La Destiné de la Terre des Illusions (DdlTI)

Chapitre 76

Faire parler l'acier

       Les lames s'entrechoquèrent, créant un son similaire à celui du tonnerre. Chaque parade provoqua un flash aussi éblouissant que la foudre. Chaque geste déplaça l'air comme l’aurait provoqué un cyclone. Youmu frappa avec ses deux lames et la Oni les contrait avec sa gigantesque épée. La grande taille de la créature permettait à la demi-spectre Konpaku d’être plus difficile à repérer lorsqu'elle se baissait. Malgré la vitesse prodigieuse de la créature, Youmu parvint à la contourner et à lui grimper dans le dos afin de sauter au-dessus d'elle, prenant appui sur les poutres en bois. Torakuma pointa son arme vers le plafond, là où se trouvait son adversaire. Youmu courut alors sur les longues traversées afin d'esquiver les coups d'estoc de son ennemie qui finissaient par transpercer le toit.

La Oni, voyant que son action ne menait à rien, stoppa ses attaques et se calma. Voulant profiter de cet avantage, Youmu se cacha dans l'ombre de la charpente alors qu'elle se rapprocha doucement de sa cible, sans provoquer le moindre bruit, réduisant au maximum sa présence. La Oni, fort impressionnée, complimenta cette vaine tentative de la surprendre.

Pendant ce temps-là, Sanae tentait de faire reprendre connaissance à Marisa qui était bien amochée. L'impératrice, qui était à ses côtés, aida la prêtresse autant qu'elle le pouvait.

Ne voyant toujours pas son adversaire réapparaître, la Oni se tourna vers les trois femmes avant de se rapprocher d'elles, le sabre à la main. Voyant qu'elle allait s'en prendre à elles, Youmu sortit de ténèbres pour bondir sur sa cible, ce qu'elle attendait. Le coup vertical de la demi-humaine fut arrêté par le contre horizontal de la Oni. Au moment de l'impact, un souffle puissant renversa les trois femmes et fit voler en éclats les rares verres et les toiles constituant les murs. La créature s'était enfoncée de quelques centimètres dans le parquet quand elle parvint à la repousser de l'autre côté de la pièce. Youmu était fatiguée par ce coup, l'un des plus puissants qu'elle n'avait jamais donné. Son adversaire était également très surprise. Elle constata que sa lame était légèrement fêlée. La surprise qui s'inscrivit sur le visage de la Oni réjouit la demi-spectre. Celle-ci se releva, légèrement chancelante, encore déstabiliser par le coup qu'elle venait d'être paré. Elle pointa son Roukanken vers sa cible alors que ses yeux bleus devinrent rouge sombre.

– Je croyais que ton Koramuken pouvait tout couper. Il faut croire que ma lame est capable de l'entailler, affirma Youmu avec une certaine pointe de fierté.

– Bravo, demi-humaine. Tu m'impressionnes, vraiment. Tu es une duelliste hors pair. Et une amie fidèle par ce que je vois. Tu n'hésites pas à venir secourir tes amies quand je les menace. Sache que je n'ai personnellement rien contre elles, ou contre toi. C'est juste que pour que notre projet aboutisse à son terme, nous devons faire des sacrifices, beaucoup de sacrifices.

– En massacrant tout le monde et en les pillant ?!

– Massacre et pillage, il s’agit de deux mots au sens si vague... et puis, je sais ce que sont vraiment un massacre et un pillage. Ici, on peut dire à la rigueur qu'il s'agit d'une... émeute localisée avec des victimes et des dégâts collatéraux.

– C'est monstrueux ! Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ?!

– Et toi ?

– Quoi ?!

– Tu es la gardienne des morts, entre autres, mais connais-tu la raison des morts qui t'entourent ? Des centaines, des milliers de victimes causées par la fureur humaine. Tu me parles de pillages mais sais-tu ce que fait l'Homme ? Es-tu restée trop longtemps dans ta terre de rêves pour savoir plus que cela ? L'Homme pille et massacre. En comparaison, je ne fais qu'un très léger rééquilibrage des choses.

– Pour Corruption ? Tu crois qu'en exterminant les Humains, tu vas faire cesser cela ?! Tu sais ce qu'il compte faire ?! Cela sera le plus grand massacre et pillage qui n'a jamais existé ! Même la nature en sera victime ! rétorqua Youmu avec force, presque colère.

– Et tu crois que cela me déplaît ?

– Quoi ?!

– Après tout, je suis une Oni, pas aussi stupide que les autres mais une grande Oni. Notre race mérite mieux que les Enfers ! Ils méritent une terre à peupler, à coloniser, à envahir. Notre peuple est brutal et violent et grâce à Corruption, cette Terre le sera aussi ! J'ai juste hâte d'être à la tête de mes frères et de mes sœurs quand je conduirais la charge finale ! Mais même cela, cela ne sera rien par rapport à ce que les Humains ont fait dans l'histoire. D'ailleurs, beaucoup seront ravis de servir de sacrifices, voire plus, pour nous. L'humanité a atteint un tel point de décadence qu'ils ne considèrent plus leur vie comme précieuse. La vie d'un Oni est très précieuse, c'est pour cela qu'on se bat sans cesse, afin de devenir capable de survivre. Les Humains sont faibles, trop protégés, ils n'ont plus aucune expérience de la vie. C'est pour cela que me battre contre toi, c'est excitant. Un combat contre un être puissant et qui mesure la valeur de sa propre vie et celle des autres. C'est passionnant ça.

– Arrête avec tes discours ! Je vais te stopper là et maintenant !

– Si tu veux en finir, il fallait le demander plutôt. C'est dommage dans un sens, tu étais une redoutable prédatrice.

La Oni et la Konpaku se firent face, se rapprochant pas après pas tout en commençant lentement à tourner dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. L'une comme l'autre savait que les prochains coups allaient être décisifs. Chacune d’elles avait jaugé son adversaire et savait de quoi elle était capable. Les mouvements réciproques et presque en miroir tendaient à ralentir de plus en plus. La tension montait d'un cran à chaque seconde qui s'écoulait. Autant dans le regard de la Oni que de la Konpaku, la détermination était perceptible. Chacune tenait son sabre à deux mains, prête à frapper. Un coup de vent traversa la pièce dont les murs n'étaient plus que des lambeaux virevoltants dans l'air. L'un des bouts de tissu passa entre les regards des deux adversaires. À cet instant, de manière simultanée, les deux combattantes foncèrent l'une vers l'autre tout en exécutant un large coup latéral. En moins d'une fraction de seconde, les deux adversaires étaient face à face toujours dans leur élan et les lames sur le point de trancher la chair. Youmu s’agenouilla durant la décélération tout en continuant son cou latéral qui ne visait plus les côtes mais le genou gauche de la créature, celui de la jambe en avant désormais. Alors que la lame allait trancher le membre, celui-ci recula en arc de cercle, esquivant de peu le coup. Afin d'éviter de se retrouver sous un coup vertical de la Oni, Youmu se laissa davantage glisser sur le parquet, perdant cependant en stabilité et en précision mais lui permettant d'éviter une contre-attaque.

Alors que l'épéiste se relevait, la tacticienne se tourna vers elle. Chacune d'elles était une féroce adversaire et aucune d'elles ne voulait laisser échapper la victoire. Plus qu'une question de vie et de mort, plus qu'une question de devoir envers son maître ou la volonté de sauver le monde, ce qui animait les deux combattantes était la voie ouverte par leur rage de gagner. Chacune d'elles n'avait que rarement vu un adversaire aussi redoutable et chacune profitait du combat, admirant les prouesses et tactiques de son adversaire.

Là, la Oni s'adressa à Youmu.

– Tu sais, ce combat n'est pas forcément le dernier. Je préférerai un combat comme celui-ci dans de meilleures conditions. Alors, je te propose ceci : touche-moi une seule fois et je vous laisserai partir.

– Tu mens ! Comment je pourrais te croire alors que tu travailles pour Corruption ! Et puis, notre combat n'est pas terminé !

– Un Oni est loyal et honnête, tu as ma parole. Et pour notre combat, je veux t'affronter dans les meilleures conditions possibles, sans aucune gêne.

– Une touche et je gagne, c'est ça ?

– Oui.

– Prépare alors ton billet pour l'Enfer, je t'y renvoie !

Youmu se jeta à corps perdu contre son adversaire, rasant le sol au plus près. Voyant clairement la stratégie de son adversaire, Torakuma sauta l'instant précédent le coup de la Konpaku, l’évitant par la même occasion et prenant l'ascendant sur son ennemie. Elle trancha alors verticalement, frappant Youmu. Du moins, ce qui semblait être elle qui disparut dans une volute de fumée. Quand elle se reposa, elle sut que la demi-spectre était derrière elle. Elle soupira un coup avant de ricaner. La demi-humaine n'attaqua pas, sachant qu'elle préparait un coup et qu'elle devait rester sur ses gardes. La Oni fit alors un pas en avant de sortir une pipe japonaise de la manche de son kimono et de commencer à la fumer. Youmu resta à une courte distance dans le dos de son ennemie qui souriait de plus en plus.

– Est-ce par honneur ou par peur que tu ne m'attaques pas dans le dos ? demanda paisiblement Torakuma.

– Probablement un peu des deux.

– C'est la meilleure des réponses qu'on puisse donner.

– Tu vas faire quoi ?

– Une tacticienne ne révèle jamais ses stratégies. Et toi ? Que vas-tu faire ?

– Te tuer.

– Je ne cherche pas tant que cela, de ce que les autres recherches. Seuls le combat et la guerre m'intéressent. Tu m'offres la moitié et Corruption l'autre.

– Va pourrir en Enfer, lança Youmu.

– Je n'y retournerai pas.

– Je vais t'y reconduire, je connais le chemin.

– Je voudrais bien voir ça.

D'un geste, sans prévenir, la Oni se retourna, donnant un puissant coup en diagonale. La demi-spectre sauta légèrement en réaction, se posant sur la lame, l'alourdissement soudainement et la plantant en biais dans le parquet. Avant d'avoir pu la retirer avec sa force monstrueuse, Youmu frappa par un coup circulaire. La main intercepta la lame mais ne put l'arrêter, seulement la dévier. La lame spectrale de la gardienne du Royaume des Morts taillada la corne droite de la créature. En réaction, elle souleva son ennemie en redressant la lame qu'elle tenait dans sa main ensanglantée avant de la projeter au loin. La Konpaku se reposa difficilement au sol alors qu'elle observait son ennemie, la main en sang et la corne « balafrée » à de multiples endroits.

Constatant sa défaite, la Oni s'en alla en marchant avant de courir puis de sauter une fois à l'extérieur du sanctuaire, poursuivit par Youmu qui perdit sa trace une fois dehors.

Alors que sa colère redescendait et que ses yeux reprirent une teinte plus ordinaire, l'impératrice arriva avec Marisa et Sanae. Cette première détenait entre ses mains un coffret, contenant le trésor tant recherché. Elle le remit alors à la miko et leur fit ses adieux avant de se diriger vers un groupe de soldats d'élites se dirigeant vers la zone. Les trois femmes sentaient que l'attaque était en train d'être repoussée et qu'il fallait partir. Youmu et Sanae aidèrent alors Marisa à fuir du lieu, espérant les autres aient pu faire de même.

Alors qu'elles quittaient le lieu en feu, Youmu se retourna une dernière fois, comme pour jeter un dernier affront à son ennemie qui ne devait pas se trouver loin du lieu.