Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 2 : Soins

4384 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/06/2021 10:46

" C'est par amour pour lui que tu veux le soigner ! Il n'a pas besoin de tes soins...

Et d'ailleurs qui donc la médecine a-t-elle jamais guéri ? "

- Léon Tolstoï

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LINK

Zelda avait perdu connaissance en tentant de s’enfuir. Comme si j’étais capable de lui faire le moindre mal. Je l’avais rattrapée de justesse avant qu’elle ne tombât et l’avais ramenée dans mes bras jusqu’au Fort pour la confier à la vigilance d’Impa et aux bons soins de Mipha. Le Petit Gardien semblait vouloir rester auprès d’elle. Tant mieux.

J’avais été idiot : j’avais pris sa détresse à l’idée de me voir mourir comme un aveu de ses sentiments, alors qu’en réalité, elle avait juste eu peur pour son Royaume et sa Mission Sacrée. J’étais un outil pour elle: un outil qu’elle devrait utiliser pour gagner la guerre. C’est pour ça qu’elle avait besoin que je reste en vie, pour ça et rien d’autre... C’est d’ailleurs bien ce qu’elle avait dit dans sa rage, non ? Pour l’Amour d’Hylia! Pourquoi avait-il fallu que j’interprète ça autrement ?

Honteux, je partis prendre un peu de hauteur, ignorant au passage les appels de mes amis qui se réjouissaient de la victoire et de son Éveil: comme un animal blessé j’avais besoin d’être seul. Perché sur une des tours de la Muraille d’Elimith, j'allai panser mes blessures à la faible lueur de la Lune.

Il n’y avait pas si longtemps, jusqu’au réveil du Fléau, elle aurait insisté pour qu’on prenne soin l’un de l’autre... C’était un rituel qui avait commencé peu après mon affectation en tant que son garde personnel. Ce jour-là, nous avions étés embusqués par des monstres sur la route vers le Laboratoire Royal. Après la bataille, alors que je refusais de donner plus de travail à l’infirmier de la garde pour des blessures que j’estimais légères, elle m’avait ordonné de m’asseoir, avait sorti une petite trousse de premier soins de son escarcelle et avait entrepris de me soigner elle-même. Peu assurée, elle évitait mon regard alors qu’elle bandait mon bras et mon torse. Je pouvais sentir ses mains trembler et spéculais intérieurement sur les raisons de sa nervosité : peur de mal faire, peur de faire mal… Timidité ? Par toutes les déesses d’Hyrule, elle était si jolie que j’en oubliais toute douleur pendant ses soins…

Lorsqu’elle eut fini, j’osai prendre à mon tour une compresse propre imbibée de lotion et levai le bras pour tamponner son front, juste à la naissance de ses cheveux, où elle s’était fait une légère coupure en participant au combat.

« Je vous demande pardon, votre Altesse. Je dois être un bien piètre garde du corps pour que vous soyez obligée de vous battre… ».

Surprise par mon geste et mes paroles, elle me regarda enfin dans les yeux. Le vert de ses yeux semblait irréel: peut-être à cause de la teinte rosée qu’avait pris tout son visage. Il lui fallut quelques secondes pour retrouver sa composition. A moi, il en aurait fallu beaucoup plus: mon pauvre cœur battait la chamade.

« Ne dis pas de sottises, » me fit-elle, « nous ne serions plus là si tu ne nous avais pas débarrassés de ce gardien fou… Impa avait raison: tu es vraiment un combattant hors-pair… Je suis rassurée de t’avoir à mes côtés. »

« Vous… Vous vous êtes très bien battue, vous aussi, avec cette étrange technologie... Je suis impressionné. Avec un peu d'entraînement vous n’aurez plus besoin d’un garde-du-corps du tout… »

Le visage de la Princesse d’Hyrule s’était éclairé d’une gratitude si sincère que je n’avais pu m’empêcher de lui sourire en retour. Je me souviens encore de la douceur de sa voix lorsqu’elle me répondit :

« Alors… N’en souffle surtout pas un mot à mon père, d’accord ? »

« Promis. Votre Altesse.»

Elle avait rangé ses affaires et nous nous étions séparés, un peu confus. Mais depuis lors, nous occuper de nos blessures mutuelles était devenu comme un rituel, un accord tacite entre nous, qui m’était surtout cher pour le réconfort et ces moments d’intimité et de douceur qu’il m’offrait avec elle. Cela me semblait s’être passé il y a une éternité: depuis que je l’avais forcée à fuir du château, en abandonnant son père, elle était déjà devenue plus distante avec moi.

Qu’est-ce que ça allait être après lui avoir avoué des sentiments qu’elle ne partageait visiblement pas…

Ne tenant plus en place, je descendis de l’autre côté de la muraille, en direction d’Elimith. Cette route menait à mon village natal, mais cela faisait bien longtemps que je ne l’avais pas parcourue. La nostalgie se mêla bientôt à la meurtrissure de mon cœur et à ma fatigue. Je me dirigeai vers la rivière pour laver le sang de mes mains... C’est là que je trouvai la plante que ma mère utilisait pour son baume-à-bobos, comme elle l’appelait. Il y avait aussi un rucher là-bas près du cabanon, pour le miel et la propolis et de l’argile dans le lit de la rivière… Tous les ingrédients y étaient. Je pensai immédiatement à Zelda: depuis des jours, je la voyais grimacer de douleur en silence. Elle tentait de cacher sa souffrance et refusait que quiconque ne la soigne, comme pour se punir… Après un court moment d’hésitation - à quoi bon me donner cette peine sachant qu’elle ne me laisserait probablement plus jamais l’approcher ? -  je suivis mon premier réflexe et consacrai le reste de la nuit à la préparation du remède de ma mère.

Je ne devrais surtout jamais lui dire que pour ce faire, j’avais dû broyer les feuilles avec mes dents.


ZELDA

Link n’était réapparu qu’au petit matin. Il m’avait saluée, non pas de l’amical signe de tête dont nous avions pris l’habitude, mais en s’inclinant: conformément au protocole. Son visage fermé n’exprimait plus aucune émotion.

« Je me réjouis que vous alliez mieux, votre Altesse. »

« Link… » commençai-je sans avoir la moindre idée de ce que j’allais pouvoir lui dire ensuite. L’envie dévorante de retrouver la douce étreinte de ses bras monopolisait toutes mes pensées, mais y succomber était exclu. Il m’interrompit de toutes façons.

« Ne vous inquiétez pas pour moi, Votre Altesse. Je suis votre humble serviteur. On m’a dit que vous comptez faire une annonce à votre armée et souhaitez ma présence. Vous pouvez compter sur moi. Vous le pourrez toujours.» Et il s’inclina de nouveau.

Link resta en retrait, stoïque, pendant mon discours.  A croire que j’avais pétrifié son cœur en le rejetant. Nous souffrions tous les deux du même mal, mais lui n’en souffrait qu’à cause de moi et la culpabilité me rongeait. Pour réprimer mon besoin de le réconforter, je décidai de refléter son comportement froid et distant. Comme il me l’avait affirmé, il resta d’une dévotion sans faille les jours qui suivirent et ce jusqu’à l’ultime bataille. Mais jusqu’à ce moment où il s’était agenouillé devant mon lit, il ne s’était plus défait de son attitude formelle...  

Je revins à la réalité, baignant mes pieds nus dans ma chambre en ruine.

Je sentais son regard dans mon dos alors qu’il se relevait, une pile de draps sur les bras. Dans un silence glacial il fit le tour du lit, déposa le surplus de draps sur un coin du matelas et, n’en gardant qu’un dans les mains, il mit un genou à terre. Inexpressif.

« S’il vous plaît.» murmura-t-il en présentant le drap en berceau devant moi.

Je sortis les pieds de l’eau et il enveloppa mes jambes dans le tissu avant d’éloigner d’une main la bassine. Il reposa mes jambes ainsi emmaillotées sur le tapis poussiéreux, ressortit le bocal d’onguent de sa poche et le posa dans ma main. Avant qu’il n’ait le temps de la retirer, je posais mon autre main sur la sienne, en faisant mon possible pour ne pas la serrer aussi fort que j’aurais voulu. Je n’osai pas affronter son regard, terrifiée de ce que je pourrais y voir, refusant qu’il perçoive la honte dans le mien…

« Merci, Link… »

Sa respiration s’était accélérée sous le coup de la surprise. Il m’observa quelques instants, sans rien dire. Puis il leva son autre bras pour repousser une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Quand sa main caressa furtivement ma joue, mon cœur s’emballa et je ne pus résister à plonger dans son regard.

« Mettez un peu de ça directement sur vos plaies et massez doucement,» m'expliqua-t-il simplement, « c’est un peu collant mais ça soulage et ça aide à cicatriser… »

Le sourire qu’il esquissa n’exprimait que tristesse. D’un geste de la main, il pointa mes habits de rechange.

« Je vais vous chercher de l’eau propre si vous voulez faire votre toilette avant de vous changer. Je n’en peux plus de vous voir dans cette maudite robe, vous semblez constamment frigorifiée… »

Il se leva et libéra sa main des miennes, les laissant se serrer toutes les deux sur son petit pot en verre. Je voulais le retenir, l’appeler, lui ouvrir mes bras et mon cœur comme je n’avais pas pu le faire sur la plaine de Cernoir, mais j’étais tétanisée. Il déposa bientôt sur ma table de nuit la bassine d’eau propre qu’il m’avait promise et, sans un mot de plus, il s’en alla, sautant les décombres de l’escalier sans même prendre la peine d’ouvrir sa paravoile...

Oh Link… ce n’était pas de froid que je tremblais …


MIPHA

« Link ! Tout s’est bien passé ? »

L’œil hagard comme quelqu’un d’un peu trop aviné, Link m’avait rejointe sur l’estrade, dans le coin du Grand Hall où je m’étais isolée pour décanter un peu. Le flot des arrivées s’était enfin calmé, me laissant un peu de répit. En traversant la salle, il avait semblé inconscient des éclats de voix et autres gestes d’admiration des soldats dans son sillage, ni du fait que tous les regards étaient braqués sur lui. Tout juste s’était-il arrêté quelques secondes pour répondre à Impa qui l’avait hélé... Le grand Héros qui avait vaincu le Fléau n’était pour le moment rien de plus qu’un garçon épuisé. Sans me répondre il déposa ses armes, s’allongea sur le dos à côté de moi, sur une couchette libérée depuis peu et cacha son visage sous son bras.

« Aurais-tu besoin de soins ? »

Il poussa un énorme soupir avant de me répondre.

« Non… Merci Mipha… J’ai surtout besoin de… D’y voir plus clair. De comprendre. Je suis perdu… »

« Oh…»

« A ma connaissance ton pouvoir n’a pas d’emprise sur les peines de cœur… » 

Je m’approchai de lui pour lui parler à voix plus basse.

« Alors, je suppose que c’est à propos de Zelda, n’est-ce pas ? »

Il eût l’air surpris et souleva son bras et sa nuque pour sonder mon regard. Penchant légèrement la tête d’un air entendu, je me forçai à lui sourire. Il soupira encore avant de se cacher de nouveau, derrière ses paumes cette fois, enfonçant ses doigts dans ses beaux cheveux sable. Il ne me fit pas l’affront de me mentir.

« Ça se voit tant que ça… ? » maugréa-t-il.

« Disons que … Oui … Quand on y fait un peu attention la tension entre vous est évidente … »

Il hésita, puis lâcha prise.

« … Je l’aime, Mipha… Je l’aime depuis toujours et depuis que j’ai fait l’énorme bourde de le lui dire, elle ose à peine croiser mon regard… À certains moments, j’ai l’impression qu’elle partage mes sentiments et l’instant d’après elle me repousse. Parfois, comme tout à l’heure, j’ai l’impression que je la terrifie. Je ne sais plus quoi penser ni comment agir. Par Din ! Tout est tellement plus simple avec toi… »

« Aah… » Voilà tout ce que je pouvais articuler sans trahir ma propre douleur… S’il avait su…

« J’en suis venu à me dire que ce n’est peut-être pas une question de sentiments mais de statut…? Je ne suis que le fils d’un petit chevalier de province, alors probablement pas le « prince » de ses rêves, c’est sûr. Trop rustre pour elle? Peut-être qu’elle a peur que je me conduise comme un barbare? Ou trop petit ? Un gentil petit plouc tout juste bon pour flirter un peu. Surtout pas plus, certainement pas, oh non…! Ça expliquerait qu’elle me cherche comme ça puis qu’elle prenne ses nageoires à son cou dès que je fais un pas vers elle! »

C’était comme un torrent en crue quand des débris de bois font barrage : il avait suffi d’enlever une seule petite branche de rien du tout pour que le courant emporte le reste de ses blocages dans une débâcle de mots. Il pouvait rester silencieux des jours entiers, mais quand il commençait à s’épancher il était difficile de l’arrêter; surtout dans son état de fatigue. Je le laissai continuer.

« Je l’ai toujours su pourtant. Mon père me l’avait déjà dit quand j’étais tout gamin, c’est pour dire… Les rats des champs comme toi et moi n’épousent pas les Princesses qu’il disait… et puis c’est pas comme si je ne les avais pas entendues discuter de ça ensemble elle et Impa, juste après mon affectation… que j’étais mignon mais que “tu te rends compte du scandale que ce serait  si …”»

Je lui coupai la parole.

« Eeeeh… Dois-je rappeler à Monsieur de Rat des Champs qu’il est pupille du Roi Dorefah en personne, et que les deux premiers héritiers du trône Zora le considèrent comme de leur propre sang? Veux-tu que je fasse jouer mes relations, Monseigneur le Petit-Prince-sans-Nageoire ? »

Ma remarque sur son absence de nageoires le fit sourire un instant, lui rappelant le bon vieux temps...

« C’est gentil Mi, mais tu sais que ça ne compterait pas ici … »

Que cela devait être déroutant pour lui de côtoyer deux Princesses, et de devoir appeler l’une « Votre Altesse » alors qu’il ne prenait même plus la peine de prononcer le prénom de l’autre en entier…

« Tous ces derniers mois à son service, » reprit-il, « j’ai vraiment eu l’impression qu’il se passait quelque chose. Elle et moi, on était…Enfin... J’ai cru que peut-être, si on sauvait Hyrule ensemble, Rhoam finirait par me donner un titre… Tu sais bien que les mondanités ne m’intéressent pas, mais si au moins mes sentiments pour elle n’étaient pas illégaux… Pfff…  Je suis tellement stupide d’avoir nourri cet espoir. J’aurais dû écouter mon père et rester à ma place.»

Link s’était tourné rageusement vers le mur en disant ça… J’attrapai une couverture sur une pile derrière moi et la dépliai sur son dos et ses jambes. Les Hyliens sont toujours si frileux…

« Cela ne fait que quelques heures, Link, soit patient… certains d’entre nous n’ont pas dormi depuis deux jours, y compris toi… Sa Majesté aussi a surement des choses plus urgentes à traiter… »

« Je sais… Je sais… ! Ce n’est pas ça qui m’inquiète… Ce qui m’inquiète c’est l’idée qu’il le fasse… Et que ça ne soit pas suffisant… »

Sa voix était de plus en plus morne au fur et à mesure que sa respiration ralentissait. Le sommeil l’emporterait bientôt dans ses eaux: puissent-elles être calmes et douces.

« En parlant de son père, je ne suis même pas sûr qu’elle surmontera le fait que je l’ai forcée à l’abandonner. Même s'il a survécu finalement, même si je n’ai fait qu’obéir aux ordres de mon Roi, on l’a quand même abandonné… Elle m’a ordonné de la lâcher, mais j’ai utilisé la force pour l’obliger à me suivre. Et comme si ça ne suffisait pas, je suis celui qui a détruit son petit gardien, son ami d’enfance… ! Je peux comprendre son ressentiment : imagine si c’est toi qui avait été possédée et qu’elle t’avait tuée… Peut-être que je l’ai brisée pour toujours, elle aussi… En le brisant lui…»

« Tu n’avais pas le choix, Link, tu as fait ça pour nous protéger… ! Si un jour ça m’arrivait, j’espère bien que vous m’empêcheriez de vous faire du mal, par quelque moyen que ce soit ! »

Il ne répondit pas.

« Et dis donc, elle serait bien culottée de t’en vouloir à toi, alors qu’elle aurait pu utiliser son pouvoir pour le débarrasser de la Rancœur sans l’abîmer! Personne ne lui en veut d’avoir été comme paralysée à ce moment-là… Tu ne vas tout de même pas commencer à t’en vouloir pour les limites des autres ! … Et je ne pense vraiment pas que Son Altesse Zelda te méprise, non plus, ni qu’elle a peur de toi… Moi je pense que si la Princesse a peur d’une chose, c’est d’elle-même, de son propre cœur. Sûrement pas de toi… Link ? »

Je me penchai au-dessus de lui: les paupières closes, la respiration apaisée, il dormait à poings fermés. D’une longue expiration, je me dégonflai comme une baudruche Octo.

Voilà, c’était acté, je ne pouvais plus prétendre ne pas le savoir : je n’étais pas sa Princesse, je ne le serais jamais… J’avais espéré que peut-être, puisque cette fois-ci j’avais survécu, j’aurais éventuellement une chance… La tendresse que je ressentais pour lui alors que je remontais la couverture sur son épaule était étouffante, et les larmes que j’avais retenues jusqu’alors coulaient désormais librement en cascade sur mes joues. 

Pourtant je ressortais de cette douloureuse discussion avec une certaine fierté. Après tout c’est à moi qu’il était venu se confier et c’est vers moi qu’il était venu chercher du réconfort. Dans ce domaine où il était plus vulnérable que dans n’importe-quel autre, c’est auprès de moi qu’il s’était senti en sécurité. Que je le veuille ou non, j’étais pour lui ce qu’elle ne serait jamais.

J’étais sa sœur.


ZELDA

J’avais retrouvé ma tenue d’expédition. Des manches, ah! Un pantalon, des chaussettes et des chaussures… Quel soulagement… Link n’avait pas menti sur sa pommade : déjà, je n’avais presque plus mal… je glissais précieusement le petit pot dans mon escarcelle à côté de la vis de Terrako…

Mes quartiers ne seraient pas accessibles par la porte avant plusieurs jours, voire semaines… Avant de redescendre je rassemblai quelques affaires qui pourraient m’être utiles : ma trousse de toilette, ma brosse à cheveux et des barrettes, mon manteau, des vêtements de rechange... Je me servis d’un des draps comme balluchon. Près de mon bureau, je trébuchai sur un livre couvert de poussière. Me penchant pour le ramasser je reconnus mon journal intime. Nostalgique, je l’ouvris et en caressais les pages : ici, mon seizième anniversaire, là, le bal du Solstice ; des prières aux sources, beaucoup. La pneumonie qui avait suivi mon voyage à Akkala… Oh… Ma rencontre avec Link, qui n’était alors qu’un soldat… Son propre anniversaire, qu’il avait choisi de passer avec moi, déguisé en vaï dans la cité Gerudo... Le tourbillon d’émotions contradictoires le jour où il avait été élu par l'Épée de Légende : je m’étais sentie si indigne de lui après ça,  et pourtant comme je me réjouissais secrètement que ce fut lui… Tout le monde sait ce que le titre de Chevalier Purificateur signifie au-delà de sa mission sacrée… La dernière page décrivait notre retour de la source du Courage. Ce voyage n’avait rien changé au niveau de mes pouvoirs mais le soutien d’Impa, de Terrako et de Link avait été tout pour moi. C’était eux la véritable Source de mon Courage : mes meilleurs amis et mon… Mon…

Je fermai mes yeux sur les larmes qui y montaient et jetais le journal dans mon baluchon de fortune. Je rabattis un pan de tissu puis un autre et lançais la banane ainsi formée en travers de mon dos. Nouée. Prête à redescendre.


En chemin vers le Grand-Hall, je croisai Impa :

« Votre Altesse ! On m’a dit que vous étiez allée vous changer, j’étais en route pour venir voir si tout allait bien.»

« Impa, je suis contente de te voir… Qui t’a dit ça ? »

« Link. »

« Il a dit quelque chose d’autre…? »

« Rien du tout, il n’était pas très causant, enfin, comme d’habitude. Votre Altesse, mais vous êtes chargée ! Laissez-moi porter vos affaires… »

« Non, merci, Impa. Ce n’est pas aussi lourd que ça en a l’air. Où puis-je me rendre utile ? »

« Eh bien, le flux des blessés a bien ralenti - La princesse Mipha est vraiment extraordinaire elle aussi dans son genre; Hyrule est bénie de vous avoir toutes les deux! - il ne reste que quelques blessés légers dont Dame Costella et son équipe s’occupent et, malheureusement, les morts… Qui ont été déplacés au sous-sol et qui sont en cours d’identification… »

Ceux que j’avais failli à protéger …

« Du coup, nous allons réquisitionner la partie ouest du Grand Hall en réfectoire. Le cuisinier de caserne est déjà en train de préparer quelque chose avec les ressources communes. Pour les Gorons par contre nous sommes embêtés: certains grignotent déjà les pierres du château au lieu de de les déblayer … »

« Ça ne fait rien Impa. On pourrait leur proposer de se servir dans la carrière si la pierre y est à leur goût. Où est mon père ? »

« Au dernières nouvelles, il débite des arbres fauchés par Naboris et qui empêchent l’accès aux caravanes de ravitaillement entre le plateau et ici. »

Nous arrivâmes au Grand Hall. J’aperçus Mipha qui à priori aidait Costella auprès des derniers blessés. Urbosa et Revali, visiblement exténués, somnolaient non loin de là en attendant les prochaines directives. C’était touchant de les voir adossés l’un contre l’autre, eux qui pouvaient à peine se supporter d’habitude... Aucune trace de Link. Je proposai à Impa que nous déplacions ensemble les couchettes de l’infirmerie afin d’installer à la place des tables de fortune pour la distribution des rations. Nous fûmes bientôt rejointes par des soldats outrés de voir leur Princesse s’abaisser à de tels travaux et qui me supplièrent presque de les laisser s’en occuper.

Vaincue par ma propre armée, je cherchais un endroit pour m'asseoir, quand j’aperçus une couchette occupée, oubliée dans un coin à l’opposé des autres.

« Princesse Mipha ? Il reste un blessé au fond de l’estrade là-bas, est-ce normal ? »

Mipha s’approcha lentement pour me répondre. Elle me fixa avec un aplomb inhabituel.

« Ah, celui-là… Je ne peux malheureusement rien faire pour lui, Votre Altesse… mon pouvoir a ses limites… »

« Il a … Il a succombé… ? »

« Non, Votre Altesse… Son corps va bien… Ce sont son cœur et son égo qui sont en miettes… »

La Princesse Zora avait prononcé ces mots lentement et sur un ton de reproche avant de retourner à son patient. Vexée et curieuse de savoir pourquoi j’étais censée l’être, je m’approchai de la couchette en question d’où se détachait une silhouette manifestement hylienne.

C’était Link… Je pris soudain le reproche de Mipha en plein cœur. J’avais fait tant de mal à cet être qui m’aimait et que j’aimais… Pourquoi avait-il fallu que je rende les choses aussi compliquées ? J’aurais dû accueillir son affection, la chérir, au lieu de le repousser. Comment avais-je pu penser une seconde que nous serions moins forts unis alors que tout autour de nous me prouvait le contraire?

Terrassée par le remords et l’épuisement, je me saisis d’une couverture pour m’y emmitoufler et m’adossai au mur au pied de sa paillasse. Je voulais juste être près de lui… Pendant que m’asseyais, mon genou buta sur le fourreau de son Épée : dans ma détresse je m’en emparai et la serrai désespérément contre moi. La Lame Purificatrice en travers de mon cœur, bercée par la respiration de son porteur, je m’abandonnai au sommeil…

 

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