Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 8 : Glace

5068 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/06/2021 16:42

"Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité

ce qu’enferme un homme dans les illusions de son cœur."

- Francis Scott Fitzgerald

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ZELDA

Nous partîmes dès l’aube du jour suivant. Le voyage à cheval jusqu’au pied de la montagne de Lanelle nous prendrait toute une demi-journée en gardant un bon trot ; quelques heures d’ascension nous sépareraient encore de la Source elle-même. Toujours dans l’incapacité d’utiliser le module de téléportation, nous n’avions pas d’autre choix que d’effectuer le voyage du retour le lendemain et avions prévu dans nos sacoches tout  le matériel pour bivouaquer. Je me réjouissais à l’idée de passer une nuit seule avec Link, loin de tout et de tous. Plus de trois mois avant de pouvoir ne serait-ce qu’annoncer nos fiançailles, j’avais bien conscience que nous ne pouvions pas nous permettre de courir le risque d’une grossesse... Toutefois, à chaque baiser avec Link je ne pouvais m’empêcher de spéculer intérieurement en termes de risques, de probabilités et de périodes de fertilité… Selon les livres que j’avais arpentés à ce sujet, nous ne craignions rien, si peu de temps après ma lune de sang

Les chevaux furent libérés dans une clairière au pied de la montagne, entre l’ancienne porte Est de la Route de Lanelle et la voie escarpée qui serpentait dans les collines jusqu’aux neiges éternelles. Blizz et Mey avaient pris l’habitude de rester ensemble, près de là où nous les laissions, tant qu’ils y trouvaient de quoi boire et manger. Link entreposa nos selles et autres harnachement dans les branches d’un arbre : selon lui, le matériel serait ainsi hors de portée des loups et renards parfois friands de cuir, et dissimulé d’éventuels voleurs par l’épais feuillage déjà poudré des ors de l’automne. Nous mangeâmes aussi, avant de reprendre notre route, afin d’alléger notre paquetage aussi bien que pour prendre des forces.

Je me sentais toute petite face à cette immense montée… Et dire qu’il y a quelques semaines encore, j’avais envisagé de la gravir directement en sandales et dans ma robe de cérémonie ! Folle! Cette fois, j’étais équipée de manière appropriée pour la randonnée, mes habits de cérémonie soigneusement rangés dans mon paquetage pour plus tard. 

Link insista pour porter mes sacoches, prétextant que ce serait plus facile pour lui si le poids était équilibré sur ses deux épaules. Je portais quant à moi les légers mais encombrants matelas d’appoint et les deux sacs de couchage. Sur ses instructions, nous ramassâmes en chemin autant de bois mort que nous pouvions en porter.


Le soir tombait à peine lorsque nous arrivâmes à la Source. Pendant que nous gravissions péniblement la dernière portion de la montée, l’horizon s’était ouvert sur l’infinité de l’Océan ; alors, atteignant enfin le vaste surplomb rocheux recouvert de neige où se nichait la Source, je pris quelques instants pour admirer la vue. A ma droite, d’antiques escaliers menaient vers la statue de la Déesse. Autour d’elle, d’immenses piliers de glace bleutée ceignaient et couronnaient la Terre Sacrée. Monumentaux et pointant tous vers le zénith, ils semblaient vouloir déchirer la trame du ciel - les colonnes de marbre qui avaient jalonné notre chemin et s’élevaient encore jusqu’au bassin en étaient toute humiliées. A ma gauche, rien d’autre que de l’eau et de l’air salés, à perte de vue : les deux m’emplissant d‘un désir ardent de voler de nouveau.

Alors que mon regard glissait sur cette ligne séparant la mer et le ciel, je pouvais presque entendre le claquement de mes voiles gonflées par le vent, et sentir sous mes pieds la poussée du pont de mon navire alors qu’il se cabrait sur la houle. Hylia… Comment pouvais-je me souvenir de ces sensations aussi intensément? Moi qui n’avais jamais mis les pieds sur un bateau de toute cette vie…

Link me rejoignit alors que je m’imprégnais des lointains embruns : il posa son menton sur mon épaule et m’entoura de ses bras doux et forts, m’ancrant de nouveau dans notre présent. Ensemble, nous regardâmes les vagues minuscules rouler loin, si loin en dessous de nous : fugace moment de félicité que je garderai dans mon cœur pour toujours. Puis il me libéra, posant un baiser sous mon oreille au passage. Il était temps de nous remettre au travail. 

Dans ma grande Sagesse, je m’étais documentée sur cette source avant de partir et j’avais notamment lu, dans un ancien ouvrage, qu’en déposant une écaille du Dragon Naydrac aux pieds de la Déesse, une grotte s’ouvrirait derrière la source. J’en avais justement une en ma possession depuis toute petite, montée sur un collier ayant appartenu à ma défunte Mère. Je fus agréablement surprise cependant de constater que la légende était vraie. Un peu fière également, car cette grotte – qui abritait une de ces étranges entrées de sanctuaires Sheikah – constituerait un abri idéal pour bivouaquer hors de la neige. Link prépara le feu de camp sur le socle du sanctuaire pendant que je me changeais. Prévoyant, il y ajouta de grosses pierres plates en m’expliquant qu’une fois chauffées par le feu, elles pourraient être utilisées comme bouillottes pour réchauffer les sacs de couchage. 

Il s’inquiétait de la température de l’eau : 

« C’est de l’eau de fonte, Zelda… Elle est glaciale… Je me souviens dans quel état tu as fini à la Source de Firone, et c’est une région tropicale… »

« Je sais … Mais à la Source du Courage, j’étais désespérée : j’y avais passé des heures et des heures à prier, sans boire ni manger… Ici ça ne sera l’affaire que de quelques minutes… Ne t’en fais pas… »

Je lui souris, confiante.

« Ma Grenouille, je ne … »

« Tu ne voulais pas aller chercher plus de bois ? » le talonnais-je gentiment, lui chatouillant les côtes pour le détendre un peu. « Ce sera bien plus utile que de te mettre la rate au court-bouillon comme ça… Allez, File ! »

Il me prit dans ses bras et m’embrassa tendrement avant de s’exécuter.


Je faisais la fière, mais au moment de mettre les pieds dans la source, je fus saisie par la froideur mordante de son eau. L’elixir que j’avais bu n’y changeait rien: j’avais l’impression qu’on m’enfonçait des aiguilles dans les chairs. Ma peau fut comme lacérée, d’abord, puis complètement engourdie. Alors que j’avançais doucement vers la statue, je pouvais sentir mon sang glacé couler dans mes veines, propageant ce froid intense partout dans mon corps. Non, vraiment, cette prière allait être bien courte!

Je joignis mes mains tremblantes en face de la Déesse, qui pour la première fois de ma vie semblait me sourir avec bienveillance. Et pour la première fois de ma vie, je n’avais rien à lui demander : pas de supplication à formuler, pas de repentance vis-à-vis de mon incapacité… Je tenais simplement à dire « Merci ».

« Merci » pour ce grand pouvoir qui m’avait finalement été accordé et m’avait permis de sauver mon royaume, mon peuple et mes amis. « Merci » pour toute l’aide qui m’avait généreusement été apportée par eux. « Merci » pour le dévouement et le soutien inconditionnels de Link, qui me suivaient à chaque incarnation. « Merci » pour son Amour…  Alors que j’essayais tant bien que mal de chasser de mes pensées ce froid mordant afin de me concentrer uniquement sur ma gratitude, un voile de lumière iridescente enveloppa la statue de la Déesse, et les Triangles d’Or sur ma main répondirent à son appel. Aussitôt,, tout devint noir. 


LINK

Il faisait presque nuit lorsque je revins à la source les bras chargés de branches mortes. Comme je l’espérais, je n’aperçus pas la silhouette de Zelda en train de prier devant la statue: elle avait certainement déjà terminé et était partie se réchauffer devant mon feu. Je contournai la source brumeuse pour amener mon bois au campement. 

Mais Zelda n’y était pas. Je l’appelai : elle ne répondit pas. Je sortis de la grotte et appelai de nouveau, balayant les alentours du regard. Pas de réponse. Puis je la vis. Forme blanche qu’on pouvait facilement prendre pour un paquet de neige ou une volute de brume dans ce paysage glacé, la robe de cérémonie abhorrée de ma Princesse ondulait dans l’eau telle un spectre. Non… Non non NON !  Je sautai d’un bond dans la source pour la rejoindre. Le froid était insupportable.

Elle était à genoux devant la Déesse, de l’eau glaciale jusqu’à la taille, courbée comme un supplicié demandant grâce. Sa tête et ses cheveux pendaient devant elle, ajoutant à son allure spectrale. Dans la source Sacrée de la Sagesse, je hurlais tous les jurons que j’avais pu apprendre dans ma vie de militaire alors que j’emportais ma fiancée inconsciente dans mes bras. Le temps de nous sortir de là et je fus presque aussi trempé qu’elle. Je l’appelais, lui parlais, mais rien ne la ramenait à moi. Je pris son pouls : son cœur battait encore mais lentement, si lentement, que chaque pulsation semblait se réclamer d’être sa dernière. Sa respiration était si faible que je la percevais à peine. A la lueur de mon feu de camp près duquel je l’avais emmenée, sa peau d’un gris bleuté était froide comme la pierre.


ZELDA

J’ouvris les yeux sur le plafond d’une grotte. La lumière jaune et vacillante du feu dansait sur les parois rocheuses. Link se tenait devant moi, levant une torche au-dessus de sa tête pour observer une fresque. Une grande bête à cornes grise le poussa doucement de son museau. 

Quoi ? Mais… Qu’est-ce que je fais là ?

Tout devint noir à nouveau, l’espace d’un instant, puis le rêve continua. C’était complètement différent des rêves de l’Epée, pendant lesquels je me retrouvais dans la peau des autres Zelda : dans cette vision-là, je m’observais de l’extérieur, et cette aventurière aux cheveux courts avait l’air si différente de moi que si je n’avais pas eu exactement le même visage et le même amoureux, je ne me serais même pas reconnue.  Ils avaient perdu une de leurs torches ainsi que leur animal de bât en s’enfonçant toujours plus loin dans la grotte. Leur chemin, heureusement, était éclairé de pierres Nox. L’image se brouilla de nouveau. 

Une salle circulaire s’était ouverte devant nous. En son centre, le cadavre d’un homme immense était exposé, poitrine vers le haut, dans une posture d’agonie. Un formidable bras de lumière turquoise lui empoignait le cœur, et semblait lentement vider le corps momifié de sa substance dans une large spirale. De la Rancœur suintait de tout le reste de la carcasse noircie. 

Ganon !  … Non… 

Le symbole du peuple Gerudo était omniprésent sur ses vêtements, sur ses bijoux… Je pouvais voir luire dans la pénombre sa gemme royale caractéristique, flamme orange au milieu de son front, et ses cheveux écarlates flamboyaient dans le miasme de sa Rancœur. 

Se pourrait-il que…  Ganondorf ??

Tout à coup,, la momie tourna son visage maléfique vers cette autre moi. Sa gueule béante se tordait en un rictus de pure malveillance et ses yeux rouges luisants de haine tels deux charbons incandescents, s’enflammèrent soudain pour brûler comme deux soleils. Le craquement sinistre de sa nuque sembla se répercuter par une sombre magie dans la roche, et le sol se déroba sous les pieds de mon alter ego. Link la rattrapa de justesse mais faute de prise, il bascula à son tour vers le précipice. Le bras luminescent lâcha son emprise sur le Seigneur du Malin pour les rattraper et les sauver tous les deux. 

Le sceau était brisé.  


LINK

Zelda ne se réveillait pas. Je l’avais assise en face du feu, dos contre moi, avant de déchirer cette maudite robe dans toute sa hauteur pour l’en débarrasser : le tissu trempé au contact de sa peau  ne ferait que la refroidir davantage. Je jetai ce chiffon de malheur le plus loin possible de nous et enveloppai ma bien-aimée dans son sac de couchage, chaud et sec. Ce n’était clairement pas comme ça que j’avais rêvé de la voir nue pour la première fois. 

Je tendis un bras pour fouiller dans mes sacoches à la recherche d’un des flacons de Remède Pikpik que nous avions préparés ensemble la veille. Mais Zelda était si faible et amorphe que son corps refusa d’en avaler la moindre goutte, et tout ce que je pus faire sans risquer de l’étouffer fut d’en humidifier sa bouche inerte. 

Frissonnant moi-même de froid dans mes habits trempés, je bus d’une traite le reste du flacon et allongeai Zelda sur son matelas,  aussi proche que possible de la source de chaleur, avant d’ajouter quelques grosses branches au feu pour en augmenter la vigueur. Puis je disposai plusieurs des gros galets brûlants le long de son sac de couchage, et frictionnai vigoureusement son corps à travers le tissu. Rien n’y faisait, elle ne revenait toujours pas à elle, elle n’avait même pas repris de couleurs ! Mais elle était vivante. Allez, Zelda ! Reprends-toi, je t’en prie… Ne me fais pas ça, ne me laisse pas !

Quand j’en fus arrivé à grelotter et claquer des dents si fort que je ne maitrisais plus mes mouvements, je me résignai à m’occuper de ma propre hypothermie : il me serait impossible de l’aider si je finissais dans le même état qu’elle. J’ôtai donc à mon tour mes habits mouillés et glacés, m’enveloppai dans le second sac et retournai auprès d’elle. Toujours aucune amélioration, peut-être même un pouls un peu plus lent encore. Je hurlais dans ma panique, insultant Din pour son feu inutile, reprochant à Nayru son eau glacée, implorant Farore de ne pas reprendre sa vie. 

Je sentis la chaleur de mon propre corps revenir dans mes doigts et mon visage alors que je m’époumonais : peut-être parce que le remède commençait à faire effet, ou peut-être parce que ma terreur et ma rage étaient telles que mon sang était sur le point de bouillir. Sans réfléchir plus longtemps, je sortis de mon couchage et l’ajoutai sur elle comme une couverture supplémentaire. Puis je me faufilai dans son sac auprès d’elle. Je sanglotais d’horreur : c’était comme se coucher auprès d’un cadavre tant son corps était froid et rigide. Je la tournai vers le feu pour pouvoir me caler dans son dos, plaquant contre son corps gelé le plus de surface de ma peau que je pouvais. J’emmêlai mes jambes dans les siennes, enveloppai son buste de mes bras, pris ses deux petites mains au creux des miennes et lovai mon visage dans son cou glacé en priant Farore que son pouls ne s’arrête pas sous mes lèvres. 

Le Temps s’était comme suspendu. Etais-ce seulement une impression ? Mais au bout d’un moment - que je ressentis comme un siècle entier - il me sembla que petit à petit, son corps se faisait moins froid et moins rigide. A la vitesse imperceptible d’un escargot silencio, sa respiration se faisait plus profonde, son pouls plus rapide... Quand elle commença à trembler, signe qu’elle avait repris assez de vigueur pour que ses fonctions de survie se remettent en route, je fus incapable de maitriser mes pleurs de soulagement. 


ZELDA

J’ouvris les yeux sur les flammes d’un feu de camp. Dans une grotte. Etais-je encore en train de faire le même rêve ? Je grelottais. J’avais froid, et pourtant, j’étais au chaud. Je me sentais si bien, lovée contre cette chaleur. Je sentais des mains brûlantes se serrer gentiment sur les miennes… 

« Link… ? »

Il se mit à sangloter et m’embrassa le cou, avec tant de lenteur et de force… Sa pommette frotta contre ma joue lorsqu’il acquiesça en silence, faisant rouler quelques  larmes sur mon visage. Puis il me serra un peu plus fort encore dans ses bras. Il tremblait.  

« Link… ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Je me dégageai légèrement de lui pour pouvoir me retourner et lui faire face : je devais voir son visage, il fallait que je sache quel Link il était, qui nous étions… Je ne savais plus… Je pris soudain conscience que j’étais nue. Nous l’étions tous deux ! Et il était mon Link, aucun doute, ce n’était pas un rêve ! 

« Link !! Pour l’Amour de Nayru comment se fait-il que … » commençai-je.

Mais il ne me laissa pas continuer : d’un air penaud, il me reprit dans ses bras et me serra encore plus fort contre son cœur, étouffant ses sanglots dans le creux de mon cou. 

Si j’avais pu me sentir offusquée un court instant de m’être réveillée nue auprès de lui sans savoir pourquoi ni comment, c’était déjà fini : mon cœur fondit devant sa détresse.  Je l’enveloppai de mes bras à mon tour, caressant sa nuque et son dos pour le consoler. Au contact de sa peau nue, une chaleur familière se mit à brûler doucement dans mon bas ventre et malgré mon intense fatigue, j’eus bientôt toutes les peines du monde à rester maîtresse de mes pensées. 

« Eeh … Ça va aller… Je suis là… » tentai-je. « Shhh… Link… Mon Amour, qu’est-ce qui te met dans cet état ? »

 Mais à ces mots il sanglota de plus belle, puis explosa : 

« J’ai cru te perdre !!… J-je t’ai trouvée à moitié morte dans l’eau de la source, froide comme un cadavre ! Inconsciente. Ton cœur battait à peine ! J’ai l’impression que ça fait des heures que j’essaie de te ramener. Je suis tellement soulagé que tu sois vivante, Zelda! Je t’aime si fort! Si je t’avais perdue je… Non… Non … !! Je peux pas… ! » 

Je compris enfin. Je me rappelai que j’avais eu cette vision en priant... J’avais dû tomber en transe dans l’eau glacée. Cette eau si froide qu’en quelques secondes à peine j’avais déjà commencé à grelotter… Combien de temps avais-je pu rester dedans avant qu’il ne me retrouve? 

« Oh Link, je te demande pardon… Regarde, je vais bien… Tu ne me perdras pas… Merci d’avoir pris soin de moi… » 

J’embrassai son front et me blottis un peu plus fort contre son corps tout chaud, caressant doucement de mes doigts le haut de son dos, jusqu’à ce que nous nous endormions tous les deux, toujours enlacés. 


LINK

Il faisait encore nuit noire quand je me réveillai. Zelda dormait à poings fermés près de moi : le cauchemar que j’avais vécu quelques heures plus tôt me revint en mémoire par bribes. C’était une chose de se battre contre des monstres, réels, tangibles, dans lesquels je pouvais planter une flèche ou une épée. Se battre contre un ennemi invisible qui avait tenté de me la voler de l’intérieur, me laissant complètement désarmé, en était une toute autre. Cela m’avait rappelé mon impuissance et la fureur de mon père quand la mise au monde de ma petite sœur avait tourné elle aussi au cauchemar. Les Déesses soient louées - et puissent-elles pardonner les insanités que j’avais proférées plus tôt - Zelda avait survécu : pendant de longues minutes après mon réveil, je ne pus rien faire d’autre que m’émerveiller de la profondeur de sa respiration et de la chaleur de son corps. 

Par l’entrée de la grotte d’où s’échappait la maigre fumée, j’entendais une chouette hululer. Mon feu s’était presque entièrement consumé et je savais que les dernières heures de la nuit étaient toujours les plus froides. Sans sortir de notre sac de couchage, je me hissai sur un bras pour pouvoir, de l’autre, attiser et nourrir mon feu. Mes mouvements réveillèrent Zelda. Alors que je me recouchai près d’elle, elle gémit doucement et vint se lover dans mes bras

 « Navré de vous avoir dérangée, votre Altesse... » lui chuchotai-je tendrement.

Pour toute réponse, elle m’entoura de ses bras à nouveau et mordit doucement la peau de mon cou, juste en dessous de ma mâchoire... La réponse de mon corps fut immédiate, et le contact de sa peau nue sur la mienne n’arrangeait rien.  Je me dégageai de son étreinte et m’allongeai sur le dos pour tenter de calmer ma respiration et mes ardeurs. A la lumière du feu, je la vis sourire de satisfaction alors qu’elle posait sa tête dans le creux de mon épaule et sa main sur mon cœur : elle avait l’air si fière de l’effet qu’elle avait sur moi!

Nous n’avions plus sommeil du tout. Alors, Zelda me raconta la vision qu’elle avait eue en priant, et qui m’avait valu la plus grande frayeur de ma vie. Sincèrement, après ce que je venais de vivre, me voir annoncer que la source de la Rancœur du Fléau était toujours là, répandant sa boue rose quelque part dans le sous-sol d’Hyrule, et apprendre que malgré nos efforts et notre supposée victoire, la guerre n’était probablement pas terminée, m’en toucha une sans faire bouger l’autre. Il faut dire qu’à ce moment-là, la seule chose qui aurait pu me faire plus plaisir que de céder à la tentation de son corps nu aurait été de couper un Lynel en petits dés! Sa vision nous aurait dit où trouver cette momie pourrie que je serais allé lui casser les dents sur le champ. Pour lui apprendre.  

Cependant, ma Princesse était quant à elle désemparée et angoissée à cette idée et il était impensable pour moi de la laisser se torturer l’esprit toute seule… Aussi tentais-je maladroitement de l’aider à mettre ses pensées au  clair. 

« Donc, tu penses que les gens que tu as vus, c’était nous mais dans l’autre réalité ? Celle dont venaient Sidon et les autres ? »

« Oui, j’en suis presque certaine. »

« Donc, ça ne s’est passé… - ne se passera ? Tu m’as compris…- que dans 100 ans par rapport à notre époque ? »

« Oui. Mais d’une part, vu nos visages, ça n’était - ne sera ? Oh c’est tellement bizarre ! - que quelques mois ou années tout au plus après avoir vaincu le Fléau, donc ça n’attendra pas forcément 100 ans… Et d’autre part cette momie était très ancienne : si c’est bien Ganondorf, elle est là depuis des milliers d’années! Donc si elle est dans leur monde elle est nécessairement aussi dans le nôtre. » 

« Hmmm… Et nous… Pardon:  “Ils” étaient seuls, tu dis ? Pourquoi y seraient-ils allés sans escorte ? Ou bien tu crois qu’ils ont pu tomber dessus par hasard, en explorant ? Ça te ressemblerait tellement, ça : oh regarde Link, une crypte lugubre ! Tout laisse à penser qu’on peut y trouver de la technologie antique et une mort certaine, allons-y !… Espèce de curieuse compulsive, va…» plaisantai-je en la caressant de ma joue. 

« Eh ! Arrête de te moquer ! » pouffa-t--elle, « difficile à dire : je n’étais pas dans sa tête, cette fois… Ils avaient l’air de chercher quelque chose en tous cas, c’est sûr... Je pourrais peut être demander à l'Épée ?»

« Hylia toute puissante ! Tu viens de prouver que j’ai raison ! Tu te souviens ce qui s’est passé il y a quelques heures à peine ? Je t’ai crue morte à cause d’une de tes "visions'', bon sang ! Je te serais vraiment extrêmement reconnaissant si tu pouvais faire une petite pause dans tes trucs de déesse, là. Pour je sais pas, moi, quelques jours peut-être? Tu veux bien faire ça pour moi, s’il-te plait, ma Grenouille? Ce que je me demande, c’est s’ils y sont descendus par simple curiosité ou parce qu’ils rencontraient des problèmes à la surface, et qu’ils cherchaient à les résoudre… Car si elle est là depuis des milliers d’années, cette momie…  Eh bien elle n’est plus à quelques années près, tu vois ? Surtout si comme tu l’as dit toi-même, c’est notre présence qui a brisé le sceau : tant qu’on ne s’y rendra pas, elle restera à sa place … »

« Mais elle continuera de répandre sa Rancœur! Et donc de faire naître des monstres! Peut-être même que le Fléau Ganon et ses Ombres n’étaient finalement que des émanations de ce Ganondorf mal scellé. Peut-être que l’original est encore plus puissant ! C’est notre Devoir de l’empêcher de nuire ! » 

« Et quand ce sera le moment je serai là pour me battre à tes côtés, tu le sais… » Je lui lançai un sourire enjôleur. « Mais c’est aussi ton Devoir, il me semble, de faire perdurer la lignée d’Hylia… Et pour ça aussi je compte bien t’aider… De toutes mes forces... Je suis vraiment très motivé pour ce Devoir là… » 

« Link …! » Elle était irrésistible quand elle rougissait. 

« Prenons quelques années pour nous, ma Princesse, les momies peuvent attendre… Reprenons des forces, rebâtissons une Hyrule encore plus unie comme tu en rêves, et essayons de réparer Terrako… Si nous devons repartir en guerre contre un ennemi encore plus puissant, j’aime autant qu’il soit là… Et Teba aussi – par le Feu de Din, Teba est un vrai ouragan, il peut souffler des armées entières à lui tout seul, c’était à peine supportable de le voir se rabaisser tout le temps devant Revali. Et qui sait, tant qu’à faire, Terrako pourrait carrément aller chercher nos « autres nous » dans l’autre futur comme renforts… ? Ganon ferait moins le malin contre nous quatre, et j’adorerais voir comment les cheveux courts te vont …»

« Link ! » Elle rit à ma suggestion. « Mais tu as raison sur ce point : si nous devons repartir en guerre, moi aussi j’aimerais mieux que Terrako soit là… Nous n’aurions jamais pu nous en sortir aussi bien sans lui… Dans l’autre réalité, nous avons survécu de justesse et avons fini par vaincre le Fléau, mais nous avons tout perdu…»

Elle s’arrêta quelques secondes, pensive.

« Cette fois, nous avons l’avantage de pouvoir décider du « Quand ». Autant en profiter pour s’y préparer sur tous les plans, étudier la situation... Mieux comprendre nous permettra d’agir avec plus de pertinence. Peut-être que cette vision n’était pas là pour nous avertir d’un danger imminent, mais juste pour nous empêcher de nous reposer sur nos lauriers. Pour que contrairement à nos autres nous, nous ne soyons pas pris par surprise... Oui, c’est ce que nous allons faire… Merci pour vos conseils, mon doux Prince… » 

Je trouvais sa gratitude exagérée, mais j’étais flatté qu’elle tienne mes propos en estime. Je ne me sentais tellement pas la carrure d’un futur Roi... Je cherchais quelque chose de drôle ou d’intelligent à lui répondre quand je sentis ses dents et ses lèvres parcourir mon cou, déclenchant une nouvelle montée de désir.. Sa main avait glissé doucement jusqu’à mon flanc: près, trop près de là où je la voulais toute entière. Malgré moi, ma voix s’était faite rauque quand je suggérai: 

« Maintenant que tu vas mieux… Je devrais retourner dans mon propre sac… »

Elle fit non de la tête et avala bruyamment sa salive. Sa respiration à elle aussi s’était faite plus rauque et plus profonde. 

« Hors de question… Tu restes… »

Sa main griffa doucement ma hanche comme pour m’attirer vers elle…

« Zelda… Je ne pense pas que je p… »

Elle fit basculer son corps au-dessus du mien et me coupa la parole en caressant fiévreusement mes lèvres de son pouce. Ses longues mèches dorées avaient glissé de ses épaules, formant un rideau autour de nos visages. Elle tremblait de nouveau. 

« Ça m’est égal. Tu vas rester. » Susurra-t-elle avec l’autorité d’une Reine avant de plonger ses lèvres assoiffées dans les miennes.

Je fus complètement incapable de lui résister une seconde de plus.


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