Les enfants de Bordeciel

Chapitre 27 : La corne

4128 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Chapitre 27 – La corne

Lydia se sentait tendue.

Ce n’était pas la tension d’un combat imminent, ni celle d’un danger caché dans les étendues sauvages. Non, c’était une tension plus insidieuse, celle de surveiller un enfant prêt à provoquer une catastrophe. Hunfen était assis à côté d’elle sur le chariot bringuebalant qui remontait le sentier menant à Rivebois. Il n’avait pas tenu en place une seule seconde du voyage, oscillant entre excitation et impatience, gigotant sur son siège comme un louveteau trop longtemps confiné. Il s’était exclamé dès qu’il avait aperçu le sommet du moulin, s’était dressé sur la pointe des pieds en voyant le toit de la scierie, et maintenant, il battait des jambes avec un enthousiasme non dissimulé en fixant l’entrée du village qui se rapprochait.

Lydia, elle, était sur le qui-vive. Elle ne connaissait pas bien Rivebois. Tout ce dont elle se souvenait de ses quelques passages dans le petit village frontalier, c’était qu’il abritait une scierie prospère tenue par une certaine Gerdur ainsi que quelques autres services de base. Les voyageurs y faisaient parfois halte avant de reprendre la route vers Épervine ou, autrefois, Helgen. Il arrivait que Blancherive y envoie quelques denrées en cas de besoin. C’était tout. Elle ne connaissait personne ici. En revanche, Hunfen, lui, avait fait la connaissance de plusieurs personnes ici, et il était ravi de les retrouver. Elle lui avait répété – et répété encore – de ne rien dire à propos de son statut d’Enfant-de-Dragon, de la mission confiée par les Grises-Barbes, de son voyage à Ustengrav. « Pas un mot, Hunfen. Personne ne doit savoir. » Il avait acquiescé avec conviction, promettant qu’il serait discret.

Elle n’y croyait pas une seule seconde.

Le chariot s’ébranla en passant le pont de pierre, franchissant la rivière derrière laquelle Rivebois s’étendait. Lydia resserra son manteau autour de ses épaules, jetant un regard prudent aux alentours. Le village était paisible, avec ses maisons de bois aux toits pentus, ses enclos de poules et de chèvres, et la scierie dont la grande roue grinçait doucement dans le courant. Pourtant, malgré ce calme apparent, elle ne pouvait ignorer la tempête qui menaçait d’éclater à chaque instant.

« Enfin arrivés ! » s’écria Hunfen. Lydia soupira silencieusement. L’enfant bondit du chariot avant même qu’il ne soit complètement arrêté, manquant de s’étaler sur le sol. Sans plus s’en soucier, il scruta les environs avec des yeux brillants, cherchant une silhouette familière.

« Oh ! Hadvar ! » appela-t-il en agitant les bras.

Lydia se tendit immédiatement. Par les Neuf, non. Elle avait espéré au moins quelques minutes de répit avant qu’il ne se précipite sur une connaissance et ne commence à déballer son histoire. Mais c’était illusoire, tant Hunfen était surexcité à l’idée de revoir le village. Elle descendit précipitamment du chariot à sa suite, suivant son regard. Un homme marchait paisiblement dans la rue. Il n’était pas en armure, mais sa posture et sa carrure trahissaient son métier. Les cheveux bruns, un visage franc et assuré, une certaine prestance malgré ses vêtements civils : de toute évidence un soldat de la Légion, probablement en permission. Précisément ce contre quoi le jarl Balgruuf avait mis en garde l’enfant, mais ce dernier n’en avait cure. L’homme se retourna en entendant son nom, et un sourire surpris éclaira son visage en voyant le garçon courir vers lui.

« Hunfen ? Par les Huit, c’est toi ? » s’exclama-t-il en écartant les bras.

Le gamin s’y précipita, manquant de le renverser. Hadvar éclata de rire et lui ébouriffa les cheveux avec affection.

« Eh bien, petit, je m’attendais à tout sauf à te voir ici ! Qu’est-ce que tu fais à Rivebois ? »

Oh non. Lydia vit la catastrophe arriver aussi sûrement qu’une tempête s’amoncelant à l’horizon. Elle s’approcha en toute hâte, espérant pouvoir canaliser la situation. Par pitié, pas maintenant. Lydia ouvrit la bouche pour intervenir, trop tard. Le flot de paroles avait déjà commencé.

« Hadvar ! Tu n’imagines pas tout ce qui m’est arrivé !, lança Hunfen avec un enthousiasme délirant. Tu sais, quand je suis allé à Blancherive avec Delphine, sur la route, il y avait un géant qui attaquait une ferme ! Et j’ai aidé les Compagnons à l’affronter ! Alors ils m’ont emmené à Jorrvaskr ! Et j’ai mangé à leur banquet, c’était incroyable, y avait du rôti partout ! Et puis ensuite un dragon a attaqué la tour de guet de Blancherive ! »

Hadvar ouvrit de grands yeux, surpris.

« Un dragon ? » répéta-t-il, plus sérieux.

Lydia voulut réagir, mais Hunfen ne lui en laissa pas l’occasion.

« Oui ! J’ai voulu voir, alors j’ai suivi les gardes, mais je me suis fait attraper et le Jarl m’a disputé, parce qu’il me protège depuis que je l’ai prévenu pour Helgen ! Alors il m’a envoyé à Faillaise, à l’orphelinat Honorem… »

Lydia sentit une goutte de sueur froide couler le long de sa tempe. Il parle trop. Et elle ne pouvait pas le faire taire sans paraître suspecte. Elle chercha du regard une diversion, mais rien ne vint. Il ne restait plus qu’à prier pour qu’il n’aborde pas les sujets interdits.

« … mais c’était horrible là-bas, et… il y a eu un accident, alors je suis parti, je suis allé retrouver Aventus à Vendeaume ! Et tu sais, j’ai vu Ralof là-bas ! Il va bien ! Enfin j’espère, il repartait pour un camp Sombrage ! »

Hadvar haussa les sourcils, surpris. Puis il sourit légèrement.

« C’est vrai ? Hmm… Ça me fait plaisir de l’entendre. On n’a peut-être pas choisi le même camp, mais il reste mon ami. »

Son expression de soulagement se mua soudainement en un pli soucieux alors qu’il continuait :

« Mais dis-moi, j’ai entendu dire qu’un gamin de Vendeaume avait fait un Sacrement Noir contre la directrice de Honorem, et qu’elle était morte peu de temps après. Tu étais là au moment où c’est arrivé ? »

Lydia sentit une crampe d’angoisse lui serrer l’estomac. Comment est-ce que tu sais ça, toi ?! Hunfen se figea une seconde. Oh non, il réfléchit ! Lydia vit l’information s’agiter dans son esprit. Il était sur le point de dire une énormité compromettante.

« Non, non, non, heureusement, il n’a rien vu de tout ça, coupa-t-elle d’un ton faussement léger. Il était déjà loin quand c’est arrivé. »

Elle lança un regard appuyé à Hunfen, qui la regarda avec confusion avant de hocher la tête.

« Ah, d’accord », dit Hadvar, visiblement dubitatif. Il s’agenouilla devant Hunfen.

« Et ensuite ? Comment tu t’es retrouvé ici ?

— Eh ben, Lydia m’a récupéré, et on est retourné à Faillaise pour dire que tout allait bien. Elle devait me ramener à Blancherive ensuite ! Mais tu sais quoi ? Un autre dragon a attaqué ! »

Lydia sentit son cœur manquer un battement.

« C’était un dragon de glace ! Il a tout gelé sur le marché de Faillaise ! J’ai voulu utiliser mes flammes, mais il m’a assommé d’un seul coup ! »

Hadvar se redressa, de plus en plus sérieux.

« Deux attaques de dragons en si peu de temps… C’est inquiétant. »

Lydia força un sourire crispé. L’homme avait raison : c’était inquiétant. Mais le plus inquiétant était que ce maudit gamin en parle aussi librement, non content de s’être précipité contre la créature.

« Oui, n’est-ce pas ?, dit-elle finalement. Enfin, il a pu être vaincu avant qu’il ne cause un drame supplémentaire, résuma-t-elle en lançant un regard exaspéré à son téméraire protégé. Mais depuis, Hunfen est sous ma responsabilité. Le Jarl Balgruuf veut s’assurer qu’il reste en sécurité ».

Hadvar planta son regard dans le sien, la jaugeant comme on évalue l’équilibre d’une épée.

« Donc, je suppose que c’est vous, Lydia ?

— En effet. Huscarl de formation.

— Ah ? Je ne savais pas que Balgruuf nommait des huscarls comme garde d’enfants, plaisanta Hadvar.

— Disons que c’était une mission spéciale, répondit Lydia en retenant un soupir. Initialement, je devais juste l’escorter à Faillaise, mais les choses ont échappé à tout contrôle. Depuis, il m’accompagne quand je m’occupe de menues tâches sans danger, comme aujourd’hui.

— Oui !, renchérit Hunfen. C’est parce que je suis… euh… »

Il hésita une seconde, comme s’il se rappelait, enfin !, des consignes.

« … un gamin turbulent qui mettrait Fort-Dragon sens dessus dessous si on le confinait là-bas », acheva Lydia avec un sourire crispé.

Hadvar haussa légèrement un sourcil, observant le garçon avec un air intrigué. Finalement, un sourire attendri passa sur son visage.

« Eh bien, on dirait que tu as retrouvé ton énergie, hein ? À croire que rien ne peut t’arrêter ! »

Lydia ne put s’empêcher de lâcher un soupir discret de soulagement. L’enfant hochait vivement la tête, son enthousiasme à nouveau débridé.

« Je suis surtout content de revenir ici ! D’ailleurs, je vais voir Alvor ! Il m’avait donné une dague avant que je parte, mais je l’avais abîmée contre le géant ! Mais Eorlund Grisetoison en personne l’a réparée, et je veux lui montrer ! »

Hadvar haussa les sourcils, impressionné.

« Ah ça, s’il y a bien un forgeron qui sait y faire, c’est Eorlund. Mon oncle sera fier que son arme ait été entre ses mains.

— J’en suis sûr ! À plus tard, Hadvar ! »

Sans attendre, Hunfen s’élança à travers le village, filant comme une flèche en direction de la forge. Lydia le regarda détaler avec une pointe d’inquiétude, mais se retint de le rappeler. Il était plus en sécurité ici qu’ailleurs, et il avait besoin de ce moment ; tout comme elle, de repos. Hadvar, quant à lui, hocha la tête. Il observa Hunfen un instant, puis il esquissa un sourire sincère.

« Honnêtement… ça me fait plaisir de le voir comme ça. Après que nous avons fui Helgen, quand nous l’avons envoyé à Blancherive prévenir le jarl, il était si sérieux, si inquiet… C’est bon de voir qu’il peut encore s’exciter pour des broutilles. »

Lydia leva un sourcil. « Des broutilles, vraiment ? Deux dragons en quelques semaines et vous appelez ça des broutilles ? »

Hadvar ricana doucement. « Vous avez raison, mais vous comprenez ce que je veux dire. Après ce qu’il a traversé, il aurait pu… tourner autrement. »

Lydia croisa les bras, le regard suivant Hunfen qui s’éloignait à toute allure vers la forge. « Oh, il a changé. Il a vu des choses qu’aucun enfant ne devrait voir. Mais au fond, il reste lui-même. Et c’est bien pour ça que je dois veiller sur lui. »

Hadvar la fixa un instant, puis acquiesça avec une pointe de respect. « Vous avez du courage, Huscarl. Cet enfant a l’air d’être un sacré numéro. »

Lydia soupira. « Vous n’avez pas idée. »

Ils échangèrent un sourire entendu avant qu’elle ne prenne congé. Il fallait qu’elle retrouve Hunfen avant qu’il ne s’attire de nouveaux ennuis. Puis, ils iraient à l’auberge. Leur mystérieux contact les y attendait, et elle comptait bien savoir qui avait osé les devancer à Ustengrav.

oOo

L’auberge du Géant Endormi exhalait une chaleur boisée, un mélange de résine, de vieille bière et de suie. Lydia s’y engouffra à la suite de Hunfen, la main sur la garde de son épée, le regard balayant la salle d’un seul coup d’œil. L’endroit était presque vide : un vieillard aux joues rubicondes somnolait dans un coin, le menton plongé dans sa chope ; un barde blond aux doigts fins grattait paresseusement les cordes d’un luth mal accordé ; derrière le comptoir, un homme massif nettoyait une chope d’un air absent. Et là, près d’une table, une femme blonde, la cinquantaine robuste, essuyait avec méthode les planches d’un chiffon rêche.

Hunfen ralentit, les yeux grands ouverts. Il s’arrêta à la vue de la femme, et son visage s’éclaira aussitôt.

« Bonjour, Delphine ! » lança-t-il en agitant la main.

Lydia cligna des yeux. Comment ça, “Delphine” ? Elle avait espéré faire une entrée discrète, et conserver cette discrétion pendant tout leur séjour, pas faire des rencontres amicales ! La femme leva la tête, surprise un instant, puis un sourire tordu vint s’étirer sur son visage buriné.

« Eh bien, tiens donc… Le petit chasseur de géants en personne ! On dirait que tu as survécu à ton banquet de Jorrvaskr. »

Lydia grimaça. Bien sûr qu’il la connaissait. Bien sûr qu’il l’avait déjà croisée. Chaque lieu où elle espérait passer incognito se révélait être un nouveau théâtre des exploits de son insupportable protégé. Elle retint un soupir, le regard vissé sur la femme. C’était donc elle, Delphine. L’escorte de Rivebois à Blancherive dont Hunfen lui avait parlé. Il fallait que cette femme travaille précisément dans cette taverne ; les choses auraient sans doute été trop simples autrement ! Chassant sa frustration, elle détailla l’agencement de l’auberge d’un œil professionnel. La charpente était visible depuis la salle commune, formant un plafond haut et incliné. Pas d’étage, pas de pièce en mansarde. Aucun espace secret évident, aucun endroit qui puisse dissimuler un espion ou un messager mystérieux. Ou alors… Elle fronça les sourcils vers le comptoir. Le tavernier ? Peut-être… La prudence était de mise. Elle n’évoquerait la mansarde que plus tard, une fois que Hunfen serait installé dans la relative sécurité d’une des chambres.

« Ne t’éloigne pas, souffla-t-elle au garçon en posant une main sur son épaule. On ne fait que passer. »

Mais déjà, il s’était avancé, observant autour de lui, la tête levée.

« C’est bizarre, dit-il à haute voix, y’a pas de mansarde ici ? »

Lydia se figea. Elle tourna lentement la tête vers lui, les sourcils froncés, le regard perçant. Non. Non, non, non. Pas ça, pas maintenant.

Delphine haussa un sourcil, posant son torchon.

« Une mansarde ? Qu’est-ce que tu veux dire par là, gamin ? »

Hunfen parut se raidir, comme s’il réalisait enfin la portée de ses mots. Il tourna vers Lydia un regard d’alerte, puis tenta maladroitement de se reprendre.

« Ben euh… J’avais cru entendre quelqu’un dire que cette auberge avait une jolie chambre mansardée. Mais je crois que je me suis trompé. »

Lydia aurait pu l’étrangler. Même le plus limité des gardes aurait flairé le mensonge à plusieurs lieues. Delphine ne dit rien pendant un instant, puis elle haussa les épaules avec désinvolture.

« Tu confonds sans doute avec la Jument Pavoisée, à Blancherive. Ils ont une mansarde là-bas. Ici, il n’y a que le toit au-dessus de nos têtes. »

Elle reprit son chiffon comme si de rien n’était. Lydia força un sourire, jeta un regard d’excuse, et se dirigea vers le comptoir.

« Une chambre pour deux. Pas besoin de luxe », dit-elle au tavernier, qui hocha la tête sans commenter.

Une clef en main, elle entraîna Hunfen dans la pièce à l’arrière. La chambre était petite, rustique, sentait la laine humide et le vieux bois. Deux étroites paillasses, une table bancale, un coffre. Elle ferma la porte, se retourna, et toisa Hunfen.

« Tu parles trop, siffla-t-elle.

— J’ai pas fait exprès…

— Je m’en doute. Mais si tu continues comme ça, tu vas finir par nous attirer des ennuis qu’on ne pourra pas repousser à coups d’épée. Tu veux vraiment qu’on se fasse interroger par des Thalmor ? Ou pire ?

Il baissa les yeux.

— Non… »

Elle soupira, se passa une main sur le visage, et fit un rapide tour de la pièce, par réflexe. Rien d’inhabituel. Pas d’alcôve, pas de planche disjointe. Juste le froid qui commençait à s’infiltrer par les fentes des murs.

Puis, la poignée tourna. Lydia posa aussitôt la main sur son arme. La porte s’ouvrit sur Delphine qui entra et referma derrière elle sans un mot. Puis, elle s’approcha de la table et y posa un objet enveloppé dans du cuir.

« Voilà, dit-elle d’un ton neutre. La corne de Jürgen Parlevent. Maintenant, dites-moi : lequel de vous deux est l’Enfant-de-Dragon ? »

Lydia resta figée. La corne. Elle l’avait. C’était donc bien elle qui les avait devancés à Ustengrav.

Hunfen écarquilla les yeux.

« C’est… c’est elle ? C’est la vraie corne ? Celle que les Grises-Barbes voulaient ?

— Elle-même, répondit Delphine sans cérémonie. Et je suis ravie de constater que tu as réussi à suivre mes instructions. C’est un bon début.

— Mais… Mais on a dû traverser un tertre rempli de draugr pour ça ! s’exclama Hunfen. J’ai cru que celui qui avait pris la corne était un géant, ou un sorcier, ou… enfin, quelqu’un de plus grand ! »

Delphine haussa un sourcil, amusée.

« Et moi, je m’imaginais que l’Enfant-de-Dragon serait un peu moins… juvénile. On est quittes.

— Assez, coupa Lydia. Qu’est-ce que vous nous voulez ? Pourquoi avoir volé cette corne, pourquoi ce manège ? »

Delphine croisa les bras, le regard planté dans celui de Lydia, sans ciller.

« Pour m’assurer que je ne tomberais pas dans un piège tendu par les Thalmor. Je savais que les Grises-Barbes enverraient l’Enfant-de-Dragon à Ustengrav. C’est exactement leur genre : des énigmes, des tests, des voix caverneuses. Alors j’ai pris la corne, laissé un message. Et maintenant, j’ai la confirmation que c’est bien lui. »

Elle désigna Hunfen d’un geste de la tête avant de reprendre :

« Je ne suis pas votre ennemie. Je vous rends la corne. Et je vous demande juste un peu de votre temps. »

Lydia garda le silence un moment. Puis, d’un ton tranchant, elle exigea :

« Pourquoi cherchez-vous l’Enfant-de-Dragon ? »

Delphine s’assit lentement sur la seule chaise de la pièce et soupira silencieusement avant de répondre :

« Je fais partie d’un groupe qui cherche… quelqu’un comme lui depuis des années. Et maintenant que les dragons reviennent, nous n’avons plus le luxe d’attendre. »

Elle se pencha vers eux, sa voix baissant d’un ton.

« Les dragons n’étaient pas simplement partis ailleurs. Ils étaient morts, tués il y a des siècles par mes prédécesseurs. Quelque chose les ramène à la vie. Je suis allée vérifier leurs tertres, et plusieurs sont vides. Je l’ai vu de mes propres yeux. Creusés de l’intérieur, les ossements ont disparu.

— Mais… balbutia Hunfen, comment c’est possible ? Les dragons qu’on a croisés, à Blancherive, à Faillaise, ils avaient l’air… vraiment vivants ! Pas comme des draugr ou des squelettes ! »

Delphine secoua la tête.

« Nous, mon groupe, nous nous souvenons de ce que le monde a oublié. Qu’on ne peut pas réellement éliminer définitivement un dragon. Il n’y a qu’une seule façon de les tuer pour de bon : leur arracher leur âme. Et cela, seul un Enfant-de-Dragon peut le faire. »

Lydia serra les poings. Elle n’aimait pas la tournure que cela prenait.

« Donc vous voulez utiliser l’enfant comme appât ? Attirer une de ces créatures pour tester une hypothèse ?

— Pas tout à fait, répondit Delphine calmement. Les résurrections suivent un schéma, et je sais où et quand aura lieu le prochain réveil. Au Bosquet de Kyne, au sud de Vendeaume, et c’est imminent. Il n’a pas besoin d’affronter la bête, il doit seulement être là quand elle meurt. S’il peut absorber son âme, alors le dragon ne reviendra plus, et nous, nous saurons. C’est tout.

— Et qui tuera ce dragon ? Vous ? lança Lydia, sarcastique. J’ai déjà affronté une de ces créatures ! Même à quinze contre un, on a failli y rester ! Et ce dragon était petit !

— J’ai pris mes dispositions. Le Jarl Ulfric a été informé de ce que je pouvais me permettre de lui faire savoir. Avec un peu de chance, il enverra un détachement de gardes sur place. Et puis… je suis loin d’être sans ressources.

— C’est trop risqué, trancha Lydia. Nous retournons au Haut Hrothgar dès demain. Hunfen a besoin des enseignements des Grises-Barbes au plus vite. Il est hors de question de le mettre en danger avant ça. »

Mais le principal intéressé, jusque-là silencieux, serra les poings.

« Et si c’était vrai ? Et si je pouvais vraiment les arrêter ? Pourquoi je devrais rester caché si je suis le seul à pouvoir les empêcher de revenir ? J’ai déjà absorbé des âmes ! C’est ce que j’ai fait à Faillaise, non ?

— Et tu as failli y mourir, je te rappelle ! explosa Lydia. Ce n’est pas un jeu ! Tu es peut-être un héros de légende, mais tu restes un enfant !

— Mais c’est peut-être pour ça que je dois y aller, répliqua-t-il avec une détermination farouche. Justement parce que personne ne s’attend à ce que ce soit moi. Et si je peux faire quelque chose, je veux le faire. Pas rester caché pendant que les autres se battent ! »

Le silence tomba dans la pièce. Lydia le regarda, ébranlée. Il avait grandi, sans doute plus qu’elle ne l’avait voulu. Elle inspira lentement, puis ferma les yeux.

« Très bien. On y va, mais on reste cachés. Et après ça, direction le Haut Hrothgar. Je ne négocierai pas là-dessus. Tu dois mettre toutes les chances de ton côté, Hunfen.

— Marché conclu, répondit Delphine en se relevant. On partira à l’aube. »

Elle ouvrit la porte, s’arrêta une seconde, puis ajouta sans se retourner :

« Reposez-vous bien. Vous allez en avoir besoin. »

Et elle disparut, refermant doucement derrière elle.

Lydia s’assit lourdement sur la paillasse, la tête entre les mains.

« Par les Neuf… Qu’est-ce que je suis en train de faire. »

Hunfen vint s’asseoir à côté d’elle, un peu penaud.

« Merci », murmura-t-il.

Elle posa une main sur sa tête, le tira doucement contre elle.

« Tu me rends folle, tu le sais, ça ? »

Il hocha la tête, un sourire naissant au coin des lèvres.

« Je sais. »

Ils restèrent ainsi quelques instants, blottis dans le silence feutré de la nuit tombée. Dehors, le vent glissait dans les arbres, murmurant des promesses de dragons et de flammes.

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