En attendant la pluie
Chapitre 3 : Voyage au bout du jour - P1
5306 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 24/03/2024 12:00
Disclaimer : Twilight appartient à Stephanie Meyer, je ne fais que m’amuser avec ses personnages.
Bêta : KillerNinjaPanda que je remercie pour sa relecture attentive !
Avant-propos : rappel du contexte historique de la guerre de Sécession ; mention de perspectives racistes passées et adhésion à la pratique de l’esclavage évoquée.
Étant française, je ne sais pas à quel point la guerre Civile a laissé des traces aux USA et peut-être qu’il y a un non-dit généralisé dans certains états du Sud dont je n’ai pas connaissance mais ça me semble tout de même curieux qu’on puisse présenter le personnage de Jasper comme un ancien soldat confédéré ayant fait la guerre de Sécession sans qu’il y ait la moindre trace de jugement critique sur son rôle et son implication durant la période. Dans Twilight, c’est vraiment fait à l’arrache sur le mode « Il était jeune et courageux, il s’est engagé avant d’être majeur et a directement été promu Major parce qu’il était ultra charismatique. Il a été héroïque et a sauvé beaucoup de civils avant d’être mordu par un vampire. Fin. ». Pourquoi pas, mais ça reste un peu facile comme résumé des événements et, si je ne demande pas un pamphlet sur le possible racisme de personnes ayant vécu à une époque complètement différente, quand on décide, comme Stéphanie Meyer, de mettre en scène un « gentil » soldat confédéré, il y a tout de même un parti pris qu’il faut assumer et -il me semble- qu’il faut tout de même essayer de traiter un peu la question du racisme et se pencher sur la réalité du contexte historique dont viennent les personnages mis en lumière.. Ne serait-ce que pour dire que ce n’était pas un sujet pertinent/majeur pour la plupart des protagonistes blancs d’une époque. Ça me paraît douteux de balayer sous le tapis tous les aspects potentiellement licencieux du passé d’un confédéré ayant survécu à la guerre Civile.
Il paraît logique que Jasper, qui est empathique et a eu près de quatre-vingt-dix ans pour réfléchir à ses actions et ses motivations, ait quelque chose de plus critique et pertinent à dire sur sa propre histoire que « J’étais un brave soldat. La Confédération, c’était le bon temps » ... d’autant qu’il est à plusieurs reprises précisé dans les bouquins que Jasper est passionné par l’histoire et la philosophie. Bref, je ne suis pas une spécialiste de l’histoire américaine et, avant d’écrire cette fic, je n’avais pas lu grand-chose sur la guerre de Sécession, donc ma perspective est évidemment limitée et tombe peut-être à côté de la plaque. Il me semble qu’on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion (même vague) sur le racisme et l’esclavage si on fait une fic évoquant le passé humain de Jasper. C’est donc ce que j’ai essayé de faire et j’espère ne pas m’y être trop mal pris, vu que c’est tout de même un sujet bien casse-gueule ^^’
J’espère que vous apprécierez ce chapitre, bonne lecture ! ;)
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« Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené. »*
Combat – Albert Camus.
J’ai tué 29 173 personnes.
Jasper envoya la plus grande vague de calme qu’il pouvait convoquer… ce qui n’était pas beaucoup vu son état émotionnel précaire.
Il devait admettre que les Cullen avaient un sacré sang-froid : bien qu’il puisse sentir la terreur, la colère, la tristesse et le choc colorer leurs émotions, aucun n’avait eu un réel mouvement de recul ni ne s’était véritablement mis à grogner ou n’avait amorcé de mouvement d’attaque lors de son entrée en matière abrupte. Esmée avait émis un étrange son entre le cri et le sanglot étouffé, Emmett l’avait dévisagé avec suspicion, comme s’il essayait de déterminer s’il venait ou non de faire une plaisanterie particulièrement sordide, Edward et Rosalie avaient tressailli, se tendant à l’extrême, comme s’ils allaient bondir pour attaquer, mais étaient finalement restés parfaitement immobiles. Carlisle, lui n’avait même pas bronché. Jasper était sincèrement impressionné par l’homme qui, alors que ses émotions étaient un chaos absolu, parvenait à afficher un air impassible.
Il aurait sans doute pu démarrer plus doucement ses explications mais il n’était pas du genre à édulcorer les choses. Et avec l’exigence d’Alice qu’il soit honnête, il n’y avait aucune bonne manière de commencer son récit. Leur livrer son « palmarès » d’atrocités lui semblait inévitable s’il devait dire la vérité. Alors autant débuter par ça. L’avantage était que rien de ce qu’il pourrait dire par la suite ne pourrait sonner bien pire. Quoi que… ça semblait être un vœu pieu au regard de l’énormité de ce qu’il avait à confesser. Ça tiendrait du miracle si les Cullen réfléchissaient vraiment à les accueillir chez eux, une fois son récit terminé.
-Je suis né dans un bourg à côté de Houston au Texas en 1844. Ma mère est morte du choléra quand j’avais sept ans, mon père était instituteur dans le bayou de White Oak* et il avait hérité d’un petit lopin cultivable à la mort de mon grand-oncle. Nos finances étaient plutôt chiches mais le métier d’enseignant de mon père et les quelques légumes qu’il parvenait à faire pousser et à récolter suffisaient à notre subsistance et à celle de ma sœur cadette, née quelques mois avant le décès de ma mère. Nous possédions un vieux cheval de labour que mon père avait conservé de l’époque où il avait servi durant la révolution Texane, j’avais très jeune appris à le monter et était un bon cavalier. Mon père s’était bien sûr assuré que j’ai une instruction correcte, et bien qu’ayant arrêté l’école à treize ans pour aller participer aux chantiers de construction de chemins de fer et pouvoir dégager des revenus supplémentaires pour ma famille, j’étais lettré et avait eu accès – contrairement à la majorité de mes amis, fils d’agriculteurs – à de nombreux ouvrages traitant d’histoire, de littérature ou de politique, ce qui me donnait assez de connaissances sur divers sujets pour donner le change et argumenter avec des gens issus de la classe supérieure. Lorsque le Texas est entré en sécession en février 61, je n’étais plus loin de la majorité, ma sœur venait de décéder dans des circonstances pénibles… mon père était en deuil et la conscription pas encore en vigueur, ce qui était plutôt heureux considérant son opinion sur ce conflit.
Jasper pouvait se rappeler avec une netteté affolante, quatre-vingt-neuf ans après, le regard dur et hanté de son père, embrumé par l’alcool et le chagrin alors qu’il annonçait son départ. La blague à tabac qu’il lui avait jeté comme une sorte d’étrange cadeau d’adieu et les mots qu’il lui avait lancés d’un ton las au moment où il franchissait le pas de la porte.
Ne prétends surtout pas que tu pars combattre pour protéger tes valeurs, pour ta gloire personnelle ou pour l’honneur du Sud. Tu pars pour fuir cette maison et ne pas avoir à te souvenir d’elle.
Alors qu’il peinait à se rappeler la plupart des événements de son existence humaine et que la majorité de ses souvenirs d’enfance était recouverte d’un épais voile, le visage de sa sœur le jour de sa mort et sa dernière conversation avec son père semblaient gravés dans sa mémoire de manière indélébile. Les mots le poursuivaient aujourd’hui encore comme une malédiction.
-Mon père était un homme cultivé, assez progressiste pour l’époque et la région, bien avant l’élection de Lincoln, il s’était ouvertement déclaré en faveur de l’abolition. Par temps de paix, ce type d’opinion était toléré dans les discussions de salon comme une simple faiblesse de caractère ou une bizarrerie d’intellectuel. Lorsque les États du Sud se sont peu à peu déclarés en sécession, la donne a changé, le souvenir de ses réticences passées à propos de l’esclavage et son manque d’engagement franc en faveur de la confédération ont attiré sur lui l’ire d’une partie du voisinage ; j’ai senti que je devais essayer de redorer le blason familial ne serait-ce que pour le protéger d’éventuelles représailles et j’ai annoncé à qui voulait l’entendre ma ferme intention de m’engager dans la défense de mon pays avant même d’avoir atteint l’âge légal. La vérité est que la mort de ma sœur avait laissé un grand vide et que plus rien ne me retenait à White Oak. Mes opinions sur la justesse de la guerre étaient, qui plus est, bien différentes de celles de mon père. Je ne me souciais pas réellement de la question de l’esclavage : nous étions plutôt pauvres comme je le disais plus tôt et nous n’avions jamais eu de serviteurs mais, même si je n’étais pas particulièrement à l’aise avec l’idée que des hommes en possèdent d’autres, je n’étais pas pour autant opposé au maintien du système de servage. Je pensais que l’économie du Sud reposait trop sur l’exploitation des esclaves pour que l’abolition à un niveau fédéral signe autre chose que son déclin et ne mène à la détérioration de nos conditions de vie. Je considérais les noirs comme des êtres inférieurs et, si je ne me réjouissais pas de leurs souffrances, elles m’indifféraient. Je pensais que la fin justifiait les moyens et j’étais parfaitement prêt à prendre les armes pour maintenir le statu quo et protéger ma patrie. Je ne suis pas fier de mes opinions de l’époque mais je suppose que j’étais un homme de mon temps*.
Alors qu’il évoquait ses convictions passées, Jasper s’était machinalement levé du canapé, comme pour mettre de la distance entre lui et Alice. En vérité, autant d’années après, il ne se souvenait plus exactement quelles étaient ses motivations, même si ses justifications à posteriori lui paraissaient crédibles. Tout semblait embrumé et lointain. Il se souvenait d’un amoncellement d’éléments biographiques mais les sensations et pensées associées étaient perdues depuis longtemps, comme noyées sous une purée de pois. C’était comme un vieillard relatant des souvenirs d’enfance avec foule de détails : il avait à moitié l’impression de raconter l’histoire de quelqu’un d’autre qu’il aurait apprise par cœur. Il ne se souvenait plus pourquoi avec certitude mais il se rappelait avoir été sincèrement séduit par l’idéal de la Confédération et avoir été méprisant et indifférent au sort de ses contemporains qu’il jugeait inférieurs. Même de son temps en tant qu’humain, il n’avait pas été quelqu’un de bien. Il arpentait maintenant la pièce d’un air raide, continuant à parler, les yeux perdus dans le vide.
-Je me suis engagé dans l’armée confédérée le jour de mes dix-sept ans. J’avais un certain bagou, j’étais très grand, je savais monter à cheval et paraissais plus vieux que mon âge, les recruteurs ont facilement fermé les yeux sur mon absence de convocation, et m’ont directement intégré au troisième bataillon de la cavalerie. Dès les premières tâches attribuées, j’ai pu me distinguer de par mes talents en équitation et mes notions de stratégie : la confédération en était à ses débuts, elle peinait à se structurer. La plupart de mes camarades venaient comme moi de milieux modestes et très peu avaient reçu une éducation suffisante pour comprendre un plan de bataille et organiser un ravitaillement ou une évacuation de civils. J’ai été repéré par un colonel de passage alors que j’essayais de convaincre mon supérieur de modifier légèrement sa tactique pour adopter un autre angle d’attaque, il m’a ensuite vu combattre et a été impressionné par mon courage. Il m’a directement promu au rang de Major alors que je n’avais pas encore dix-huit ans. Considérant le fait que mes actions me font tomber du mauvais côté de l’histoire, il est assez déplacé de me réjouir de ce fait mais j’ai sans doute été le plus jeune Major de toute l’histoire des États-Unis. J’ai durant cette période, en tant que soldat, pu sauver de nombreuses vies, notamment celles de civils mais j’ai également commis des exactions, cautionné des choses inexcusables et ai, bien entendu, tué de nombreux soldats de l’Union…
Jasper se sentit frappé par une vague d’hostilité, il s’arrêta un instant, instantanément sur le qui-vive. Il releva les yeux vers Rosalie, surpris par le foudroyant éclair de rage qui venait de poindre dans ses émotions. Ses yeux étaient glacés mais son expression était étrangement neutre alors qu’il pouvait pourtant sentir bouillonner en elle une haine viscérale. Sur ses gardes, il décida néanmoins qu’il analyserait sa réaction plus tard, voulant poursuivre son récit au plus vite maintenant qu’il en arrivait à la partie sur sa longue participation aux guerres vampiriques.
-Un soir de l'été 63, alors que j'étais stationné en garnison à Galveston, que nous avions libérée de l’occupation des hommes de l’Union quelques mois plus tôt, un groupe de trois jeunes femmes m’a approché. Elles étaient seules en plein milieu de la nuit et étaient d’une beauté à couper le souffle. J’ai pensé qu’elles avaient perdu un cortège de citoyens se rendant à Houston. Je voulais leur proposer de les accompagner jusqu’à l’unité gérant l’acheminement des civils… elles ont démarré une discussion à laquelle je ne comprenais pas grand-chose et où elles semblaient s’amuser à mes dépens. Mon instinct me disait de me méfier d’elles mais je l’ai ignoré, ma galanterie me poussant à refuser de considérer ces jolies demoiselles comme une menace avant qu’il ne soit trop tard. Pas que ça aurait aidé si je m’étais enfui. La plus jeune et plus frêle du groupe, qui s’est avéré en être le leader, m’a abordé en me disant qu’elle s’appelait Maria, elle a dit qu’elle espérait que je survivrai, qu’elle trouvait quelque chose de « captivant » chez moi et qu’elle avait besoin d’un grand et talentueux officier pour l’aider à mener « sa guerre ». Puis elle m’a mordu. Pendant les trois jours de transformation qui ont suivi, j’ai cru être tombé en enfer et avoir été dévoré par les flammes… une part de moi pensait que c’était un châtiment pour mes fautes en tant qu’homme. Quand je me suis réveillé, Maria était là, elle m’a expliqué ce qu’elle m’avait fait et le nouveau monde qu’elle m’avait offert : elle m’a « nourri», ce qui s’est avéré pour moi être une expérience étrange et douloureuse mais je reviendrai sur ce point plus tard...
Jasper ne savait toujours pas comment aborder la question de son pouvoir empathique sans s’aliéner définitivement la paisible famille Cullen.
-Maria m’a raconté son histoire. Elle était mexicaine et avait été transformée avec ses parents biologiques en 1816, en plein milieu de la guerre d’indépendance, par un vampire s’étant présenté comme son compagnon. Ensemble, ils ont formé le clan de Monterrey durant quelques années, affrontant parfois d’autres vampires pour maintenir le contrôle d’une petite zone au Nord du Mexique, ils n’étaient que quatre et avaient voulu s’installer sur un territoire trop convoité. Lorsque Benito a créé la première armée connue de nouveau-nés en 1820 et s’est lancé sur sa conquête du Sud, d’autres clans ont reproduit sa technique à une moindre échelle et le clan de Monterrey fut balayé une nuit par un couple de vampires âgés accompagné de seulement trois nouveau-nés. C’était en 1821, Maria fut la seule survivante et elle resta un moment seule, folle de chagrin, à peaufiner des projets de vengeance, n’ayant plus de raison d’être à son existence immortelle et voulant récupérer le territoire qui avait été arraché à sa famille. Lors de la purge effectuée en 1830 par Caius et l’armée des Volturi, elle était une nomade solitaire et elle a été laissée en vie…
Jasper souffla et arrêta de déambuler, essayant de se focaliser pour retrouver un peu de sa contenance et envoyer une petite vague de calme aux Cullen avant d’entamer une part plus dérangeante de son récit. Il sentait son auditoire captivé, même si la haine de Rosalie continuait à le transpercer et que les émotions d’Edward étaient tumultueuses depuis qu’il avait commencé son histoire. Jasper se demandait quelles images mentales il invoquait pour le télépathe depuis qu’il avait pris parole. S’il pouvait, en réfléchissant, brouiller ses pensées et les rendre incompréhensibles pour un tiers en mélangeant quelques mots d’espagnol avec du code Navajo, parler de ses souvenirs rendait impossible la manœuvre et il avait peur de ce qu’Edward pouvait maintenant apercevoir dans son esprit.
-Je ne sais pas quelles sont les informations dont vous disposez sur les guerres du Sud et sur les armées de nouveau-nés mais la chose à retenir est que les vampires s’étant installés au Sud de la frontière texane ont choisis de faire fi du respect de la règle de non exposition édictée en l’an 623 par les Volturi après qu’ils aient réduit en cendres le clan égyptien. L’Amérique du Sud est un territoire immense, sauvage, majoritairement peuplé par une population pauvre et superstitieuse ; il est simple pour un nomade ou pour un petit clan de s’établir quelques mois dans un village isolé et d’y faire régner la terreur en pleine lumière en utilisant les humains y résidant comme du bétail. Les vampires ayant décidé d’embrasser ce mode de vie sont vite entrés en conflit les uns avec les autres, ayant peur que la présence trop massive d’immortels sur cette partie du continent américain n’entraîne un important gaspillage de vies humaines et n’attire, finalement, une attention négative des Volturi. Absurdité de la chose* : Benito a originellement créé une armée de vampires pour tuer ses concurrents et ne pas capter l’attention ou avoir à partager ses « vivres » ; les autres clans ont eu peur d’être envahis et détruits et ont à leur tour fabriqué leurs propres nouveau-nés, ce qui a finalement conduit à une croissance exponentielle du nombre de vampires présents sur le territoire Sud-Américain, à des guerres quotidiennes entre immortels et au massacre de plus de 800 000 humains en moins d’une décennie. Quand nos dirigeants se sont déplacés pour mettre un terme à la plaisanterie, ils ont tué l’ensemble des nouveau-nés présents, ainsi que tous les vampires matures y étant associés. Ça n’a laissé qu’une dizaine de vampires isolés en Amérique du Sud, la plupart étaient issus de clans détruits avant l’arrivée des Volturi et, après quelques années de calme relatif, la soif de sang et le désir de conquête qui les avaient mus durant longtemps les a repris. Certains d’entre eux se sont alliés et ont recommencé à fabriquer des armées de nouveau-nés, de manière plus intelligente et discrète qu’à l’époque de Benito : les armées comportaient rarement plus de dix individus, ils évitaient de massacrer des humains en pleine journée et les combats se déroulaient la nuit.
Jasper se laissa envahir par les vagues de réconfort, de sollicitude et d’amour qu’Alice lui envoyait silencieusement depuis le canapé. Jamais il ne pourrait comprendre pourquoi diable l’univers lui avait fait croiser le chemin de quelqu’un d’aussi bon et pur qu’Alice. Un petit miracle indu. De nouveau il focalisa son attention sur Carlisle, le regardant droit dans les yeux.
-Maria s’était en 58 associée à Nettie et Lucy, des survivantes de clans contrôlant anciennement le Nord du Texas et l’Arkansas. Quand elles m’ont rencontré la nuit de l’évacuation de Galveston, elles avaient monté une petite armée comportant quatre nouveau-nés : tous des hommes ayant une formation militaire. Elles projetaient de reprendre Monterrey au clan d’Antonio, un nomade s’étant créé une garnison de sept soldats. Elles avaient besoin de nouveau-nés supplémentaires mais n’osaient en produire plus ayant déjà des difficultés à gérer le cheptel qu’elles possédaient. A mon réveil, tout fut assez confus durant quelques heures, j’étais effrayé, en colère et assoiffé. Me nourrir avait été douloureux et terrifiant, je pensais alors qu’il s’agissait d’une sorte de contre-coup psychologique et que c’était un restant de mes scrupules moraux d’humain qui m’empêchaient d’apprécier autant le sang que j’aurais dû le faire.
Jasper avait un sourire très froid alors qu’il secouait la tête, une étrange aura de honte et de désespoir semblant émaner de lui.
-Mais j’étais déjà sous le charme de Maria, galvanisé par sa soif de conquête et fasciné par l’immortalité qu’elle m’avait offerte : elle avait un charisme incroyable et elle m’affirmait qu’en tant que créatrice, elle avait droit de vie et mort sur ses créations. Elle m’a annoncé avoir fait de moi une sorte de surhomme, que les vampires étaient des dieux vivants destinés à régner sur terre et qu’elle m’avait choisi pour être à ses côtés et l’aider à reprendre le pays de ses ancêtres, la terre qui lui revenait de droit*. Je lui ai immédiatement prêté allégeance et lui ai promis de combattre sous ses ordres et de l’aider à organiser son armée. Lorsqu’il a été temps de rencontrer mes nouveaux frères d’armes, il y a eu une rixe brève mais brutale au cours de laquelle j’ai éliminé l’ancien favori de Maria et me suis facilement imposé comme le vampire le plus habile au combat du clan. Les autres se sont alors étrangement pliés à ma volonté, acceptant mes ordres sans discuter... après deux semaines de planification et la création de deux soldats supplémentaires pour nous renforcer, nous avons marché sur Monterrey et avons facilement détruit le clan d’Antonio en le prenant par surprise. Cette bataille n’avait occasionné qu’une seule perte dans nos rangs et Maria était extatique de retrouver le fief de sa famille. Une semaine après la bataille de Monterrey, elle créait deux nouveau-nés supplémentaires pour étendre notre influence sur la région et pouvoir, selon elle, contrecarrer d’éventuels belligérants venant de San Antonia ou Monclova. Une semaine plus tard, voyant que je n’avais pas de mal à maintenir l’ordre sur la troupe comportant maintenant sept nouveau-nés, Maria décida de l’ajout de trois vampires de plus, projetant d’éliminer le clan de Monclova. L’attitude soudainement bravache de Maria comme le fait qu’elle me confie autant de responsabilités alors que je venais d’être récemment créé, a rendu Lucy et Nettie nerveuses : elles voulaient ralentir les choses, ayant peur que la situation devienne ingérable et que l’expansion rapide du clan attire une attention indésirable, voire ramène les Volturi dans la région. Leur défiance a rapidement augmenté et deux jours avant la bataille programmée à Monclova elles ont tenté d’assassiner Maria pour prendre la tête du clan. D’une manière ou d’une autre, j’avais « senti » leur trahison arriver et j’ai pu les déjouer juste avant qu’elles ne concrétisent leur projet. Je les ai alors exécutées sur ordre de Maria et nous sommes, comme prévu, partis prendre Monclova. Cela s’est avéré être un nouveau succès. Nous avons enchaîné les batailles et rapidement détruit plusieurs autres clans, prenant le contrôle de toute la partie Nord du Mexique. Les factions de Sinaola et les clans de Mexico et de Veracruz se sont inquiétés de cette montée en puissance et ont créés de nombreux nouveau-nés supplémentaires. Et je ne vous parle que de la situation de la péninsule mexicaine, parce que c’est celle que je connais le mieux ; de ce que j’en ai entendu, la situation était aussi critique pour la majeure partie des pays longeant la cordillère des Andes. Entre 1865 à 1944, les guerres du Sud ont repris d’une manière encore plus impitoyable qu’avant l’intervention des Volturi. La seule chose qui a nous a sauvés d’une nouvelle purge est que les dirigeants de clans se sont cette fois montrés prudents dans les massacres d’humains, couvrant l’explication de la hausse du taux de mortalité dans la région par les effets de la quatrième pandémie de choléra et par la recrudescence des cas de typhus le long des berges du Colorado à la fin du XIXème, puis par le résultat de divers conflits armés occasionnés par le second volet de la révolution mexicaine pendant une dizaine d’années. À ma connaissance, même si les combats se sont un peu calmés par rapport à mon époque, la région est encore aujourd’hui en ébullition et des conflits majeurs entre divers groupuscules se servant de nouveau-nés éclatent plusieurs fois par mois. Il n’y a pas de paix possible pour les vampires créés dans le Sud.
Il arrivait maintenant à la part la plus tendancieuse de son récit, il devait parler de son pouvoir mais ne savait pas comment parler de son don sans alarmer complètement son auditoire et risquer de déclencher un combat. Il se rapprocha de l’arrière du canapé, en faction derrière l’endroit où Alice était toujours paisiblement installée, prêt à bondir s’il fallait la protéger.
Il n’avait aucune envie de se battre. Pas avec ces gens, ni avec qui que ce soit : quatre-vingt-sept ans de batailles et deux années de quiétude avec Alice lui avaient montré que la paix était l’une des seules choses qui vaille la peine d’être préservée dans un monde absurde et plein de cruauté.
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Remarques diverses : Le titre du chapitre est une référence à « Voyage au bout de la Nuit » de Céline.
La citation de Camus en ouverture de chapitre est tirée de l’article qu’il avait écrit pour la revue de la Résistance « Combat », deux jours après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki.
Les motifs annoncés derrière la création des premières armées de nouveau-nés dans Twilight me laissent pantoise… soit il y a un truc qui m’échappe, soit l’idée de base est très bête/absurde ^^’’
Dans cette histoire, j’essaie de faire une étude de personnage sur Jasper. Je ne sais pas si je vise juste mais (sans même se pencher sur les perspectives racialistes sous-tendues par son passé de confédéré), je pense, qu’au regard du contexte historique (révolution texane moins de 30 ans auparavant, positions en faveur de l’indépendantisme étatique, propagande visant à exacerber le sentiment patriotique de l’époque, etc…) il pouvait facilement être séduit par le discours de Maria jouant sur la fibre nationaliste et vouloir l’aider à « reprendre son pays ». De la même manière – et là on entre dans la perspective racialiste – je pense que quelqu’un qui adhère déjà à une idéologie raciste peut être plus facilement sensible à l’argument d’autorité en vertu duquel les vampires sont une race supérieure et que les humains – substantiellement inférieurs – peuvent donc leur servir de bétail/source d’alimentation sans que ça ne pose de dilemme moral. Ceci étant, je ne veux pas entrer dans une vision manichéenne de la guerre Civile, hein. Désolée par avance si je m’y prend mal :p
Je sais qu’il y avait un tas d’autres enjeux (économiques, stratégiques, etc.) à la guerre de Sécession que le racisme et le soutien de l’esclavage n’était qu’un point parmi d’autres : faut pas se leurrer, la majorité de la population blanche de l’époque au USA (et dans beaucoup d’autres pays du globe d’ailleurs) au Nord comme au Sud était sans aucun doute raciste. Je suppose qu’il y avait des tas de soldats de l’union qui ne battaient pas par idéalisme « pour abolir l’esclave » et que les confédérés n’étaient pas tous de méchants gros racistes risquant leur peau juste parce que la perspective que les esclaves soient affranchis leur était insupportable. Cependant, je trouve un peu trop facile -comme je l’ai lu dans pas mal de fics- d’affirmer que Jasper n’était pas raciste (absolument pas, même en tant qu’humain… Ahem) sans le justifier … c’est contextuellement peu crédible, d’où ma tentative d’aborder le sujet autrement, même si c’est de manière maladroite.
Pour info, il y a vraiment un Bayou s’appelant « White Oak » à côté de Houston, je trouve la sonorité vraiment très proche de celle de « Whitlock » ce qui m’a fait me demander si le nom de Jasper ne venait pas de là, d’où le clin d’œil ;) À bientôt pour la suite !