En attendant la pluie
Chapitre 16 : Les promesses du crépuscule - P2
7337 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 2 mois
Avant-propos : allez, cette fois, c’est vraiment la fin du POV d’Esmée et du fameux incident de « chasse ». Le début du chapitre est très dur avec des thématiques lourdes abordées de manière assez abrupte : mention de la mort d’un nourrisson (mort d’une fièvre pulmonaire, deux jours après sa naissance), deuil maternel et suicide. On repart sur des choses bien plus légères par la suite. Et les deux prochains chapitres seront nettement moins mélodramatiques. Vraiment ;)
Bonne lecture !
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Faire preuve de bravoure… réaliser ses rêves… avoir une vie merveilleuse.
Il n’était peut-être pas trop tard.
« Ô lumière ! C’est le cri de tous les personnages placés, dans le drame antique, devant leur destin. Ce recours dernier était aussi le nôtre et je le savais maintenant. Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. »*
Albert Camus – Retour à Tipasa, L’été.
Esmée avait trouvé les vestiges d’une témérité qu’elle pensait depuis longtemps éteinte : elle partit.
Juillet 1920 à mars 1921, état du Wisconsin
Écrasant sa honte et sa peur de se faire à nouveau envoyer paître par un membre de sa famille, elle utilisa le peu d’argent qu’elle avait pu mettre de côté pour prendre le bus, puis le train. Elle quitta son Ohio natal et alla trouver refuge chez un cousin âgé, habitant un état suffisamment éloigné pour que Charles ne pense pas à immédiatement l’y chercher. Celui-ci fut proprement effaré par son histoire et accepta de bonne grâce de lui venir en aide.
Esmée put un peu mieux respirer en constatant qu’il existait des personnes ne jugeant pas « normale » la cruauté de son mari. Son cousin lui donna un pécule substantiel et – ayant peur que son époux vienne la chercher à Milwaukee [1], une fois qu’il aurait éliminé les autres pistes – l’envoya loger chez un couple de vieux antiquaires de Ashland pour lequel, il avait travaillé en tant qu’apprenti dans sa jeunesse. Les commerçants acceptèrent de l’héberger contre de menus service et, avant que son profil ne puisse s’arrondir, elle commença à se faire passer pour une veuve de guerre.
Un coup du destin fit, qu’après bien des détours, elle réussit à trouver une place d’institutrice dans une école de Ashland, moins d’un mois après son installation. Elle put enfin enseigner et elle le fit avec une immense joie. Ce furent de beaux mois – presque inespérés – où Esmée se sentit revivre, laissant sa tête s’emplir de perspectives heureuses et attendant avec impatience la naissance de son enfant.
Même s’ils étaient vagues dans son esprit de vampire, elle se remémorait ces instants avec une douce nostalgie.
Les souvenirs suivants étaient les plus précis lui restant de son temps en tant qu’humaine. Quand bien même aurait-elle voulu les effacer entièrement de sa mémoire qu’elle en aurait été incapable, tant ils semblaient constitutifs de son être. Dans l’incroyable bonheur, aussi bien que dans l’horreur.
Elle se rappelait avec une netteté affolante le jour de son accouchement. La souffrance débilitante se mêlant à l’excitation, les heures passées, haletante à avoir l’impression que son corps menaçait de se casser en deux. L’emballement au fil des dernières contractions, puis l’étrange rencontre avec le bébé. Ce sentiment d’être foudroyée. Elle sut qu’elle n’avait jamais tout à fait compris ce qu’était l’amour – bien sûr, elle avait sincèrement aimé certains membres de sa famille et amis, mais rien de comparable à ce niveau d’intensité – avant de contempler, hébétée, le nourrisson entre ses bras.
Elle eut le sentiment que la terre avait arrêté de tourner et éprouva une sensation indescriptible et floue en observant la petite créature qui avait miraculeusement réussi à sortir d’elle. Il était là : minuscule, chaud, vivant. Son fils. Et il était magnifique. Esmée se demanda vaguement comment un être aussi beau et innocent avait pu être engendré au travers de tout l’effroi de sa relation avec Charles. Elle embrassa les joues rebondies et sentit des larmes de joie rouler librement sur son visage. Au-delà de tout l’épuisement de son corps perclus de douleurs, elle éprouvait un écrasant et inexplicable bonheur.
Ses émotions partaient dans tous les sens, elle se demandait si c’était normal de se sentir ainsi – si exténuée et comblée à la fois – tandis que des sanglots montaient dans sa poitrine, alors même qu’un sourire fou ne quittait plus ses lèvres. Elle berça longuement le bébé contre elle, s’extasiant sur l’étonnante risette déformant sa bouche. Il était adorable. L’espace d’une demi-journée, elle vécut les moments les plus heureux de son existence.
Puis, quelques heures à peine après qu’il fut né, une fièvre foudroyante prit le petit et tout s’enrailla. Le nourrisson devint trop silencieux, les sourires s’évanouirent ; sa peau douce, maintenant trop chaude se couvrit d’une pellicule malsaine, tandis que ses respirations revêtaient des allures chuintantes. Alarmée, Esmée interpella une infirmière pour qu’elle l’examine. Après une analyse sommaire, celle-ci lui arracha le bébé des bras et, suite à une volée de paroles rassurantes – qui auraient eu davantage de poids si elles n’avaient pas été accompagnées de grands gestes paniqués – disparut avec lui, derrière de lourdes portes que la jeune mère n’était pas autorisée à franchir.
L’attente parut interminable. Plus d’une journée où Esmée ne cessait de demander des nouvelles à tous les soignants qu’elle pouvait alpaguer : ces derniers n’avaient que des paroles creuses à opposer à ses inquiétudes, l’enjoignant gentiment au repos et à la patience. Pendant l’attente, elle pria. Elle pria avec une ferveur désespérée, suppliant pour que l’enfant guérisse et qu’il soit en bonne santé. La perspective inverse semblait impensable ; lui coupait le souffle.
Comme toujours ses prières restèrent sans réponse : si au Ciel quelqu’un entendit ses suppliques, il y resta sourd.
À l’aube, moins de deux jours après l’avoir mis au monde, la sage-femme – celle-la même l’ayant accouchée une poignée d’heures plus tôt – vint lui remettre le corps sans vie de son enfant. La vieille femme avait un teint de cendres, son regard brûlait de pitié. Son enfant était mort.
Il allait bien quelques heures auparavant.
C’était absurde.
Il venait de naître.
Il était mort.
Ça n’avait aucun sens.
Elle ne pouvait pas parler. Pas bouger. Elle ne savait même pas si elle respirait encore. C’était comme avoir toutes ses terminaisons nerveuses fauchées à la racine. La seule sensation tangible était l’infime poids entre ses bras, la solidité de cette enveloppe – une coquille vide – de nourrisson sur sa poitrine. Elle resta figée pendant un temps infini, le minuscule fardeau emmailloté pressé contre elle. Elle était incapable de le lâcher et ne pouvait pas comprendre les mots assénés par les divers professionnels de passage dans la pièce. Des sages-femmes, des infirmières, des médecins… tous compréhensifs, lui jetant leur sollicitude apitoyée à la figure. Au bout de longues heures de stase, les soignants n’y tinrent plus : ils lui proposèrent des calmants et l’incitèrent à libérer sa charge. Face à une succession de refus mutiques, la proposition devint imposition ; quelqu’un voulut retirer le frêle cadavre de son étreinte.
Quelque chose s’effondra. Ce fut un cataclysme silencieux, une faillite interne. La sensation d’être aspirée au fond d’un gouffre. Pour combattre l’anéantissement, il n’y avait rien à faire. Rien à part combattre futilement en s’abandonnant à un éclat de rage sauvage. Alors, elle hurla. Elle cria et se débattit, lutta pour garder son fils contre elle. On la maîtrisa, lui injecta un produit. Le produit l’enfonça dans une torpeur lancinante. Le monde sembla se dissoudre autour d’elle. Gisante, on la laissa une demi-journée étendue sur un brancard. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, tout était flou. La drogue – épaisse et inconnue – coulait encore dans ses veines, maintenant son esprit sous un voile trouble. Sa tête était comme prise dans un étau et une sensation nauséeuse tordait son estomac. Elle fixa le plafond pendant que les effets du médicament administré se dissipaient. Un médecin vint la contrôler et lui adressa un discours lénifiant supposé la réconforter. Comme si quoi que ce soit au monde pouvait encore constituer un réconfort. Les condoléances et les vœux pieux d’un bonheur futur glissèrent. Elle parvint à articuler des mots suffisamment sensés et plaida pour qu’on lui permette de sortir. Après quelques instants de tergiversation, cela lui fut accordé : on l’invita à rentrer chez elle. Rentrer ? Sa peau était une prison qu’elle ne voulait plus habiter. Il n’y avait nulle part où aller.
Enfin autorisée à sortir de l’hôpital, Esmée éprouva un vide sidérant. Le sentiment flou de désolation qui grondait dans ses entrailles était indescriptible. Vertigineux. Il n’y avait rien à faire. C’était fini. Extirpée aux regards remplis de commisération des soignants, elle força son corps lourd à chanceler mécaniquement loin du lieu où son enfant était né, puis mort, en l’espace de deux jours. S’il faisait froid, elle ne pouvait pas le sentir ; si ses membres souffraient encore des séquelles de la récente délivrance, elle ne voulait pas le savoir.
Elle ne ressentait rien : ni la bise fraîche de mars s’enroulant à son cou, ni la douleur cuisante qui aurait dû irradier de la chair suturée entre ses cuisses n’atteignaient son cerveau. Son corps entier ne lui semblait pas avoir plus de consistance que des bandes de coton. Tout autour d’elle paraissait irréel. Elle erra longtemps, marchant sans but dans les rues, ignorant le brouhaha des passants et l’agitation urbaine. À un moment ou à un autre, ses jambes l’avaient menée de leur propre chef aux lisières de la ville, l’éloignant des faubourgs et des grandes artères sous les lumières déclinantes de la fin après-midi. Elle continua à déambuler, traversant les sentiers sinueux, l’esprit ailleurs, mais les pieds toujours déterminés à la porter. La marche erratique s’étendit sur plusieurs kilomètres. Quand elle s’arrêta finalement aux abords d’une falaise, elle se sentit hébétée, réalisant vaguement que le soir était presque tombé.
Esmée se laissa choir sur le sol et – sans vraiment réfléchir – se mit à observer la nature environnante les quelques heures qui suivirent, profitant de la quiétude des lieux et de la beauté du paysage. Sa contemplation dura jusqu’à ce que la nuit devienne si dense que les feuillages verdoyants et eaux de la mer agitée en contrebas ne forment plus qu’une masse sombre et indistincte. La lune était masquée par les nuages mais, perdues entre les cumulus, des poignées d’étoiles se détachaient du noir d’encre du ciel. Esmée s’émerveilla de la beauté des rares astres brillant au firmament. C’était une belle nuit. Une nuit paisible.
Elle entendit le faible bruit des flots s’écrasant par remous au pied de la falaise. Le vent fort, souleva les lourdes mèches échappant à son chignon défait ; elles s’emmêlèrent et cinglèrent contre sa peau. Des gouttes de pluie mouillèrent ses joues. À moins que ce ne soit des larmes. Il aurait été logique qu’elle pleure, après tout… Quelle mère atroce ne verserait pas de larmes pour son nourrisson ? Mais elle ne sentait pas triste, plus vraiment. Pas même dévastée. Juste engourdie. La torpeur qui l’avait saisie au sortir de l’hôpital s’abattit de nouveau, plus intense. Les étoiles oubliées, Esmée eut l’impression de s’éteindre au cœur de la nuit. Elle se sentait morte. Comme si c’était son propre cadavre qui reposait dans la morgue de la ville voisine. Soudain, ce fut trop. L’insupportable l'a saisie. Il fallait qu’elle parte. Elle se releva, ses jambes tremblèrent de fatigue, sa poitrine se comprima. Un terrible sentiment de solitude la transperça. Elle ne savait pas ce qu’elle ressentait, mais elle ne voulait plus jamais l’éprouver. Si c’était de la douleur, elle n’avait pas la force de la comprendre. Si c’était du deuil, elle ne pouvait pas le nommer. Si c’était du vide, elle voulait s’y dissoudre.
Son geste ne fut pas le fruit d’une réflexion consciente.
Elle ne sauta pas. Elle fit simplement quelques pas et se laissa basculer, tombant dans le néant. Il y eut un instant de suspension, un silence assourdissant. Et la chute. Un instant d’apesanteur. Son corps flottait presque, une fraction de seconde, offert au vent nocturne. Puis la gravité reprit son office : l’air hurla autour d’elle, une drôle de pesanteur plana sur son estomac et son cœur battit la chamade. Elle fut prise d’une panique animale, réalisant ce qu’elle avait fait à peine quelques secondes avant que son corps ne heurte de plein fouet l’eau glacée. L’impact lui arracha un cri étouffé. À cette hauteur, c’était comme percuter à toute vitesse un mur de briques. La plupart de ses os se disloquèrent sous le choc. Son souffle était déjà coupé par une douleur fulgurante quand un flot iodé s’infiltra dans ses poumons. Elle sombrait, se noyait. La mer l’enveloppa, la tirant vers le fond. C’était à la fois terrifiant et apaisant. Bientôt, elle ne souffrirait plus…
Elle n’était pas sûre d’encore croire au Ciel et, jusqu’au dernier instant, elle avait fait une très mauvaise chrétienne. Si le paradis existait, elle n’espérait pas s’y rendre ; aussi ne priait-elle pas pour rejoindre son fils, juste pour que la douleur s’arrête. Peu importe ses potentiels péchés, elle estimait qu’elle avait suffisamment enduré de son vivant pour que tout cesse avec sa mort. S’il existait un enfer, elle était presque sûre d’y avoir séjourné sur terre. Tout devait finir, même la douleur ; alors, elle attendait que cela se termine.
C’était ce qu’elle croyait. Pourtant, la souffrance ne s’arrêta pas. Comme par miracle, une vague la déposa sur la berge. Par une coïncidence inique, deux promeneurs nocturnes la repérèrent et parvinrent à l’éloigner du rivage, avant que le ressac ne puisse à nouveau l’emporter vers le large. Ils parvinrent à lui faire recracher les goulées d’eau avalées. Un autre miracle. Le temps qu’ils l’amènent à l’hôpital, son corps brisé était tombé en hypothermie, tandis qu’elle sombrait dans l’inconscience : sa respiration et son pouls étaient si faibles que le médecin l’ayant examinée à son entrée dans l’établissement ne les remarqua pas.
Esmée Platt fut déclarée morte [2].
Le lendemain du jour du décès de son fils. Son corps vivant fut à tort enveloppé dans un linceul à quelques mètres de celui de l’enfant. Et trouvé quelques minutes plus tard par un très vieux docteur anglais ayant entendu – grâce à son ouïe vampirique – résonner dans la morgue les battements erratiques d’un cœur en fin de fonctionnement. Le trompeusement jeune médecin, aux allures angéliques, qui l’avait, une décennie plus tôt, encouragée à poursuivre ses rêves et à avoir « une vie merveilleuse », alors qu’elle était encore une adolescente téméraire et impressionnable. Lui, n’avait pas pris une ride et avait – avec la même impulsivité bravache qu’elle possédait lorsqu’elle grimpait aux arbres à ses seize ans – décidé de la sauver. Une décision déraisonnable ou un acte de foi ?
C’était sans doute cela le miracle le plus improbable.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux après trois jours d’une agonie lancinante, Esmée baignait dans un maelstrom de sensations confuses. Le monde autour d’elle paraissait complètement différent, ses couleurs plus belles et vibrantes que jamais, et elle se sentait envahie d’une foule de sensations sauvages, lui donnant l’impression d’avoir basculé dans un autre univers. Et il était là, la regardant. Après la multiplicité de déboires endurés, Esmée pouvait difficilement croire à un dessein divin – et, s’il y avait un Dieu, elle doutait fort qu’il soit miséricordieux. Pourtant, elle ne parvint pas à remettre en cause le miracle qui se produisit sous ses yeux, s’incarnant sous les traits d’un homme tiré de son passé – dont elle ignorait même le nom [3] – et qui était plus beau que n’importe quel songe.
Il lui avait expliqué l’avoir changée en vampire pour la « sauver », la notion ne l’avait pas dérangée. Si c’était un rêve, elle le jugeait à la fois grotesque et beau. La seule chose l’ayant intéressée – dès lors qu’elle eut compris l’essentiel de la situation – fut que son fils soit autorisé à la rejoindre dans cet incroyable rêve éveillé. Bien sûr, cela s’était avéré impossible ; elle avait pressenti la requête intenable avant même de la formuler. Le regard profondément navré du Docteur Carlisle Cullen – dont elle avait finalement appris le nom, bien des années après l’avoir croisé – lui confirma ses soupçons. C’était ainsi que cela devait être.
La douleur qu’elle avait ressentie à son décès avait été si abrupte, si indicible, qu’une part d’elle savait qu’il s’agissait d’un état immuable. Même dans ce monde absurde où les démons ressemblaient à des anges et sauvaient des humaines en perdition, il devait y avoir des règles. Des limites. Son fils était mort. Esmée le ressentait jusqu’aux tréfonds de son âme et admettait la notion – parce que, si c’était faux, alors rien d’autre n’était vrai.
Une fois la violence du chagrin un peu atténuée, elle avait accepté que son enfant ne ferait jamais partie du drôle d’univers offert par Carlisle. Elle s’était progressivement apaisée, puis perdue dans les sensations folles du nouveau monde l’entourant : la douleur de la perte déchirait encore, mais la multitude d’émotions et d’instincts parasites découlant de sa condition de vampire rendaient son désespoir plus volatil. La tristesse juste assez vaporeuse pour être supportable. Surpassant ce qui demeurait de son accablement, la découverte de ses nouvelles « capacités » et des implications de la nature d’un vampire fraîchement transformé, requérait sa pleine attention. Il fallait tout réapprendre.
Avec les avantages conférés par l’immortalité, chaque aspect de l’existence revêtait les apparences d’un défi inédit : une stricte maîtrise du moindre geste était devenue nécessaire pour ne pas réduire en poussière par inadvertance son environnement ; le mobilier, les fragiles objets de confection humaine et même les bâtiments, ne pouvant résister à des indélicatesses vampiriques. Carlisle et Edward durent lui enseigner à contrôler sa force, puis sa vitesse et – enfin – ils eurent fort à faire pour l’aider à ignorer la persistante soif de sang qui la tenaillait. Un grattement désagréable et distrayant lui brûlant en permanence le fond de la gorge. Heureusement, l’esprit d’un immortel semblait à même d’emmagasiner rapidement – et efficacement – une somme folle de connaissances. Et Carlisle était un enseignant bienveillant, doté d’une infinie patience…
Quant à Edward, sous ses airs maussades, c’était un gentil garçon, incroyablement perspicace – évidemment, vu la nature de son don – qui répondait spontanément à toutes les interrogations qu’elle n’aurait pas osé formuler à haute voix. Esmée apprit vite et elle prit plaisir à apprendre, se surprenant à sourire de plus en plus fréquemment, au fil des semaines.
Les deux vampires rendaient son adaptation à ce nouveau monde aisée, œuvrant discrètement pour lui rendre l’existence agréable, sans visiblement jamais rien attendre en retour. Quand on n'attendait plus rien de quoi ou qui que ce soit, être subitement confrontée à tant de bonté de la part d’inconnus avait quelque chose de bouleversant.
Esmée fut profondément touchée par leur gentillesse. Elle s’y acclimata.
Les saisons passèrent et, un jour, alors qu’elle se laissait bercer pas la dernière composition en date d’Edward, tandis que Carlisle, assis dans un coin de la pièce, consultait méthodiquement quelques articles médicaux, un sourire distrait jouant sur ses lèvres ; le soleil de la fin d’après-midi perça à travers les nuages, inondant la pièce d’une lumière vive. Les rayons firent étinceler de mille feux les immortels présents dans la pièce. Magnifique et définitivement incongru : elle avait envie de dessiner et peindre [4] la scène dans ses moindres détails. Peut-être le pourrait-elle ? Quand elle arrivera à tenir assez délicatement des pinceaux pour ne pas les briser, elle aura des décennies devant elle pour devenir une artiste aguerrie… Esmée éclata de rire face aux étranges idées qui la traversaient. Elle réalisa soudain qu’elle était heureuse. Vraiment heureuse. Et reconnaissante d’être en vie.
La réflexion émergea avec étonnement : elle n’avait pas réellement voulu mourir ; pourtant, à son éveil en tant que vampire – comprenant que son enfant ne ferait pas partie de son éternité – la perspective d’éprouver à nouveau un sentiment proche du bonheur ne l’avait pas effleurée.
C’était néanmoins arrivé. Sans même l’avoir vu venir, au fil des semaines et des mois s’égrainant, quelque chose en elle avait changé. Il restait en elle une douleur sourde qui ne guérirait jamais complètement, mais celle-ci ne la terrassait plus au point de l’empêcher de se réjouir des petites merveilles à venir. En l’espace d’un an – un clin d’œil au sein d’une vie immortelle – son hiver était passé [5]. L’entendant rire, Carlisle avait relevé la tête, interloqué, mais ravi ; l’observant avec attention, son regard débordant d’une émotion qu’elle ne permettait pas encore de réellement reconnaître pour ce qu’elle était.
Sa vie n’avait rien eu de merveilleuse, mais le long crépuscule qui s’annonçait paraissait plein de promesses.
Tandis que le soleil brillait sur eux Esmée éprouva la certitude qu’un formidable été les attendait [5].
29 juillet 1950, Kasota, Minnesota
Cette certitude n’avait pas été démentie par les années ayant suivi : Carlisle, Edward, Rosalie, Emmett… Ils s’étaient profondément immiscés quelque part dans son cœur à l’arrêt.
Esmée était plus heureuse et reconnaissante de les connaître qu’elle n’avait de mots pour l’exprimer. À ses yeux, les moments de bonheur qu’ils partageaient, compensaient largement les difficultés liées au statut d’immortel.
Elle les aimait et il l’aimait ; ça lui suffisait et lui donnait toutes les raisons du monde d’être optimiste pour l’avenir. Toutes les raisons d’espérer.
De l’espoir.
Maintenant, il y avait Alice et Jasper ; et, depuis trois semaines, quand elle songeait à l’espoir, Esmée ne pouvait s’empêcher de penser à Jasper. Le sentiment dont l’ancien soldat les avait inondés en achevant son terrible récit sur ses quatre-vingt-sept ans de guerre, lui avait laissé une impression durable. Esmée n’aimait pas beaucoup les soldats. Elle savait que c’était sans doute idiot : presque tous les hommes et garçons qu’elle avait côtoyés l’avaient été à un moment de leur vie ou avaient voulu l’être – elle frissonnait en pensant au désir d’engagement d’Edward, juste avant que la mort le fauche en tant qu’humain. Tous les militaires n’étaient pas des monstres, loin de là. Beaucoup étaient des hommes bons… Une part d’elle ne pouvait néanmoins s'empêcher de penser que la guerre avait broyé les plus honorables et idéalistes d’entre eux – les tuant ou les brisant – et n’avait laissé revenir intacts que les plus mauvais. Ceux qui savaient écraser les autres sans remords. Ceux qui, comme son premier mari, exultaient au milieu des combats, laissant libre cours à leurs pires instincts.
Leur récent invité avait survécu à près d’un siècle de conflit. Pourtant, Esmée n’arrivait pas à le craindre, en dépit de toute la barbarie dont avait été émaillée son histoire. Sans doute à cause de l’espoir vibrant qu’il avait partagé avec eux, le premier jour.
Un espoir brillant mêlé à un amour naissant, c’était terriblement semblable à ce qu’elle-même avait éprouvé lors de cette après-midi ensoleillée de 1922. Même après un hiver interminable ou en plein cœur d’une tempête, la lumière pouvait toujours trouver une faille par laquelle s’infiltrer.
Ses nouveaux enfants avaient traversé bien des épreuves, avant de leur parvenir. Ils avaient besoin d’une famille et Esmée ne pouvait que se réjouir de la curieuse providence les ayant guidés jusqu’à eux. Elle qui avait, plus qu’à son tour, goûté à la fatalité, croyait au destin. Et elle aspirait au futur heureux s’étant esquissé au travers des prémonitions de la voyante. Esmée désirait le voir se concrétiser de tout son cœur.
Aussi attendait-elle toujours, avec une légère appréhension, la réaction de Rosalie à son plaidoyer. Celle-ci semblait peu désireuse de lui répondre. Silencieuse, elle avait de nouveau les yeux fixés sur la route : elles n’étaient plus qu’à quelques centaines de mètres du domaine. Moins de deux minutes.
Esmée pressa de nouveau le bras de sa fille pour capter son regard. Et insista pour obtenir un accord de non-agression en bonne et due forme.
— S’il te plaît.
Rosalie tourna brusquement son beau visage vers elle. Ses mains toujours fermement posées sur le volant, mais l’étudiant avec attention. Après quelques secondes de flottement, sa fille aînée inclina finalement la tête, en soupirant.
Face à ce signe d’assentiment, Esmée relâcha la respiration inutile qu’elle avait retenue. Ce n’était pas exactement un rameau d’olivier, mais à l’échelle de Rosalie, cela signifiait beaucoup. Esmée la connaissait suffisamment pour savoir que, par ce simple geste, elle s’engageait à être magnanime à l’entente des explications d’Emmett et de Jasper.
Malgré cette encourageante accalmie, Esmée ne put que constater qu’Alice – qui avait pourtant souri un instant plus tôt – ne paraissait pas complètement apaisée. Au contraire, elle sembla envahie par une recrudescence d’anxiété, dès le moment où la maison se profila. Rosalie gara, tout en jetant un regard circonspect à la fille, visiblement nerveuse. Celle-ci tremblait légèrement, faisant se secouer l’arrière de véhicule par la force de ses mouvements parasites.
La voyante les fixa dans le rétroviseur avec une expression proche de la panique, avant de marmonner entre ses dents, une phrase ne semblant s’adresser à personne en particulier :
— Ce n’est pas bon… je n’arrive pas à me calmer… il sent que je suis bouleversée… et tout le monde est si nerveux.
Alice secoua la tête et se redressa brutalement, comme si elle était montée sur ressorts. Elle ouvrit la portière d’un geste brusque, sautant hors de la voiture et se déplaçant si rapidement qu’Esmée et Rosalie n’eurent pas le temps, ni l’occasion d’échanger un regard interloqué. Un grondement sourd avait retenti depuis l’intérieur de la maison, juste avant qu’Alice ne s’y engouffre.
Eh bien, autant pour les efforts visant à apaiser Rosalie… Esmée pouvait sentir l’inquiétude et l’agacement de cette dernière grimper en flèche, face à cet enchaînement de réactions incongrues. Esmée souffla. Elle détestait les conflits, mais il y en avait un qui couvait toujours et nécessitait son concours si elle voulait qu’il se règle en douceur.
Elle sortit, à son tour, vivement du véhicule, utilisant sa vitesse surhumaine pour pénétrer dans le manoir à la suite de la petite voyante. Elle constata, au passage, que celle-ci avait, dans sa brusquerie, malencontreusement dégondé la porte d’entrée…. Elle soupira intérieurement avec dérision : les jeunes vampires ! Alice faisait bien deux têtes de moins qu’Emmett, mais pouvait se montrer aussi destructrice.
Présentement celle-ci était pendue au cou de son compagnon. Les bras noués autour de ses épaules et le visage enfoui dans le creux de sa gorge. Elle tremblait. Dans cette position, Esmée ne pouvait pas correctement distinguer l’expression du vampire menu, mais celle de l’empathe était indescriptible : tandis qu’il serrait Alice contre lui de manière protectrice, son expression – habituellement composée – oscillait entre colérique, inquiète, étonnée, soulagée et peinée ; passant par toutes les nuances du spectre d’une seconde sur l’autre.
Le couple était planté au centre de la pièce ; à quelques mètres d’eux, assis derrière la table du salon, Edward avait les sourcils profondément froncés et sa mine des mauvais jours. Emmett – qui était, de toute évidence, bien entier – se tenait debout, à trois pas du télépathe, un air étrangement penaud peint sur son visage, se balançant machinalement d’un pied sur l’autre. Carlisle, immobile et adossé à un mur dans un coin du séjour, observait la scène d’un air dubitatif. Captant son regard, il lui adressa un pauvre sourire en haussant les épaules. Son mari aussi semblait un peu dépassé par la situation. Eh bien, quel tableau !
Esmée n’eut pas le temps d’analyser davantage situation qu’un bruit sourd retentit derrière elle : Rosalie venait d’entrer, ostensiblement contrariée, refermant d’un geste sec la porte – ou ce qu’il en restait – avant de traverser le hall en quelques enjambées furieuses. Elle s’arrêta à la lisière de l’entrée de la pièce à vivre et posa un regard froid sur l’ensemble des occupants de la salle, les jaugeant. Esmée n’avait pu manquer le bref éclat de soulagement que sa fille aînée avait ressenti en constatant l’effective bonne forme d’Emmett. Son évaluation terminée, Rosalie planta ses yeux dans ceux de Jasper et entreprit de silencieusement le fusiller du regard. Celui-ci, sa compagne toujours blottie – même si ses pieds avaient de nouveau trouvé terre et qu’elle ne tremblait plus – dans ses bras avait recouvré suffisamment son calme pour afficher une expression presque impavide, mais ses iris assombris brillaient d’une colère contenue. Il fixait sans ciller ceux de sa fille, l’observant avec une morgue similaire à celle qu’elle affichait. L’échange muet était d’une intensité glaçante.
Un silence de cathédrale s’étira entre eux. Alors qu’Esmée s’apprêtait à ouvrir la bouche pour y mettre fin, elle sentit ses sourcils se froncer davantage de leur propre chef, une étrange vague d’appréhension et d’agacement montant en elle.
De l’agacement ? Bien sûr, la situation était tendue, mais il était rare qu’elle se sente si irritée… Elle réalisa immédiatement ce qui provoquait cet état d’esprit inhabituel : Jasper. Affecté par l’ambiance lourde, le garçon projetait involontairement une part de son trouble sur l’assemblée. Ses nerfs devaient être à vif pour qu’il les influence ainsi à mauvais escient. Ce constat fit instantanément retrouver son calme à Esmée.
Évidemment, la seule personne de la maison qui devait parvenir à conserver un flegme relatif dans la situation était Carlisle ; les émotions des autres devaient être tout sauf agréables à éprouver. Avec Alice visiblement exceptionnellement peinée et agitée, Emmett suintant la culpabilité, Rosalie de nouveau sur le sentier de la guerre, Edward qui – le connaissant – devait être spécialement à cran aux vues de son air sombre et elle-même qui ressentait une inquiétude diffuse… Jasper devait avoir bien du mal à trier et à supporter la collection de sentiments nocifs, sans user de son pouvoir pour tous les calmer [6]. Tout cela devait être difficilement tenable pour l’empathe.
Ce dernier avait avoué mal supporter les climats hostiles, nul doute qu’il devait être durement touché en ce moment. Esmée ressentit une bouffée de compassion pour lui.
Prise d’une brusque inspiration et désireuse de l’apaiser, elle se concentra sur des choses positives. Essayant de mettre au premier plan de ses émotions la chaleur qu’elle avait éprouvée trois jours auparavant alors que la famille au complet était réunie dans une atmosphère paisible. Puis, elle repensa au sentiment incroyable qu’elle avait ressenti quand Carlisle l’avait demandé en mariage. À la joie indescriptible qu’elle avait éprouvée quand Edward avait suggéré qu’elle se fasse passer pour sa mère en 1923 ; celle brillante qui l’avait envahie la première fois où Rosalie et Emmett l’avaient appelé maman à quelques années d’intervalle. La gratitude pour cette seconde chance qui lui avait été offerte et pour le doux espoir qui la transportait quand elle songeait aux petits bonheurs à venir. L’optimisme heureux ayant découlé de l’arrivée impromptue de Jasper et Alice.
Esmée ne savait pas avec quelle intensité elle avait réussi à transmettre ses sentiments, mais la réaction de l’empathe fut immédiate. Un curieux son ressemblant à un ronronnement avorté sortit de sa gorge et il tourna si vite la tête que son cou émit un faible craquement. Son regard instantanément détourné de celui menaçant de Rosalie se plongea dans le sien, incrédule mais rempli d’un curieux contentement. Eh bien, c’était facile d’attirer son attention : il semblait presque subjugué. Esmée ne put que sourire face à l’air vaguement émerveillé qui anima un instant les traits du garçon, tandis qu’il lui adressait un fugitif mais authentique sourire reconnaissant.
Alice qui devait, d’une manière ou l’autre, absorber une partie de ce que ressentait son compagnon à cette proximité, laissa échapper un soupir de soulagement. Nichée contre Jasper, son visage toujours dissimulé, elle lâcha lentement quelques mots d’une voix douce et basse, son ton navré.
— Je suis désolée d’être sortie si brusquement de la voiture, je sais que mon attitude a dû vous inquiéter. En arrivant, j'ai paniqué en pensant que Jasper pouvait ressentir à distance à quel point j'étais… J'ai simplement voulu le rejoindre tout de suite pour l'apaiser, mais j'étais tellement agitée que je suppose que cela a eu l’effet inverse.
Alice eut un étrange rire, teinté de dérision. Son phrasé inhabituellement traînant laissa penser à Esmée que Jasper concentrait une bonne partie de son pouvoir sur elle dans le but de lui faire recouvrer une relative sérénité.
Esmée profita du moment de flottement pour prendre parole calmement et demander des explications.
— Alice a eu une vision partielle de l’incident s’étant déroulé durant votre partie de chasse. Emmett, Jasper, pourriez-vous simplement nous expliquer ce qu’il s’est passé ?
Elle accompagna sa phrase de brefs regards interrogatifs mais encourageants à l’intention des deux garçons, les incitant à s’exprimer avant que Rosalie n’y tienne plus et ne brise le silence inconfortable en commençant à monter dans les tours. Esmée vit du coin de l’œil sa fille aînée croiser les bras et se tourner vers Emmett dans l’expectative, son regard un peu moins dur que quelques secondes auparavant.
Son enfant le tapageur et joyeux prit la parole, d'un ton inhabituellement sérieux, fixant sa femme avec une expression repentante, mais grave.
— J'ai voulu surprendre Jasper pour remporter le concours de chasse… Je lui ai sauté dessus et il a réagi par réflexe. Il m'a mordu, pensant être attaqué. C’était complètement idiot et c’était totalement ma faute. Ma Rose, je suis désolé, mais je t’assure que ce n’était rien de grave !
Jasper acquiesça lentement d’un signe de tête laconique, ajoutant quelques mots d’une voix douce.
— Je suis désolé de l’avoir blessé. Je cherchais simplement à le maîtriser.
Rosalie pinça étroitement les lèvres à l’entente de ces explications. Elle traversa la pièce en un éclair, se planta face à son mari et exigea d’un ton plat et d’une froideur polaire :
— Montre-moi.
Emmett eut un bref rictus à mi-chemin entre la grimace et le sourire contrit. Il retroussa la manche de sa chemise, dévoilant une partie de son bras droit et laissant apparaître la marque caractéristique laissée par des crocs. Esmée souffla : elle s’était attendu à ce que cela eut plus mauvaise allure. Alors que la blessure venait d’être infligée, celle-ci paraissait déjà quasiment cicatrisée. Curieux, mais, après tout, elle se souvenait qu’Alice avait précisé que Jasper avait aidé Emmett à se soigner. Esmée n’avait aucune idée de comment on accélérait la cicatrisation d’une morsure, mais il existait visiblement des techniques.
Rosalie examinait les traces avec attention. Une intensité brûlante dans le regard, les observant comme si elle pouvait les faire disparaître par sa simple force de volonté. Emmett l’implora à la clémence dans un souffle.
— C’était ma faute. S’il te plaît, ma chérie…
Rosalie secoua la tête d’un geste vague et se redressa, reportant son regard sur Jasper. Esmée retint son souffle. Le garçon ferma brièvement les yeux, puis les rouvrit, fixant sa fille avec une étrange émotion. Il s’inclina de manière presque solennelle, baissant lentement la tête, puis prononçant quelques mots d’une voix grave.
— Je suis sincèrement désolé, Rosalie. Cela ne se reproduira plus.
Rosalie l’observa en silence un long moment. Elle lui adressa le plus léger des signes de tête, avant de se détourner brutalement, commençant à quitter la pièce ; Emmett en remorque, le tirant par le poignet dans son sillage. Elle s’arrêta sur le seuil, déclarant sans se retourner :
— Il est celui qui donne un véritable sens à ma vie. S'il lui arrivait quelque chose…
Sa voix vibrait d'une émotion contenue et elle s'interrompit abruptement, laissant la phrase en suspens. Elle n’avait de toute manière pas besoin d’en dire plus. La confession flottait dans l’air.
Derrière elle, Emmett eut une expression mi-choquée, mi-extatique qui traversa son visage, ses fossettes habituellement rieuses toujours plissées en une moue coupable. Il posa lentement sa main gauche sur son épaule et l’attira dans une ébauche d’étreinte.
Jasper baissa brièvement les yeux. Son regard redevenu mordoré se porta instantanément sur Alice qui s’était retournée contre son torse ; le visage de nouveau visible, la voyante observait Emmett et Rosalie avec un air lointain.
L’empathe hocha faiblement la tête et lâcha dans un murmure, presque un souffle :
— Je comprends.
Rosalie se tourna vers lui avec une expression étrangement apaisée, elle laissa son regard glisser sur Alice et soupira.
— Je suis désolée de t'avoir fait de la peine, Alice. J’étais énervée. Je ne pense pas que tu aies de mauvaises intentions.
Alice esquissa un sourire lumineux, son visage s’éclairant soudain de soulagement.
Et juste comme ça, c’était fini. L’orage était passé, le soleil pouvait à nouveau briller.
Esmée sourit.
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Notes :
* Je prends toujours autant de plaisir à balancer des citations de Camus en amorce de chapitre, mais celle-ci me semblait spécialement adaptée par rapport à ce que je voulais raconter sur Esmée.
[1] Canoniquement, Charles Evenson retrouve Esmée chez son cousin et tente de la ramener de force chez eux, avant que celle-ci ne parvienne à fuir pour Ashland mais j’estimais qu’elle en bavait assez comme cela… Je lui ai donc fait prendre un léger raccourci en lui évitant une énième confrontation douloureuse après son départ de l’Ohio.
[2] Je me dis qu’Esmée ne devait sans doute pas utiliser son nom de femme mariée et employait sûrement celui de jeune fille au moment de sa mort.
[3] Alors, pour explication les Cullen utilisent souvent des « faux noms » pour ne pas se faire repérer en tant qu’immortels. J’ai fait en sorte que Carlisle ne donne pas son pseudonyme à Esmée en 1911 pour qu’il ne doive pas, à leur première rencontre, se présenter à elle sous une fausse identité. C’est un parti pris romantique, je suppose.
[4] Il est dit qu’Esmée apprécie beaucoup l’art et que, en dehors de l’architecture et de la cuisine, les loisirs qu’elle pratique le plus touchent à la sphère créative : peinture, sculpture, photographie, etc. Il me semble y avoir une certaine volonté de capter la beauté du monde et de créer des choses lui évoquant cette beauté.
[5] En plus de la relation évidente à la citation de Camus du début, certains auront peut-être reconnu ici une référence à Tolkien : « Alors le cœur d’Eowyn changea, ou bien enfin comprit-elle. Et soudain son hiver passa et le Soleil brilla sur elle. » ;)
[6] Je pense que Jasper marche ici beaucoup plus sur des œufs avec l’utilisation de son pouvoir que lorsqu’il était en situation de guerre durant son temps dans le Sud. Si peu de temps après son arrivée, il doit volontairement s’empêcher d’intervenir sur les émotions des Cullen – notamment Rosalie – pour ne pas leur donner l’impression (réelle) qu’il les manipule ; ça doit rendre la gestion de son pouvoir bien plus erratique que ce qu’elle était au moment où il contrôlait les armées de nouveau-nés. On reviendra sur ce point dans un prochain chapitre.
Voilà, c’est fini pour ce chapitre consacré à Esmée, sur lequel j’ai longtemps bloqué, mais dont je suis finalement très contente : faut pas croire mais, plus je galère initialement à écrire un truc, plus je suis généralement satisfaite du résultat ! :p
Les deux prochains chapitres seront plus légers et transitoires et nous ferons faire un petit bond dans le temps… après, on se dirigera tranquillement vers la dernière partie de cette histoire (avec Calgary… et Maria). Teasing, teasing ^^
À bientôt pour la suite :)