Un sorceleur spécial

Chapitre 6 : prélude de la guerre

1256 mots, Catégorie: K

Dernière mise à jour 05/11/2024 21:03

"Ding."


"Oh, salut, Aiden. Comment ça va ?" demanda la gérante en me voyant entrer. Sa voix tremblait légèrement, comme si chaque mot lui coûtait un effort.


La vieille dame semblait fatiguée, plus que jamais. Ses traits étaient marqués par l'épuisement, et ses yeux, autrefois vifs, portaient maintenant une ombre permanente. Ses mains, noueuses et usées par le travail, tremblaient légèrement alors qu'elle s'appuyait contre le comptoir. Derrière elle, le magasin était presque vide, les étagères à moitié vides, comme une illustration silencieuse du déclin du royaume.


"Bien, grand-mère. Je suis venu chercher les courses, comme d'habitude."


"Encore les commissions pour la princesse, hein ?" Elle tenta un sourire, mais il semblait tiré, forcé.


Elle se retourna lentement pour préparer mes achats. J'entendis son souffle court et la lenteur de ses mouvements. Ce n'était pas la fatigue physique d'un simple travailleur, mais celle d'une vie assombrie par le chagrin et la résignation.

"Voilà. Ça te fait cinq pièces."


Je pris ma bourse et payai, mais alors que je me dirigeais vers la porte, elle me lança une question, ses yeux soudain plus vifs, comme éclairés par une lueur de colère contenue.


"Dis… la guerre, elle est vraiment inévitable ?"


Je me figeai, la bourse serrée dans ma main. Mes pensées s'entrechoquaient, cherchant des mots pour une vérité que je n'aurais jamais voulu prononcer.


"Oui, malheureusement," murmurai-je.


Elle secoua la tête, et un tremblement traversa ses épaules voûtées. "Alors pourquoi Sa Majesté envoie-t-elle des enfants ? Elle les mène à la mort… a-t-elle perdu la tête ?!"


En écoutant ses mots, un souvenir lointain, douloureux, me revint : ma propre séparation avec ma mère, alors que la maladie me gardait à l'hôpital, et que les murs froids me privaient de sa chaleur. À l'époque, j'étais trop jeune pour comprendre. Trop jeune pour me défendre, ou même pour lui dire que j'avais peur. Juste comme ce garçon, là-bas, qu'on arrache aux bras de sa mère.


Je me forçai à chasser cette pensée, à revenir au présent, mais elle laissait un goût amer dans ma bouche. Pour masquer mon trouble, j'essayai d'imaginer que ces murs froids n'étaient plus ceux d'un hôpital ou d'une ville désespérée, mais d'un royaume uni, protecteur.


"Grand-mère," dis-je d'une voix presque brisée, "essayez de comprendre Sa Majesté. Je suis sûr que c'était son dernier recours, elle ne pensait sûrement jamais en arriver là."


Elle me fixa, la tristesse dans ses yeux semblant fondre en quelque chose de plus dur, plus aiguisé.


"Peut-être… mais désormais, elle aura du sang d'enfants sur les mains."


La gorge nouée, je quittai le magasin et pris la direction du château. Les rues autour de moi étaient méconnaissables. Là où, lors de la fête des Moissons, tout n'était que couleurs vives, éclats de rire et parfums sucrés, la ville était maintenant une ombre d'elle-même. Les portes et les volets étaient fermés, comme si chaque maison s'était barricadée contre la souffrance du monde extérieur. Des murmures tristes s'élevaient çà et là, des chuchotements sur des proches partis au combat et sur la famine qui s'intensifiait chaque jour.


Une image de Ciri, riant aux éclats en courant entre les étals lors de la fête, me revint en tête. C'était si récent, mais ça semblait appartenir à une autre vie, comme un rêve presque irréel, quelque chose de fragile qu'on ne pourrait plus jamais atteindre. Aujourd'hui, les sourires avaient disparu, remplacés par des visages fermés, des pleurs étouffés.


Alors que je marchais, j'entendis une femme qui pleurait, essayant désespérément d'empêcher les soldats d'emmener son fils. Sa voix tremblait de terreur.


"S'il vous plaît, il n'a que quatorze ans !" suppliait-elle, s'agrippant au bras de son fils.


"Maman… j'ai peur," murmura le garçon, agrippé à sa mère, comme moi, autrefois, incapable d'imaginer une séparation.


"Nous sommes désolés, Madame, mais nous avons des ordres," répondit un des soldats, détournant le regard, honteux, impuissant. Les soldats tentèrent de les séparer, la mère hurlant, ses ongles griffant les bras de son fils, s'accrochant de toutes ses forces.


"Non ! Rendez-moi mon fils !" Sa voix se brisa en un cri déchirant, empli d'une douleur si intense qu'il semblait vibrer dans tout mon corps.


Je ne pouvais détourner le regard. En silence, je serrai les poings jusqu'à en sentir mes ongles dans ma paume, comme un rappel de ma propre impuissance, de mon passé confiné entre les murs d'un hôpital, loin de ma mère. Finalement, je tournai les talons, continuant mon chemin, mais avec un poids de plus sur les épaules.

Arrivé au château, je montai jusqu'à la chambre de la princesse. Des voix s'élevaient derrière la porte, une dispute étouffée mais emplie de colère et de chagrin.


"TU ENVOIES DES ENFANTS AU COMBAT, ET MAINTENANT TU VEUX QUE CELUI QUI M'EST LE PLUS PROCHE Y AILLE AUSSI ?" criait Ciri, le ton désespéré, presque suppliant.


La réponse de la reine était calme, glaciale, presque mécanique.


"C'est son devoir, Ciri, et il est en âge. Il n'a pas le choix."


"Je m'en fiche ! JE TE HAIS ! SORS D'ICI !"


Un silence lourd s'installa, et la porte s'ouvrit. La reine sortit, me voyant dans le couloir. Elle resta immobile un instant, un masque impassible couvrant ses émotions, mais je crus discerner quelque chose d'autre, enfoui sous ce masque : une douleur, dissimulée derrière son regard distant, et un regret qu'elle ne pouvait laisser voir.


Un silence s'étira entre nous, jusqu'à ce qu'elle parle enfin, d'une voix basse, presque résignée.


"Me détestes-tu, toi aussi ?"


Je pris une profonde inspiration, cherchant les mots justes. "Non, Votre Majesté. Vous m'avez donné une nouvelle vie, une chance de consacrer tout ce que je suis à protéger celle que je dois protéger. Alors non, je ne vous déteste pas."


Elle sembla se détendre, juste un peu. Ses épaules, d'habitude droites et assurées, s'affaissèrent légèrement, et son visage, si dur, sembla pour un instant trahir son âge, les années de sacrifices et de décisions impossibles.


"Aiden… cette demande n'est pas celle d'une reine, mais d'une grand-mère."


"Oui ?"


"Si un malheur survient… protège Ciri. Emmène-la loin de Cintra."


Je fus pris de court par sa requête, sentant la gravité des mots peser sur moi. Elle s'approcha, posant une main sur mon épaule, un geste qui pour la première fois n'était pas celui d'une reine, mais d'une grand-mère désespérée.


"Je t'en prie… promets-le-moi," murmura-t-elle, sa voix tremblant légèrement, presque comme une prière.


Je hochai la tête, sentant le poids de sa requête et de sa confiance. "Oui, je le jure."


Elle hocha la tête, ses yeux brillant d'une tristesse contenue. "Merci, Aiden. Maintenant, je n'ai plus à m'inquiéter."


Elle recula, me lançant un dernier regard, puis s'éloigna dans le couloir, ses pas résonnant faiblement dans le silence oppressant. Je l'observai s'éloigner jusqu'à ce qu'elle disparaisse, puis, prenant une grande inspiration, je poussai la porte de la chambre de Ciri.

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