Le Sang et le Sein

Chapitre 4 : La Bataille de Cocorico

Chapitre final

4317 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/01/2023 15:17

Posté à l'entrée du village, pour surveiller les éventuelles menaces, le jeune garçon était très fier de la confiance qui lui était accordée. Aussi, même si d'ordinaire, il ne se passait rien, il restait très concentré sur l'horizon. Les Sheikahs étaient en guerre, et sa communauté comptait sur lui. Toute oisiveté était hors de question pendant son tour de garde.

Statique dans la neige fraîchement tombée, il sentait que ses orteils gelaient dans ses bottes. Les lobes de ses oreilles aussi commençaient à devenir douloureux, et les fluides qui s'accumulaient dans son nez rendaient sa respiration plus difficile. Mais il ne devait pas se laisser déconcentrer par ces détails mineurs. D'autant qu'il lui semblait bien apercevoir comme des scintillements au loin.

Il attendit, plus concentré que jamais, d'en savoir plus. Les scintillements avaient l'air de se rapprocher. Puis, petit à petit, ils prirent l'apparence d'une grosse masse humaine. Les scintillements étaient en fait dûs aux reflets du soleil matinal sur les lourdes armures argentées que portaient les soldats. Il n'avait jamais vu une armée aussi vaste, aussi impressionnante. Il réalisa alors que la guerre n'était pas un jeu, et il ressenti une peur d'une intensité qu'il n'avait jamais connue jusqu'à présent. Il se précipita vers l'intérieur du village pour avertir les officiers en place de ce qu'il venait de voir.

Son histoire fut tout de suite prise au sérieux. Il ne pouvait pas s'agir d'une mauvaise blague, il avait réellement l'air terrorisé. Et puis, ce n'était pas vraiment une surprise non plus, on se doutait bien que les Hyliens finiraient par réagir. Quoi de plus naturel chez un peuple aussi arrogant ?

On envoya alors un diplomate pour discuter avec les potentiels agresseurs. Il franchit la grille d'entrée, et se dirigea, seul, vers la puissante armée. Derrière la grille, des lanceurs de dagues prenaient position, prêts à tout pour protéger leur village.

"Qu'est-ce que c'est que ce type ? s'étonna un des officiers hyliens en voyant l'ombre noire découpée sur la neige, qui s'avançait vers eux d'un pas assuré.

- C'est un représentant du pouvoir Sheikah, répondit Zelda, autant pour elle-même que pour ses hommes. S'il est envoyé alors que nous ne sommes pas encore au pied des grilles, ça signifie vraisemblablement que nous ne sommes pas les bienvenus. Ce qui n'est pas une surprise en soi.

- Que fait-on dans ce cas ?

- Pour le moment, on arrête ici. Vous deux, vous venez avec moi, ajouta-t-elle en désignant deux de ses gardes du corps, je vais discuter directement avec lui."

Elle s'avança alors, encadrée des deux soldats, vers l'ombre encapuchonnée. Le contraste entre la reine et ses hommes était saisissant. Les gardes du corps étaient des chevaliers hyliens typiques, portant de lourdes armures, le visage entièrement dissimulé derrière un solide heaume en fer, n'ayant pour ouverture qu'une fine raie au niveau des yeux leur permettant de voir, et une grille au niveau de la bouche, pour parler et respirer. Ils étaient armés de grosses épées, les plus lourdes qui puissent être portées d'une seule main, et de boucliers hyliens, dont la réputation n'était plus à faire. Zelda, elle, portait une armure légère en alliage indigo. Une pièce unique, forgée par l'armurier royal, qui épousait parfaitement les lignes de son corps. En guise de casque, elle avait une couronne renforcée qui protégeait le haut du crâne, mais ne dissimulait en rien son noble visage. Elle portait enfin une épée, longue mais légère, qui pouvait tenir dans une main, mais dont la garde était assez grande pour permettre une prise à deux mains. D'ailleurs, elle n'avait pas souhaité s'encombrer d'un bouclier, elle préférait garder sa deuxième main libre pour multiplier ses options. Elle n'avait jamais réussi à adhérer à l'escrime hylienne, basée sur la force et la puissance. Elle préférait encore la précision, la légèreté et la vélocité des techniques sheikahs. Ainsi, la présence des deux molosses à ses côtés faisait-elle ressortir sa grâce et son élégance. Cela n'enlevait rien à la crainte qu'elle inspirait. Son regard glacial et déterminé aurait fait trembler le plus téméraire des ennemis.

Arrivée à hauteur du Sheikah, elle déclara :

"Je suis Zelda, reine d'Hyrule. Je suis venue demander au peuple sheikah des excuses officielles pour les outrages injustifiés que vous avez infligés au peuple hylien."

Le représentant sheikah eut un rictus nerveux.

"Voilà qui est contrariant. Car nous attendons également des excuses de votre part. Et il est bien sûr hors de question que nous vous en présentions pour le moment."

Zelda soupira. Toute cette histoire commençait à sérieusement l'agacer, et elle ne voulait pas perdre son temps avec un intermédiaire qui se contentait de répéter les positions de ses dirigeants, sans jamais prendre la moindre initiative personnelle. N'avait-il pas une famille à protéger pour l'amour de Nayru ?

"Laissez-moi parler à Impa !

- La politique étrangère n'est pas du ressort de notre Grande Prêtresse.

- Politique étrangère ? Vous êtes rattachés au royaume d'Hyrule, je suis encore votre souveraine !

- Ce n'est pas notre position. Bien, tant que vous ne nous aurez pas présenté des excuses officielles, nous n'avons plus rien à nous dire."

Et il s'en retourna, sans les regarder, vers le village.

Grande Prêtresse, c'était donc comme ça qu'ils tenaient Impa à l'écart des affaires politiques. Il fallait reconnaître que c'était plutôt malin. Elle était toujours populaire auprès de la population, et son titre de Sage de l'Ombre lui donnait une autorité naturelle, ce qui la rendait gênante pour ses adversaires. Cependant, cela la rendait aussi complètement légitime pour le titre de Grande Prêtresse. Ainsi, elle n'était pas humiliée, elle avait un titre digne de son rang, et en plus, elle ne posait plus de problème.

Les officiers s'étaient rapprochés de leur reine pour connaître la marche à suivre.

"Qu'allons nous faire Votre Majesté ? Ils ont continué à se moquer de nous, et les hommes trépignent à l'arrière. Certains d'entre eux avaient de la famille à Cocorico...

- Ils ne me laisseront pas voir Impa de leur plein gré. Peut-être imaginent-ils que je n'oserai pas intervenir...

- Mais nous ne pouvons pas rester inactifs face à un tel affront, c'est toute votre légitimité qui serait remise en cause par vos soldats !

- Je le sais bien, et je n'ai pas l'intention de rester sans rien faire ! Écoutez, voici ce que je propose. On enfonce la grille avec le bélier. Il faudra envoyer les archers en couverture, car ils ont sans doute placé des lanceurs de dagues pour nous accueillir. Une fois qu'on a une ouverture, on rentre dans le village. À ce moment-là, n'hésitez pas à être féroces, il faut marquer le coup. Je veux que le combat soit le plus court possible, alors faites-les céder. Si un soldat sheikah se rend, ou se retrouve isolé, faites-le prisonnier. Par contre, tant qu'ils sont en groupe, et combatifs, pas de pitié, montrez-leur de quel côté est l'autorité ! Moi, je vais essayer de trouver Impa. Il n'y a probablement qu'avec elle que je pourrai mettre fin à ce conflit de manière raisonnable. Des questions ?

- Non Votre Majesté ! À vos ordres, Votre Majesté !"

L'imposant bélier avançait, doucement mais sûrement, vers l'entrée du village. Soutenu par un châssis monté sur roues, protégé par un toit en bois, et renforcé par une tête en acier stylisée, il n'était pas seulement conçu pour détruire des murs, mais aussi pour anéantir le courage des assiégés. Il fallait une vingtaine de gardes pour le manoeuvrer, péniblement, dans la neige. Comme l'avait demandé la reine, des archers étaient placés juste derrière, et envoyaient des volées de flèches pour repousser les lanceurs de dagues sheikahs. Et en effet, les lanceurs de dagues, dont la portée était inférieure à celle des archers hyliens, après avoir subi quelques pertes, renoncèrent à arrêter le bélier. La bataille se tiendrait dans le village, c'était désormais inévitable.

Le lourd tronc d'arbre vint percuter la grille d'entrée avec fracas. Celle-ci trembla, vibra, et finalement céda, volant en éclats. Les rues de Cocorico étaient ouvertes aux assaillants.

Le choc entre belligérants se fit de manière frontale. L'infanterie sheikah, armée de sabres traditionnels, la pointe de la lame légèrement recourbée, attendait les chevaliers hyliens avec détermination. Malgré leur apparence frêle - ils n'étaient protégés que par des armures légères, avec quelques renforcements métalliques pour les plus costauds - les Sheikahs posèrent d'entrée beaucoup de problèmes aux lourds et puissants soldats de la reine. Les lanceurs de dagues s'étaient repliés sur les toits, et criblaient l'envahisseur de leurs missiles meurtriers.

Zelda cherchait désespérément sa nourrice des yeux, mais impossible de la voir. Elle était submergée par la masse des combattants. Ses gardes du corps s'étaient resserrés autour d'elle, écartant les assaillants, si bien qu'elle n'avait encore eu que peu à lutter. Et pourtant, elle se sentait encore plus mal que la première fois qu'elle avait foulé un champ de bataille. Non par peur, mais par dégoût. Elle était en train de diriger la bataille entre ses deux nations, et c'était un déchirement.

Soudain, un de ses gardes du corps s'effondra, une dague fichée dans la visière de son heaume.

"Que les hommes situés à l'arrière passent par les toits. Il faut faire le ménage au plus vite sinon on ne s'en sortira pas !"

On n'y voyait plus grand-chose. Chacun se battait contre les adversaires à sa portée. L'armée hylienne avançait, péniblement. Chaque mètre gagné était extrêmement coûteux en vies humaines. Lorsque le soleil atteignit son zénith, après une matinée entière de rudes combats, les positions respectives des deux armées n'avaient que sensiblement évolué. Par contre, les effectifs fondaient, les rangs se desserraient. Zelda avait perdu la moitié de ses gardes du corps et était de plus en plus souvent contrainte de repousser elle-même ses ennemis. Heureusement qu'une part importante de ses hommes avaient réussi à monter sur les toits, afin de les nettoyer, car elle faisait une cible facile à présent. Contre l'avis des quelques gardes du corps qui lui restait, elle profita d'une brèche qui s'était ouverte dans les rangs pour commencer à courir entre les habitations, dans l'espoir de retrouver Impa et de mettre un terme à ce carnage.

Elle avait beau bien connaître le village, la violence des combats et les cadavres répandus un peu partout jouaient des tours à son sens de l'orientation. Aussi, ses déplacements étaient erratiques, elle privilégiait les endroits les plus accessibles plutôt que les plus logiques. Soudain, le toit d'une ferme qu'elle contournait s'effondra avec un pan du mur. Elle plongea en avant et roula sur elle-même pour éviter de se retrouver ensevelie. Lorsqu'elle se redressa, ses gardes du corps n'étaient plus là, vraisemblablement restés bloqués derrière le tas de gravas qui l'empêchait de rebrousser chemin. Avec leur lourd équipement, ils n'avaient pas réussi à suivre la cadence qu'elle leur avait imposée. Elle ne pouvait pas non plus continuer à avancer trop en avant, car le chemin débouchait sur une des nombreuses cassures de terrain caractéristiques du village, qui l'entraînerait dans une chute d'au moins huit mètres en contrebas.

"Alors princesse, nous t'avons manqué ?"

Sans qu'elle sache comment il était arrivé, un Sheikah s'était dressé devant elle. Il était vêtu d'un long manteau à capuchon rouge grenat, qu'il portait par-dessus l'armure légère classique. Grand, ce tenant droit, il avait la stature charismatique d'un meneur d'hommes. Le genre d'homme à ne souffrir ni du froid, ni du vent, ni de la violence des combats. Il pointait sa lame vers elle en affichant un sourire cruel. Elle aurait reconnu ce regard haineux entre mille.

"Gahnima..."

Voilà qu'elle se retrouvait face à son ennemi intime. Ce rival honnit ressorti de son adolescence en exil. Il avait joué un rôle dans toute cette affaire, elle en était certaine. Le massacre des civils hyliens, l'appel à la guerre... Il n'y avait que lui qui détestât suffisamment les Hyliens. Il n'y avait que lui qui fût capable de communiquer sa haine à la communauté, et de la pousser à de telles extrémités. Était-il l'étincelle qui avait déclenché le feu, ou la bûche qui l'entretenait ? L'éliminer suffirait-il à mettre un terme au conflit ? Elle croisa le fer avec lui, tenant fermement son arme de ses deux mains.

"En t'éliminant princesse, je libérerai mon peuple, ainsi que tous les autres, du joug de l'infâme impérialisme hylien !

- C'est moi qui vais t'éliminer, avant que ton orgueil sans limite ne conduise l'ensemble du peuple sheikah à l'auto-destruction !"

Gahnima frappa le premier. Zelda para son coup, mais il en enchaîna un deuxième avant qu'elle ait pu riposter. Elle se retrouvait déjà en position de faiblesse, subissant les assauts répétés de son adversaire, les parant in extremis sans pouvoir prendre l'initiative.

Elle fit alors une roulade de côté pour sortir de sa zone de garde. Ils étaient maintenant séparés d'environ deux mètres, et s'observaient tout en restant très mobiles sur leurs appuis. On était dans un cas typique d'escrime sheikah, qui privilégiait la vitesse, la souplesse et la technique à la force brute. Ils prirent simultanément l'initiative de l'assaut. Bondissant l'un vers l'autre, leurs larmes s'entrechoquèrent avec fracas, et ils durent mobiliser l'ensemble de leurs muscles pour encaisser l'énorme quantité d'énergie cinétique qui en résulta.

Ils restèrent ainsi au corps-à-corps une vingtaine de secondes. Bien que cette position soit extrêmement gênante pour enchaîner les coups, aucun des deux ne souhaitait s'écarter, au risque d'être frappé pendant l'esquive. Zelda sentait cependant que son adversaire exerçait une plus grande pression, et elle peinait à retenir sa lame, la sentant glisser vers elle, lentement mais sûrement. De plus, le grincement des épées était une torture pour les oreilles. Sentant qu'elle risquait de céder, elle s'écarta d'un coup. La surprise déséquilibra Gahnima qui plongea vers l'avant. Elle chercha à profiter de la situation pour lui porter un coup de taille, mais il se retourna avec une dextérité de félin et para son attaque.

Ne se laissant pas démonter, elle avança d'un pas vers lui pour frapper à nouveau, mais il para une nouvelle fois et envoya une riposte qu'elle écarta de justesse. Les attaques se firent de plus en plus incisives de chaque côté. Chacun était animé par la volonté suprême de terrasser son adversaire. La défense était de plus en plus négligée, et les parades étaient toujours réalisées au dernier moment, par des réflexes salvateurs.

Zelda sentait ses bras qui commençaient à brûler. Son coeur résonnait sous son armure. Elle avait la bouche ouverte pour aspirer un maximum d'air. C'était de plus en plus dur, elle sentait son endurance qui fléchissait, mais elle se rassurait en s'imaginant que Gahnima souffrait tout autant. Elle diminua le rythme de ses attaques, se concentrant sur la défense, le temps de retrouver son souffle. Elle se contenta à nouveau de parer les assauts de son adversaire, espérant qu'il y laisse de précieuses forces. Mentalement, elle préparait l'ultime attaque. Celle qui jaillirait, et qui devrait mettre fin au combat. Tournant autour de son adversaire, elle avait le mollet gauche qui frémissait, prêt à se contracter en une fraction de seconde pour la faire décoller. Mais Gahnima semblait inépuisable, il attaquait de façon continue. Cependant, elle remarqua que le temps entre ses assauts était régulier. Il reprenait son souffle, réassurait ses appuis sur le sol enneigé et boueux, et attaquait à nouveau. Aussi choisit-elle de profiter de cet instant, de cette inspiration pour déclencher sa contre-attaque.

Gahnima, surpris par la vitesse de l'assaut, se recroquevilla, et plaça, dans un réflexe de survie, sa jambe en opposition. Concentrée sur son attaque qui visait la tête, Zelda ne remarqua pas assez vite cette jambe qui traînait, et la botte de son adversaire, dont la semelle avait été ferrée et cloutée pour une meilleure stabilité, vint la percuter au foie, enfonçant son armure. Elle eut le souffle coupé. Une vive douleur traversa son corps comme un éclair, ses doigts se tendirent sous le choc, lâchant l'épée. Elle perdit ensuite l'équilibre et termina son saut en roulant et glissant au sol sur plusieurs mètres, parvenant de justesse à s'arrêter avant de tomber dans le vide.

Gahnima mit une bonne seconde à se ressaisir. Voyant que son adversaire était au sol et désarmée, il avança vers elle en préparant le coup de grâce. Dans un ultime réflexe, Zelda saisit la dague qu'elle portait à la ceinture, et la lança en direction de son assaillant. La petite lame vint se loger avec une précision impitoyable dans la carotide du Sheikah.

Il s'arrêta net, choqué, mais au lieu de s'effondrer, il resta droit, quoique parcourut de tremblements, serrant fort la garde de son arme, comme s'il s'accrochait à une branche pour ne pas tomber. Il se savait condamné, mais ne voulait pas partir seul. C'est alors qu'un des gardes du corps parvint à franchir le tas de gravats, et de sa lourde épée, coupa le tronc du Sheikah en deux, de l'épaule gauche à la hanche droite. Il alla ensuite proposer son aide à sa reine, prostrée au sol et couverte de boue, qui se tenait le côté en toussant et crachant.

"Par pitié, ne restez pas ici Ma Reine, vous n'êtes pas à l'abri avec ces foutus projectiles qui peuvent frapper à tout moment.

- Ça va aller, répondit-elle dans un râle, j'ai juste besoin de reprendre mon souffle."

Ils franchirent le tas de gravats en sens inverse, et furent rejoints par les autres gardes du corps. Il était très difficile de repérer la ligne de front, les combats étaient dispersés un peu partout autour. Il y avait encore quelques projectiles qui tombaient, presque aléatoirement, sur le sol ou sur des hommes. Mais on sentait que le nombre de lanceurs de dagues avait fortement diminué.

Zelda était complètement désemparée, elle n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvait Impa, elle ne savait même pas si elle était encore en vie. Elle ne savait pas non plus où étaient passés ses différents officiers, et il était donc impossible de donner des ordres. Chaque soldat était livré à lui-même dans une totale anarchie, jouant sa survie à chaque instant. Il ne fallait plus s'attendre à ce que qui ce soit fasse preuve de clémence envers son ennemi. Elle assistait, totalement impuissante, à un déferlement de violence.

Faute de mieux, elle décida d'aller vers l'avant. Circulant entre les cadavres, sursautant quand quelqu'un tombait d'un toit, elle se rapprocha petit à petit d'une zone de combats plus dense. L'armée avait retrouvé une certaine cohérence. Et soudain, elle aperçut celle qu'elle cherchait depuis le début, sa nourrice, Impa.

Les toits désormais sécurisés, les derniers guerriers Sheikahs étaient acculés. Repoussés jusqu'au moulin, qui surplombait le village, ils s'étaient regroupés derrière leur championne, bien décidés à défendre jusqu'au bout leur honneur et leur liberté retrouvée. L'armée royale les encerclait, laissant un rayon d'une trentaine de mètres. Bien qu'ayant subi au moins le double de pertes, ils étaient encore nettement plus nombreux, ce combat avait été inégal depuis le début. Les lanciers pointaient leurs armes sur les derniers survivants, afin de protéger la ligne d'archers, située juste derrière, qui avaient déjà tous une flèche à leur corde. Déjouant une nouvelle fois la vigilance de ses gardes du corps, Zelda passa devant la première ligne, et interpella directement son ancienne nourrice:

"Impa, je t'en prie, cesse cette folie ! Cette guerre n'a aucun sens, et vous n'avez aucune chance. Abandonnez maintenant, et je te jure, sur tout ce que j'ai de plus précieux, que vous ne serez pas poursuivis. Mais par pitié, ne m'oblige pas à être celle qui causera ta perte !"

Les yeux écarlates d'Impa fixèrent la jeune reine avec insistance, pénétrant au plus profond de son coeur. Puis, de sa voix grave et jadis si réconfortante, elle déclara doucement:

"On ne peut plus revenir en arrière Zelda. Notre combat est juste. Malheureusement, ce monde ne l'est pas. Si je me rends, je trahis mon peuple. Nous préférons mourir libres que vivre enchaînés. Je sais que tu as toujours agi en pensant faire le bien, mais hélas, tu t'es fourvoyée. Considère ceci comme la dernière leçon que j'aurai à te transmettre. Un jour viendra où tu la comprendras."

Zelda voulut protester, mais elle ne trouvait pas les mots. De toute façon, elle savait que c'était vain. Impa était, de loin, la personne la plus déterminée qu'elle ait jamais connue. Elle ne revenait jamais sur ses décisions. C'était sans issue.

"Que devenons-nous faire, Votre Majesté ?"

Elle ne se retourna même pas vers son capitaine, préférant garder les yeux rivés vers sa nourrice. Mais, déjà, les derniers Sheikahs couraient vers eux, brandissant leurs sabres et poussant leur dernier cri de guerre.

"Finissons-en...", consentit-elle d'une voix à peine perceptible.

Le capitaine acquiesça, bien que le manque de conviction flagrant dans la voix de sa reine l'embarrassât quelque peu. Il fit un signe du bras, et une volée de flèches s'abattit sur les Sheikahs qui s'effondrèrent au sol. Puis, lanciers et épéistes chargèrent à leur tour pour finir le travail. Malgré tout le courage et toute la volonté des derniers survivants, la vague hylienne les submergea, et l'affaire fut réglée en quelques coups d'estoc. Ainsi prit fin la rébellion des Sheikahs.

Lorsque la garde royale se retira, elle laissa derrière elle un spectacle glaçant. Les corps des guerriers sheikahs étaient figés dans la neige, qui avait été entièrement repeinte en rouge. Impa gisait au milieu d'eux, le corps transpercé de deux flèches. Zelda se précipita sur elle et la prit dans ses bras. Les soulèvements de sa poitrine étaient rapides et irréguliers, signe de ses difficultés à respirer, mais elle vivait encore.

"Ne fais pas de mouvements inutiles, je vais t'envoyer nos meilleurs médecins, ils réussiront à te sauver !"

Impa afficha un timide sourire. Elle caressa délicatement la joue de la princesse, sur laquelle se mélangeaient la sueur, le sang et les larmes. Puis, d'une voix épuisée, mais de laquelle avait disparue toute hostilité, elle répondit:

"Ne sois pas ridicule ma belle, tu vois bien que c'est la fin...

- Non, je t'en supplie, accroche-toi ! On reconstruira ce monde ensemble, un monde meilleur, je te le jure !

- Zelda... Mon esprit quitte déjà mon corps... Je suis tombée... face à une adversaire valeureuse... Je suis fière... fière de ce que tu es devenue Princesse... J'espère... que tu comprendras...

- Impa... Impa !"

Elle la secouait, cherchant désespérément à la faire réagir. Mais déjà, les iris écarlates de la guerrière avaient viré au bordeaux, un filet de sang s'échappait des commissures de ses lèvres, et sa respiration avait cessé.

Par pudeur, les soldats s'éloignèrent des deux femmes, afin de ne pas s'immiscer dans leurs adieux. De toute façon, ils avaient encore du travail. Les corps, que la neige commençait déjà à recouvrir, devaient être évacués au plus vite pour éviter les épidémies. Après tout, le village venait d'être réintégré au royaume d'Hyrule. Le vent glacial de l'hiver transportait jusque dans la plaine l'odeur du sang versé et les hurlements de détresse de la reine.

Elle resta un long moment ainsi, serrant dans ses bras la dépouille de sa nourrice. Elle ne sentait ni la morsure du froid sur sa peau, ni la fatigue de ses muscles. Elle ne voyait plus les minutes passer, et n'était même plus consciente d'être reine. Son esprit s'était pudiquement éloigné, afin de laisser l'enfant orpheline faire son deuil. Puis il revint, lentement, discrètement, reprendre sa place. Zelda caressa alors le visage d'Impa, afin de fermer ses paupières. Ce feu, qui l'avait toujours réchauffée et éclairée, s'était éteint. Mais elle continuerait, seule, elle affronterait le froid et les ténèbres.


"C'est si cruel de me laisser vivre sans toi..."

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