Igor
Igor était laid, très laid, affreusement laid. Bossu, la bouche de travers, des yeux qui ne regardaient pas toujours dans la même direction, un crâne pointu sur lequel les cheveux semblaient avoir du mal à s’installer, des membres trop longs, des dents éparses qui débordaient de sa bouche. C’était comme si chaque partie de son corps avait été dessinée par une conscience maléfique dont l’intention était de concevoir la créature la plus vilaine qui fût.
On ne savait pas qui étaient ses parents. Il avait été trouvé abandonné peu de temps après sa naissance par un soldat qui patrouillait dans les ruelles les plus mal famées de Bourg-d’Hyrule. Une de ces ruelles étroites, couverte d’un pavé cabossé, où il fait toujours sombre et où sont dissimulées les boutiques les plus suspectes de la capitale. Déjà nouveau-né, il était hideux. La légende raconte que la première chose qu’ait dite le soldat qui le ramassa, en le regardant de plus près, fut un borborygme mêlant surprise et dégoût :
« Yeurg ! »
Qui par la suite évolua en Igor. L’homme ramena sa trouvaille au château où il fut accueilli dans l’orphelinat.
Les premières années se passèrent plutôt bien, les enfants étant trop jeunes pour émettre des jugements tranchés sur l’apparence physique. Mais cela ne dura guère longtemps, et vers six ans, il était déjà la cible de quolibets et de plaisanteries de mauvais goût. Les autres enfants avaient pris conscience de sa différence, et l’exprimaient d’une manière cruelle. Cela provoqua quelques bagarres au début, mais le jeune garçon finit par trouver un moyen d’en faire un atout. Il devint un champion des grimaces, assumant pleinement sa laideur, afin de provoquer volontairement l’hilarité de ses semblables, et en tira une certaine popularité.
L’orphelinat était installé dans un vieux bâtiment, camouflé derrière des arbres, à mi-chemin entre le château et le Temple du Temps. Il avait à l’origine été pensé comme une dépendance du château, mais n’avait jamais réellement trouvé d’utilité, et avait vite été délaissé. C’est donc naturellement que, lorsque la création d’un institut pour les enfants abandonnés fut décrétée, près de deux siècles auparavant, ce bâtiment fut choisi pour l’accueillir. Il était organisé à la manière d’un manoir de trois étages, avec une grande salle de réception en bas, des chambres au deuxième étage, et au troisième, des salles dont la fonction changeait au gré des modes et des époques.
Dans une aile peu fréquentée de ce dernier étage, on trouvait un grand miroir. Ce miroir était une des raisons de la faible fréquentation de l’endroit, car dès qu’il faisait un peu sombre, il semblait multiplier les ténèbres, créer un gouffre noir vertigineux qui effrayait la plupart des jeunes pensionnaires – et du personnel – de l’établissement. Aussi, l’endroit était devenu un refuge pour Igor. Il trouvait un certain apaisement dans la solitude, et ce miroir lui permettait d’apprendre à maîtriser son apparence. En contemplant son propre reflet, il s’habituait à son corps. Quand on ne peut changer les choses, on apprend à faire avec. Et surtout, il pouvait répéter à l’abri des regards et des moqueries toute une variété de grimaces et de postures. Il ne gardait pour son public que celles qui lui paraissaient vraiment en mesure de faire mouche.
L’adolescence marqua un tournant dans son existence, et la fin brutale d’une période de calme relatif. La puberté apporta avec elle deux choses qui lui étaient particulièrement peu favorables : le besoin de s’identifier à un groupe et le désir romantique et sexuel. Ces deux tracas se multipliaient plus qu’ils ne s’additionnaient, l’un renforçant l’autre et inversement.
L’appartenance à un groupe se fait autant par le partage d’intérêts communs que par ce que l’on rejette unanimement. Il est tout aussi important de montrer ce que l’on est, que de montrer ce que l’on n’est pas. Et il semblerait que plus l’environnement est violent, plus l’importance accordée au rejet est grande. Or, l’orphelinat était un environnement particulièrement féroce. Quelle que fut la bonne volonté des éducateurs, ils étaient trop peu nombreux, et leur présence parfois trop éphémère pour pouvoir donner le cadre et l’affection que donnent des parents dans une famille sans histoire. Aussi, les groupes sociaux dans cet univers ressemblaient-ils à ce que l’on observe chez de nombreux animaux sauvages. C’étaient des meutes. Chacune possédait un chef, généralement de sexe masculin, qui accédait à ce rang en usant d’une force et d’une agressivité supérieures à la moyenne de ses congénères. Ce chef avait des privilèges très séduisants, comme une armée de fayots prêts à tout pour entrer dans ses bonnes grâces, ainsi qu’un droit de préemption de facto sur la plupart des femelles du groupe. Naturellement, de tels avantages créaient des jalousies, et attisaient la convoitise de prétendants. Aussi, le chef vivait en permanence sous pression : en cas de conflit avec un rival, il ne pouvait pas perdre, car une défaite impliquait la perte de sa légitimité, l’inévitable soumission à son vainqueur et, fatalement après une telle humiliation, une mise à l’écart définitive. Il lui fallait donc trouver un moyen de museler ses rivaux. Et pour cela, rien de tel que de trouver une victime, ce que l’on appelle un dominé dans les groupes d’animaux, c’est-à-dire un souffre-douleur sur lequel on s’acharne collectivement. Ce dominé était sélectionné en raison de sa faiblesse apparente. Il ne pouvait espérer aucun soutien d’aucun membre de la meute, car le soutenir revenait à s’exposer soi-même à endosser ce rôle peu enviable. Plus vicieux encore, il était même recommandé à tout membre du groupe de participer à son harcèlement, afin de prendre ses distances avec lui, montrer par ce comportement de rejet qu’on ne s’identifiait pas à lui, et ainsi réduire le risque de se retrouver à sa place.
Igor se retrouva vite dans la position du dominé.
Cela était dû à son apparence physique bien sûr, mais pas uniquement. Comme nous l’avons vu, Igor était plutôt habitué à la bagarre, et donc assez difficile à soumettre. En d’autres circonstances, il aurait pu espérer tirer son épingle du jeu, en devenant bouffon du roi par exemple. Mais il avait malheureusement soutenu activement le mauvais loup. Son candidat, sentant que le vent ne tournait pas en sa faveur, avait fugué, et on ne l’avait jamais retrouvé. Mirgo, le jeune homme qui s’imposa finalement comme chef, décida de lui faire payer sa loyauté mal placée.
L’autre aspect douloureux de la puberté, c’étaient les relations amoureuses entre jeunes. Pour Igor, ce fut un véritable calvaire. L’adolescent tombe facilement amoureux, et le plus souvent à partir de pas grand-chose : un physique agréable, un trait de caractère plaisant, un certain charisme, etc. N’ayant pas encore une maturité émotionnelle très prononcée, les émotions qu’il ressent peuvent vite devenir très envahissantes, et mettre à mal une raison déjà bien bousculée par les modifications profondes que traverse le corps, et le besoin de se plier à la ligne du groupe qui prend parfois le dessus sur la réflexion personnelle. Aussi l’adolescent a-t-il tendance, plus que quiconque, à se laisser complètement enivrer par ces sentiments nouveaux qui, à la manière de l’alcool, faussent son jugement et sa perception de la réalité. Il va donc, à partir de ce trait particulier à l’élu de son cœur qui l’a fait chavirer, lui construire une personnalité et des intentions fictives qui s’accordent parfaitement avec ses propres aspirations. Ainsi, il ne tombe pas amoureux d’une personne, mais de l’image qu’il se fait de cette personne. Ceci est finalement une vérité générale, l’adulte connaît les mêmes travers. Mais l’adulte, pour peu que son chemin vers la maturité n’ait pas été lourdement entravé, et qu’il arrive à laisser sa raison avoir un peu de prise sur ses émotions, parviendra à se créer une image de l’objet de ses désirs plus proche de la réalité, en acceptant notamment plus facilement ses parts d’ombre. Il aura aussi plus de facilités à modifier ses propres aspirations afin de les faire converger au mieux avec ce qu’il lui est raisonnable d’espérer. L’adolescent se berce encore dans un idéalisme pur, et n’envisage pas de transiger.
Igor n’y échappa pas. Il tomba amoureux d’une jeune fille de l’orphelinat, Aria, qui avait le même âge que lui. Aria avait une beauté quelconque, ce qui la rendait à la fois agréable à regarder et accessible. Elle était, de plus, relativement bienveillante, en ce qu’elle ne participait pas aux lynchages et échangeait parfois des banalités avec lui (généralement quand il n’y avait personne d’autre alentour). Aux yeux d’Igor, sa beauté quelconque était divine, et sa relative bienveillance était le signe d’une affection et d’un intérêt profonds qu’elle aurait pour lui. Dans ses rêves, il volait régulièrement à son secours, contre les membres de la meute qu’il détestait le plus, contre les créatures inquiétantes que l’on pouvait croiser dans la plaine d’Hyrule les jours de déveine ou contre des adultes malfaisants qui avaient choisi de faire d’elle leur proie. Il s’imposait héroïquement et elle se jetait à son cou, éperdue d’amour et de reconnaissance.
Le jour, il essayait de se rapprocher d’elle. C’était son occupation principale lorsqu’il était éveillé. Malgré tout, il était conscient qu’il partait avec un sérieux désavantage. Aussi y allait-il prudemment. Il se cachait dans l’ombre quand il y avait trop de monde, cherchant tout au plus à croiser son regard, tout en détournant immédiatement les yeux quand cela arrivait. Par contre, lorsqu'elle était isolée, il profitait de la fenêtre d’action qui s’ouvrait pour surgir devant elle. Généralement, il la saluait, lui adressait un sourire édenté, et après quelques secondes interminables d’un silence gêné, où il espérait en vain qu’elle lançât une conversation, il prenait congé. Il n’était pas suffisamment insistant pour que la pitié qu’elle ressentait à son égard se muât en inquiétude.
Ce qui devait arriver arriva, elle céda un jour aux avances d’un autre garçon. Un garçon moyen : ni particulièrement beau, ni particulièrement laid, ni particulièrement intelligent, ni particulièrement stupide, ayant quelques bons amis et pas de vrais ennemis. Igor était effondré.
C’est également à cette époque qu’une nouvelle membre fut recrutée au sein de l’encadrement. C’était une jeune femme sheikah dans la vingtaine. Issus d’une ancienne civilisation dotée d’une technologie extrêmement avancée, régnant autrefois sur le monde, les Sheikahs, aussi appelés « Peuple de l’Ombre », étaient aujourd’hui peu nombreux, et très discrets. Jadis serviteurs de la déesse Hylia, ils avaient juré fidélité à la famille royale d’Hyrule, au sein de laquelle leur divinité tutélaire se réincarnait quand la situation du monde l’exigeait. On ne connaît guère le caractère des tâches qu’ils effectuaient pour leurs maîtres, mais le fait qu’ils agissent dans l’ombre laissait à penser qu’ils se concentraient sur les besognes les moins avouables. Naturellement, les rumeurs les plus folles couraient à leur sujet. L’une d’entre elles, non des moindres, prétendait tout bonnement que les Sheikahs n’existaient pas, et que ce nom servait simplement à désigner des militaires hyliens ayant suivi un entraînement spécifique pour les assassinats ciblés.
Aucun membre de l’orphelinat n’avait eu l’occasion d’en rencontrer jusqu’à présent. Aussi furent-ils dans l’ensemble très vite fascinés par cette nouvelle encadrante. Rien que son apparence physique détonnait, avec ses yeux rouges qui pouvaient soutenir n’importe quel regard, sa chevelure d’argent, souple et soyeuse, qui se laissait glisser le long de son visage juvénile au teint mate, et sa silhouette athlétique et élancée, qui la faisait davantage ressembler à une guerrière qu’à une éducatrice.
Mais son apparence physique n’était pas la seule chose qui détonnait chez elle. Son attitude était également très différente de celle de ses collègues. Les éducateurs hyliens étaient dans l’ensemble avenants, charmants et extravertis. Et bien qu’ils fussent en permanence débordés, que la fatigue se fît très souvent ressentir, ils s’efforçaient de toujours rester aussi joviaux et énergiques que possible, d’arranger les conflits en douceur et de manière diplomatique, et de consoler les enfants malheureux en minimisant leurs soucis et en essayant de leur faire voir la vie du bon côté.
Impa avait une attitude très différente. Elle était taciturne, froide et introvertie. Elle ne cherchait pas à s’attirer la sympathie des enfants et adolescents. Elle avait de plus un sens moral bien plus strict que ses collègues. Ne transigeant pas avec ses principes, elle n’hésitait pas à recadrer sèchement – pour ne pas dire violemment – les jeunes dont elle n’appréciait pas le comportement. Elle prenait la défense des plus fragiles pour lesquels son arrivée fut une vraie bouffée d’air frais. Les voyous la détestaient autant qu’ils l’admiraient. De nombreux garçons étaient sous son charme, et elle provoquait en eux d’autant plus de fantasmes qu’elle paraissait inaccessible. Chez les filles, elle suscitait des sentiments très variés, jalousie, admiration, voir une étrange et troublante attirance physique pour une partie non négligeable des orphelines qui n’auraient jamais imaginé pouvoir être attirées par une autre femme.
Le courant passa bien avec Igor. Elle était belle, il était laid, mais en dehors de cela, ils avaient des similitudes qui permirent rapidement une sympathie réciproque. Tous deux étaient physiquement très différents de leur entourage, de sorte qu’ils étaient ceux sur qui les premiers regards s’attardaient. Ils avaient également une difficulté à s’intégrer dans leurs groupes respectifs, et préféraient s’en tenir à l’écart. Enfin, leur lien le plus fort, mais aussi le plus discret, était leur rapport singulier à la mort.
Le cimetière principal de Bourg-d’Hyrule, celui qui était réservé aux gens du peuple, était situé à côté du Temple du Temps, et était facilement accessible depuis l’orphelinat. C’était devenu le nouveau refuge d’Igor. Il se sentait plus apaisé dans cet endroit où personne ne venait le chercher. En effet, les Hyliens avaient une relation assez distante avec leurs défunts. Ils les enterraient au cours d’une cérémonie généralement digne et larmoyante, mais ne s’en souciaient plus guère après. Les tombes étaient rapidement laissées à l’abandon. Igor avait développé une fascination pour la Mort. Sa propre mort était une idée séduisante par certains aspects, il l’imaginait héroïque, le glaive à la main. Donnant sa vie pour sa bien-aimée, celle-ci lui confessant ses sentiments dans leur dernière étreinte. Et elle était punie de sa trop longue indifférence en n’ayant plus l’opportunité d’être heureuse avec lui. Mais plus encore que sa propre mort, à laquelle il ne lui arrivait de songer que dans les moments où son moral était au plus bas, c’était la mort de ses harceleurs qui nourrissait ses fantasmes. Il les imaginait devant endurer un trépas extraordinairement long et douloureux, une épouvantable agonie, avant que leurs corps soient jetés sous des tombes hideuses, que personne ne souhaitait visiter, et qu'il pouvait aller souiller à loisir. Les torturer et les humilier, ce ne serait qu’un juste retour des choses, étant donné que c’était ce qu’ils lui infligeaient quotidiennement contre sa volonté. Il avait soif de vengeance. Parfois aussi, il imaginait l’un d’eux aux portes de la mort, avec son intervention comme seule chance de salut. Et il se délectait de les voir sombrer en étirant un hideux sourire, sans rien faire pour leur porter secours.
À force de recevoir des coups, il rêvait d’en donner. La cruauté engendre la cruauté.
Impa aussi visitait le cimetière occasionnellement. Dans la culture sheikah, la frontière entre la vie et la mort est beaucoup plus fluide que ce qu’en perçoivent les Hyliens. Pour ces derniers, c’est une rupture définitive. Pour les Sheikahs, elle fait partie de la vie. Aussi, les Sheikahs sont-ils bien plus proches de leurs morts, continuent à les appeler à l’aide, et à les visiter.
Ces visites au cimetière étaient, comme nous l’évoquions tantôt, le dernier point commun entre Impa et Igor, et peut-être le plus fort. S’y croisant seuls, ils prirent régulièrement le temps de converser. Leurs discussions, initialement de simples salutations, devinrent au fil des mois de plus en plus profondes et philosophiques. Igor partageait ses souffrances et ses doutes, son aversion pour le fonctionnement des sociétés humaines, et la sérénité qu’il ressentait dans cet endroit incongru. Impa lui donnait son point de vue sheikah sur ces questions, présentant des éléments philosophiques et spirituels de la culture dans laquelle elle avait grandi. Igor en vint à la conclusion qu’il aurait mieux aimé naître Sheikah.
En dehors de ces moments de répit, son quotidien devint de plus en plus pénible. Aria avait l’air très heureuse avec son amoureux. Igor espérait secrètement la voir rompre. Son vœu finit par s’exaucer, au moment où il ne l’espérait plus. Elle semblait profondément affectée. Il fit ce qu’il put pour la consoler, mettant toute sa rancœur et ses sentiments les plus noirs de côté. Elle lui en fut reconnaissante. Deux semaines plus tard, elle avait trouvé un nouvel amoureux et paraissait être la plus heureuse des jeunes filles. Cet amoureux n'était pas Igor.
En fait, tout ce petit monde avait l’air d’être pris dans un tournoiement d’histoires sentimentales aussi bancales qu’excitantes. Ils en jouissaient, ils en souffraient, ils ne parlaient que de cela. Seul Igor semblait mis au ban de cette aventure, et il en éprouvait un profond ressentiment.
À cela vint s’ajouter un désir sexuel qui gagnait en intensité au fur et à mesure que sa puberté avançait. Les rumeurs couraient de savoir qui l’avait fait, avec qui, où et quand. Il eut la nausée quand ces rumeurs vinrent entourer Aria. Il avait envie de tuer le petit merdeux avec qui elle l’avait (peut-être) fait. Il rêvait qu’elle expie sa faute en se mettant à genoux devant lui et en le faisant jouir, lui cet être immonde que plus personne ne voulait approcher avec autre chose qu’un bâton ou des pierres.
Car oui, il savait qu’il dégoûtait les filles, et il se dégoûtait lui-même. Il n’allait plus devant le miroir du troisième étage, tant visualiser l’entièreté de son physique répugnant lui était devenu insupportable.
Un jour cependant, alors qu’il se sentait particulièrement malheureux et en colère, il décida d’y retourner. Il fit face à son image, comme s’il se défiait lui-même. Il se trouva plus hideux que jamais. Il reproduisit ses meilleures grimaces, elles l’horripilaient. Il commença à avoir des hallucinations. Son propre reflet semblait se déformer dans la pénombre, il affichait un étrange rictus et ses yeux brillaient d’une lueur inquiétante. Et puis il entendit cette voix, sa voix, qui résonnait à l’intérieur de son crâne.
« Vois, c’est pour cela qu’elle ne veut pas de toi ! Pas plus elle que n’importe quelle autre d’ailleurs. Qui voudrait s’afficher en public avec un clown burlesque hideux ? Qui voudrait se laisser aller aux étreintes et aux caresses d’une créature comme toi ? Tu es laid Igor, laid, laid, laid ! »
Igor serra sa tête entre ses mains, mais la voix était toujours là, toujours aussi distincte, toujours aussi insultante. Il se roula par terre, s’écorchant au passage les coudes et les genoux, puis se releva, et fonça tête la première dans le miroir. Son front entra en contact avec la surface lisse de la glace en un heurt particulièrement violent. Le choc le déséquilibra, et il tomba à la renverse, le front couvert de sang. Il avait laissé un énorme impact au milieu du miroir, et de longues fissures continuaient à apparaître, partant du centre pour rejoindre les bords, en émettant des craquements sinistres. Cela faisait comme une toile d’araignée qui se tissait toute seule. Et soudain, sans crier gare, toute la surface réfléchissante se disloqua en cascade et vint recouvrir le sol de milliers de petits éclats de verre coupants.
Alertée par le vacarme, Impa se précipita dans le couloir, et s’arrêta net, abasourdie par le spectacle qui s’étalait sous yeux.
« Igor, mais que s’est-il passé ici ? »
Le jeune homme se redressa, tourna vers elle son visage couvert de sang, et poussa un rire dément et particulièrement lugubre. Puis il s’évanouit. Les voix dans sa tête s’étaient tues.