White Rose
White Rose
août 2009
par jg81
La rose naît du mal qu'a le rosier.
Mais elle est la rose.
(Le roman inachevé, Louis Aragon)
Carlisle et Renesmée sont au salon. Nessie a maintenant six ans. Elle a l’apparence et la grâce d’une nymphette préadolescente. Elle a la science d’un adulte, l’esprit d’un érudit. Mais elle a aussi, encore, la curiosité et l’émerveillement de la petite enfance. Ces deux-là s’adorent. Le grand-père s’abîme chaque jours dans la contemplation de cet enfant qui est pour lui un renouveau (enfin !). Son monde figé s’est enrichi, elle lui permet de mieux le comprendre, elle lui permet de s’interroger à nouveau. La gamine, quant à elle, ne se lasse jamais des narrations du jeune homme de quatre cents ans.
- Raconte-moi une histoire, Grand-père, raconte-moi encore les Volturi !
- Je t’ai raconté mille fois ce qu’il y a à savoir. Ils ne méritent pas tout l’intérêt que tu leur portes.
- Bien sûr que si, et tu le sais, Grand-père, ils sont atroces mais fascinants... Soit alors… raconte-moi autre chose… une histoire d’amour ! N’as-tu jamais été amoureux avant Grand-mère ?
Carlisle sourit, il se retourne vers son âme sœur, avise la bienveillance dans ses yeux. Esmée, comme à son habitude, sourit aussi. Il rassemble alors ses souvenirs anciens et se retourne pour contenter l’être en face de lui. Cet être « vivant », mais qu’il considère, malgré cela, comme la chaire de sa chaire. Sa petite Nessie.
- Tu sais que j’adore ta Grand-mère Esmée plus que tout. Tu sais que je chéris chaque parcelle de son corps et de son esprit, que je chéris l’âme que je lui sais. Toutefois, il est arrivé, une fois, avant que je la rencontre, qu’une autre femme m’inspire l’amour…
- Emmène-moi.
« Comme je te l’ai souvent raconté, mon ange, je suis né d’abord humain et ensuite vampire dans le Londres du XVIIème siècle. J’ai après cela étudié la médecine et voyagé à travers l’Europe ; c’est une fois arrivé en Italie que j’ai croisé la route des Volturi. Ce que je ne t’ai jamais dit c’est que Aro, Caius et Marcus sont devenus mes compagnons vingt ans seulement après que j’eusse posé le pied en terre italienne pour la première fois. Je n’ai vécu avec eux qu’après avoir perdu ce premier amour que tu me demandes de te raconter.
« Ces vingt années, je les ai passées dans la région des Dolomites, au nord de l’Italie. Dans un petit village du nom d’Eron, régnait un roi bon et attentif à son peuple. Ses qualités de cœur n’étaient malheureusement pas assorties de félicité. Il avait perdu son épouse très jeune, à tel point qu’elle ne lui laissa pas d’héritier. Il l’avait tant aimée que jamais il ne put se résoudre à la remplacer.
« A cette époque, un autre malheur le tourmentait. L’Italie était alors ravagée par un fléau narré dans les livres d’histoires mais oublié des livres d’Histoire. Comme bien souvent, les mythes et légendes recèlent plus de vérités que les cahiers d’écoliers. Les humains étaient terrorisés et, bien souvent, décimés par des êtres aussi monstrueux que magnifiques, aussi gigantesques que puissants. Ces monstres étaient ce que nous appelons aujourd’hui « dragons », les ailes et le feu en moins. Imagine-toi un dinosaure ou un Godzilla à la peau miroitante, ravageant tout sur son passage, dépourvu d’intelligence mais pas de cruauté.
« Je rencontrai le bon roi d’Eron au crépuscule de sa vie. Il était très vieux, bien sûr, mais surtout atterré par le malheur de ses villageois. Un de ces monstres avait élu domicile près du village dont les habitants étaient privés parfois de maison, souvent de récoltes. Ils ne parvenaient pas à élever sereinement leurs enfants. Le bon roi entendit parler de moi ; aussi curieux et ouvert intellectuellement qu’altruiste, il me fit venir auprès de lui. Rapidement, une amitié sincère s’installa entre nous. Erudit et perspicace, il comprit ma nature et la particularité de ma condition… ainsi que l’aide que je pourrais lui apporter.
« Tu devines la suite de l’histoire : je débarrassai la petite ville de son monstre et ainsi le roi de sa culpabilité. Il put partir en paix. Son testament faisait de moi son fils et son héritier. A ce point de l’histoire, ma chérie, je suis donc roi ! »
- C’est bien joli tout ça : tu es roi, tu tues des dragons… mais je reste sur ma faim, tu m’as promis une histoire d’amour !
- Ne sois pas si pressée, Nessie ! Laisse à l’histoire le temps de fleurir. Si tu veux que je tombe amoureux d’une princesse, il faut d’abord que je sois roi !
- Je t’écoute !...
- Je suis resté sept ans à Eron, à essayer d’être à mon tour un bon roi : à veiller sur les hommes et les femmes de mon petit village d’Italie, à les comprendre, à les soigner. Sept ans au terme desquels je suis tombé amoureux.
- Ah ! Enfin !
- Ma princesse était une beauté de conte de fées. Bien avant de tomber amoureux de son visage, je me suis épris de son histoire. Un paysan de mes amis m’ayant conté son histoire, je suis parti à la recherche de l’héroïne, voire si je pouvais, une nouvelle fois, voler au secours de quelqu’un.
- Hum.
- Que sais-tu de Blanche-Neige, Nessie ?
- De Blanche-Neige, Grand-père ? Quel rapport ?... Bien… Alors qu’est-ce que j’en sais ?… Maman m’a appris le mythe, elle m’a lu la version des frères Grimm et je sais ce que Disney en a fait.
- As-tu eu l’occasion de prendre connaissance des écrits en la matière du professeur Giuliano Palmieri ?
- Oui… il a décomposé la légende en divers mythes : la jeune vierge qui régénère les filons de minerais… la sorcière empoisonneuse… les mines de fer du mont Pore… mais oui ! Il dit que la légende est plus certainement Vénitienne… qu’elle serait donc italienne et non allemande… ce qui ferait de Blanche-Neige, une princesse non allemande mais italienne puisqu’elle aurait épousé un prince de … ... ! Grand-père ! s’exclama Renesmée, l’air aussi fâchée qu’émerveillée. Grand-père serais-tu le Prince charmant ?!!!
- C’est une façon de résumer les choses, mon ange ! Veux-tu que je te raconte la véritable histoire ?
- Oui, dit-elle en un souffle, captivée.
- Ce que je voulais te demander tout à l’heure, c’est que sais-tu de Blanche-Neige… que sais-tu d’elle, de son apparence par exemple ?
- Sa mère l’a désirée avec des cheveux d’ébène, les lèvres rouge sang, la peau aussi blanche que la neige… Grand-père ! s’exclama la petite à nouveau du ton irrité de celui qui comprend qu’il vient de se faire avoir. Grand-père ! … Blanche-Neige était un vampire ?
- De nouveau, tu résumes rapidement les choses et, en l’occurrence, c’est vraiment dommage pour cette histoire belle et complexe. Blanche-Neige était bien, comme le dit le conte, aussi pâle que la neige, mais elle ne l’était pas à sa naissance. Elle n’est pas née vampire. Ce n’est qu’après sa renaissance qu’elle fut nommée ainsi. Mais si je commençais par le début ?
Pas un souffle n’émana des lèvres de Nessie.
« Rose, c’est ainsi que fut nommée la jolie jeune fille de mon histoire. Mais commençons par le début. Malgré ses efforts, sa mère, la reine, fut longtemps, bien trop longtemps, sans enfant. Ce n’est que tard dans sa vie de femme qu’elle porta Rose en son ventre. La tristesse du manque et l’attente l’avait tant affaiblie, qu’elle ne survécut que quelques heures après la délivrance. Mais, ces quelques heures, elle les passa les yeux dans les yeux avec ce petit être, qu’à force de persévérance, elle était parvenue à créer.
« Le père de Rose, bien qu’heureux de cette naissance, ne fut pas si désespéré qu’on n’eut pu le croire de la perte de sa femme. Il était, depuis plusieurs mois déjà, fou amoureux d’une jeune beauté qui paraissait parfois à sa cour. Cette jeune fille, Ella, était effectivement d’une splendeur éblouissante, surnaturelle. Et pour cause, Ella était une vampire. Une vampire de la pire espèce : mangeuse d’humains, cruelle et retorse. Elle aimait le pouvoir et le faste. Elle se fit donc rapidement épouser par le veuf.
« Ella, ne fut, dans un premier temps, qu’irritée par cette enfant qui la gênait dans son sillage. Cette enfant qui désirait d’elle une affection à laquelle elle ne comprenait rien. Mais le malheur de Rose grandit avec son âge et sa beauté. Rose était humaine, bien sûr, mais elle était aussi fraîche et jolie, les joues roses, le regard turquoise, le rire et le sourire pétillants, communicatifs. Elle était si douce, si bienveillante et si innocente que le récit de ses grâces voyageait au loin. Un jour arriva où sa beauté fut comparée à celle bien plus parfaite mais aussi bien plus froide de sa belle-mère.
« Ce jour rendit Ella folle de rage. Folle de rage que sa beauté incomparable soit comparée, folle de rage qu’elle doive rivaliser avec une humaine. Ella, peu patiente et surtout peu imaginative, décida alors d’isoler au plus tôt la jeune princesse et de la mordre, de se délecter de son sang et d’ainsi la tuer. Mais, Dieu merci, tous les vampires ne sont pas comme Ella… certains sont plus vicieux encore. Alors qu’elle avait déjà mordu Rose, Ella fut interrompue dans son geste par un vampire du nom de Gédéon. Il attrapa Rose avant qu’elle ne fût vidée de son sang, immobilisa Ella et emmena le vampire nouveau-né agonisant de souffrance sur son épaule.
« Gédéon détestait Ella, malgré cela, il n’a pas agi par bonté d’âme. Il voulait faire survivre cet être détesté par son ennemie. Il emmena Rose à l’écart dans une chaumière. Dans la foret. Il s’occupa d’elle durant ses jours de souffrance, lui fit connaître sa nouvelle nature, lui apprit les règles, lui expliqua comment se nourrir et se défendre. Mais le caractère de Rose était bien trop différent de celui de Gédéon. Elle était restée bonne et altruiste, elle ne supportait pas sa condition et se détestait chaque fois qu’elle tuait un humain. Au bout de plusieurs années, elle découvrit qu’elle pouvait survivre sans sang humain et qu’il était moins horrible de tuer un animal qu’une personne. D’ailleurs, elle n’aspirait qu’à une chose : pouvoir vivre à nouveau parmi les humains : vivre avec et comme eux. Sa nature la poussait à cela.
« Arriva un moment où elle se sentit capable de vivre cette vie qu’elle désirait. Elle alla à la rencontre de paysans et fut recueillie dans un petit village dont les habitants virent en elle un ange qui leur assurerait la sérénité. Elle parvint rapidement à se satisfaire du sang animal et finit même par tomber amoureuse d’un jeune homme qui lui conta fleurette mieux que les autres. A force de l’aimer, elle en vint a être attirée plus que de raison par l’odeur de son sang. Un jour, à cause d’une intimité devenue trop irréfléchie, elle s’égara et la catastrophe se produisit : elle tua son bien-aimé.
« En une seconde elle sut qu’elle était anéantie et que sa vie parmi ses hôtes serait à tout jamais impossible. Elle s’enfuit et se persuada alors qu’il lui serait toujours impossible de ne pas être une meurtrière. Elle ne voulait pas vivre en étant cela. Elle savait qu’elle ne parviendrait pas à se tuer et décida donc de se laisser dépérir. Elle fit construire par un artisan un cercueil de verre inviolable, le plaça sur la tombe de son bien-aimé, s’y enferma et se laissa agonir, consumée par sa soif. C’est alors que belle et pâle, elle fut surnommée par tous Blanche-Neige.
« Elle était là depuis plus de cent ans quand son histoire me fut contée. J’ai tout de suite compris, à travers ce que sa légende disait d’elle, ce qu’elle était et le mal qui la rongeait. Je savais qu’elle ne pouvait être morte et figée dans sa beauté comme on me l’avait raconté. Je me suis alors mis en route pour la retrouver. Je voulais lui prouver qu’il était possible, à force de travail et d’abnégation, de vivre comme elle le désirait, de vivre comme je vivais depuis ma renaissance. Il existait, il fallait qu’elle le sache, au moins un autre vampire, qui ne voulait pas être un assassin et qui parvenait à vivre parmi les humains.
« Lorsque je la retrouvai, je m’assit près de sa tombe et passai des jours à lui parler de ma vie, de ce à quoi je parvenais. Elle finit par ouvrir les yeux et par me répondre. Elle me dit toute l’admiration qu’elle avait pour moi et pour ce que j’avais accompli. Mais elle me dit aussi que je perdais mon temps avec elle, que, vu ce qu’elle avait fait, elle n’était pas digne du temps que je lui consacrais. Pour lui prouver que j’estimais qu’elle avait tort, je soulevai le couvercle du tombeau auquel elle s’était elle-même condamnée, je la redressai et l’embrassai. Nous restâmes ainsi, souffle contre souffle, trois jours durant.
« Ce n’est que lorsque j’écartai mes lèvres des siennes que je réalisai qu’elle était belle, que je vis la bonté sur son visage et que je compris que je l’attendais depuis toujours. Ce baiser puis ce regard avaient scellé notre amour et notre destinée. Je l’épousai quatre jours plus tard en mon royaume, faisant ainsi d’elle ma reine. Avec beaucoup de patience et d’attentions, je parvins à lui rendre confiance en elle. Je devins la force qui lui manquait, ce qui lui permit rapidement d’être mon égale : les humains risquaient aussi peu en sa présence qu’en la mienne. Nous passâmes ainsi de longues années heureuses et sereines. Notre sacerdoce nous liant plus que tout. Nous étions beaux et aimés de tous.
« Nous veillâmes du mieux que nous pouvions sur les âmes du royaume et nous prîmes bientôt l’habitude d’accueillir au château et d’y élever les jeunes orphelins de la région. Cela comblait Rose. Elle était pour eux une seconde Maman ; moi, je m’essayais au travail de professeur. Nous nous construisions une famille diversifiée, toujours mouvante et enrichie. Et je pouvais ainsi offrir à ma bien-aimée les liens et les rapports familiaux qu’elle n’avait jamais eus. »
- Je ne comprends pas Grand-père, où est-elle alors ? Comment avez-vous pu vous séparer ? Comment cette histoire a-t-elle pu mal se finir ?…
- Je t’ai déjà raconté, n’est-ce pas, l’histoire de la mère de tes cousines de Denali ?
- Oh !
- Une petite fille que nous avions recueillie, Christie, allait mourir du même mal qui avait emporté ses parents… Rose ne put supporter l’idée de la mort d’un petit être qui n’avait pas encore eu l’occasion de vivre. Je te laisse imaginer la suite… Elle fit ce que lui ordonna son cœur et fut condamnée à mourir pour cela. Je me retrouvai sans ma reine, et ne pus que quitter ce royaume où j’avais passé tant d’années heureux. J’étais dans l’incapacité de verser la moindre larme, le cœur déchiré. Je rencontrai alors les Volturi. Et ce n’est que bien des années après les avoir quittés et après avoir traversé l’Atlantique que je compris que c’était eux qui avaient mis fin à l’existence de Rose.
- C’est une belle histoire mais elle est si triste, Grand-père !
- Je sais, mon ange, c’est le propre des bonnes histoires, d’être belles et tristes.
- Pas de nains alors ?
- Non.
- Ni pomme, ni poison ?
- Non… du venin seulement… les humains remplissent les blancs à leur manière.
- Pauvre Rose, pauvre Blanche-Neige.
- Pauvre Carlisle, intervint Esmée qui n’avait rien perdu de la conversation et regardait son mari.
Elle se rapprocha de lui et l’enlaça pour le réconforter.