Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 3 : Temps

4190 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/06/2021 11:05

"Regarder la rivière qui est de temps et d'eau

et se souvenir que le temps est une autre rivière…”

- Jorge Luis Borges

***

LINK

J’ouvris les yeux sur ma Princesse endormie: est-ce que je rêvais encore ? Elle était assise par terre, adossée contre le mur et plus étrange encore, elle tenait contre elle l’Epée de Légende... Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête? Les filles étaient décidément d’imprévisibles créatures.

Je pris soudain conscience de l’odeur de nourriture qui planait dans l’air : mon estomac vide se rappela douloureusement à mon bon souvenir. N’hésitant qu’un instant, je pris délicatement Zelda dans mes bras : un bras sous les genoux et un autre enroulé autour de ses épaules, appuyée contre moi... Mon cœur bondit de la sentir si près de lui. Je la portai sans difficulté pour l’installer à ma place sur la paillasse et par chance, elle dormait assez profondément pour que ça ne la réveille pas. Je me risquai un instant à caresser ses cheveux d’or : voir son visage aussi paisible était un bonheur bien trop rare pour ne pas en profiter un peu. Puis je la laissai là, la Lame Purificatrice toujours dans ses bras, veillant sur elle, et ma couverture sur le corps pour lui tenir chaud.

Alors que je m’apprêtais à descendre de l’estrade vers le réfectoire improvisé, le silence tomba sur le Grand Hall. Soldats et Officiers, les yeux rivés sur moi, se levèrent les uns après les autres pour me signifier leur respect. Gêné, je me grattai nerveusement l’arrière du crâne. Le silence n’était troublé que par un murmure impatient et par le raclement des sièges sur le sol. Puis par la douce voix de Revali…

« Prends pas la grosse tête, Demi Portion! »

« Oh la ferme, Ravioli ! » lui avait répondu Urbosa.

« Vas-y, p’tit gars ! Fais-nous un discours ! »

« Mais laissez-le tranquille, le pauvre ! » Daruk, Mipha.

Moi qui détestais prendre la parole en public, j’envisageai un instant de retourner me cacher sous ma couverture. Mais ce n’était pas le moment de faire le sauvage.

« Merci. Merci à vous tous et toutes. Mais je ne mérite pas tant d’honneur : c’est vous, vous tous qui avez gagné cette guerre ; je ne parle pas seulement des Armées, de la Princesse ou des Pilotes, je parle des chercheurs, des soignants, des cuistots, des cultivateurs, des forgerons, des marchands, des tailleurs… Pardonnez-moi si je ne peux pas tous vous citer, mais chacun de vous a joué son rôle. Je suis touché par votre accueil, mais je ne suis finalement que celui qui a donné le coup de grâce pour que votre Princesse puisse sceller Ganon… Un rôle parmi les autres. Vous êtes tous les « Héros d’Hyrule » autant que moi aujourd’hui, je tiens à ce que vous en soyez convaincus. Vous êtes tous mes frères d’Armes, quel que soit votre métier ou votre race et c’est un honneur d’avoir gagné cette guerre à vos côtés. Alors merci à vous… »

Sur l’estrade opposée, de l’autre côté du Grand Hall, le Roi Rhoam approuva mes paroles d’un signe de la tête et se mit à applaudir lentement; une puissante clameur s’éleva à sa suite dans la salle. Je ne savais plus où me mettre, j’inclinai brièvement la tête pour les saluer et rejoignis la cantinière qui, habituée à mon appétit et reconnaissante de mes mots, m’offrit une part copieuse de son ragoût.

 

ZELDA

J’étais une jeune fille enjouée et pleine de vie. Faisant danser mes doigts sur une harpe dorée, je chantais d’une voix angélique une mélodie étrangement familière. Link était là : son visage était différent et son regard flamboyait d’innocence, mais c’était lui. J’en avais la certitude absolue. À la fin de ma chanson, il posa d’abord sa main dans la mienne puis un genou à terre devant moi. Je m’élançai vers la mer de Nuages sans aucune crainte et m’envolai en riant sur un grand oiseau bleu…

« Esprit de ma Créatrice… Votre Grâce… Voyez… »

Ma vision s’était troublée et une voix étrange avait résonné en moi, dans une langue mystérieuse. J’étais certaine de n’avoir jamais entendu un tel dialecte mais j’en comprenais inexplicablement chaque mot...

J’étais un homme Sheikah en combinaison furtive, dissimulant mon visage dans une large étoffe blanche. Perché sur une falaise de glace, j’observais un autre Link traverser une caverne à la lumière de… d’une fée ? L’instant d’après, je reprenais ma harpe pour lui enseigner une chanson... Lorsqu’il courut vers moi pour m’empêcher de partir, je l’aveuglai avec une bombe de lumière pour m’enfuir à contrecœur.

« Nos âmes se sont retrouvées… » chanta encore la voix.

J’étais une femme de nouveau. Je tenais la main de ce même Link dans les miennes. Je voyais l’adoration dans son regard. Je sentais mon être se déchirer alors que je renvoyais l'Élu de l'Épée et de mon âme dans un autre passé. Anéantie, je m’effondrai au sol lorsqu’il disparut pour toujours. La douleur était telle qu’il me semblait m’être enfoncé moi-même une lame en plein cœur.

« Toujours, elles se retrouveront… »

J’étais une Reine déchue. Je m’étais agenouillée et j’enfonçais mes doigts dans la crinière d’un énorme loup. Un loup qui était indubitablement Link. La même détermination et le même courage se lisaient au fond de ses yeux : l’Âme du Héros…

« J’en estime la probabilité à 100%… »

J’étais une adolescente au teint hâlé. Le visage et les bras fouettés par les embruns, je courais pieds-nus sur le pont de mon navire en rugissant des ordres à mes subordonnés. Nous étions des Pirates. J’étais leur Capitaine. Link se tenait près de la proue : il me fit un clin d’œil complice et, à l’aide d’une étrange baguette magique, il leva un vent d’ouest pour moi.

« Quelque soit la forme… »

J’étais une jeune fille rongée par les doutes, qui affrontait un blizzard cinglant. Le bras devant les yeux pour les protéger du grésil, je ne pouvais pas voir à quel point je m’étais approchée de la corniche. Quand ma jambe s’enfonça dans la neige, je perdis l’équilibre, me précipitant vers le vide. Quelqu’un attrapa ma main de justesse. Link. Mon Link. Il me tira brusquement vers lui pour m’arracher à la mort et me serra si fort contre lui… Ce rêve-là, c’était un souvenir! C’était juste avant qu’il ne m’emmène en sécurité dans le refuge; le jour où Revali et lui s’étaient affrontés. M’aimait-il déjà à cette époque pour m’avoir étreinte si désespérément…?

« Quelque soit l’époque… »

J’étais moi, encore une fois. Je le sus en reconnaissant le visage de mon Link : mon Link certes, mais avec visiblement quelques années de plus. Armé d’une épée en bois et d’un sourire à toute épreuve, il échangeait des parades d'entraînement avec notre fils pendant que nos filles pataugeaient pieds nus dans la marre à la recherche de grenouilles. Du haut de notre village de montagne, j’observais au loin le château d’Hyrule toujours en ruines, en repensant à la sombre époque de la renaissance du Fléau, et à ce siècle que j’avais dû passer à contenir sa rage dans le Sanctum. Une enfant piaf blanche et or vint se poser à côté de moi et dit : « À kwak tu penses, Môman? ».

Je me réveillai en sursaut. Avais-je vu l’avenir ? Non… Ce n’était pas mon futur, c’était le futur de notre défaite: le futur dont venaient Teba, Riju, Terrako... Étourdie, je m’assis et cachai mon visage dans ma main, essayant de retenir le souvenir de ces rêves : les visages de ses incarnations, les visages de ces enfants qui étaient les miens et que je ne connaîtrai jamais… Je ne voulais pas les oublier.

La Lame Purificatrice luit faiblement sous mes doigts.

« Quelque soit la ligne du temps… »

 

IMPA

Les deux jours qui suivirent notre victoire furent presque aussi éprouvants que les deux jours qui l’avaient précédée. Il nous fallut organiser le ravitaillement pour nourrir cinq armées - en excluant les gorons - alors que les ressources se faisaient rares autour du château et que la plupart des routes avaient été coupées par les « exploits » des Créatures Divines. J’étais presque soulagée quand les Piafs, les Gorons et les Yigas s’en allèrent, mais ma joie fut de courte durée puisque j’appris dans la foulée que les réfugiés avaient commencé à affluer au Bourg. J’étais fatiguée rien qu’en imaginant leurs complaintes. Au moins cela voulait-il dire que les ministres de Sa Majesté n’allaient pas tarder à rentrer eux aussi.

En attendant leur retour, je secondais Sa Majesté dans ses tâches et n’avais que peu de temps pour me reposer. Malgré la désapprobation de son père, Son Altesse Zelda avait insisté pour prendre part à nos besognes et s’était vue chargée de la coordination inter-ethnique. Il s’inquiétait pour elle, et moi aussi. Outre son jeu du chat et de la souris désolant avec Link, elle semblait particulièrement soucieuse et dans la Lune : loin de la jeune femme sereine et accomplie qui était redescendue des quartiers principaux juste après avoir scellé Ganon...

Je guettais l’occasion de discuter avec elle depuis ce qui me semblait une éternité quand enfin, un soir, je la trouvai seule dans son jardin. Comme pour fêter la fin de la guerre, le beau temps semblait s’être installé pour un long moment ; aussi la nuit était-elle fraîche sous le ciel étoilé. Son petit kiosque avait été détruit pendant la guerre et Zelda s’était installée par terre contre le seul bout de muret qui en restait. Enserrant ses genoux entre ses bras, son regard se perdait au loin.

« Votre Altesse, je vous cherchais ! »

« Impa ? Tu vas bien ? »

« Oui je vous remercie… et vous, comment vous sentez-vous ? » demandais-je en me perchant sur des gravats à côté d’elle. Je remarquai alors le gros livre qu’elle serrait entre sa poitrine et ses cuisses, et reconnus un des Anciens Ouvrages que Saki venait de ramener du Village Cocorico... Elle prit une grande inspiration.

« Tout va bien. Je crois. »

Je sentais qu’il allait falloir lui tirer les vers du nez.

« Je n’ai pas vu Link depuis hier matin,» tentai-je, l’air de rien, «Sa Royale Majesté Votre Père voudrait lui parler, où avez-vous encore laissé traîner votre Chevalier ? »

Elle sourit avec douceur.

« Link est… dans cette direction. » Elle pointait du doigt la forêt au-delà du village des Mouettes et son sourire se tordit en une grimace d’incrédulité. « Et il va bien. C’est tout ce que je sais. Je lui ai donné quartier libre, je suppose qu’il est parti chasser… »

Je ne comprenais pas. Mais je la connaissais assez bien pour savoir qu’elle allait développer.

« Je… Je peux sentir la présence de l’Epée de Légende. J’ai entendu sa voix. Je savais que c’était possible, mais ça ne m’était encore jamais arrivé. Et depuis, je peux sentir sa présence spirituelle. Et son humeur, en quelque sorte. Là elle est en paix, endormie, il n’y a pas de danger.»

« Vous avez vraiment entendu sa voix ?? Que vous a-t-elle dit ? »

« Elle m’a montré des rêves, de nos précédentes incarnations. Et elle m’a dit, en somme… elle m’a assurée que… »  Elle soupira, visiblement chamboulée : « Je suis désolée Impa je ne peux pas t’en dire plus, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris moi-même… Mais c’était comme entendre la voix d’une amie dont j’aurais désappris l’existence. Comme me souvenir d’un passé complètement oublié. Ces rêves étaient si réalistes…! Ils m’ont bouleversée…»

« Je comprends, » commentai-je sans conviction, « et donc, vous vous êtes installée ici pour surveiller l’Epée de Légende? Ou pour surveiller son charmant porteur ?» demandai-je pour détendre l’atmosphère.

Elle me gratifia d’un sourire espiègle.

« Ni l’un ni l’autre, Impa... J’étais venue ici pour lire des récits d’autrefois, au calme, et tenter d’en savoir plus sur ces rêves... J’avais juste oublié que les réverbères avaient été détruits… »

Elle me montra son livre et lorsque nos regards se croisèrent nous fûmes prises toutes deux d’un rire nerveux.

« Rentrons, Votre Altesse. Il commence à faire un peu frisquet ici. »

Je lui tendis la main pour l’aider à se relever. Elle pouvait bien nier l’évidence autant qu’elle le voulait, je ne la connaissais que trop bien: avant de me suivre, elle jeta un dernier regard vers la Forêt des Pommes...

 

ZELDA

Urbosa était partie ce matin-là avec ses Vaï. Ses paroles de félicitations et de fierté résonnaient encore en moi, et le fait qu’elle ait été autrefois la meilleure amie de ma mère, la Reine, leur donnait une saveur douce-amère. Comme tous les pilotes, elle avait reçu l’expression de notre gratitude et avec cela, un siège au Conseil d’Etat de notre Royaume. L’idée était de mettre en place une collaboration durable entre les peuples. Que la Nouvelle Hyrule soit Unie dans la Paix comme elle l’avait été dans la guerre.

Mipha serait la prochaine à s’en aller, et elle était ma dernière chance de répondre à une interrogation qui tournait à l’obsession.

« On m’a fait savoir que vous vouliez me parler, Votre Altesse ? »

Elle m’avait surprise dans ma rêverie dans un jardin du château. Arrivée derrière moi, je supposai qu’elle avait dû remonter une cascade pour me rejoindre ; je me sentais un peu stupide d’avoir tant surveillé l’escalier. Et j’étais anxieuse… Je la savais être la meilleure amie de Link, son amie d’enfance… J’avais été témoin de l’admiration et de l’affection que le grand Sidon aussi avait pour Link, l’appelant toujours « Mon Frère », même après un siècle...  Ils étaient sa famille… Du moins la seule famille qu’il lui restait, dans cette réalité comme dans l’autre…

« Mipha… Princesse Mipha… En effet, j’aimerais m’entretenir avec toi, si tu le veux bien … C’est un sujet plutôt personnel, c’est pourquoi j’ai demandé à ce que tu me rejoignes ici ; je te remercie d’être venue…»

Elle m’observa un instant. Son regard s’arrêta sur mes mains jointes et son visage soucieux s’adoucit légèrement.

« Bien sûr, votre Altesse… »

« Tout d’abord, je voudrais te demander Pardon… Je sais que Link et toi êtes très proches, et j’ai pris conscience qu’en le blessant lui je t’ai aussi fait du mal. J’aimerais que tu sois sûre, cependant, que cela n’a jamais été mon intention : j’ai juste été… Idiote. Je m’en veux plus que tu ne peux l’imaginer et je te promets, Mipha, de faire tout ce qui sera en mon possible et plus encore pour réparer mes erreurs. Je l’aime, de tout mon cœur. Je crois que je l’aime depuis la Nuit des Temps… »

Nous baissâmes toutes deux les yeux. Elle ne répondit rien et je décidai de continuer à lui parler honnêtement. Au point où j’en étais…

« J’ai juste… Je n’arrive plus à l’atteindre. Il n’a plus confiance, ni en lui ni en moi… J’ai besoin de temps, Mipha… Pour que le jour où je le lui dirai, il puisse y croire… »

Elle me lança un regard d’une tristesse insondable et acquiesça en silence avec un sourire doux…

« J’ai également une question à te poser… Mipha… As-tu discuté du Futur avec Sidon ?»

Elle sembla soudain pétrifiée d’étonnement : un enfant pris la main dans un bocal de confiseries. Inutile d’attendre sa réponse : tout en sa réaction m’affirmait que c’était le cas. Je continuai avec énergie, en tentant de cacher le tremblement de ma voix.

« Et avez-vous discuté ensemble du futur de Link…? »

« Votre Altesse ! Même si c’était le cas, je ne pourrais vous le dire ! J’étais morte dans le futur : cela n’avait aucune importance que je sache ce qu’il s’y était passé ; mais dans votre cas cela pourrait influencer vos … »

« Mipha, je t’en prie! J’ai fait des rêves… inhabituels. J’ai besoin de savoir si c’est bien ce futur que j’ai vu! Cette… autre réalité… Ce n’est pas de la curiosité malsaine: j’ai besoin de savoir si ce sont bien des visions, montrées par l'Épée de Légende, et pas juste des hallucinations que je me serais créées moi-même ! Cela me rend folle, pour autant que je sache je le suis peut-être déjà ! »

Je m’arrêtai, me forçant à respirer profondément pour essayer de me calmer, puis tentai une nouvelle approche.

« J’ai vu… Un village perché dans les montagnes, il y avait des moulins, je me souviens de l’odeur de la mer… Mipha… Je t’en prie, dis-moi seulement : est-ce que nous habitons à Elimith, ensemble, Link et moi? »

Elle sembla hésiter à répondre, incrédule, puis m’avoua…

« Oui, Votre Altesse… dans la maison où il est né… »

Sous le choc, je portai la main à ma bouche. Je pris une profonde inspiration que je laissai s’échapper doucement entre mes doigts…  C’était donc vraiment des visions, des visions du futur d’un autre monde…

« J’ai aussi vu des enfants…»

Lui demandais-je encore avec convoitise. Elle secoua la tête :

« Cela ne faisait que quelques mois que le Fléau avait été scellé quand Sidon et les autres ont été appelés à notre secours… Ces petites choses-là prennent plus de temps… »

Notre conversation s’arrêta peu après cela : je pense qu’elle comme moi avions besoin de reprendre nos esprits. Elle me demanda si j’avais vu son frère dans mes visions et je lui promis de lui en faire part si un jour cela arrivait. Elle retourna ensuite à ses préparatifs,  me laissant ruminer seule sur ce qu’impliquait ce nouvel aspect de mes pouvoirs…

 

MIPHA

Les paroles de la Princesse Zelda m’avaient profondément remuée. Son aveu de ses sentiments pour Link avait été une première douche froide, mais je la surmontai très vite : je connaissais depuis longtemps ses sentiments et en entendre parler de sa propre bouche ne changeait pas grand-chose. Quant à sa promesse de réparer son cœur brisé, je l’avais plutôt accueillie comme un soulagement. Même si cela ne devait pas être avec moi, je souhaitais de tout mon cœur que Link soit heureux...

Non, ce qui me troublait, c’était la vision dont elle avait parlé. Elle s’était vue habiter à Elimith et y élever leurs enfants avec Link, comme dans le Futur dont était venu Sidon : ce futur où le château était en ruines depuis cent ans; ce futur où l’Ombre d’Eau de Ganon m’avait tuée au coeur de Ruta...

Que Sidon et les autres en soient venus était une chose… Mais nous avions déjà changé le passé ! Les trois autres prodiges, le Roi Rhoam, et moi, nous étions tous les cinq sains et saufs ! Ce futur empreint de regrets et de larmes n’existait plus !

Mais dans ce cas… Où étaient repartis Riju, Teba, Yunobo? Savaient-ils seulement s’ils allaient naître un jour dans ce futur modifié? Est-ce qu’on meurt quand on tente de retourner dans un monde où l’on n’a jamais existé ? Est-ce qu’on disparaît comme la flamme d’une bougie que l’on souffle? Pourquoi ne semblaient-ils pas du tout avoir peu que cela arrive? Et pourquoi leurs souvenirs du futur n’avaient-ils pas changé au fur et à mesure que nous avions changé le cours du temps ?

Pourquoi dans les visions de Zelda comme dans les souvenirs de Sidon, Link et elle vivaient une vie de jeune couple dans cent ans, eux dont l’espérance de vie était si courte comparée aux Zoras… Sidon m’avait bien expliqué ce qu’avait dû faire la Princesse dans l’ancien futur, quand Link était tombé à ses pieds, à moitié mort, et sans moi pour le soigner… Elle s’était scellée en dehors du Temps avec la Bête, attendant un siècle que Link revienne à la vie par les soins d’une machine Sheikah : c’est pourquoi ils étaient encore si jeunes même dans cent ans... Mais ce futur n’existait plus! Non ! Il n’existait plus ! C’était impossible!

Je bouillonnais intérieurement : je m’étais tellement focalisée sur mon frère Sidon et sur mes propres sentiments pour Link que ces questions et ces incohérences m’étaient passées complètement à côté. Je me remémorais notre au-revoir :

« J’imagine qu’un jour ou l’autre… nous nous reverrons… » lui avais-je balbutié.

Une ombre était passée dans son regard. Il avait soupiré avant de me répondre.

« Oui… Je serai toujours à tes côtés, je t’en fais la promesse, ma chère sœur. »

La Princesse… Quels mots avait-elle employés, déjà ? « Cette… Autre réalité…»

Je tombai à genoux en ouvrant enfin les yeux sur l’inconcevable : nous n’avions pas changé le futur, nous en avions créé un nouveau. Ce n’était pas de lui-même que mon frère avait parlé lors de ses adieux, mais de son alter-ego de mon époque : le petit Sidon, qui allait grandir avec moi et deviendrait un jour le fier et beau Prince que je chérissais. Il n’avait pas menti : il serait toujours à mes côtés. Mais lui, le Sidon du futur, avait regardé dans les yeux de sa grande sœur pour la toute dernière fois, et était reparti vers une réalité où j’étais morte.

« Oh, Sidon … ! »

Mon cœur se serra si fort en pensant à ce qu’il avait dû ressentir que je crus mourir de douleur. Il m’avait caché sa peine pour me protéger une dernière fois, et était reparti dans une réalité où personne n’était venu me sauver… Je comprenais enfin pourquoi son expression semblait si souvent mélancolique: derrière son enthousiasme démesuré et le sourire éclatant qu’il affichait pour nous donner du courage, mon petit frère souffrait. Il savait que rien de ce qu’il pouvait faire ne lui rendrait jamais sa sœur.

Avait-il au moins trouvé une forme de paix, d’avoir pu me connaitre un peu mieux ? D’avoir pu épargner ces épreuves à son autre lui ? Ou est-ce qu’au contraire le regret était d’autant plus fort, de n’avoir pas eu la chance de vivre dans le « bon » futur?

Non… Pas Sidon… il n’aurait jamais souhaité que le mal soit tombé sur un autre plutôt que sur lui. Il était trop altruiste et courageux pour ça…

Je pensai aux visions de Zelda. Il me suffisait de fermer les yeux un instant pour les imaginer : Link heureux, loin des affèteries du château, entouré d’une ribambelle d’enfants que je n’aurais jamais pu lui donner... Et mon frère, leur oncle de cœur, leur apprenant à nager comme de vrais petits Zoras. Peut-être finalement n’y avait-il pas de bon ou de mauvais futur…

Comme l’avait si bien fait mon frère, je m’efforçai de contenir mes émotions. Je devais organiser le rapatriement des troupes et de Ruta - ne pouvant plus compter sur la téléportation depuis la perte du Petit Gardien. Je voulais retrouver mon petit Sidon au plus vite pour le serrer dans mes bras. Pour deux.


***



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