux doublé d’un prédateur !


Jacob cligne des yeux, comme s’il venait de recevoir une gifle, mais reprend instantanément son attitude butée, les muscles de sa mâchoire se contractant, tandis qu’il s’agite, éructant presque de colère.


– Je ne suis pas un prédateur ! Tu me confonds avec ton frère, le mort-vivant qui la traque depuis qu’elle a débarqué en ville et veut maintenant la transformer en un foutu monstre !


– Non, tu es un petit garçon idiot qui ne comprend pas le sens du mot non !


Elle siffle et le gamin grogne. Il semble de nouveau à deux doigts de la transformation et elle doit lutter contre elle-même pour ne pas franchir la frontière et le déchirer. La tension dans l’air devient presque insupportable, et Rosalie remarque un brusque mouvement de son frère. Jasper fait quelques pas, s’éloignant un peu de Bella, pour se poster à ses côtés. L’allure raide, il fait un pas en avant, son regard brûlant fixé sur Jacob, et s’accroche soudainement à son bras. Elle ne sait pas si c’est pour la retenir – parce qu’il sent qu’elle est très proche de l’explosion – ou si c’est pour se contenir lui-même, utilisant son contact comme un garde-fou pour rester ancré, et s’empêcher de commettre l’irréparable.


– Rose.


La voix de Jasper est à peine un murmure et a un timbre plus rauque qu’à l’accoutumée. Elle tourne légèrement la tête vers lui, captant son regard. Son visage est toujours crispé de concentration, son expression douloureuse. Elle sent une nouvelle vague de calme artificielle qui tente de s’imposer en elle. Plutôt un faible remous en vérité… ce n’est pas ça qui l’arrêtera. Elle n’en a pas besoin de toutes manières : elle se maîtrise. Elle se retient de s’écarter sèchement de l’emprise de son frère et prend une inspiration inutile, sa rage encore brûlante, même si sous contrôle. Il faut protéger la fiancée d’Edward, non pas d’un monstre, mais de son soi-disant meilleur ami : un garçon à peine sorti de l’enfance, qui croit savoir ce que signifie l’amour et qui – au nom de l’amour ! – malmène la fille dont il affirme être amoureux.


Rosalie pose un regard torve sur l’adolescent, laissant un sourire sardonique étirer ses lèvres. Cela a l’effet escompté et le garçon baisse brièvement les yeux, sans doute pour cacher l’éclair de honte qui le traverse de manière fugitive. L’éclat de réalisation ne dure pas : sitôt les doutes l’affleurent qu’il se renfrogne, relevant le menton avec défi. Son expression de fierté blessée et de colère diffuse est empreinte d’une absurdité enfantine, comme un animal acculé qui hausserait du col face à un prédateur.


Bella a besoin de calme, de réconfort et de soin, et Jasper… a sans doute son contrôle qui ne tient plus qu’à un fil ténu. Il ne faut pas que la situation s’éternise : elle doit se débarrasser du gamin ici et maintenant. Et sans combat.


— Tu n’as toujours pas compris, Black ? Ta meilleure amie ne voulait pas de ton baiser. Elle n’est pas un objet. Elle a le droit de choisir avec qui elle veut être. Et elle ne veut clairement pas être avec toi. Elle t’a dit non. Plusieurs fois, il me semble ! Ne prétends surtout pas l’aimer alors que tu es incapable de la respecter. Si tu l’aimais tu te serais arrêté dès l’instant où elle t’a repoussé !


À ces mots, elle voit de nouveau un peu de confusion poindre dans les yeux de Jacob, une lueur de compréhension fugitive… balayée aussitôt par le fourvoiement hargneux dont il fait preuve face à tout ce qui vient contredire sa vision du monde et lui dénier sa possibilité de romance. Alors qu’il ouvre la bouche pour répliquer, elle lui coupe la parole d’un feulement vicieux, n’ayant pas envie d’entendre plus de justifications odieuses. Elle est prise d’une brusque inspiration et se tourne vers son frère, lançant à la cantonade sa requête.


– Jazz, peux-tu lui faire ressentir ce que Bella a éprouvé tout à l’heure quand il a dit qu’elle voulait ce baiser autant que lui ?


Jasper la fixe d’un air étrange, ses yeux toujours noirs et son expression tourmentée. Il déteste utiliser son pouvoir de cette manière et Rosalie se sent un peu coupable de l’avoir suggéré. Son frère ne fait pas le moindre signe d’assentiment, mais se tourne vers Bella et la dévisage de manière spéculative. Bella fait le plus léger des signes de tête, semblant comprendre qu’il demande silencieusement son accord. Jasper plisse les yeux et renverse l’atmosphère.


Le calme relatif que Rosalie ressentait encore à bas bruits est brusquement remplacé par un curieux cocktail de tristesse, de peur, de colère, de dégoût et de honte. Les sentiments qui dominent sont l’abattement et l’amertume de quelqu’un se sentant trahi. Elle serre les poings face à la sensation désagréable et Jasper met brutalement fin à sa manipulation, lui jetant un regard rempli d’excuse : cette fois, il ne l’avait pas sciemment visée. L’émotion parasite disparaît aussi vite qu’elle est apparue et Rosalie retient un soupir de soulagement. Quel pouvoir invasif et perturbant !


Jacob a dramatiquement blêmi pendant que Jasper faisait son numéro. Il recule finalement, de quelques pas, les épaules basses et une expression déboussolée inscrite sur le visage. Un authentique soupçon de culpabilité dans les yeux. Ce n’est pas du repentir, mais ce n’est pas si loin.


Rosalie examine Bella à la dérobée. La fille semble calme, mais elle a les lèvres pincées et tremble de nouveau comme une feuille depuis qu’elle n’a plus Jasper sur lequel s’appuyer. Il faut en finir maintenant avec la situation grotesque. Il est temps de donner le coup de grâce à Black, qu’ils puissent enfin mettre l’humaine au chaud et s’occuper de son bras blessé.


Rosalie adresse au métamorphe un sourire glacial, elle hausse élégamment un sourcil et opte pour un ton dégoulinant de mépris.


– Il n’y aura pas de second avertissement, Black. Rentre chez toi. Si tu l’approches sans y être invité ou fais le moindre geste dans sa direction sans son consentement, j’arrache ta peau, celle de ta meute et m’en fais un manteau. Tu comprends ?


– Belle image.


Le murmure, las mais sarcastique, de Jasper est parfaitement audible pour le jeune loup qui fronce les sourcils profondément et ouvre la bouche, comme pour ajouter quelque chose, mais se ravise.


Son expression est toujours amère, mais quelque chose dans son attitude trahit une fêlure – l’ombre d’un doute. Après un silence pesant, il fait demi-tour et s’éloigne lentement après avoir lancé un dernier regard étrange en direction de Bella. Ils lui ont au moins donné un os à ronger : peut-être la leçon de chose a-t-elle porté ses fruits ?


Tandis que le loup finit de disparaître à l’orée du bois, Rosalie se détend légèrement et se tourne vers son frère : ses yeux reviennent progressivement à l’ocre et il relâche enfin sa posture. La pression semble également retomber de son côté et il lui adresse un infime signe de tête pour lui montrer qu’il va bien, étirant ses lèvres en un sourire fatigué. Bella, quant à elle, baisse la tête, elle s’est éloigné d’eux de quelques pas et ses épaules minces sont secouées de tremblements : la fille est à bout de nerfs et essaie visiblement de pleurer le plus silencieusement possible. Difficile de dire si elle pleure la fin d’une amitié, d’épuisement ou de douleur.


Rosalie jette un dernier regard à l’endroit où Jacob se tenait quelques instants plus tôt. Elle se répète que c’est « juste un garçon » pour tenter d’endiguer sa colère, mais une petite voix lui souffle dans sa tête que, des fois, même les petits garçons peuvent faire de gros dégâts, quand ils se croient tout permis. Ils ont eu de la chance que ce ne soit pas pire.


– Bella.


La fille relève la tête dans sa direction et renifle un peu, des larmes de colère et de tristesse mouillant encore ses joues ; sa voix est néanmoins plutôt ferme quand elle lui répond, tout en tentant de contrôler ses tremblements.


– Je suis vraiment désolée de vous avoir impliqués dans tout ce mélodrame, Jasper et toi ! J’ai laissé mon camion à La Push, si pouviez juste…


Rosalie lui adresse un sourire rassurant, coupant ses excuses. La fille a vécu une rude soirée, elle décide de lui tendre un vrai rameau d’olivier, cette fois.


– Tu as bien fait d’appeler. Tout va bien. Rentrons ! Je soignerai* ton bras quand nous serons à la maison.



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Notes : * Rosalie a beaucoup étudié la médecine, même si, contrairement à Carlisle, son apparence trop jeune l'empêche d'exercer.


Le quatrième chapitre, qui sera sans doute le dernier, sera sûrement focalisé sur Jacob : au départ, je pensais écrire la perspective de Carlisle mais, après trois chapitres à charge, je me dis que ce sera plus intéressant – si j'y arrive – d'avoir le point de vue de Jacob sur l'agression dont il s'est rendu coupable, histoire d'apporter un certain contrepoint :p

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