Vipère au pied
Pour ne pas changer, il pleuvait sur la baronnie de Velen. En ce début d’automne, une énième épaisse averse noyait les marécages et le delta du Pontar. On ne voyait guère au-delà de vingt pas. Par cette matinée pluvieuse, la roulotte peinte bleue et or de la Baronne de Dorian, tirée par deux chevaux de trait mollassons arrivait à grande peine à l’entrée du petit hameau de pêcheurs de Vars. L’unique cocher penché sur les rênes semblait fourbu. Le manteau de cuir noir de Messire Davo était gorgé d’eau, son chapeau à large bord tout autant, il donnait l’impression d’un miraculé sauvé d’une noyade.
Davo dirigea sa roulotte dans une petite zone herbeuse proche des premières maisons. Puis, il sauta au sol, sa paire de bottes produisant un retentissant son spongieux, il s’ébroua comme l’aurait fait un chien pour essorer quelque peu son long manteau. Il marchait d’un pas assuré jusqu’à l’arrière de la roulote. Il monta prestement sur le marchepied et ouvrit la petite porte menant à l’intérieur de celle-ci.
Un brasero calfeutré réchauffait quelque peu l’unique pièce de la roulote. Les petits rideaux aux fenêtres diluaient la lumière de l’aube blafarde. Davo posa son chapeau à une patère accrochée non loin de l’entrée et enleva son manteau alourdi d’humidité pour le suspendre à un cintre tout proche du brasero. Il resta une petite minute à réchauffer ses mains au dessus du brasero, plongeant son regard dans les braises rougeoyantes.
Davo était grand, à l’allure dégingandée, à la musculature sèche et musclée. Son crâne rasé se parait d’un tatouage de part et d’autre de sa tête, un petit dragon noir, sans aile, ni membre, au corps serpentin très stylisé. Son visage efflanqué, ridé et doté d’un grand nez crochu invitait tout interlocuteur au respect. Une étroite barbichette broussailleuse et blanche adoucissait quelque peu sa physionomie austère. Davo tourna son regard couleur acier vers le fond de la roulotte, l’unique lit était occupé et la personne endormie se serra dans les couvertures, faisant grincer les lattes du vieux sommier.
- Baronne, il est l’heure de se lever… A moi de profiter du lit quelque peu… émit Davo d’une voix lasse et sans appel. Il entendit indistinctement des murmures de contestations.
- J’ai mal dormie, le roulage a été affreux... rétorqua la personne planquée sous les draps.
- Tu voulais arriver à Vars au matin, cela impliquait de rouler de nuit avec tous les risques que cela implique… De plus, j’ai pris l’averse matinale et j’exige de profiter du lit maintenant… rétorqua Davo conservant son ton sans appel.
- Le lit est assez grand pour deux, on l’a déjà testé… répondit d’une voix suave la silhouette se dressant sur ses coudes tout en se calant contre le haut du lit.
C’était une belle jeune femme, belle véritablement, jeune par le truchement de la magie, car elle venait de fêter à l’entrée de l’automne ses quatre-vingt trois années d’existence… La magie avait ses avantages… Elle était baronne, veuve peu éplorée et magicienne, toute une longue histoire… Davo aurait pu être son fils, il était son amant… Du moins, le dernier d’une longue liste… Cette fausse jouvencelle, se prénommait Maja. Sa titulature nobiliaire complète était Maja, Baronne de Dorian, châtelaine de Montgaillard, de Beaumont et de Combes… Elle faisait parti du conseil restreint et une fois l’an rencontrait le souverain Foltest lors des fêtes de l’anniversaire du roi.
Elle était dotée d’un joli minois, au nez mutin, aux jolis yeux verts brillants, ses cheveux flamboyants et mi-longs aux pointes noires lui donnaient un petit air canaille. Ses formes étaient parfaites, belle poitrine, taille de guêpe et de longues jambes, une magicienne siégeant à la cour du roi se devait être enivrante. Pour Maja, ce n’était qu’un outil pas désagréable pour manipuler la gente masculine et être jalousé par la gente féminine. Tout cela coûtait très cher, en matière de filtres et de composants rares, la beauté magique avait un prix à payer, stérilisant, sonnant et trébuchant…
Maja psalmodia une courte phrase magique couplé à quelques mouvements gracieux de sa main droite. Davo fut brusquement auréolé d’une douce clarté ébouriffante. Il fut séché de la tête au pied en quelques battements de cils. Davo pesta mais la chaleur bienfaisante le fit taire dans la foulée.
- Un demi-siècle de magie pour lancer entre autre des sortilèges hygiéniques de cinquième année d’Aretuza ! Ils ont toujours un charme et une utilité assurée, répondit Maja. Davo sacrément revigorer ôta prestement sa paire de bottes et se jeta sur le lit avec entrain.
- Le temps que je sois convenablement apprêté pour rencontrer ce Messire Odon. Tu as tout le temps de piquer un somme réparateur, rétorqua Maja en embrassant Davo sur la bouche…
- Il était convenu que Dagreed arrive par le nord pour nous rejoindre à Vars. Aux dernières nouvelles, Wyn devait nous attendre à l’unique gargote du hameau… Bon allez, chut, il me faut dormir… répondit Davo en se blottissant tout habiller dans les couvertures parfumées par la présence de Maja.
Avant que ses yeux se ferment de fatigue, Davo pu contempler la silhouette parfaite de son amante sortant du lit. Cela eu l’effet d’un bien être immédiat et apaisant.
En fin de matinée, le soleil pointa son bout de nez entre les nuages chargés de pluie. Le vent du large poussait les nuages vers les terres, l’océan dévoilait sa puissante houle venant s’écraser sur les longues plages de galets et herbées.
On frappa à la porte de la roulote avec insistance.
- Mon chaton, on frappe à la porte, va ouvrir, s’il te plaît… dit Maja en apprêtant sa tenue une nouvelle fois.
Elle portait une tenue de voyage de bonne qualité, elle ne sortait pas ses tenues de cour totalement impropre à la vie dans ce hameau perdu au milieu des marais. Maja avait opté pour une paire de bottes montantes au cuir souple, des bas en laine épaisse de couleur bleu nuit, une jupe et une veste à manche courte de la même couleur que ses bas et une chemise au profond décolleté dévoilant le creux de sa belle poitrine. Une cape rectangulaire bleue et or au couleur de son blason, attachée sur l’épaule droite par un bijou, rappelait à quiconque sa noblesse. A la gorge, elle dévoilait un magnifique ras de cou en or rehaussé d’un magnifique saphir. Le saphir était sa pierre de cœur, sa pierre d’enchantement. Issue de la nouvelle génération de mage se trimballer avec un grand bâton magique rappelait un cliché clinquant et désuet. Elle préférait que sa pierre magique soit montée sur un bijou. Pour déranger les puritains, elle portait ses cheveux au vent, deux petites épingles à cheveux tenaient quelques mèches pour ne pas cacher ses magnifiques yeux verts.
On frappa encore à la porte.
- Chaton va ouvrir c’est sûrement Dagreed… répliqua Maja.
Davo arrangea rapidement son ceinturon autour de la taille, plaçant le fourreau de son épée dans le prolongement de sa jambe gauche. Tout en se déplaçant vers la porte, il finit de boutonner sa veste en cuir et agença sur sa tête nue, son habituel chapeau à large bord. Il tourna la poignée et ne fut pas surpris de voir son ami Dagreed.
- Allez, Dagreed entre… On t’attendait… Toujours ponctuel à ce que je vois… répondit Davo en dessinant un geste de bienvenue à Dagreed.
Âgé d’une vingtaine d’années, à la silhouette athlétique et au visage avenant, Dagreed portait une houppelande de couleur noire, en cuir épais et ample, au col étroit et aux manches très ajustées. Attaché à la ceinture, un masque en forme de bec ressemblant à un oiseau rappelait sa profession de médecin. Malgré son jeune âge, il portait des bésicles qui lui donnaient un air très sérieux. Il disposait dans son dos, d’une cape noire en demi-cercle attachée sur ses épaules par deux petits blasons en cuivre ciselé. Celui de droite rappelant qu’il faisait partie de l’illustre école de médecine de Brugge et celui de gauche représentant le symbole de la 3ème compagnie d’infanterie de Wyzima. Dagreed était un médecin militaire mais détaché de la compagnie depuis plusieurs mois sur l’ordre de burgrave. Il errait par monts et par vaux. La plupart du temps, il suivait la roulote de la Baronne et les pas de son protecteur Davo.
Derrière lui, sa mule Rosette brouettait tranquillement l’herbe verte de la prairie. La brave mule portait toute son intendance personnelle, son matériel de chirurgien, sa petite tente médicale et plusieurs petites cages à pigeons. En plus de soigner les gens, Dagreed avait une seconde passion, apprise à l’armée, l’élevage et le dressage de pigeons voyageurs, il était un colombophile confirmé. Il envoyait souvent ses colombes aux quatre vents pour améliorer ses nichées !
Dagreed attacha la longe de Rosette à une roue de la roulote et monta aisément dans la roulote. Il y eut une petite accolade entre Davo et Dagreed. Toujours désappointé par la beauté de Maja, il réalisa une petite courbette amicale à l’attention de la Baronne.
- Assois-toi, tu vas déjeuner avec nous… Comme d’habitude, on a pour deux, on a pour trois… dit Davo en montrant une chaise à Dagreed.
- Dag’, le voyage a-t-il été bon ? demanda Maja. Très souvent celle-ci utilisait le diminutif de Dag’ pour parler au médecin. Les joues du chirurgien avaient tendance à s’empourprer à l’écoute du diminutif.
- J’ai passé la nuit dernière à Sireuil un hameau au nord de Vars. Je suis parti après l’averse du matin. La matinée de marche s’est bien passée. Je n’ai croisé personne, le hululement du vent fut ma seule distraction. J’ai longé le Bois d’Échebrune, repère de loup et d’ours brun d’après les habitants du cru… L’échevin de Sireuil m’a parlé d’une vile bande de brigands qui écume la région. Cette troupe est dirigée par une mystérieuse et cruelle guerrière, nommée La Vipère. Elle est sans pitié, elle ne s’attaque pas seulement aux marchands et aux convois mais aussi aux habitants du coin. Avec ses hommes, elle pille et tue sans vergogne… Les autochtones sont habitués à l’inaction du burgrave, ils n’attendent rien du roi. Velen, c’est le cul de basse fosse de la Témérie… Je n’étais guère rassuré ce matin au départ… répondit Dagreed tout en sirotant un verre de vin de Beauclair.
- Cette nuit, à la lumière de la pleine lune, sur le chemin du sud, j’ai pu remarquer de nombreux chariots incendiés sur le bord de la route. Maintenant je comprends, sûrement les agissements de cette prénommée Vipère. La route traverse le marais de Fondcouve, je peux te confirmer que le chemin n’était guère enchanteur et encore moins de nuit… répliqua Davo tout en avalant quelques cuillerées de bonne garbure.
- Vous avez traversé le marais de nuit ? demanda Dagreed.
- Oui, sur les ordres de Madame la Baronne, répondit Davo en souriant.
- Ce n’était pas si terrible, j’avais magiquement traité nos deux chevaux pour qu’ils voient dans le noir et qu’ils restent calme toute la nuit… riposta Maja.
Les trois amis attablés finirent le plat de garbure. Une fois ragaillardis par le repas, ils décidèrent de partir pour la gargote de l’hameau de Vars afin d’y retrouver le Sorceleur Wyn. Dagreed déchargea la brave Rosette et plaça tout son attirail dans la roulote, ne conservant sur lui que sa sacoche de médecin. Davo ferma à clé la porte de la roulote et Maja activa les glyphes défensives et de protection ciselées sur celle-ci. Le mercenaire donna quelques orins au fermier le plus proche pour qu’il s’occupe des deux chevaux et de la mule. Le paysan inspirait confiance, Davo savait les trouver, il n’y aurait pas de problème avec le gardiennage des bêtes de somme.
En discutant, il apprit la même chose que son ami médecin. Depuis un an, les habitants de Vars craignaient la cruauté de la brigande Vipère. Plusieurs fermes isolées avaient été pillées et incendiées par cette maudite troupe de malandrins. Selon les dires, ils étaient une dizaine. Nul ne savait qui était la Vipère, les rares rescapés la dépeignaient comme une soldate aguerrie en armure lourde complète peinte de vert portant un heaume témérien intégral à l’étrange cimier en forme de serpent montrant ses crocs. Difficile de séparer la réalité de l’élucubration des autochtones apeurés. Certains disaient qu’elle œuvrait pour la Rédanie pour semer l’anarchie et la discorde à Velen… Mais à Velen, l’anarchie était le terreau immémorial de cette contrée… D’autres parlaient que la Vipère avait la protection de Foltest, qu’elle pouvait mettre à feu et à sang la contrée sans que le roi ne bouge le petit doigt…
En marchant vers la gargote, les trois compagnons ne purent que constater la pauvreté de ce hameau assez caractéristique des communautés humaines de Velen. Les autochtones criaient famine mais se drapaient dans le silence, le mutisme et la résignation. Les enfants crasseux et affamés fuyaient le moindre étranger. Portes et fenêtres se fermaient à leur approche. Le hameau devait compter une vingtaine de maisons dont la grande majorité était abandonnée ou incendiée… Vars ne comptait que deux bâtisses dignes de ce nom, la pseudo-auberge du cru, plus gargote qu’estaminet d’étape et la bâtisse en pierre cis en face d’elle, la demeure du collecteur d’impôt, Messire Odon, que le petit groupe devait rencontrer pour leur mission.
Une vieille enseigne pendait au dessus de l’entrée de l’auberge. Elle représentait une sirène hilare tenant à deux mains une énorme pinte de bière. On pouvait y lire « La Joyeuse de Vars ». En passant la porte d’entrée on était bien loin d’une ambiance réjouie. La pièce centrale basse de plafond empestait un remugle de vinasse, d’ail et de tabac. Un feu quasi éteint couvait dans une grande cheminée. Le mobilier de l’auberge avait été retapé maintes et maintes fois, la clientèle devait avoir la mauvaise habitude de considérer les meubles comme des armes improvisées. Le sol couvert de sciure par endroit témoignait les vomissures coutumières des clients. L’endroit était désert en ce début après-midi automnal, seul l’aubergiste s’occupait de passer un coup de serpillère le long d’un bar noir de crasse.
- Bien le bonjour, messire l’aubergiste… émit Davo en avançant vers lui. La Baronne et le médecin restaient à l’entrée. La Baronne n’avait pu s’empêcher de tenir un mouchoir parfumé devant son nez.
- Salutations voyageurs, vous vous êtes sûrement égarés… répliqua l’aubergiste.
- Pas le moins du monde, nous sommes en affaire avec Messire Odon mais nous recherchons expressément un Sorceleur… répondit Davo. Il y eut un court silence à la fin de sa phrase. L’aubergiste se rembrunit à n’en pas douter.
- Cette engeance du démon… Hier soir, un Sorceleur s’est pointé… Forcément, mes clients n’appréciaient pas sa présence… J’avoue qu’il était admirablement calme face à l’invective lui demandant de décamper tout court… Contre toute attente, ce fou de Malendrec a calmé la situation et a proposé de loger le sorceleur chez lui… Entre insensé, ils ont du s’entendre…
- Ou puis-je trouver ce Malendrec ?
- Lui et sa famille de dément et de consanguins vivent en bord de mer. L’unique maison de pêcheur encore debout, vous ne pourrez pas la rater… Messire Odon a tout fait pour les faire partir mais cette famille s’acquitte de ses impôts… Malgré son esprit mutin, Malendrec est né ici et vend du bon poisson, alors on s’accommode de sa raillerie familière…
- Merci aubergiste et bonne journée… répondit Davo en partant.
Le trio descendit vers le rivage en empruntant des ruelles étroites et sales. Il y avait plusieurs maisons qui longeaient la plage. Toutes ces maisons de pêcheurs étaient en ruine sauf une… Au large, face à Vars, on pouvait distinguer à cinq kilomètres, la ligne sombre d’une île. Non loin de la maison, une grande barque de pêche était posée retournée au sol, on y faisait des travaux pour renouveler son étanchéité. Des filets de pêche attachés le long des murs de la maison séchaient au soleil automnal. Davo frappa à la porte.
- Qui va là ?
- Un ami du Sorceleur, répondit Davo. La porte s’ouvrit.
Davo reconnut Wyn, assis à la table en train de finir une poêlée de sardines et pommes de terre. La tension s’effaça en un instant. Malendrec se tenait à la porte. C’était un petit homme, trapu à l’épaisse barbe blanche, à la peau burinée par le soleil. Il y avait aussi sa femme, une blonde boulotte au large sourire communicatif. Puis une belle marmaille, six enfants courant partout. L’ambiance ne respirait pas la folie décrite par l’aubergiste…
Wyn s’empressa de saluer le trio bien content de les revoir. Le sorceleur avait l’apparence d’un jeune homme alors qu’il venait de fêter ses quarante-six printemps depuis quelques mois. Sa silhouette athlétique respirait la vitalité, la vélocité et la résilience. Ses prunelles de chat ambrés marque de sa caste jetait le trouble à quiconque osait le regarder dans les yeux. Comme à l’accoutumée, il portait deux épées dans le dos, une lame en acier et une lame en argent. Davo en bretteur confirmé, reconnu une belle épée en acier de Mahakam et une épée en argent de l’école du chat.
Wyn ne portait pas d’armure, il n’aimait pas que ses gestes soient ralentis par des épaisseurs de protection. Il avait sa traditionnelle chemise grise en laine légère, sa veste noire consolidée sans manche dévoilant ses bras secs et musclés, un pantalon en cuir noir très ajusté et une bonne paire de bottes renforcées. Son bras gauche était anormal, l’ensemble des veines du bout de ses doigts à la naissance de l’épaule avait la couleur de l’encre. Wyn avait raconté au trio que sa meurtrissure datait d’une vilaine morsure empoissonnée d’un insecte géant. Sur son poitrail imberbe, on pouvait remarquer son pendentif de sorceleur, une tête de chat stylisée.
- Je vous présente Malendrec, sa femme Bertille et je n’ai pas encore mémorisé l’ensemble de sa descendance… émit Wyn en faisant signe à Malendrec de serrer la main au trio. Face à la Baronne, le pêcheur préféra juste courber fugacement sa tête.
- Bon, l’auberge n’a pas été la bonne option… demanda Davo.
- Non, les gens du cru n’ont pas fait bon accueil, j’en ai la triste habitude… Par chance, j’ai croisé la route de Malendrec qui est vraiment à connaître…
- C’est trop d’honneur… Cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu autant de respect pour ma petite personne… répliqua Malendrec.
- Oui, j’ai entendu par le tenancier que vous n’étiez pas en odeur de sainteté dans le village…
- Avec les villageois bonant malant cela passe encore, ma pêche quotidienne nourrit quelques familles… J’ai une certaine utilité. Par contre, Messire Odon ne m’a pas à la bonne.
- Pourquoi ?
- C’est fort simple, je suis le seul au village à commercer et à me rendre sur l’île de Beren toute proche… Pour Vars, les gens de Beren sont des sauvages aliénés aux mœurs dégénérés, tout juste bon à finir sur les bûchers du Feu Éternel !
- A quand même…
- Et vous que pensez-vous des gens de Beren ? demanda Dagreed jusqu’à présent silencieux.
- Les gens de Beren sont juste grégaires et subsistent sur leur île. Ils vivent principalement de la pêche… Je parle assez souvent à Capistran l’échevin de Beren, il est sage et juste. Les gens de Beren sont las comme beaucoup d’entre nous… Tantôt attaqués par les Rédaniens, tantôt repris par les Témériens et massacrés par les pillards de Skellige… Depuis plus de dix ans, les îliens de Beren ne reconnaissent plus aucune autorité et encore moins celle d’Odon. Ils ne paient plus l’impôt depuis belle lurette. Il y a une quarantaine de famille qui vivent sur l’île…
- C’est bien que je pensais, loin des yeux, loin du cœur et l’animosité est à la porte… répondit Dagreed.
- Beaucoup de villageois pensent que l’île est maudite… A cause des serpents…
- Des serpents ? répondit Maja pour la première fois attentive à la discussion.
- Oui Madame, l’île de Beren a une sinistre curiosité… Chaque arpent de l’île est couvert de centaines de serpents. Dans les arbres, au sol, dans les étangs… Partout même dans le village… L’île a toujours été ainsi, les îliens s’accommodent de cela. Même les brulis successifs n’ont pas chassé les serpents… Génération après génération, les natifs ont développé une forte résistance naturelle au poison de serpents.
- Cela explique que peu de monde ose s’aventurer sur l’île… Envahisseurs, autorités, colons ont de quoi vite décampés…
- Merci pour l’hospitalité, Malendrec, voici dix orins pour le gîte, émit Wyn en comptant les orins dans sa bourse. Bertille s’avança et s’empressa de récupérer l’argent.
- C’est ma femme qui a les cordons de la bourse. Je vous souhaite une bonne journée et n’hésitez pas à repasser, vous serez les bienvenus.
- Merci encore pour le gîte de la nuit dernière, dit Wyn tout en serrant la main à Malendrec.
Une fois dehors, le quatuor se regarda quelques instants, la Hanse du Lys était de nouveau complète. Il y eut quelques accolades et phrases d’amitié échangées.
- Allez… Allons voir ce Messire Odon qui a besoin l’aide du margrave et de notre Hanse du Lys.
- Selon les mots du margrave, « Aidez Odon, il aurait une solution pour restaurer le pouvoir royal sur cette terre oubliée du roi. Œuvrez avec diligence et circonspection… J’ai une certaine suspicion envers mon collecteur d’impôt de Vars, bien que loyal et zélé, je le suspecte de servir une autre cause que j’appréhende mal… » récita Maja.
D’un pas assuré, le quatuor remonta les ruelles en direction de la bâtisse du collecteur d’impôt.