Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 5 : Science

5965 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/06/2021 12:42

"La Science cherche encore, l'Amour a trouvé." 

- Henry Miller


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ZELDA

Mon père m’avait accordé quelques semaines de liberté à employer comme bon me semblait. J’avais décidé de passer d’abord quelques jours au Laboratoire Royal auprès de Pru’ha et Faras. J’avais l’intention de leur remettre la tablette Sheikah, dont la plupart des modules avait cessé de fonctionner depuis la destruction de Terrako. Mais surtout, nous devions faire ensemble l’inventaire de ce qu’il restait de ce dernier afin d’étudier nos possibilités concernant son hypothétique reconstruction… Impa resterait auprès de mon père dans un premier temps mais elle devait nous rejoindre le surlendemain pour établir un rapport de comptabilité. Link m’accompagnait, bien sûr. 

Depuis la nuit dernière, il avait l’air plus détendu : pensif parfois, toujours précautionneux envers moi peut-être, mais plus aussi formel et distant qu’à la fin de la guerre… J’étais contente de le voir marcher à mes côtés et plus sur mes talons et je me languissais de son contact, mais il avait l’air prodigieusement épuisé… Avait-il seulement dormi…? 

Tandis que nous marchions, je décidai de nous tenir éveillés et focalisés en lui exposant le travail qui nous attendait. La première étape consistait en un inventaire complet de toutes les pièces que nous avions pu retrouver. Il nous faudrait commencer par démonter chaque mécanisme - sans omettre de prendre des notes pour le remontage - les nettoyer afin de vérifier leur intégrité, les lister et comparer cette liste aux notes que Faras et Pru’ha avaient pris lorsqu’il fonctionnait encore… Réparer ce que nous pourrions réparer … Trouver un remplacement au reste… Un travail monstrueux. Je craignais qu’il ne manquât au final beaucoup trop de pièces pour espérer le remonter un jour... Vu notre compréhension encore partielle de la technologie antique et de la sienne tout particulièrement, plus nous changerions de pièces plus nous nous exposerions au risque qu’à son réveil, il ne soit plus du tout notre Terrako.  Mon Terrako…

Notre trajet sans incident nous sembla étrangement calme après des mois à nous faire attaquer par des monstres à chaque déplacement. Nous arrivâmes au coucher du Soleil. Le laboratoire, bien que globalement sur pied et fonctionnel, avait quelque peu souffert de cette guerre. A l’extérieur du bâtiment, des volontaires s’affairaient à consolider la maçonnerie fragilisée et à remettre en état la toiture. Pru’ha nous accueillit avec son entrain habituel, entourée de toute l’équipe de Recherche. Les quelques Yigas qui avaient autrefois infiltré le Labo avaient été réembauchés.

« Carrément !» avait dit Faras en riant. « Ils faisaient du très bon boulot avant de nous mettre leurs lames sous la gorge! Ils connaissent bien leur taf, et puis ils ne sont pas si méchants, au fond… Sinon nous ne serions plus là pour en discuter !  Hahaha ».

J’étais quelque peu déroutée mais j’aimais déjà beaucoup cette nouvelle Hyrule…

Nous prîmes possession de nos quartiers respectifs. Link qui lors de sa première visite avait été logé sous la tente militaire avec le reste de la garde semblait tout gêné de se voir offrir le dortoir individuel jouxtant le mien. Depuis sa première visite,  il était non seulement devenu l'Élu de l’Épée mais aussi le Héros qui avait terrassé le Fléau Ganon. Il ne pouvait dissimuler la difficulté qu’il avait à s’habituer à son statut. 

Ses mains allaient déjà beaucoup mieux. J’étais presque déçue de l’efficacité de sa pommade, car je n’avais déjà plus d’excuse pour m’occuper de lui... Oh comme mon cœur avait bondi de contentement ce matin, quand j’avais trouvé le petit pot d’onguent dans ma pochette : je ne comprenais que trop bien ce qu’il avait voulu dire en me le confiant de nouveau…  Quoi qu’il en soit, il se coucha particulièrement tôt… Le lendemain matin, le petit déjeuner fut pris dans le réfectoire commun et la première journée de travail put enfin démarrer.


LINK 

J’avais prévu de rejoindre l’équipe de maçonnerie, afin de me vider la tête, et de garder une activité physique : seulement quelques jours sans combat et je me sentais déjà me ramollir… Je n’en revenais toujours pas d’avoir eu la chance de retrouver ma Zelda : la Princesse passionnée et bienveillante dont j’étais devenu si proche avant le Réveil du Fléau... J’étais si reconnaissant pour ces gestes d’affection qu’on avait échangés, pour ce que j’avais interprété comme des excuses pour ce qui s’était passé à Necluda… Et quel soulagement pour moi de penser que je pouvais la considérer quasiment d’égale à égal, et plus de demi-déesse à rat des champs. Je n'osais cependant pas être trop enthousiaste ni entreprenant de peur qu’elle ne prenne peur et me rejette de nouveau…  Si ça se reproduisait c’est sûr, j’en aurais le cœur brisé pour de bon. Et puis suite à ma mésaventure avec le Roi, j’étais résolu à montrer ma bonne volonté par une attitude professionnellement irréprochable. 

Mais en les entendant discuter au petit déjeuner je percutais la raison de notre séjour : Terrako. Terrako ! Son nom était dans toutes les bouches. Ils parlaient d’inventaire, de condensateurs harmoniques, de puce à runes, de rouages antiques à cadenseur, ou de processeur archéonique... Autant me parler en bokoblin. Mais je devais en être, si c’était pour Terrako je devais en être !

Pru’ha m’intercepta au milieu de l’atelier du laboratoire et je lui expliquai que je voulais absolument participer. De n’importe quelle manière. 

« Même pas en rêve, Linkounet : tu n’as aucune formation… Je te remercie d’avoir escorté la Princesse et sauvé le Monde mais ton travail s’arrête là… ce que nous devons faire est très technique…»

« J’apprends vite,  je t’assure. »

« Ecoute, Mec… tu es le meilleur combattant mâle que je connaisse ; j’irais même jusqu’à dire que tu es peut-être meilleur que ma p’tite sœur Impa ! Et crois-moi, c’est pas un truc que j’dirais à la légère ! J’ai un immense respect pour toi, mais j’t’imagine pas plus avec une blouse de scientifique que j’m’imagine moi avec une armure!  Chacun son job poto… Tiens, même Impa qui  était pourtant une étudiante brillante ne va pas y participer, alors bon, recruter un militaire sans formation ça sonne comme une grosse bl… »

« Tu es en train de suggérer que je suis trop bête pour être ici, en somme … »

« Mais non … Rhooo lala, tout d’suite … C’est juste que… Bon peut être qu’il y a un peu de ça, mais… »

« Ouah…»

Elle avait dit ça sur le ton de la plaisanterie, mais je commençais à en avoir assez de me faire traiter d’idiot par des Sheikah. Ça me parlait comme à un gamin pénible et après ça s’étonnait que je n’aie pas conscience de mon rang ! La barbe! Sur la défensive, je détournai les yeux,  crispant la mâchoire pour empêcher des mots assez corsés d’en sortir…  Je m’étais habitué à recevoir des tacles de Pru’ha ou d’Impa et n’en faisais plus vraiment cas. Au fond, j’aimais notre familiarité et cette franche camaraderie me faisait habituellement me sentir à l’aise, me rappelant l’ambiance de l’Armée qui m’avait tout bonnement élevé… Je repensais un instant à Impa qui avait mis sa vie en gage pour moi devant le Roi après m’avoir pourtant si copieusement insulté et frappé: à croire que c’est comme ça que ce clan de tordus manifestait son affection !  Mais pour le coup, non seulement la remarque de Pru’ha résonnait avec ma crise existentielle de l’avant-veille, mais je savais aussi que Zelda, qui s’affairait à un bureau non loin de là, était la témoin silencieuse de toute notre conversation. Humilié, j’aurais voulu pouvoir disparaître comme un Yiga...

« Link ? » s'étonna Pru’ha de mon soudain silence, « écoute je suis désolée mais… »

« Non c’est toi qui vas m’écouter. Tu n’étais pas sur le champ de bataille, ce jour-là, en effet. Tu n’étais pas là quand Terrako nous a attaqués et surtout, Pru’ha, ce n’est pas toi qui as été obligée de le détruire pour l’empêcher de massacrer les gens que tu aimes ! Je m’en veux: je m’en veux terriblement à chaque instant de chaque jour depuis. Je m’en veux pour lui, je m’en veux pour Zel… Pour son Altesse… Et c’était mon ami à moi aussi, merde! Je m’y étais attaché : as-tu la moindre idée de c’que ça fait, d’être obligé de tuer quelqu’un auquel tu tiens…? Bien sûr que non, hein… Mais pour l’Amour de Nayru, puisque tu es si supérieurement intelligente tu devrais quand même être capable de comprendre ce que ça peut représenter pour moi et ma conscience boiteuse de vous aider à réparer ce que j’ai fait ! Tout c’que j’demande c’est une chance de me racheter !!»

Mes mots tremblaient de rage et de peine. A peine eus-je fini mon monologue que j’entendis une petite voix familière derrière moi.

« Link… »

Zelda avait dû s’approcher pendant que je parlais car elle se tenait désormais tout près de moi. Elle avança encore d’un pas et posa une main sur mon poing serré, étouffant instantanément ma colère ; ne laissant plus que la culpabilité. Je n’osais même pas affronter son regard… Comme mue par une volonté propre, ma main s’ouvrit dans la sienne et je glissais avidement mes doigts entre les siens. Elle me répondit en serrant affectueusement nos mains entrelacées. Ma bonne résolution aura été aussi fragile qu’une Ombre devant sa Lumière. 

« Link… tu n’as rien à te reprocher… Il était possédé par Ganon, tu as fait ce qu’il fallait. Si c’est toi qui l’as fait c’est seulement car tu es le seul à en avoir eu le Courage, c’est tout. Personne ne te le reproche, surtout pas moi. A aucun moment… Et je suis persuadée que même Terrako lui-même, il t’aurait été reconnaissant de l’avoir empêché de nous faire du mal. Je le sais au fond de mon cœur, Link. »

J’avais eu tellement besoin d’entendre ces mots de sa bouche que j’aurais pu en pleurer. Caressant sa main de mon pouce, je dis tout bas, juste pour elle:

« Merci, Votre Altesse… Mais moi je me le reproche. C’est suffisant. »

Je levai finalement les yeux sur son visage : ses joues rougies faisaient ressortir ses grands yeux verts, et son sourire exprimait tant de bienveillance… Je dus déployer des trésors d’auto-discipline pour réprimer mon besoin viscéral de la prendre dans mes bras. 

« Je sais… Je m’en veux aussi. Et maintenant je m’en veux de t’avoir laissé porter ça tout seul. »

Le regard vissé dans le mien, elle cligna lentement des paupières et je me liquéfiai. 

« Et oh les amoureux ! Ouistitiii, je - suis - làààà… » interrompit Pru’ha. 

Penaud, j’ouvris les doigts pour libérer nos mains de leur étreinte, mais ma Princesse serra les siens un peu plus fort pour me retenir et j’acceptai cette invitation avec gratitude. Elle prit la parole. 

« Pru’ha s’il te plait. J’aimerais aussi qu’il travaille avec nous… Tu lui dois bien ça pour t’avoir protégée quand tu as décidé de traverser la Plaine de Cernoir  avec une torche pour seule arme...  Tu es bien mal placée pour lui dire maintenant que chacun doit rester à sa place... Et si je ne m’abuse, tu étais bien contente qu’il aille activer tous tes relais antiques pour toi ou qu’il se jette dans l’inconnu chaque fois que tu avais besoin d’un cobaye... »

Pru’ha plissa les yeux et nous regarda alternativement. Tapant nerveusement du pied, elle jeta un regard appuyé sur nos mains jointes et soupira bruyamment avant de nous répondre:

« C’est bon d’accoooord! J’ai compris. Vôtre Âltesse... On lui trouvera bien quelque chose à faire ! Comme balayer ou sortir les poubelles ou chaipaquoi…»

Elle tourna les talons et commença à s’éloigner. Je replongeai dans les yeux envoûtants de Zelda … J’avais besoin de savoir ce que nos mains jointes, assumées au vu et au su de tous, signifiaient pour elle. Muet de nouveau, je ne pus que secouer doucement la tête pour lui exprimer ma perplexité. Elle baissa les yeux avec un sourire si doux et si mutin que j’eus envie de dévorer ses lèvres… Pourquoi jouait-elle comme ça avec mon cœur ? 

« LINK. » Interrompit Pru’ha de sa voix la plus autoritaire. « Ici. Au boulot. Tout de suite. »

Cette fois nos mains se détachèrent d’un commun accord. J’osai lever la mienne vers son visage et elle y lova sa joue. Je déposai furtivement une bise sur l’autre avant d’accourir vers ma nouvelle patronne. 

Pru’ha  m’assit devant un établi et après quelques instructions, elle me confia des pièces Sheikah désassemblées à nettoyer soigneusement. Je manipulais presque religieusement  les petits engrenages que je savais être les organes de Terrako.  Malgré mon manque d’expérience évident, ce travail me semblait être à la portée de n’importe quel abruti. Pour peu qu’il soit soigneux.

Le nombre de pièces était impressionnant… et nous avons rapidement compris que certaines d’entre elles provenaient du double sombre de Terrako, absorbé par Ganon. Zelda pouvait ressentir avec son pouvoir celles qui avaient été les plus longtemps sous l’emprise de sa Rancoeur et s’était vue confier la tâche supplémentaire de les trier : Terrako d’un côté, Terrako obscur de l’autre. J’étais certain que j’aurais pu l’aider dans ce tri, mais je n’en dis rien : je percevais la différence mais elle était pour moi subtile et je préférais me cantonner à des travaux dont je pouvais voir de mes propres yeux les résultats. 

Rapidement, on m’avait confié de petits mécanismes que je devais démonter avant le nettoyage. Pru’ha m’avait lancé avec arrogance de ne pas oublier que je devrais les remonter par la suite et je relevai le défi avec une certaine insolence.  Petit à petit, elle augmentait la complexité des pièces dont elle me chargeait, comme pour tester mon intellect, et notre bravade mutuelle devint un duel d’obstination dont se délectait toute notre audience. 

A vrai dire, je prenais un réel plaisir à résoudre ces casse-têtes et petites énigmes mécaniques que représentait le remontage des grosses pièces : j’avais l’impression d’avoir fait ça pendant des siècles ! À la fin de la journée, au lieu d’un nouveau tacle, Pru’ha me lança une blouse de laborantin.

« Tiens ! » jeta-t-elle par-dessus son épaule, « tu l’as méritée. »  Et elle ajouta avec un clin d’œil coquin : «Il me tarde d’essayer une armure hylienne, je suis sûre que ce sera encore plus sexy sur moi que sur toi ! Hahaha ! » 


ZELDA

Nous avions bien avancé le travail lors de cette première journée, et ce dans une bonne humeur inédite malgré l’altercation du matin. Le conflit avec Pru’ha avait finalement tourné au jeu et comme toujours mon amoureux avait très vite trouvé sa place auprès des autres. 

En milieu d’après-midi, Pru’ha était venue s’adosser au mur à côté de mon bureau. Après avoir retiré de sa bouche la sucrerie qu’elle mâchonnait, elle me lança: 

« C’est qu’il est pas si stupide votre petit copain, Princesse… Pour un soldat…  »

« Pru’ha, nous ne sommes pas … »

« Non non, bien entendu. C’était purement professionnel… »

« Ce n’est pas ça non plus… Disons que c’est un peu compliqué. Et je sais très bien qu’il n’est pas stupide…»

« Rien ne devrait être compliqué pour des cerveaux comme le vôtre ou le mien, Votre Altesse ! »

Elle reprit sa sucette en bouche et partit en me faisant un clin d’œil entendu. Je tentai de cacher mon embarras en replongeant dans mon travail. J’étais peut-être allée trop loin ce matin en faisant front avec lui, main dans la main devant tout le Labo. Mon intention n’avait été que de baisser son poing, mais quand ses doigts s’étaient subitement glissés entre les miens j’avais désiré les garder pour toujours… Ce que Link avait à moitié crié à Pru’ha m’avait émue : je n’avais aucune idée qu’il traversait ce genre d’épreuves intérieures et je n’avais pas supporté de le laisser souffrir tout seul. Il jouait les guerriers inébranlables mais au fond, c’était un grand sensible… Un grand sensible à qui j’avais dû faire énormément de mal.

Après cela, Pru’ha avait veillé à ce que l’on travaille chacun dans notre coin, ne s’échangeant que quelques regards gênés, de loin. J’avais espéré trouver un moment pour discuter seul à seul avec lui avant d’aller dormir mais il s’était encore éclipsé très tôt après le repas.


LINK

Aube du deuxième jour. Je me rappelais avoir fui le repas trop bruyant la veille au soir ; et surtout ces Yigas qui s’étaient mis dans la tête de fêter mon intégration dans l’équipe en me faisant boire autant de liqueur de banane que possible, alors qu’une journée de joute intellectuelle m’avait déjà donné la migraine… Je ne pouvais pas me permettre une gueule de bois : le lendemain,  il faudrait  que je sois à la hauteur de l’honneur que Pru’ha m’accordait.

Un peu plus tard dans la soirée, Zelda s’était arrêtée quelques secondes derrière la porte de ma chambre avant de rejoindre la sienne… Si je m’étais rué vers la porte pour lui ouvrir, dans la tenue dans laquelle j’étais… Là c’est sûr que je lui aurais fait peur pour de bon… Cependant, j’avais gardé cette dernière attention dans mon cœur en m’endormant, et m’étais réveillé avec une légèreté que je croyais ne plus jamais connaître.  Enhardi par cette bonne humeur,  j’avais salué ma Princesse d’un baise-main ce matin-là, au réfectoire. Je me sentais un peu gauche : c’était la première fois que je me permettais ce geste que j’avais vu maints officiers et ministres pratiquer. Elle ne réussit pas à cacher sa surprise et je me régalai de la voir rougir.

« Et moi ?? » interrompit Pru’ha, faussement outrée.

Je fis semblant de réfléchir un instant puis lui tendis mon poing fermé :

« Ouistiti ? » 

Elle rit aux éclats et frappa mon poing du sien.

« Ouistiti !! J’aurais pas dit mieux ! »


Arrivé au labo, j’enfilai fièrement ma blouse et repris mon nouveau poste de «Mécanicien-Servant». A force de les voir, je commençais à mémoriser certaines runes Sheikah, ce qui m’aidait dans ma lecture des notes et dans ma compréhension globale, mais certaines me résistaient encore. Je pestais tout bas sur un assemblage particulièrement  compliqué quand j’entendis au-dessus de moi la plus douce voix qui soit au monde…

«Auriez-vous besoin d’aide, ô Elu de l’Epée? »

Zelda se tenait debout au-dessus de moi, un parchemin à la main et un délicieux sourire sur le visage. Elle me gratifia encore d’un de ses lents clins d’yeux auquel je répondis de même. Ravalant la bouffée d’émotions qui avait soudain envahi ma poitrine, je lui montrai le mécanisme sur lequel je travaillais. 

« J’ai encore un peu de mal avec les runes Sheikah… Vous voyez ce symbole gravé dans ce piston ? Je le retrouve un peu partout et je n’ai aucune idée de ce qu’il veut dire.»

Elle fit passer son parchemin dans sa main gauche et se pencha au-dessus de moi, prenant appui sur mon épaule. Sa main droite se posa affectueusement sur la mienne lorsqu’elle inclina la pièce pour l’examiner. Soit je devenais fou, soit elle flirtait ostensiblement… 

« Je vois… C’est la rune que nous nommons Léfouto, elle correspond au son « LLLL » dans l’alphabet Sheikah… Comme dans « Link »…  Et sur les pièces antiques ou quand nous prenons des notes, elle signifie la plupart du temps «du côté gauche».»

« Oh… ! Je vois ! Donc je suppose que si j’enclenche ça vers la gauche… que je tourne ça comme ça  et que j’appuie légèrement ici… » 

J’avais fait tourner la pièce entre mes mains pendant que je parlais et le mécanisme qui me résistait jusqu’alors s’enclencha parfaitement avec un cliquetis satisfaisant. 

« C’était bien ça… Merci, votre Altesse ! » 

Elle sembla hésiter un instant puis murmura, en secouant la tête :

«Ce n’est rien, voyons… »


ZELDA

J’avais voulu le corriger, lui dire qu’il pouvait m’appeler par mon prénom. Ne serait-ce que quand nous étions en privé... Je ne voulais plus de ces politesses entre nous… Mais je m’étais ravisée: ce n’était probablement pas le meilleur moment pour en parler, ni le meilleur endroit… Il enchaîna avec une autre question : 

« Je suppose que ce symbole là, qu’on voit souvent à l’opposé, veut dire « du côté droit », non ? »

Je me penchai de nouveau pour examiner la note qu’il me montrait. Son visage était si proche du mien que j’éprouvais la plus grande difficulté à rester concentrée. 

« Exactement. C’est la rune que nous appelons « Rahito ». Elle correspond au son «RRRrr »… » 

Il tressaillit à la fin de ma phrase et tourna vers moi un sourire candide. 

« RRRrr ? » répéta-t-il.

« Oui, comme dans « Royaume »,  « RRRRrr»... » confirmai-je. 

Il sourit de plus belle, soupira bruyamment et, les yeux rivés dans les miens, ronronna amoureusement:

 « RRRRrr… »

« Link !! » m’écriai-je en me redressant et en lui donnant un coup de parchemin sur l’épaule. J’étais choquée de son audace ! Mais je ne pus m’empêcher de rire avec lui. 

« Tu es tellement… »

Je me mordis la lèvre… Il était gentil, beau, drôle, courageux, intelligent aussi, oh oui bien sûr qu’il l’était, dévoué, aimant, et par tous les feux de Din cette blouse lui allait si bien ! Je ne trouvai absolument rien à lui reprocher. Je m’étais encore perdue dans son visage. J’avalai ma salive et me retins d’aller l’embrasser sur le champ.

« Tu es tellement RRRrrr… » osai-je. Et je retournai à mon travail avant de perdre la tête. 

« Votre Altesse, restez je vous en prie, j’aurais encore besoin d’aide… !» me supplia-t-il d’un air taquin alors que je m’éloignais. 

« Demande à Faras ! » lui répondis-je en riant encore. 


Quelques heures plus tard, nos progrès dans l’inventaire nous privèrent de toute envie de plaisanter: les pièces manquantes ou inutilisables étaient légion. La seule bonne nouvelle était que les pièces mémorielles et d’intelligence artificielle du gardien semblaient intègres. Mais nous étions bien loin de pouvoir le remonter.  Il y avait encore un espoir de trouver des pièces de rechange sur les sites de fouille un peu partout en Hyrule, mais cela prendrait des années, et nous n’étions pas capables d’imiter la technologie antique pour fabriquer nous-même ce qui nous manquait. Impa nous avait rejoints dans l’après-midi et même elle qui avait entretenu des rapports conflictuels avec Terrako semblait profondément peinée de ces nouvelles.

C’est dans cette ambiance morose que nous partageâmes le repas du soir. Afin de nous changer les idées, Faras avait démarré après le dessert une joute d’anecdotes, autour d’une bouteille de liqueur de banane.  Le papier que j’avais tiré du pichet en terre cuite m’avait valu de devoir raconter mon plus grand fou-rire de classe. 

J’avais raconté le jour où mon ami Sah’Kiwa - que tout le monde appelait Saki - avait été expulsé de la classe par le précepteur à cause de ses bavardages incessants. Il était de trois ans mon sempaï, mais à cette époque nous partagions l’instruction commune à tous les enfants du palais. 

« Saki ! Va donc voir dehors si j’y suis ! » lui avait ordonné l’instructeur.

Toujours poli malgré son impertinence, Saki s’était levé, s’était incliné brièvement et avait obéi. A peine le professeur avait-il refermé la porte derrière lui que quelqu’un avait toqué. C’était Saki, évidemment, qui avait déclaré avec beaucoup de sérieux: 

« Monsieur, je viens de vérifier, et j’ai l’honneur de pouvoir vous affirmer que vous n’êtes absolument pas dehors. » 

La classe avait mis beaucoup de temps à calmer son hilarité après cela, et Saki en avait été exclu pendant plusieurs jours...

 A ma suite, Impa avait été obligée de chanter une comptine, ce qui l’avait passablement agacée mais nous avait fait rire de plus belle, en grande partie à cause de son agacement lui-même... Quand ce fut le tour de Link, il froissa son papier en boule et le jeta sur la table. Il me lança furtivement un regard puis se cacha le visage entre les mains en lâchant un « Non. » ferme. 

Dévorée de curiosité, Pru’ha se saisit du papier par-dessus la table et, le défroissant, le lut avec avidité: 

«Votre premier amour…  Oh-oh ! Bonne pioche, Link! Si tu crois que tu vas pouvoir y  échapper tu me connais bien mal ! Tu l’as pioché, tu racontes ! Rhoo je sens que ça va faire ma soirée ! ».  

Je me fis toute petite dans mon siège mais me gardai d’intervenir, craignant de rendre les choses encore plus gênantes pour lui comme pour moi.  

« Vois le bon côté des choses, Link, » plaisanta Faras, « le jour où tu piocheras comme moi votre souvenir le plus embarrassant tu sauras de quoi parler ! »

Les autres convives rirent de bon cœur. 

« Pas ça, sérieux… Je demande le droit de re-piocher … »

« Hors de question » intervint Cherry, une laborantine. « Allez, c’est la règle : ça serait manquer de respect à ton équipe d’avoir droit à un traitement de faveur. Et pas de mensonge, ce serait indigne du Chevalier Purificateur!»

Link but d’une traite tout son verre de liqueur - que Faras s’empressa de remplir de nouveau - et poussa un grand soupir avant de commencer, les yeux fixés sur le bas de la nappe qu’il tortillait entre ses doigts. 

« J’avais sept ans, elle avait sensiblement le même âge… » Pincement au cœur.  « … Et jusqu’à récemment elle ne savait même pas que j’existais alors bon, il n’y a vraiment pas grand-chose à dire… »

« Allez, fais un effort ! Comment était-elle ? C’est quoi son prénom ? Comment ça s’est terminé ? »

« Eh bien, elle était merveilleuse, bien sûr, déjà à l’époque… Et maintenant elle sait que j’existe, mais c’est à peu près tout ce dont je suis vraiment sûr. Et je n’ai jamais cessé de l’aimer… »

« Mais... Est-ce qu’elle le sait au moins ? »

« Oui elle le sait... » 

« Et elle sait que tu es le Héros d’Hyrule et tout ? »

« Oui, ça aussi. Écoute, je suis juste pas très doué dans ce domaine, que veux-tu ! » Il but une autre gorgée.  

« Peut-être qu’elle aime les filles ? » Proposa Pru’ha.

Link en recracha sa liqueur. 

« Je ne crois pas, » dit-il entre deux quintes de toux en épongeant le digestif avec une serviette, « mais à vrai dire, je n’en sais rien, en fait… ».

Il avait l’air de sérieusement considérer cette éventualité. Avait-il pu parler de moi ? Je n’avais aucun souvenir de l’avoir rencontré pendant mon enfance, aucun!  Et à cette époque, de mémoire, il vivait au Domaine Zora... Je ne m’y étais encore jamais rendue… Ça ne pouvait définitivement pas être moi. Je me sentais blessée à l’idée que je puisse partager son cœur avec une autre… Pru’ha interrompit son calvaire, non sans lui lancer une dernière pique.

« C’est grave décevant. Je pensais que t’allais nous parler de Zelda… Ah comme j’aurais voulu piocher ce gage là… Vous auriez tout su de la somptueuse Gerudo qui m’a prouvé avec une rigueur scientifique l’inutilité des hommes. C’est en son honneur à Elle que je me teins cette mèche en rouge encore aujourd’hui, vous saviez? Bon, c’est qui le suivant ?»

Link prit congé en s’excusant peu après ça. Je ne reçus pas de baisemain le lendemain matin : tout juste un signe de tête affectueux mais gêné, de loin, à mon arrivée à l’atelier du laboratoire. Il s’affairait alors déjà auprès de Faras dont il copiait avec application les notes pour en éditer des duplicatas. 



LINK

J’avais demandé à Pru’ha la permission de pouvoir récupérer discrètement, à titre personnel, une liste des pièces manquantes de Terrako. Elle me l’accorda sans poser de question.

« À condition que tu la copies toi-même… Et que tu fasses attention à toi, quoi que tu aies prévu.»

Promis, cheffe. Pour cette dernière session j’aidai donc Faras à produire les copies du rapport de ces quelques jours d’inventaire. Bien que la tâche en elle-même fut beaucoup moins amusante que mes casse-tête, travailler avec un tel pitre aura été tout sauf ennuyeux !


« Tenez, Princesse, » avait dit Pru’ha au moment de notre départ, « comme vous me l’aviez demandé, je vous rends la vis de Terrako que vous aviez gardé avec vous depuis la fin du combat. La perdez surtout pas, hein ? Nous allons maintenant nous concentrer sur la réparation des mécanismes qui pourront l’être… Mais sans pièce de remplacement, même en piochant parmi celles du Terrako obscur, j’ai bien peur qu’il n’y ait que peu d’espoir de le reconstruire dans un futur proche… Et j’me doute qu’organiser de nouvelles fouilles n’est pas dans les priorités du Royaume en ce moment… »

« Tu as malheureusement raison sur ce point, grande sœur… » confirma Impa.

« Hey, Votre Altesse, » intervint Faras, « on ne reverra peut-être pas notre chère tête d’œuf avant un moment, mais tout espoir n’est pas perdu non plus ! Vous vous rappelez de la Règle Numéro Un du code d’honneur de la Recherche? »

« Tant qu’il y a une possibilité, un Chercheur n’abandonne Jamais… » récita Zelda en serrant la vis près de son cœur, « merci, Faras. Pru’ha, je comprends, ne t’inquiète pas… Faites de votre mieux… Et merci pour tout. »


Sur la route du retour, alors que le soleil couchant transformait temporairement en Or le calcaire perforé de la vallée du Néant, Zelda s’arrêta. Je reconnus l’endroit : c’est là que pour la première fois, Terrako avait lancé son cri d’alerte pour nous avertir de l’attaque d’un gardien… Je n’avais pas besoin de plus pour comprendre : elle se recueillait, se retenant de pleurer en pensant à son ami. Je revins vers elle. Assez près pour lui signifier que j’étais là pour elle, et que je partageais sa peine. 

« Nous lui devons tant, Link… »

« Je sais... » 

Comme je l’avais fait ce jour-là - et tant de fois depuis- pour l'entraîner à l’abri, je lui saisis la main. 

« Votre Altesse… »

« Non… Plus de ça. Zelda… S’il te plait. Au moins quand nous sommes entre nous. Juste Zelda… »

Elle se tourna vers moi et me lança un regard presque suppliant alors qu’elle emmêlait ses doigts dans les miens. Emu, je portais mon autre main à son visage : elle accueillit ce geste comme si elle en avait eu soif, portant sa main libre à la mienne pour la caresser et la plaquer un peu plus sur sa joue. Mon pouce se retrouva au coin de sa bouche et, tremblant, effleura ses lèvres. Un instant plus tard, elle entrouvrait sa bouche impatiente sur ma main… 

Ivre de tendresse et de joie, j’approchai lentement mon visage du sien. Sa respiration s’était intensifiée et mon cœur battait à tout rompre. Doucement, tout doucement, j’effleurai de mes lèvres les siennes et elle m’embrassa ; timidement d’abord, puis avec de plus en plus d’avidité. La douceur de ses lèvres, la suavité de nos bouches qui se glissaient l’une dans l’autre et la caresse de sa langue sur la mienne firent tressaillir tout mon corps de désir. Ma main droite était descendue le long de son cou jusqu’à sa nuque tandis que mon bras gauche s’était lové dans la cambrure de ses reins pour l’attirer vers moi toute entière. Ses mains à elle, fébriles, avaient parcouru mon torse et mon dos avant de chercher prise dans le tissu de ma tunique. 

Impa se racla la gorge, nous rappelant que nous n’étions pas seuls…

Nos lèvres se séparèrent à regrets et ma bien-aimée posa son front contre le mien. Elle ferma les yeux et gémit sa désapprobation d’avoir dû arrêter. Quand elle rouvrit les yeux, nous échangâmes un sourire complice, encore perdus l’un dans l’autre. Je relâchai mon étreinte et repris sa main dans la mienne, caressant ses doigts de mon pouce. 

« Avec plaisir, Zelda… »

« Merci, Link… Rentrons chez nous… » 

Nous échangeâmes un de nos lents clins d’yeux, comme un baiser secret échangé d’âme à âme et, main dans la main, nous reprîmes la route du château. 


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