Trop besoin de lui
11. L’exil
Le reste de la journée s’était écoulé avec une lenteur insolente.
Mais la cloche sonne enfin, annonçant ma délivrance.
Bien décidée à foncer tout droit à la réserve, je ne tente même pas de rappeler Jacob qui doit lui aussi être entrain de sortir de cours avant de rentrer chez lui.
En filant, je fais un signe à Angela en souriant, complice, tandis que Mike et Jessica nous regardent, se demandant sûrement ce qu’on leur cache. Mais je sais qu’Angela ne me trahira pas devant les assauts interrogateurs des deux.
Quand je sors du bâtiment je suis surprise par la pluie, je n’avais même pas remarqué qu’il pleuvait depuis la salle de cours, preuve que j’étais vraiment perdue dans mes pensées. Ou bien que j’ai fini par m’habituer au climat médiocre de Forks.
Je cours donc jusqu’à ma camionnette, manque de glisser dans une flaque d’eau et de me faire renverser par un élève encore plus pressé que moi.
Soulagée d’être enfin à l’abri dans l‘habitacle, j’allume le moteur, jette un œil dans le rétroviseur central, et décide de prendre le temps pour arranger un peu mes cheveux dégoulinants. Autant être présentable devant Jacob, même s’il m’a vu dans des accoutrements bien pires, ce n’est pas le moment de faire mauvaise impression.
Je quitte ensuite le parking, devant Tyler qui me cède la priorité avec un petit clin d’œil auquel je réponds par un sourire.
Mais une fois sur la route principale, plus de temps pour la courtoisie, j’accélère férocement, faisant rugir le moteur de ma vieille Chevrolet.
La forêt verte embrumée défile sur le bas côté, aussi rapide que les pensées qui fusent dans mon crâne. Je me triture l’esprit avec des scénarios du plus mesuré au plus déjanté, essayant d’anticiper la scène qui se prépare.
Un mal de ventre me tiraille, comme si je m’apprêtais à passé l’oral d’un examen. J’espère que mon jury ne sera pas trop sévère.
Je fixe la route qui m’apparait maintenant comme un long ruban noir et jaune, et je l’imagine se déroulant sous mes roues, éloignant inexorablement ma destination au fur et à mesure que j’avance. Mon délire s’interrompt dès que j’aperçois le chemin de terre qui mène à la Réserve.
Je passe devant quelques maisons avant d’enfin voir les planches rouges constituant la façade de mon ami. Je me garde à côté de sa Volkswagen noire, qui m’assure qu’il est déjà rentré.
C’est Billy qui m’ouvre la porte d’entrée et me regarde avec un drôle d’air.
-« Salut Billy, je venais voir Jacob, est-ce qu’il est déjà rentré du lycée ? » Comme si la preuve de sa présence n’était pas garée juste devant la maison.
-« Non Bella, Jacob n’est pas là. » Je suis surprise par sa réponse et reste un moment pantoise à le regarder.
-« Mais euh... Sa voiture est juste là, il a dû rentrer de cours ». Je reprends un peu d’assurance, il ne me mentira pas deux fois.
« Je comprends qu’il ne veuille pas me voir, mais il y a un malentendu et j’ai besoin de lui parler. »
J’entends des pas claquer sur le plancher, se rapprochant de la porte.
J’avais donc vu juste, mais j’ai visiblement réussi à le convaincre de m’écou... C’est Paul qui apparait dans l’encadrement aux côtés de Billy.
-« Salut Bella, Jake n’est pas là, c’est vrai. Il est partit au petit matin sans rien dire à personne. Il n’a pas pris sa voiture comme tu le vois, ni sa moto d’ailleurs.»
Il contourne Billy qui n’a toujours pas changer d’expression – je comprends : il a l’air contrarié ; et sort pour me rejoindre tout en parlant.
« Sam et Embry sont partis à sa recherche ce matin, après que Billy ai constaté son absence et nous en avertisse. Ils ont captés plusieurs fois son esprit dans la journée. » Il s’arrête et me regarde, embarrassé.
« Ses pensées sont confuses mais… Apparemment il est parti à cause de toi. »
Encore sous le choc de sa révélation, je ne peux même pas répondre.
« Tu t’es remise avec l’autre Sang-froid et il n’a pas supporté, il s’est changé en loup et il est parti.
La dernière fois qu’ils ont repéré sa trace c’était du côté de Finley Peak dans le comté de Gray’s Harbour. » Je sors enfin de ma catatonie et rétorque, ahurie :
-« QUOI ? Mais c’est pas… c’est pas possible ! Mais où va-t-il, pourquoi, qu’est-ce que… ? »
Je suis complètement bouleversée. Je ne sais plus quoi penser, je piétine à droite, à gauche, qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ?
Je regarde Paul, implorante, qu’il me dise que Jake va revenir, qu’il me dise qu’il va m’emmener le retrouver ! Comme s’il avait entendu mes pensées ou simplement compris mon regard, il me dit :
-« Il ne veut pas qu’on le suive. Sam et Embry sont partis pour tenter de le raisonner, mais même en évoquant Billy, ils ne sont arrivés à rien.
Ils continuent de le pister pour s’assurer que tout va bien, mais s’il s’obstine, ils reviendront sans lui. »
Il détourne le regard vers la maison, Billy nous observe avec un regard que je qualifierai de réprobateur. Le jeune homme se retourne alors vers moi et continue :
« En tout cas Bella si tu as choisit le vampire, et que Jake revient… laisse le tranquille, pour son bien. C’est la meilleure des choses à faire. »
Je le dévisage, exaspérée, et lui lance la vérité au visage :
-« C’est Jacob que j’aime, c’est lui que j’ai choisi ! »
Sans m’en rendre compte je lui ai crié dessus, je regarde rapidement autour de moi, gênée de me donner en spectacle devant un éventuel public, et j’aperçois Leah sur le pas de sa porte à quelques mètres. Il me semble qu’un rictus tord ses lèvres.
Je me retourne, un peu honteuse, et fais de nouveau face au jeune indien. Légèrement calmée, je lui dis juste :
« Tout ça n’est qu’un stupide malentendu. S’il te plait Paul, si tu apprends quelque chose de nouveau, appel moi. Je t’en pris. » J’essaie en un regard insistant de lui faire comprendre que mes sentiments sont sincères, et de récolter par la même occasion un accord honnête. En réponse, il acquiesce, il semble convaincu.
Je regarde autour de moi, comme désorientée, fait un petit signe de la tête à Billy qui n’a rien manqué de mes aveux et semble un peu moins fâché, puis me retourne vers la camionnette.
Plus rien ne me retiens ici, et je commence à me sentir mal, profondément dérangée par l’absence de Jake, par sa fuite.
Je quitte la réserve dans une précipitation inutile et dès que la forêt m’entoure, je sens nettement l’angoisse monter en moi. Un sentiment de déjà-vu me fait frissonner.
Il est parti lui aussi. Il m’a quittée, comme Edward avant lui.
Cette constatation me fait monter les larmes aux yeux et l’angoisse de me retrouvée une fois de plus seule dans cette ville sinistre, abandonnée par celui que j’aime, me sert de plus en plus la gorge.
Je tente de refouler les pleurs en hoquetant. Il ne faut pas que je me laisse aller.
Je dois me contrôler, Jake va bien finir par revenir. Avec Sam et Embry j’en suis sûre. Peut être même dès ce soir. Il sera là et tout s’arrangera.
Je fais du mieux que je peux pour éloigner les centaines de questions et d’hypothèses qui martèlent mon esprit (Où est-il ? Que fait-il ? Et s’il ne revenait pas ?) et la sensation de confinement que je ressent soudain sur la petite route entourée par la masse verdâtre et lugubre que forme la forêt, assombrie par le brouillard épais.
J’accélère un bond coup, pour avoir ne serait-ce que l’impression d’échapper à cette atmosphère écrasante - même si cette route ne me conduit que chez moi.
*
J’arrive plus vite que d’habitude à la maison, vide, et heureusement car la faim me tiraille l’estomac.
Je passe par la cuisine et me prépare rapidement une collation – petits pains toastés et fromage- avant de rejoindre le salon. Je considère mon sac, abandonné en entrant sur une chaise, pensant un instant à faire mes devoirs pour mes changer les idées. Non je n’ai vraiment pas la tête à ça. A la place, je m’assois sur le canapé, près du téléphone, et j’allume la télévision.
Je glisse doucement dans une léthargie sédative devant les images défilant sur l’écran.