En attendant la pluie

Avant-propos : voilà un chapitre consacré à Alice et sur comment ses visions à son réveil en tant que vampire ont conditionné ses actions et l’ont menée à Jasper, puis à la famille Cullen (j'espère que ça explicitera les raisons d'Alice pour traîner Jasper chez nos amis végétariens, vu que quelqu’un se demandait ici "quelle mouche d’amour" l'avait piquée :p) . Bonne lecture :)

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Advienne que pourra ![1]

« On voudrait que ceux qu'on commence d'aimer vous aient connu tel que vous étiez avant de les rencontrer, pour qu'ils puissent apercevoir ce qu'ils ont fait de vous. »

L’envers et l’endroit – Albert Camus

Alice se sentait plus heureuse que jamais. Elle aurait pu sautiller d’allégresse tant elle se sentait légère. Ses visions avaient fini par se concrétiser, Jasper et elle avaient trouvé la famille Cullen et ceux-ci les avaient acceptés parmi eux. Vraiment.

Sa première vision lorsqu’elle s’était réveillée avait été Jasper.

Elle était au centre de la forêt, assise sur une vielle souche d’arbre, penchée vers un petit ruisseau, elle essayait d’observer son reflet dans l’eau mouvante. Elle venait de vider de leur sang deux hommes campant dans les bois. Ça avait apaisé l’atroce brûlure qui ne quittait plus sa gorge depuis qu’elle avait ouvert les yeux sur ce monde étrange. Elle ne savait pas qui elle était ni ce qu’elle était mais elle devinait être une sorte de monstre. Même si elle ne se rappelait rien de ce qu’avait été sa vie avant de se réveiller dans cet endroit, elle avait un souvenir diffus de ce qu’étaient les règles régissant l’univers. Elle se souvenait du nom et de l’existence de la plupart des choses l’entourant et même de beaucoup d’autres qui n’étaient pas en vue. Elle avait des tas de mots et de « concepts » fourmillant dans sa tête : famille, bijoux, tabac, voiture, argent, futur, amour, Bien, Mal, électricité, hôpital, folie, normalité.[2]

Par exemple, quelque chose lui soufflait que ce qu’elle venait de faire n’était pas normal. Pas moral. Que tuer les gens pour boire leur sang n’était pas quelque chose de Bien et que ce n’était pas ce qu’un humain était supposé faire. Elle avait essayé de manger de la nourriture, des fruits trouvés dans les buissons et arbustes, mais celle-ci avait un goût de moisissure et prenait la texture de cendre entre ses lèvres. Elle ne pouvait pas sentir son cœur battre et alors qu’elle se regardait dans l’eau, elle pouvait distinguer les traits de son visage, il lui semblait être jolie, mais ses yeux d’une couleur trop étrange -une teinte vermeille – pour qu’elle ne soit pas une sorte de monstre. Elle ne voulait pas être un monstre mais elle ne savait pas comment ne pas en être un. Elle ne savait pas quoi faire ni où aller. Elle ne savait rien. Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle ne voulait pas être seule.

Alice en était à ses tristes réflexions quand la vision du visage d’un homme s’était imposé à elle.

Son visage frappé par les rayons du soleil et par de fines gouttes de pluie. Une pluie d’été. Ses yeux et ses cheveux dorés avaient la couleur ocre de l’or fondu, les morceaux de peau touchés par la lumière paraissaient couverts d’étoiles scintillantes et les curieuses marques sur sa gorge, son menton et son sourcil gauche avaient l’éclat argenté de la lune. C’était comme observer la lueur des astres au crépuscule. Il était magnifique, là, lui souriant sous la bruine. Et il n’était définitivement pas humain lui non plus. Elle ne connaissait personne, mis à part l’aperçu fugace qu’elle avait eu de son propre reflet et l’image des deux hommes qu’elle venait de tuer, elle n’avait aucun autre visage en tête mais elle ne pouvait s’imaginer qu'il existe quelque part au monde quelqu’un de plus beau.

Elle était dans le noir, sans passé, ni idée de quoi faire de son présent. Sans aucun avenir à imaginer ou espérer. Et il était apparu, plus brillant que le soleil, plus serein que les étoiles et la lune, prononçant des mots qui n’étaient destinés qu’à elle et qui lui transpercèrent l’âme, s’y gravant à jamais. Il souriait et il avait une telle chaleur dans ses yeux, sa voix était si douce et traînante que ça la faisait frissonner. Et il avait prononcé un nom : Alice Cullen [3]. C’était elle n’est-ce pas ? Elle ne pouvait ni ne voulait être aucune autre personne au monde que cette Alice Cullen à qui l’homme faisait tous ces serments. Elle ne savait pas comment elle en était si sûre mais elle l’était. Sûre qu’il n’était pas une illusion de son esprit, sûre que c’était elle la dénommée Alice à qui l’inconnu disait toutes ces choses merveilleuses qui la faisaient se sentir si… elle ne pouvait même pas commencer à décrire cette émotion.

C’était comme si son univers et son avenir tout entier avaient été contenus dans cette promesse qu’il lui adressait. Ça l’avait sauvée du désespoir. Parce que même si elle était terriblement seule pour l’instant, ça n’avait aucune importance quand elle avait la certitude que cet homme fascinant dont elle ne connaissait pas encore le nom allait la trouver et l’aimer de manière vertigineuse. Parce que même si elle n’avait pas de passé, elle savait maintenant très précisément ce qu’était son futur.

Alors Alice l’avait attendu. Longtemps. Continuant d’obéir à sa faim et de tuer les humains s’aventurant dans la forêt, avec le sentiment indicible que ce n’était pas la bonne chose à faire. Une culpabilité sourde et une intense tristesse l’envahissant dès qu’elle reprenait ses esprits et contemplait les corps de ses victimes. Les jours et les semaines passèrent, solitaires et meurtrières. Lasse d’observer la nature l’entourant, elle essaya de se concentrer pour apercevoir de nouveau l’homme de sa vision. De nombreuses autres images impromptues apparurent : le bel inconnu, les yeux rouges cette fois, apparemment en guerre et faisant des choses atroces qui lui auraient sans doute donné des cauchemars si elle avait pu dormir.

Lui aussi était un monstre. Peut-être un monstre pire qu’elle. Mais, peu importe le nombre de personnes qu’elle le voyait tuer, peu importe à quel point il semblait terrifiant et fou lors des batailles qu’elle le voyait mener, ça ne changeait rien à la certitude d’Alice qu’il n’était pas quelqu’un de mauvais. C’était la personne la plus importante au monde, et ils devaient se rencontrer. Elle n’avait pas la moindre hésitation sur ce qu’elle ressentait pour lui : il était l’Unique [4]. Celui qu’elle attendrait pour toujours s’il le fallait. Et elle ne pouvait pas se résoudre à avoir peur de lui, à le mépriser ou à le haïr, même un seul instant. Pas quand il semblait si triste et fatigué. Pas quand elle pouvait se rappeler la tendresse et la fervente adoration dans son regard doré. Pas quand elle pouvait maintenant lire tant de douleur et de lassitude dans les yeux écarlates alors qu’elle le voyait observer silencieusement, jusqu’à l’aube, les bûchers embrasant le corps des ennemis avec l’expression de quelqu’un qui envisage de se jeter dedans.

Et Alice était terrifiée, pas par lui mais pour lui. Elle devait l’aider. Elle ne savait pas qui il était, où il était, ni pourquoi il faisait toutes ces choses qui le rendaient si malheureux mais ce n’était pas sa place, il ne devait pas rester dans cet horrible endroit. Elle avait imploré l’univers de lui donner un indice sur comment l’aider et une nouvelle vision était apparue.

Carlisle et Edward, en plein milieu d’une houleuse et récurrente, Alice le réaliserait plus tard, conversation.

« Carlisle, j’ai du mal à comprendre ton point de vue sur l’âme. D’un point de vue théologique, l’âme est le siège du combat interne entre le bien et le mal pour chaque homme. C’est la part transcendante de lui qui sera soumise au jugement divin à sa mort. Or, nous vampires sommes déjà morts et avons été laissés sur terre en errance sans autre but dans l’existence que de jouer les prédateurs. Soit le jugement de dieu, nous concernant, a déjà été rendu et nous avons été condamnés à la damnation ; soit nous n’avons pas été jugés et ne pourrons jamais l’être, parce que nous ne sommes plus humains et que ce qui n’est pas humain ne peut prétendre avoir une âme ou se soumettre au jugement de dieu. L’immortalité et l’incapacité à évoluer, nous font échapper au sens de la vie et rendent notre existence aberrante !

-Et pourtant, tu ressens le besoin d’argumenter avec moi pour faire valoir ton point de vue ou que je puisse le récuser. À quoi servent ces discussions Edward ? À me faire admettre que nous n’avons pas d’âme ou, au contraire, à ce que je trouve enfin un argument qui te prouve que tu en as une ? Si les vampires sont des prédateurs sans autre but dans l’existence que de se nourrir, quel intérêt à nos débats ? Quel intérêt à respecter les vies humaines et à boire le sang des animaux ? À quoi sert pour des monstres de philosopher et de se poser des questions de moralité ? Je crois, que toute personne consciente du poids de ses actions et essayant d’agir pour faire le Bien, a une âme. Notre capacité à combattre nos instincts de prédateurs pour essayer de faire ce qui est juste est pour moi ce qui signe la persistance de notre âme. La capacité à ressentir des émotions telles que la joie, la tristesse, la peur est ce qui fait que nous sommes encore, selon moi, substantiellement humains et pouvons encore évoluer mentalement, si ce n’est physiquement. »

Ils étaient très beaux et pâles, eux aussi, trop pour être humains, mais ils n’avaient pas les yeux rouges. Leurs yeux avaient la même couleur or chaud que ceux de son inconnu lors de sa première vision. Des vampires avaient-ils dit. Des créatures de vieilles légendes et contes pour enfants. Il semblait à Alice que les vampires n’étaient pas supposés exister mais après tout les monstres non plus et elle en était visiblement un. Faisaient-ils tous partie de la même espèce ? Était-elle un vampire ? Le dénommé Carlisle avait dit qu’ils se nourrissaient de sang animal, qu’ils respectaient la vie humaine et que c’est ce qui faisait qu’ils n’étaient pas des monstres sans âme. Était-ce ça la solution ? Était-ce ce qu’elle était supposé faire ?

Alice s’était empressée de chercher un animal, elle avait attrapé un lapin blanc [5] et l’avait vidé de son sang. Affreux. Terreux. Il n’y avait même pas de quoi faire deux gorgées et elle regardait maintenant le petit corps poilu et brisé entre ses mains d’un air hébété. Peut-être un animal plus gros ? Elle avait trouvé un coyote et s’était jetée sur lui, l’animal avait résisté mais les instincts d’Alice l’avaient portée et elle était parvenu à le tuer aussi facilement que tous les humains malchanceux ayant croisé son chemin les dernières semaines : le sang n’était pas bon. Le goût était âcre et elle n’éprouvait pas la sensation d’extase et de chaleur qui l’envahissait lorsque les premières gorgées de sang humain passaient la barrière de ses lèvres. Et pourtant… la sensation de brûlure dans sa gorge avait presque disparu et elle ne ressentait pas la honte et le dégoût d’elle-même qu’elle éprouvait habituellement après s’être nourrie. Ça fonctionnait, boire du sang animal n’était pas tout à fait satisfaisant, mais ça étanchait la soif. Elle n’était pas forcée d’être un monstre. Et le bel homme triste de ses visions non plus : il fallait qu’elle le trouve et lui dise.

La réalisation lui donnait envie de danser de joie et de chanter. Et elle le fit, seule sous les étoiles, s’accrochant aux bribes d’un futur qui lui appartiendrait.

Les mois passèrent mais malgré tous ses efforts les visions ne venaient pas de manière aussi régulière qu’elle l’aurait souhaité et, même si elle arrivait de plus en plus souvent à les provoquer, elles ne lui donnaient pas forcément les informations qu’elle désirait. Elle avait appris le nom de l’homme… Jasper Whitlock. Jasper. C’était un beau prénom. Il y avait une femme magnifique qui revenait de manière récurrente dans ses visions de Jasper, elle était petite et svelte mais avait elle avait une férocité dans le regard et une aura d’autorité telle qu’Alice n’en avait jamais vue : elle s’appelait Maria. Elle semblait être la véritable chef de la sorte d’étrange armée de vampires que Jasper commandait. Alice eu plusieurs « extraits » les mettant en scène tous les deux dont elle aurait voulu pouvoir s’échapper en criant ou en pleurant. Elle ne savait même pas ce qui l’avait rendu le plus malade : voir Maria « discipliner » Jasper grièvement blessé parce qu’il avait apparemment commis une erreur sur le champ de bataille ; l’observer lui, agir avec déférence envers elle et se laisser malmener sans broncher ou encore voir Maria se coller à lui et l’embrasser fougueusement. Alice ne comprenait rien à la relation qui unissait ces deux-là [6] mais il était clair pour elle que la cruelle petite femme le traitait comme un esclave bien davantage que comme un amant ou un subordonné. Et ça rendait Alice misérable de voir Jasper tout accepter avec un détachement morne et un regard absent.

Alice avait néanmoins pu obtenir quelques renseignements utiles, elle savait maintenant que Jasper combattait quelque part en Amérique du Sud, sans doute au Mexique. Toutes les conversations dont elle avait été témoin avait lieu dans une langue qu’elle ne connaissait pas ; de l’espagnol devinait-elle. Elle n’avait cependant toujours aucune idée de la ville exacte où il se trouvait ni de comment l’y rejoindre. Elle s’était aventuré à la lisière de la forêt pour savoir où elle se trouvait. Elle était aux abords du Mississippi, dans le comté de Biloxi. Elle ne savait pas à combien exactement le Mexique se situait de la ville mais il lui semblait que c’était une sacrée distance. Trop pour qu’une fille chétive sans argent et habillée d’une robe déchirée, couverte de sang et boue puisse s’y rendre à pied sans éveiller une attention indésirable. D’autant qu’elle ne pourrait voyager que de nuit ou par temps pluvieux puisqu’elle devait se cacher du soleil : elle avait pu avoir un net aperçu d’elle-même dans plusieurs de ses visions et elle savait maintenant que sa peau scintillait autant que celle de Jasper lorsque les rayons solaires l’éclairaient. Et ce n’était pas une bonne chose de rencontrer des humains lorsqu’elle brillait comme si elle était recouverte de poussières d’étoiles.

Alice essayait d’éviter de croiser des humains en se servant de son pouvoir, même si elle n’était toujours pas sûre de la manière dont celui-ci fonctionnait. Elle prenait la décision d’aller dans une direction en faisant le souhait de ne tomber sur personne et elle attendait de voir si un flash lui venait ou non à l’esprit pour savoir si elle faisait la bonne chose. Ce n’était cependant pas infaillible. Elle avait pris la décision ferme de ne plus tuer personne depuis qu’elle avait appris qu’il y avait une autre méthode mais elle venait à l’instant de massacrer deux humains. Un couple assez âgé : ils avaient cru qu’elle était blessée et perdue et avaient tenté de la convaincre de les suivre pour l’amener à l’hôpital. Elle avait essayé d’argumenter qu’elle allait très bien mais ils avaient insisté et le vieil homme l’avait retenue pendant que la femme disait quelque chose à propos du fait qu’elle se soit peut-être échappé de l’asile situé à quelques kilomètres. Quelque chose avait claqué en elle et elle les avait abattus brutalement avant de pouvoir y accorder une seconde pensée. Jamais depuis son réveil, elle n’avait éprouvé de tels remords et un désespoir si intense : tuer quand elle croyait ne pas avoir le choix et obéissait à ses instincts était une chose mais le faire maintenant juste par colère et par rage, c'était… c’était le signe qu’elle était mauvaise et choisissait sciemment d’être un monstre.

Elle ne savait même pas exactement ce qui avait déclenché sa colère à ce point. La mention de l’asile lui avait donné la sensation qu’une pierre tombait dans son estomac, puis la sensation angoissante s’était muée en une étrange rage. Les asiles étaient des endroits pour les fous et elle savait qu’elle n’était pas folle. Elle n’était pas folle.

Elle était un monstre mais elle n’était pas folle.

Alice se l’était répété comme un mantra et avait été agité de sanglots secs les heures suivant sa frénésie meurtrière. Elle avait alors constaté que peu importe son degré de tristesse, elle était physiquement incapable de verser de larmes. Comme suite à certaines de ses visions sur Jasper, un liquide étrange lui avait rempli les yeux, les piquants désagréablement mais jamais celui-ci n’avait coulé : un autre signe d’inhumanité ? Elle s’était alors rappelé la conversation des dénommés Edward et Carlisle. Qui étaient-ils ? Celui appelé Carlisle avait l’air d’en savoir beaucoup sur les vampires et ce qu’il restait ou non de leur humanité… peut-être devrait-elle essayer de concentrer ses prémonitions sur lui et qu’il pourrait lui apprendre plus sur la marche à suivre pour être un « gentil vampire ».

Presque instantanément après avoir eu cette pensée, une nouvelle vision de Carlisle était apparue à Alice : il avait le visage triste et quelques traces orangées tranchaient dans son regard doré. Il était assis au chevet d’une très belle femme aux longs cheveux châtains bouclés. Elle était recroquevillée sur un lit, elle avait un visage doux mais des yeux rouge vif et elle tremblait violemment. Tout le cadre du lit s’agitant sous la force des spasmes qui la secouaient alors qu’elle suppliait Carlisle avec l’énergie du désespoir. Elle le suppliait avec l’expression ravagée de quelqu’un qui sait déjà qu’il ne pourra pas obtenir ce qu’il désire le plus au monde.

« C’est impossible, je suis vraiment désolé, Mlle Platt.

-Pourquoi Dr Cullen ? Vous avez dit m’avoir transformée pour me ramener à la vie, je vous suis très reconnaissante mais je veux mon fils. Je vous en supplie, ramenez-le à la vie aussi. Je n’ai pas beaucoup d’argent mais je vous donnerai tout ce que j’ai. Je...

-Mlle Platt… Esmée, les morts ne peuvent pas revenir à la vie. Votre fils est mort depuis près d’une semaine ; Pour transformer quelqu’un en vampire, il faut que son cœur batte encore. Et, je suis réellement navré, mais même si son cœur avait battu, je n’aurais rien pu faire. On ne peut pas transformer un enfant en vampire. »

La vision s’était arrêtée subitement, laissant Alice plus perplexe que jamais. La femme bouleversée, Mlle Platt, Esmée, avait appelé Carlisle le Dr Cullen… si elle avait bel et bien eu raison sur sa première vision de Jasper, son nom de famille était Cullen. Elle et Carlisle étaient-ils apparentés ? Était-il de sa famille ? S’il était vraiment de sa famille, elle devait vite le rejoindre. Peut-être pourrait-il lui dire qui elle était et l’aider à trouver Jasper.

Dès qu’elle eut pris la décision de chercher à savoir si le Docteur Carlisle Cullen faisait partie de sa famille et pouvait l’aider à se rappeler qui elle était, un autre flash apparu.

Extrêmement flou comme si elle le voyait à travers un épais brouillard. Elle était en train de parler à Carlisle, Jasper était debout à côté d’elle. Il ne souriait pas mais ses yeux étaient de nouveau dorés, il était terriblement grand -à moins que ce soit elle qui soit minuscule – et leurs doigts étaient entrelacés. À quelques pas de Carlisle, il y avait Esmée Platt, Edward, un homme immense, encore plus grand que Jasper et deux fois plus massif, et une grande fille blonde à la beauté époustouflante et à l’expression pincée. Ils avaient tous les yeux couleur or. Alice aussi.

« Je savais que je devrais l’attendre dans un restaurant de Philadelphie un soir de tempête puis que nous devrions vous chercher ensemble pour vous rencontrer au Minnesota en 1950. J’ai ces visions depuis 1920 mais c’est seulement en 1948 que j’ai pu rencontrer Jasper… »

C’était sa propre voix qu’Alice entendait mais celle-ci semblait faible, comme résonnant au fond d’un tunnel. Elle essaya désespérément de s’accrocher à sa vision, voulant en apprendre plus mais celle-ci s’évanouit aussi brutalement qu’elle était venue.

Philadelphie un soir de tempête… 1948

Le Minnesota en 1950…

Alice avait cligné des yeux en reprenant ses esprits. Elle était toujours dans la forêt, seule, face aux trous qu’elle avait creusés dans le sol pour enterrer ses deux dernières victimes. Elle avait toujours plus de questions que de réponses mais avait maintenant la confirmation qu’elle allait réussir à rejoindre Jasper dans le futur, puis qu'ils allaient trouver ensemble Carlisle Cullen et les autres beaux vampires aux yeux dorés l’accompagnant. Elle ne savait toujours pas qui elle était et n’était pas certaine de ce que cet avenir signifiait mais elle savait qu’elle le voulait plus que tout au monde.

Restait que 1948 c’était loin. Elle n’avait aucune envie d’attendre durant si longtemps. Elle pensait s’être réveillée il y a moins d’un an et déjà, elle se sentait horriblement seule à tourner en rond dans cette forêt sans pouvoir se risquer à un contact qui ne se termine en meurtre… elle ne pouvait pas attendre presque trente ans pour rencontrer Jasper ou trouver Carlisle Cullen et les autres. Elle avait essayé de forcer d’autres visions, prenant la décision de ne plus se soucier du soleil ou de son apparence et d’aller directement en direction du Mexique pour y chercher Jasper ou au Minnesota pour essayer d’y trouver le Dr Cullen. Les flashs s’enchaînèrent, flous mais terrifiants, tous ayant une issue tragique.

Alice pu se voir mourir ou être emprisonnée en chemin vers Mexique d’une dizaine de manières différentes sans pouvoir même approcher de l’endroit où se trouvait Jasper : déchirée en morceaux ou brûlée vive par des inconnus aux yeux rouges. Dans certaines visions elle se voyait massacrer des dizaines d’humains dans des lieux bondés ou les voyait s’enfuir devant son apparence étrange et scintillante alors qu’elle tentait de leur expliquer qu’elle ne leur voulait pas de mal… puis elle voyait des vampires avec de longues capes grises arriver, la mettre à genoux et la décapiter, alors qu’elle tentait de s’échapper. Elle pu voir un autre vampire aux traits grossiers et au sourire cruel l’attraper par le bras et la secouer en riant et chantonnant « Comme on se retrouve Mary Alice » [7].

Cette dernière vision la fit trembler, une étrange sensation de malaise se logeant quelque part au fond de ses entrailles. Quant au Minnesota, c'était comme s’il n’y avait rien là-bas. Peu importe à quel point, elle se concentrait, elle ne voyait que du vide. Le néant. Bien. Elle n’irait pas au Minnesota toute seule et n’approcherait, quoi qu’il advienne jamais du Mexique. Jamais. Un restaurant à Philadelphie en 1948 par un soir de tempête. Elle attendrait. Un nouveau flash accueillit sa décision.

Jasper était assis à la table d’un restaurant, le dos droit. Figé dans une posture incroyablement rigide et inhumaine, ses longs cheveux miel trempés, si humides qu’ils avaient pris une teinte sombre. Ses yeux présentaient un bord écarlate mais étaient étonnement noirs eux aussi. Il était affamé. Elle vit son double sauter d’un tabouret et s’approcher de lui d’un pas sautillant, lui souriant tandis qu’il dardait sur elle un regard plein de méfiance.

« Vous êtes en retard. Vous m’avez fait attendre !

Il fixa la Alice de la vision d’un air froid et soupçonneux quelques instants mais sembla brusquement se détendre, comme contaminé par sa bonne humeur. Il inclina poliment la tête, un vague sourire incrédule, jouant sur ses lèvres. Sa voix douce et son accent traînant résonnèrent de manière lointaine, les bruits de l’averse et des bourrasques la couvrant.

-Mes excuses, Madame. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait un endroit où j’étais attendu. [8] »

Oui. Définitivement, Philadelphie en 1948. Ça vaudrait la peine d’attendre.

Alors, Alice était restée seule très longtemps jusqu’à contrôler sa soif de sang puis s’était laissé guider par son don pour faire des incursions dans le monde des humains et se rapprocher de la Pennsylvanie. Voyageant à travers tout le Nord Est des États-Unis et traversant l’Alabama, la Caroline, la Virginie, puis atteignant finalement Philadelphie en 1930, traînant dans les alentours, se sachant très en avance.

Alice avait continué à jeter des coups d’œil à l’avenir de Jasper et à celui des Cullen, assistant à des bribes de leurs vies alors qu’elle n’aurait pas dû y être autorisée.

Elle avait pu voir le visage illuminé de joie d’Esmée pendant que Carlisle la demandait en mariage ; le déménagement dans le Winconsin et la chasse aux Wapitis ; la « fugue » d’Edward et son Odyssée sanglante quand il avait décidé d’embrasser ses instincts de prédateurs pour jouer les justiciers ; la dévastation de Carlisle et la tristesse d’Esmée ; le retour d’Edward, ses yeux dorés portant encore des éclats rougeâtres, rempli de honte alors qu’Esmée et Carlisle le serraient dans leurs bras ; la composition de diverses sonates et les confessions sur les trois années d’absence ; la nuit d’atrocités ayant conduit à la transformation de Rosalie Hale ; Rosalie portant un Emmett encore humain et quasiment éventré à Carlisle et le suppliant de le sauver ; Emmett adressant un sourire extatique à sa future femme dont les yeux brillaient, pour la première fois depuis sa transformation en vampire, de joie ; la transformation de Peter et l’étrange développement de son amitié avec Jasper ; l’éveil de Charlotte ; les voyages de Rosalie et Emmett à travers le monde durant leur longue lune de miel imposée ; Charlotte qui arrivait à sa date « d’expiration », la violente dispute avec Peter et la série d’événements qui suivirent l’acte de compassion de Jasper ; la visite en Alaska chez les amis végétariens de Carlisle; Edward qui observait Carlisle et Emmett faire valser leurs compagnes, avec un sourire un peu triste ; Edward et Rosalie qui se lançaient de nouveau dans des études universitaires alors qu’Emmett entreprenait pour la première fois de les suivre ; Maria qui changeait d’avis toutes les semaines, reportant sans arrêt sa décision de mettre fin à l’existence de son commandant en second ; le retour fugitif de Peter à Monterrey et la désertion de Jasper…

Autant d’instants essentiels que la voyante avait captés comme une simple spectatrice. Brûlant d’amour et tremblant de terreur pour ces inconnus. Impuissante à leur venir en aide d’une quelconque manière tandis que les visions de leur avenir se succédaient, lui dévoilant quelques moments de bonheur, mais aussi le pire de leurs drames. Et Alice avait l’impression de tous les connaître depuis toujours mais avait peur, malgré toutes ses affirmations, de ce qu’allait donner la rencontre réelle. Elle avait maintenant assez de pratique sur son don pour savoir que le futur était toujours incertain et que la moindre décision prise au mauvais moment pouvait tout modifier.

Lorsqu’elle avait enfin rencontré Jasper après toutes ces années de solitude et qu’il avait fait le choix de rester avec elle, plutôt que de la fuir, elle avait eu la sensation que son cœur aurait pu recommencer à battre. Il était tout ce qu’elle avait attendu depuis son éveil, tout ce qu’elle avait espéré. Et il était bien plus que ce que ses visions lui avaient laissé entrevoir.

Maintenant qu’ils avaient trouvé les Cullen, Alice savait qu’ils étaient exactement là où ils devaient être. Chez eux. Tout se mettait en place.

La voyante n’aurait pu être plus heureuse que coincée entre Rosalie et Esmée en route pour un nouveau magasin dans la poursuite de leur après-midi shopping. Elle n’aurait pas pu être plus heureuse… jusqu’à ce qu’elle soit assaillie par une vision de Jasper et d’Emmett au centre de la forêt entrain de se battre violemment dans ce qui semblait être un combat à mort.

Elle ne l’avait pas vu arriver.

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Notes de fin :

*Le titre est un mix entre « A la recherche du temps perdu » de Proust et une référence au « lapin blanc » d’Alice aux pays des merveilles.

Il y a beaucoup de fics qui mettent en avant que Jasper n’est pas sincère dans son adhésion au régime végétarien et se sacrifie par amour pour Alice en restant chez les Cullen alors qu’il a du mal à s’abstenir de consommer du sang humain. Je n’ai jamais compris cette perspective. Si on écarte l’argument moral, de par son empathie, Jasper est le seul vampire de la saga à avoir une véritable motivation interne à se conformer au régime de Carlisle, peu importe la difficulté de la manœuvre. Pour moi, ce serait donc plutôt l’hypothèse inverse sur qui a « besoin » d’être membre de la famille Cullen, Alice n’en aurait pas réellement besoin, si ce n’est pour Jasper : elle a réussi à devenir végétarienne de son propre chef en se laissant guider par ses visions de Carlisle (et s’est abstenue dès les années 20 de consommer du sang humain). Alice dit à Bella dans Tentation « Ma première vision était le visage de Jasper prononçant mon nom; j’ai toujours su que peu importe où me mènerait ma vie, il serait là. », j’émets l’hypothèse que le nom que prononçait Jasper dans cette première vision n’était pas « Alice » mais « Alice Cullen » et que c’est parce qu’elle cherche à concrétiser ce futur qu’elle finit par tomber sur Carlisle et les autres en fouillant dans son avenir. L’avenir que voit Alice se base en principe sur les décisions : à son réveil, je pense qu’elle est perdue et veut trouver quelqu'un pour ne pas être seule… Le destin ayant une forte emprise dans la saga Twilight et les compagnons des vampires étant considérés comme des sortes « d’âmes sœurs romantiques », pouf, ça fait apparaître Jasper avec les yeux dorés (sans doute parce que la seule modalité du futur dans laquelle il pourrait être « heureux » avec elle, est un avenir où il ne s’alimente pas d’humains). Les visions suivantes découleraient directement des décisions qu’elle prend pour essayer de provoquer « ce futur » précis. Après, c’est l’histoire de l’œuf ou la poule : dur de savoir l’élément du destin qui frappe en premier ; est-ce que Alice voit Jasper l’appelant « Cullen » parce qu’elle était destinée à rejoindre la famille Cullen (indépendamment de la présence de Jasper) ou est-ce qu’elle le voit l’appeler comme ça parce que c’est la seule chose qui puisse provoquer leur « destin heureux » en commun ?

[1] Comme d’habitude Alice a deux temps d’avance sur les autres, la phrase « Advienne que pourra » est celle qui clôturera le chapitre 9.

[2] Les mots ne sont pas choisis de manière innocente. Petit rappel sur la vie humaine –et oubliée – d’Alice : Mary-Alice Brandon venait d’une famille aisée du Mississippi, son père était un joaillier et sa mère était l’héritière d’une famille possédant une petite culture de tabac, elle avait des visions du futur depuis son enfance et était considérée comme folle par une partie de sa famille (le reste la considérait comme une sorcière). Son père assassine sa mère quand Alice a dix-huit ans (Alice a essayé sans succès d’empêcher le meurtre en prévenant sa mère de « sa vision ») en la percutant avec une voiture, de manière à pouvoir de remarier avec sa maîtresse. Alice est ensuite enfermée dans un asile de Biloxi jusqu’à sa mort en tant qu’humaine et y est soumise à une sorte de thérapie par électrochocs (en 1920 les électrochocs n’étaient pas encore brevetés donc on va présumer qu’elle a reçu une variante vintage) ce qui altère complètement sa mémoire.

[3] Pour une incurable romantique comme moi, l’histoire de la rencontre entre Alice et Jasper est on ne peut plus inspirante. Le fait que ce soit Jasper qui lui ait donné son nom au travers d’une vision alors qu’Alice était « tabula rasa » et ne savait plus rien de son passé est un élément que je trouve plutôt brillant.

[4] Petite référence à mon fil conducteur autour de Camus : Camus appelait Maria Casares l’Unique femme.

[5] Vu sa taille et sans indication sur ce dont elle était supposée s’alimenter, je trouvais amusant de faire que le premier animal dont Alice consomme le sang soit un lapin et « le lapin blanc » de Lewis Carol étant « toujours en retard » je trouvais sympa de faire une analogie avec son interminable attente de Jasper. Sacré lapin blanc… Ahem xD

[6] Je reviendrai plus tard sur cette relation éminemment tortueuse/toxique.

[7] Il s’agit d’une référence à James, le méchant nomade du tome 1 de Twilight qui connaissait Alice de son temps en tant qu’humaine et voulait son sang mais s’est fait griller la priorité par un autre vampire qui a transformé Alice juste avant que James puisse la mordre.

[8] « You kept me waiting long enough.» et «My apologies, ma'am.» sont les premiers mots échangés par Alice et Jasper dans la saga.