On achève bien les vivants

Chapitre 1 : Pas de Roses pour Mlle Hale – Nocturne en la bémol majeur

4094 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/06/2024 23:54

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Mamma Mia ! (mai – juin 2024).


_________________________________________________________________


Rosalie était installée sur le banc du piano d’Edward, caressant délicatement les touches pour ne pas les réduire en cendres. À la moindre pression malencontreuse ou trop intense le fragile instrument se disloquerait sous ses doigts. Ça lui demandait toute sa détermination de contrôler sa force vampirique et de lutter contre la vague d’émotion brute qui menaçait de la déborder. Souvent quand la rage la consumait face à l’injustice de sa condition, Rosalie avait envie de détruire tout ce qui l’entourait. Elle ne le faisait jamais. Carlisle mis à part, elle était sans doute le vampire le plus contrôlé qui soit ; alors, même maintenant que sa colère était à son plus haut niveau depuis des décennies — depuis janvier 1973 pour être exacte- elle pouvait très certainement jouer un morceau sans réduire l’onéreux clavier de son frère en miettes.


Si elle se trompait et perdait son sang-froid… eh bien, ce serait la faute d’Edward après tout, vu qu’il était -en premier lieu – le responsable de cette situation cataclysmique qui les avait tous entraînés dans des problèmes sans queue ni tête : il n’aurait qu’à se racheter un énième instrument si elle brisait celui-ci par mégarde. Même pas le début d’une rétribution karmique pour tout le désordre qu’il avait provoqué, quand on y songeait ! Elle entendit un grognement menaçant retentir depuis l’étage et sentit un sourire narquois réussir à se visser sur ses lèvres, un peu d’amusement perçant, bien malgré elle, dans sa colère.


« Si mes pensées te déplaisent, alors sors de mon esprit Edward ! Tu sais que je peux me contrôler contrairement à certains : ton précieux jouet est en sécurité. »


En dépit de son feulement d’avertissement, Edward n’avait pas fait un mouvement pour descendre et l’empêcher de toucher à son instrument. Bien sûr, il avait perçu dans ses pensées le morceau qu’elle comptait jouer. Le dernier qu’il ait interprété au terme du très long concerto qu’il avait improvisé durant les interminables heures qu’avait duré sa transformation en monstre. Il savait qu’elle en avait besoin en ce moment.


Elle commença doucement à entamer le prélude de Liebestraum no 3 de Liszt [1], se concentrant sur la musique et se laissant s’apaiser un peu par les douces premières mesures de la mélodie. Malgré la vague de sérénité véhiculée par les premiers accords, son esprit restait en bonne partie fixé sur la hargne et la rancœur qui la dévorait depuis la réunion familiale de la veille où la décision que Bella rejoigne — de manière définitive – leur famille avait été approuvée par la majorité.


Bella. Toujours Bella. Cette petite fille idiote qui pensait que son frère était une sorte de Prince charmant et qui croyait sottement qu’être un mort-vivant était un destin enviable. Cette petite fille idiote qui les avait suppliés de la tuer et de la transformer en monstre pour pouvoir demeurer à jamais aux côtés de son grand amour.


Sans surprise, la colère foudroyante de Rosalie à ce souvenir lui faisait commettre quelques maladresses : l’harmonie du morceau n’en était que peu affectée à ce stade, mais les désaccords — majeurs- qu’elle ressentait lui faisaient déjà trop accélérer le tempo. Elle devait se calmer, elle reprit le rythme de la mesure avec une lenteur calculée : il n’était pas encore temps de sortir de la douce rêverie, il fallait se laisser bercer par la mélopée. Mieux.


Elle repassait le fil des événements récents dans son esprit, essayant de les analyser avec froideur et détachement tandis que ses doigts continuaient à courir sur les touches. Elle jouait bien moins souvent du piano qu’Edward — et contrairement à lui, malgré des décennies à pouvoir pratiquer l’instrument tout en bénéficiant d’une parfaite audition, il lui manquait une pointe de virtuosité-, préférant bien plus souvent réparer des vieux moteurs et trafiquer des voitures de luxe pour occuper son temps libre que de se lancer dans quelques arpèges. Pourtant, lorsqu’elle était vraiment bouleversée, la musique l’aidait parfois à décharger une partie de sa colère et à faire le point. C’est ce qu’elle faisait aujourd’hui.


Bella Swann allait être transformée en vampire, la décision avait été actée [2].


Jasper avait dit à Bella, il y a quelques mois de cela, qu’elle en valait la peine [3] ; Rosalie ne pouvait pas être plus en désaccord avec le membre de sa famille bricolée dont elle se sentait habituellement le plus proche : son frère était un romantique invétéré malgré ce qu’il laissait paraître, ce n’était pas son cas. Si plus de soixante-dix ans à fouler cette terre lui avait apprit quelque chose, c’était que tout l’amour du monde ne suffisait pas. Que le tribut de l’immortalité était bien trop lourd pour qu’une romance, si authentique et intense fusse-t-elle, en vaille la peine.


Ils venaient tous de se réunir pour « voter » sur le bien fondé de transformer en monstre la petite humaine dont s’était entiché Edward, il y a près de deux ans. La petite humaine qui leur avait apporté une quantité de tracas incroyables depuis qu’elle était entrée par hasard dans leur existence éternelle : celle qu’elle et Jasper auraient dû éliminer immédiatement quand ils en avaient eu l’occasion, celle dont le seul maintien en vie les mettait aujourd'hui tous en danger de mort [4]. Celle qu’ils venaient tous, elle et Edward mis à part — ironie du sort quand tu nous tiens !- de condamner à un destin bien pire que la mort. La fille avait à peine dix-huit ans : encore presque une enfant, peu importe, ce qu’elle en disait ; elle ne réalisait pas à quoi elle s’engageait en les rejoignant dans leur simulacre d’existence. Elle ne savait pas ce que ce serait, de voir défiler toutes ces décennies — puis siècles – sans sommeil à voir le monde évoluer autour d’elle sans jamais être atteinte par le poids des ans. La lassitude qui s’installerait inévitablement à un moment ou l’autre face au jeu de l’éternel recommencement auquel se livrait toute la famille Cullen.


La petite humaine ne savait pas — si elle ressemblait un tant soit peu à Rosalie – ce à quoi elle renonçait réellement en jetant aux orties son humanité comme si celle-ci n’avait aucune valeur : sa véritable famille, sa capacité à dormir, à rêver, à pleurer, à changer, à progresser… sa capacité à enfanter. À quel point sa mort simulée ferait du mal à ses parents humains et à quel point elle serait envieuse en voyant de jeunes couples d’amoureux s’ébaubir devant leur progéniture, à quel point elle sentirait vide et amère face à cette possibilité de maternité qui lui avait à jamais été ôtée. À quel point, elle serait inhumaine — même si elle parvenait à parfaitement adopter le régime de Carlisle – et à quel point ce serait douloureux de voir des enfants s’écorcher les genoux et de devoir lutter contre l’envie de les vider de leur sang. Condamnée par sa propre stupidité à mener une demi-vie dans laquelle, chaque jour, elle devrait résister à une soif insatiable tout en affrontant la conséquence de ses choix.


Mais peut-être les autres avaient-ils raison ? Peut-être qu’elle était égoïste et ne voyait la situation que par son propre prisme biaisé, peut-être qu’elle et Bella n’avaient — effectivement- rien en commun et que jamais, elle n’éprouverait ce manque qui la tenaillait depuis qu’elle avait s’était réveillée dans ce monotone enfer sur terre. Rosalie n’était pas comme Edward, son refus d’apprécier la vie de vampire n’avait rien à voir avec des préoccupations morales ou religieuses : elle se fichait bien de savoir si elle avait encore une âme, peu importe ce qu’on mettait derrière le concept fumeux. Qui s’en souciait ? La seule certitude qu’elle avait, plus les années avançaient, c’est que cette mascarade à laquelle ils se livraient tous ne lui donnerait jamais ce qu’elle désirait plus que tout et qu’elle ne serait jamais aussi parfaitement heureuse qu’Emmett — qu'elle avait condamné à cette existence et qu'elle aimait pourtant avec tout ce qu’elle avait – aurait voulu qu’elle le soit. Plus encore que de l’avoir sauvée — alors qu’une petite partie d’elle aurait souhaité mourir dans cette ruelle [5] – ce qu’elle ne pouvait pardonner à Carlisle, c’était la paisible désinvolture avec laquelle il lui avait annoncé ce qu’il lui avait pris lorsqu’elle avait ouvert les yeux sur ce nouveau monde.


Comme si ce dont elle était maintenant privée n’était qu’un point de détail sans importance. C’était ironiquement, l’une des premières inquiétudes qui avait percé dans sa conscience après avoir assimilé qu’elle avait survécu à son calvaire et était « plus ou moins » vivante ; elle avait interrogé Carlisle à ce propos — qui venait quelques minutes plus tôt de l’informer que pour la guérir, il avait dû la transformer en vampire- à peine tourmentée par l’histoire ubuesque sur le fait d’être un monstre surnaturel ; elle avait été pleine de panique, tandis que la perspective monstrueuse s’insinuait dans ses pensées et la faisait trembler de dégoût.


« Dr Cullen, ces hommes, ce qu’ils m’ont fait… avez-vous vérifié que… est-il possible que je sois enceinte ?


-Non, ne vous inquiétez pas Mlle Hale, le venin a intégralement réparé votre corps à présent. Il ne restera pas de cicatrices physiques de ce que ces hommes vous ont fait… Pas de cicatrices visibles, tout du moins. Comme je vous l’ai expliqué plus tôt, vous n’êtes plus tout à fait humaine maintenant, en tant que vampire, vos rythmes biologiques sont à jamais figés, vous ne pouvez donc pas être enceinte. »


La réponse compatissante mais laconique de Carlisle, son ton rassurant et docte de médecin l’avait frappée comme si elle avait percuté par un mur de brique : l’éclat de soulagement fugace, aussitôt remplacé par un désespoir et amertume éternelle envers son père adoptif tandis qu’elle prenait la pleine mesure de ses paroles et en comprenait toute la portée.


Plus vraiment humaine… jamais enceinte… infertile… incapable de donner la vie… inféconde… stérile.


Ces termes avaient impitoyablement continué à la harceler, tournant en boucle dans son esprit à chaque moment de vide où elle voyait de loin passer des enfants qui ne seraient jamais les siens. Comme une sordide ritournelle gravée dans son esprit et la narguant à chaque moment où elle s’interrogeait sur la satisfaction qu’elle pouvait espérer trouver dans son existence immortelle. Oh, depuis qu’elle avait trouvé Emmett, elle était heureuse certes — plus heureuse qu’elle n’aurait jamais pu envisager l’être quand en 33, son existence mortelle avait pris fin de la manière la plus sordide qui soit – mais ils étaient condamnés à n’être que deux, jamais leurs étreintes, aussi douces et passionnées soient-elles, ne pourraient jamais donner lieu à de la vie. Jamais de nourrisson somnolant avec confiance entre ses bras avec les fossettes rieuses d’Emmett au coin des lèvres, jamais de petite-fille blonde se jetant sur elle pour chercher son aide ou son réconfort.


Ses rêves d’amour en partie à jamais envolés, elle se concentrait sur ceux de Liszt : ça tombait bien, elle était arrivée à la deuxième section du morceau, les tempos s’accéléraient et les dissonances s’enchaînaient. Le passage en forte lui permettait d’exorciser un peu de sa rage tandis qu’elle gérait à la perfection les rapides changements de rythme. Elle n’était peut-être pas tout à fait au niveau d’Edward mais elle pourrait sans mal égaler la plupart des virtuoses humains. Elle laissait son esprit s’accrocher pour la sempiternelle fois à son impossible besoin de maternité.


« Tu confonds encore désir et besoin »


Elle se rappelait la voix calme mais inhabituellement dure de Jasper résonnant dans le silence tendu — Edward et Alice la fusillant du regard – dans lequel était plongé le salon des Cullen en janvier 1973 quelques instants après qu’elle se soit lancé dans une diatribe haineuse et ait accusé un Carlisle -passablement défait – d'être un meurtrier après que ce dernier ait défendu avec conviction les bienfaits de la loi Roe v. Wade [6]. Tirer sur le pianiste, ça avait toujours bien été son genre mais même elle avait conscience d’être inutilement odieuse avec Carlisle dans ce cas précis : comme si elle ne savait pas que l’avortement était une pratique datant de la nuit des temps et qui — pour la sécurité des femmes y recourant – devait être médicalement encadrée et autorisée par la loi ! Si elle avait pu admettre des arguments logiques, la discussion n’aurait même pas eu lieu d’être, mais — sur ce sujet précis et sous le coup de l’émotion- il n’y avait aucune nuance ou trace de jugement rationnel à espérer de sa part : un viscéral sentiment d’injustice la foudroyait quand elle songeait au cadeau qui lui était refusé mais accordé à tant d’autres qui n’en voulaient pas. Comme un vieux disque rayé, toujours les mêmes arguments des milliers de fois ressassés sans qu’aucune issue positive ne semble jamais possible. Le constat était simple : des femmes qui pouvaient enfanter ne le désiraient pas et Rosalie qui ne pouvait concevoir alors que ça avait toujours été son plus grand souhait était dévorée par la jalousie et l’amertume à chaque fois qu’elle y songeait.


Bella avait la vie devant elle et la possibilité de devenir mère mais elle avait décidé de mettre une clôture définitive à cette perspective. Tout ça parce qu’elle se croyait dans une tragi-comédie romantique et pensait que « le grand amour » valait la peine de tout lui sacrifier.


Y avait-il un amour plus sincère et puissant que celui qu’on peut éprouver pour un enfant qu’on a porté en son sein ? Rosalie avait en elle une certitude personnelle, pleine de morgue et de regrets, qui ne pourrait jamais être dépassée.


Elle entrait dans la troisième mesure, la cadence ralentissait de nouveau, les harmonies prenant des sonorités plaintives et mélancoliques. Parfaitement au diapason avec son humeur.


Du plus loin qu’elle pouvait s’en souvenir, Rosalie avait toujours eu l’impression que malgré tout l’argent et le faste que lui avait offert sa naissance dans l’une des familles les plus aisées de Rochester, il lui manquait quelque chose. Quelque chose qui lui manquait et qu’elle avait pu effleurer du doigt la nature, alors qu’elle s’occupait de ses jeunes frères quand ils n’étaient encore que des bambins ; renvoyant les domestiques pour pouvoir les dorloter elle-même dès qu’elle en avait l’occasion. Elle avait toujours aimé les enfants en bas-âge ; elle n’y pouvait rien, depuis qu’elle était enfant elle-même, elle avait désiré avoir une famille à elle. Des gamins courant partout autour d’elle, riant aux éclats et dont elle pourrait prendre soin. Des enfants qui ne la jugeraient pas pour ce qu’elle laissait paraître et avec qui elle pourrait être elle-même. Depuis son plus jeune âge, on l’avait conditionnée pour qu’elle soit parfaite et ne montre aucune faiblesse : elle appartenait à la haute bourgeoisie, elle était née pour faire illusion dans toutes les situations mondaines et on lui avait appris très tôt l’importance de renvoyer une image de perfection inaccessible.


Et parfaite, elle l’était : belle, intelligente, riche et ambitieuse ; de son temps en tant qu’humaine, elle avait eu le monde à ses pieds, mais plus que le monde, ça restait un enfant à qui offrir un amour inconditionnel, la seule chose qu’elle avait toujours réellement désirée. Peu importe combien les gens la jugeaient froide, hautaine et superficielle, elle s’en moquait ; ils se trompaient sur ce qu’elle était et ce qu’elle voulait, ça n’avait jamais été la fortune ou la célébrité : des petites mains tendues en recherche d’attention, des grands yeux écarquillés par l’innocence, des sourires sans attentes et des babillements joyeux et sans sens ; c’était ça à quoi elle aspirait.


Mais on lui avait à jamais retiré cette possibilité. Le destin avait toujours eu un cruel sens de l’humour : au terme des trois jours d’enfer où elle avait eu l’impression d’être brûlée vive et avait supplié tous les dieux qui auraient écouté de mettre fin à son supplice, elle s’était réveillée avec les yeux pleins de compassion de son sauveur -Carlisle – qui lui avait annoncé sans même s’en rendre compte que la vie dont elle avait rêvé était maintenant à jamais hors d’atteinte. Elle avait vu l’expression de l’homme passait de compatissante à pleine de culpabilité lorsqu’il s’était rendu compte du niveau de désespoir dans lequel la certitude de sa future infertilité l’avait plongée. Évidemment, il l’avait sauvée en préjugeant qu’une belle fille, riche et superficielle de dix-huit serait reconnaissante d’avoir échappé à une mort inévitable et trouverait du réconfort dans le fait d’avoir sa beauté magnifiée — et à jamais conservée, comme si elle était une statue de marbre – et d’appartenir à une famille d’êtres surnaturels et milliardaires. Tout le monde savait à l’époque qui était Rosalie Hale : la fille gracieuse à la beauté spectaculaire de l’une des familles les plus riches de Rochester, celle qui allait épouser l’héritier de l’empire King. Personne n’aurait pu songer que par-delà toutes ses ambitions, son désir le plus sincère était de fonder une famille et d’élever une ribambelle de marmots turbulents ; Carlisle était tombé des nues lorsqu’il avait réalisé à quel point il l’avait mal jugée et combien il serait désastreux pour elle de devoir s’adapter à une existence immortelle la privant de son principal désir.


Elle était au milieu de la dernière section du morceau, ses doigts courant toujours délicatement sur les touches tandis que la rythmique diminuait progressivement et que la tonalité redevenait plus douce et sereine, quand elle sentit Esmée pénétrer dans la pièce, sans un mot. Les mesures finales laissaient passer un peu d’espoir et Rosalie se laissait bercer par ce sentiment diffus que tout n’était pas si sombre que ce qu’elle avait l’habitude de prétendre et que — parfois- ça en valait malgré tout la peine.


Sa mère adoptive s’était glissée sur le banc à côté d’elle et passait doucement une main dans ses cheveux comme pour les lisser. Il y a avait autant de délicatesse dans le mouvement que dans les doigts d’une harpiste essayant de dompter des cordes récalcitrantes pour produire une berceuse qui puisse endormir le plus tapageur des bambins. Esmée l’avait attirée dans une étreinte, commençant à fredonner et Rosalie avait laissé le morceau en suspend, ses doigts s’arrêtant dans les airs au-dessus du clavier tandis que résonnaient encore dans l’air quelques notes vectrices d’espoir. Et Rosalie s'était surprise à sourire : bien sûr, Esmée ne lui permettrait pas de retomber dans une langueur morose, la symphonie resterait à jamais inachevée, c’est sans doute pour le mieux : malgré toutes les imperfections d’une vie immortelle, certaines personnes la rendaient supportable au point que ça puisse -souvent- en valoir la peine. Sa transformation en vampire resterait l’impromptue fausse note ayant bouleversé la cadence de son existence mais elle mentait souvent quand elle prétendait que celle-ci ne lui a rien apporté.


Emmett, Jasper, Carlisle, Edward, Alice… et Esmée. Des fois, ça suffisait presque.


Parce que même si elle ne pourrait jamais transmettre elle-même cet amour inconditionnel et sans borne à un enfant, elle savait très bien ce que c’est de l’éprouver pour elle-même. Il y avait une tendresse infinie chez Esmée que même Rosalie ne pouvait nier. C’était dans chacun de ses gestes, dans le réconfort de sa voix, dans les coins gentiment haussés de la commissure de ses lèvres et dans la douceur de son regard : une chaleur et une capacité à voir au-delà du pire de ce que montraient ceux qu’elle avait choisis pour être ses enfants. Plus de quatre-vingt douze ans après avoir été mise au monde, Rosalie bénéficiait toujours de cet amour si rare et transcendant que seule une mère pouvait accorder à son enfant. Et des fois -quand elle n’était pas trop amère- cela suffisait à la faire se sentir en harmonie avec ce monde, au moins le temps d'un morceau de piano.


________________________________________________________________________________



Notes de fin :



Le titre de l'OS fait référence au roman de James Hadley Chase "Pas d'orchidées pour Miss Blandish" où le personnage principal est une riche héritière à la beauté spectaculaire qui connaît un destin tragique assez raccord avec la mort de Rosalie en tant qu'humaine. La Nocturne en La Bémol est le morceau de Liszt qu'interprète Rosalie dans cette histoire.


[1] Liebestraum n°3 de Liszt, est connu sous le nom de " Rêves d'amour ", c'est un morceau qui requiert un haut niveau d'habileté technique (avec des changements de cadence rapides) et est inspiré par un poème de Ferdinand Freiligrath.

[2] Au terme du deuxième roman de la saga Bella, en désaccord avec Edward qui ne veut pas la transformer en vampire, demande à l'ensemble des Cullen de "voter" pour décider de la question. Edward et Rosalie sont les deux seuls à s'opposer à la transformation et il est acté que Bella sera changée en vampire.

[3] Dans Fascination, Jasper dit à Bella -qui se sent désolée pour tous les problèmes qu'elle cause aux Cullen- qu'elle "se trompe et qu'elle en vaut la peine". Il ne détaille jamais sa pensée mais on apprend dans Midnight Sun qu'il faisait référence à l'amour que ressentait Bella et Edward l'un envers l'autre -et que lui même pouvait éprouver en tant qu'empathe- comme quelque chose valant la peine de se battre.

[4] L'existence du monde surnaturel est supposée rester caché aux yeux des humains; les Volturi -qui représentent plus ou moins la royauté vampire dans la saga Twilight- peuvent prendre des sanctions drastiques contre les vampires ne respectant pas la Loi. Le fait que les Volturi sachent que les Cullen ont révélé à Bella leur secret sans la tuer/transformer, les met à ce stade tous en danger de mort.

[5] Rosalie a été trouvée agonisante dans une ruelle par Carlisle en 1933 (suite à un viol collectif commis par le propre fiancé de Rosalie et ses amis), c'est là qu'il a décidé de la sauver en la transformant... décision qu'elle lui a reproché durant des décennies.

[6] Arrêté de la Cour Suprême des Etats-Unis (dont le fédéralisme a été remis en cause en 2022... belle époque !) permettant une simplification d'accès à l'avortement dans tous les états avec une cessation de la "criminalisation" de la pratique inscrite dans la Constitution. Je ne voulais pas la rendre antipathique avec ce détail épineux mais il aurait compliqué de ne pas rendre Rosalie ooc en lui faisant adopté un point de vue plus nuancé sur la question... j'essaierai peut-être d'explorer la question de manière plus fine dans un autre texte consacré à ce personnage.


Laisser un commentaire ?