Les enfants de Bordeciel

Chapitre 14 : Apprentissage

4764 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/05/2024 21:28

Chapitre 14 : Apprentissage

Hunfen émergea lentement de l’obscurité, encore engourdi par le sommeil. Ses yeux s’ouvrirent avec peine, et il lui fallut quelques instants pour que sa vision s’adapte à la lumière tamisée de la pièce. D’un coup, il se redressa, pris de panique. Où était-il ? Que s’était-il passé ? Il se remémora avec angoisse les événements récents : l’ascension vers le Haut Hrotgar, l’affrontement contre le troll des glaces, sa course effrénée, la porte massive… Lydia ! Lydia gisant sur le sol, blessée, pratiquement devant l’entrée !

Saisi par l’urgence, il se leva brusquement. Ses pieds nus rencontrèrent la froideur austère de la pierre, et sa tête protesta vigoureusement, une douleur pulsant depuis l’avant de son crâne. Sa vision se voila, l’obligeant à se rasseoir sur le lit rustique. Il porta la main à son front et sentit la forme inhabituelle d’une bosse d’où semblait partir les vagues douloureuses. Frissonnant, il se rendit compte de l’absence de sa protection en cuir : il n’avait plus sur le dos que la fine chemise de lin qu’il portait habituellement en dessous. Où était le reste de ses habits ? Ses bottes ? Sa dague ?

Il jeta un coup d’œil autour de lui, cherchant des indices sur l’endroit où il se trouvait. La pièce était spartiate, dénuée de tout superflu, et ne contenait que le lit, une table en bois brut et un banc. Le plafond, les murs et le sol étaient de la même pierre grise. Deux minuscules puits de lumière laissaient filtrer le l’aube, complétés par quelques bougies et un petit feu dans un âtre qui dégageait une faible chaleur. À côté du lit, il remarqua ses affaires, soigneusement rangées.

Hunfen sursauta en remarquant une présence dans la pièce : un homme se tenait assis en tailleur sur le sol, non loin de lui, les yeux fermés, parfaitement immobile. Il portait une sorte de robe de moine anthracite munie d’une capuche qui dissimulait son visage. La longue barbe grise qui dépassait de la capuche ainsi que les mains ridées de l’homme trahissaient son âge avancé. Il dut entendre que l’enfant était réveillé, car il ouvrit les yeux et releva sa capuche, révélant un visage marqué par les années, mais empreint d’une grande sagesse. Ses yeux bleus pénétrants semblaient scruter l’âme même de Hunfen.

« Il est rare que les murs du Haut Hrotgar résonnent d’une telle énergie, déclara-t-il d’une voix calme et posée. Tu as une manière unique de te faire annoncer, jeune homme. »

Hunfen le dévisagea, surpris et méfiant.

« Qui êtes-vous ? Où est-ce que je suis ? Et Lydia, elle va bien ? » demanda-t-il précipitamment, l’inquiétude reprenant le dessus.

« Je suis Maître Arngeir, et tu te trouves au Haut Hrotgar, le monastère où nous, les Grises-Barbes, vivons et méditons. Quant à la jeune guerrière, ne t’inquiète pas, elle est entre de bonnes mains. Ses blessures ne sont pas mortelles, mais elle a besoin de repos. »

Hunfen poussa un soupir de soulagement en entendant ces mots. Il se sentait étrangement rassuré par la présence du vieil homme, mais il avait tant de questions qui lui brûlaient les lèvres qu’il ne savait pas par où commencer.

« Lydia… Elle m’a amené ici… L’appel, le grand cri ‘Dovahkiin’ que tout Bordeciel a entendu… Elle pense qu’il était pour moi, à cause de… à l’orphelinat ! J’ai… j’ai crié ‘Fus’ et… et quelque chose de terrible s’est produit. Et puis, face au troll, en montant ici, j’ai crié la même chose. Je… Je suis vraiment un Enfant-de-Dragon alors ? »

Le Grise-Barbe leva une main en signe d’apaisement. Il y avait quelque chose dans ce geste, une douceur presque imperceptible, qui sembla calmer Hunfen instantanément. Le garçon se demanda un instant si cela pouvait être de la magie, ou si c’était simplement dû à la présence rassurante d’Arngeir. Celui-ci sembla rire imperceptiblement et reprit la parole :

« La maîtrise d’un seul Mot de Puissance nécessite d’en comprendre le sens profond. Pour les rares qui suivent notre enseignement, cela requiert des mois, voire des années de méditation et de pratique régulière avant de pouvoir le projeter en un Thu’um, un cri. Selon les textes anciens, seuls les Enfants-de-Dragon possèdent cette capacité unique d’assimiler instinctivement les Mots de Puissance. Ils absorbent la connaissance directement des âmes des dragons vaincus. »

Le vieil homme marqua une pause. Une pointe d’enthousiasme brilla dans son regard sage et il poursuivit : « Si tu as pu pousser ce cri sans formation préalable, cela correspondrait tout à fait aux récits concernant les Dovahkiin, les Enfants-de-Dragon. Voilà qui est intéressant. »

Arngeir se releva avec une grâce qui surprit Hunfen. Malgré les marques indubitables du temps sur son visage et ses mains, il se mouvait avec une aisance remarquable, signe d’une vigueur entretenue. Aucun geste n’était superflu ; sa montée fut fluide, exempte de toute hâte ou maladresse. L’âge et la vitalité coexistaient parfaitement en cet homme.

« Eh bien, il est temps d’examiner cela. Habille-toi et viens avec moi. »

L’enfant chaussa ses bottes et se recouvrit de son armure de cuir, appréciant le retour de la sensation familière sur ses épaules. L’air frais de l’endroit était également bien plus supportable ainsi. Une fois vêtu, il suivit Arngeir à travers un couloir silencieux et austère. Le son de leurs pas résonnait sur la pierre froide, brisant le silence monastique du lieu. Ils arrivèrent finalement dans une grande salle, éclairée par des fenêtres hautes et étroites. Trois autres silhouettes encapuchonnées, semblables au vieil homme, s’y étaient rassemblées.

« Voici les maîtres Einarth, Borri et Wulfgar, lui dit Arngeir en désignant tour à tour ses pairs. Nous sommes ici au cœur du Haut Hrotgar, où nous, les Grises Barbes, méditons sur la Voix. Nous souhaiterions que tu nous fasses apprécier ton Thu’um. Salue-nous de ton cri. »

Stupéfait, Hunfen se figea, les yeux grand ouverts sur les quatre hommes, affolé. Il fit un pas en arrière et bredouilla, cherchant ses mots : « Vous… Vous voulez que je vous crie dessus ? Mais… Je ne peux pas ! La dernière fois, à l’orphelinat, j’ai… ça a tué quelqu’un. Je ne veux pas… je ne veux pas vous faire de mal ! »

Arngeir hocha doucement la tête, un soupir presque imperceptible s’échappant de ses lèvres. Il s’avança légèrement, baissant sa stature pour se mettre à niveau avec le jeune garçon. « Je vois, dit-il tristement, tu as crié instinctivement, par réflexe, n’est-ce pas ? Le Thu’um est puissant, c’est vrai, et comme toutes les formes de pouvoir, il peut être dangereux si on ne le maîtrise pas. »

Hunfen acquiesça silencieusement, l’expérience douloureuse se rappelant à son mauvais souvenir.

« Lorsque nous parlons sans réfléchir, poursuivit le vieil homme, un mot peut dépasser notre pensée, et on peut blesser quelqu’un, involontairement. C’est d’autant plus vrai avec le Thu’um, où les mots prennent une forme physique. Nous, les Grises-Barbes, pouvons t’aider à maîtriser ce pouvoir, à peser tes mots. Nous t’apprendrons à utiliser ta Voix avec intention, et non par accident. »

Le jeune Nordique hocha à nouveau la tête, absorbant chaque mot. Arngeir, voyant l’expression sérieuse du garçon, esquissa un sourire bienveillant pour le rassurer.

« Quoi qu’il en soit, ne crains rien pour nous, reprit-il d’un ton plus jovial. Nous avons consacré notre vie à la Voix, et savons très bien encaisser des mots un peu durs. »

Pour illustrer son propos, il se redressa, fit quelques pas vers ses homologues, et hocha la tête en signe de demande silencieuse. Maître Borri se leva, et prit une inspiration. Soudain, un « FUS ! » puissant retentit, résonnant pendant plusieurs secondes entre les murs de la bâtisse ancestrale.

Hunfen, stupéfait, oscillait son regard entre les deux hommes. Le cri de Borri avait semblé presque tangible dans l'air frais de la salle ; en face, Arngeir était resté pratiquement immobile, seul un léger pas en arrière ayant trahi l'impact du cri. Le calme imperturbable qu’il affichait n’avait pas quitté un instant son visage, une maîtrise de soi qui laissait le jeune garçon bouche bée. Émerveillé, il ressentit l’envie soudaine d’essayer, lui aussi. Pouvait-il crier avec un tel contrôle ? Il en oublia totalement ses propres peurs. Si ces hommes pouvaient manier un pouvoir si formidable avec une telle facilité, alors il le pourrait ! Ainsi inspiré, il emplit à son tour ses poumons d’air et, croisant le regard bienveillant d’Arngeir, cria :

« FUS ! »

Le cri résonna dans la salle, et il sembla à Hunfen que son effet en fût moins chaotique. Arngeir le reçut, là encore en reculant à peine, semblant l’apprécier comme on déguste un bon vin.

« Remarquable, murmura enfin le vieil homme, pour beaucoup, maîtriser un cri prend des mois, voire des années. Mais toi, Hunfen, tu montres une aptitude exceptionnelle. C’est là le signe indubitable d'un Enfant-de-Dragon.

— C’est vrai ? Quand le dragon m’est tombé dessus à Blancherive, j'ai fait un rêve étrange, comme si quelque chose de brillant me montrait plein de choses. C'est là que j'ai vu Fus ! Est-ce que c'est parce que je suis un Enfant-de-Dragon que j'ai vu ça ? »

Arngeir acquiesça doucement, ses yeux scrutant ceux de Hunfen avec une intensité réfléchie. « Cela correspond à ce que nous savons des Enfants-de-Dragon. Lorsque le dragon est mort, il semble que tu aies absorbé son âme, et avec elle, des fragments de ses connaissances et expériences. »

Il marqua une pause, semblant réfléchir à la situation. « Je me demande si nous pourrions recréer un tel échange. Maître Einarth va prononcer ‘Ro’, qui signifie ‘équilibre’. Concentre-toi sur le mot, et cherche à en trouver le sens profond. »

Maître Einarth se redressa et, d’un regard, obtint l’attention de l’enfant avant de baisser la tête, orientant sa Voix vers le sol. « Ro ! » murmura-t-il, émettant pourtant une vibration qui fit frémir toute la salle. Hunfen ferma les yeux, et sentit le Thu’um l’envahir.

À cet instant, le monde autour de lui parut se dissoudre, laissant place à un espace indéfini, une sorte de néant sombre qui lui paraissait étrangement familier. Il s’agissait de la même sensation que lorsqu’il avait acquis « Fus ». soudain, il entendit une voix s’exclamer : « Ça alors ! »

Hunfen porta son attention dans la direction du nouvel arrivant, et aperçut une silhouette lumineuse de forme humaine. Aucun trait n’en était discernable, pourtant le garçon la reconnut, sans qu’il ne pût dire comment.

« Maître Einarth ? C’est vous ?

— Oui, c’est bien moi, répondit la silhouette avec une joie palpable. C’est très surprenant, ici nous pouvons converser sans parler !

— Sans… parler ? répéta Hunfen.

— Nous ne sommes pas vraiment en train dire des mots, expliqua Einarth. Dans le monde physique, ma voix est devenue trop puissante, trop imprégnée de Thu’um, et j’en ai perdu l’usage de la parole. Mais ici, dans cet espace, nous pouvons communiquer directement par l’esprit. »

Hunfen, fasciné, écoutait attentivement, ses yeux grands ouverts dans la semi-obscurité du néant.

« Vois-tu, Hunfen, le mot ‘Ro’ renferme plus que la simple notion d’équilibre. Il contient aussi, l’harmonie entre les extrêmes, l’énergie parfaitement canalisée, exposa Einarth sans se départir de son ton joyeux. Il est aussi relié à la vie, à l’ordre des choses. C’est une partie de l'existence elle-même. Regarde ! »

La silhouette lumineuse d'Einarth leva les bras et, avec un mouvement fluide et gracieux, un torrent lumineux jaillit de ses mains, frappant Hunfen de plein fouet. Le jeune garçon sentit une vague de connaissance le submerger, ses pensées s'imbriquant avec des fragments lumineux qui semblaient contenir toute la sagesse et la profondeur du mot ‘Ro’. Les informations affluaient, moins dispersées que lors de son rêve avec le dragon, mais tout aussi intenses. Émerveillé, l’enfant sentit son esprit s'élargir, embrassant la complexité et la simplicité du mot. Puis, le flux lumineux s’évanouit, tandis que la salle principale du Haut Hrotgar reprenait forme autour de lui. Hunfen vit Einarth rouvrir les yeux à son tour et lui adresser un sourire entendu.

« Maître ! s’exclama l’enfant d’une voix inquiète. Est-ce que j’ai absorbé votre connaissance de ‘Ro’ ? Vous pouvez toujours le prononcer, n’est-ce pas ? »

Einarth lui répondit d’un haussement d’épaules, et il sembla à Hunfen qu’il l’avait entendu pouffer. Le vieil homme se releva et adressa au sol un « Ro ! » tout aussi puissant que la première fois. Soulagé, le garçon sourit à son tour, appréciant la Voix du maître à l’aune de sa compréhension nouvelle.

oOo

Assis près du feu dans la grande salle du Haut Hrotgar, Hunfen regardait les flammes danser, tandis qu’il massait doucement sa gorge endolorie. La pratique du Thu’um n’était pas une mince affaire, et les efforts de la journée l’avaient laissé épuisé. Cette fatigue profonde lui était toutefois agréable, semblable à celle ressentie après une longue journée de marche à travers Bordeciel pour rallier un village lointain, une routine familière qu'il avait souvent partagée avec son père, Olfand. Ces souvenirs le faisaient sourire, mais aussi soupirer de nostalgie. Où pouvait-il se trouver en ce moment ? Qu’était-il en train d’y faire ? Hunfen avait hâte de le retrouver et de lui montrer ce qu’il avait appris, espérant que son père serait fier de voir à quel point il avait maîtrisé la puissance du Thu’um.

Quelqu’un entra dans la salle, se déplaçant lentement, les pas clairement audibles résonnant sur les dalles de pierre. Hunfen sut immédiatement qu’il ne s’agissait pas d’un Grise-Barbe : les maîtres du Haut Hrotgar se déplaçaient toujours avec une discrétion presque féline, leur présence à peine perceptible même dans le silence le plus complet. C’était Lydia. Son visage encore pâle trahissait la faiblesse laissée par sa convalescence. L’enfant, oubliant toute fatigue, se précipita vers elle.

« Lydia ! Tu es debout ! Comment tu te sens ?

— Encore un peu faible, mais mieux, beaucoup mieux », répondit Lydia en esquissant un sourire. Elle s’assit à côté de lui, près du feu. « Et toi, comment s’est passé ton entraînement ? J’ai cru comprendre que tu as bien progressé aujourd’hui. »

Hunfen prit une profonde inspiration, ses yeux brillants d’excitation. « C’était incroyable, Lydia ! Ils faisaient apparaître des spectres avec leur Thu’um, et je devais les frapper d’un cri ! » Son enthousiasme redoubla alors qu’il racontait : « Je peux combiner Fus et Ro en un seul cri ! L’équilibre de Ro me permet de canaliser Fus, et toute la force arrive sur la cible ! Et des fois, les Grises-Barbes, ils se mettaient eux-mêmes comme cibles, et alors il ne fallait pas que je crie. C’était difficile parce que tout mon corps voulait juste crier dès que je voyais une cible ! »

Lydia l’écoutait attentivement, son sourire s’élargissant devant l’énergie enfantine de Hunfen. « Et alors, tu as réussi à te contrôler ? »

Hunfen fit une moue, se remémorant les événements. « Eh bien… Ça va mieux, mais au début, j’ai atteint Maître Borri par erreur, deux ou trois fois. Mais il n’a pas bougé, même pas un peu ! Maître Arngeir a dit que c’était important d’apprendre à ne pas utiliser mon cri par réflexe. »

La silhouette imposante et silencieuse de Maître Arngeir vint prendre place à côté de Lydia. Hunfen, encore vibrant de l’énergie de ses récits, sursauta légèrement en l’apercevant. Le vieil homme s’assit lentement sur le banc de pierre, son visage ridé exprimant une bienveillance sévère.

« Lydia, comment vous sentez-vous ? Avez-vous recouvré vos forces ? » demanda-t-il d’une voix calme et profonde, s’inclinant légèrement vers la jeune femme pour observer son état.

Lydia hocha la tête, son sourire fatigué mais sincère. « Oui, Maître Arngeir, je me sens beaucoup mieux. Merci pour vos soins. »

Arngeir acquiesça puis se tourna vers Hunfen, ses yeux bleus pénétrants scrutant l’enfant. « Et toi, Hunfen, tu as fait des progrès notables aujourd’hui. Ton application et ta volonté d’apprendre sont tout à fait louables. »

Le garçon rougit, baissant les yeux avant de les relever rapidement, animé par une fierté nouvelle. « Merci, Maître Arngeir. Je fais de mon mieux !

— Ton instinct naturel pour le Thu'um rend les choses particulières, poursuivit Arngeir en se posant à côté d’eux près du feu. Pour les autres élèves à qui nous avons enseigné, et même pour nous, le contrôle de soi a toujours précédé la maîtrise du premier mot de puissance. Mais toi, tu avais déjà crié avant même de savoir ce dont il s’agissait. »

Hunfen écoutait attentivement. « C’est embêtant ? » demanda-t-il, un mélange de curiosité et d’inquiétude dans la voix.

« Non, répondit doucement Arngeir. Nous avons simplement adapté tes exercices. Mais tu dois posséder un contrôle parfait de toi-même avant d’apprendre d’autres mots de puissance. Le Thu’um est une force prodigieuse, et sans une maîtrise complète de tes émotions et de tes instincts, tu risques de causer des dégâts involontaires, comme ce qui est arrivé à l’orphelinat. »

Hunfen frissonna en se rappelant l’incident. Il hocha la tête, déterminé. « Oui, Maître Arngeir. Je ferai attention.

— Nous continuerons à t’entraîner, et lorsque nous jugerons que tu es prêt, nous t’enseignerons un mot supplémentaire. »

Hunfen se redressa, son regard pétillant de détermination. « Je vais m’entraîner dur, je vous le promets !

— Je n’en doute pas, répondit Arngeir en laissant transparaître un sourire. Maintenant, repose-toi ; l’entraînement sera tout aussi intense demain. »

Lydia se leva, étirant ses membres fatigués. « Je pense que je vais suivre ce conseil également » dit-elle d’un ton plus professionnel. Elle se tourna vers l’enfant et, après une légère hésitation, lui tapota maladroitement l’épaule. « Bonne nuit, Hunfen. »

Hunfen la regarda partir, notant la différence dans son attitude. Elle semblait moins distante ce soir-là, et cela le réconforta d’une manière étrange. Il se tourna à nouveau vers le feu, appréciant encore une fois la douce chaleur rayonnant sur son visage, et se leva pour regagner le lit qu’on lui avait attribué. La route était longue et semée d’embûches, mais il était prêt à faire face à chaque défi.

oOo

Plus d’une semaine s'était écoulée depuis que Hunfen et Lydia étaient arrivés au Haut Hrothgar. Les jours passés avaient été, pour le jeune garçon, éprouvants mais fructueux. La veille, les Grises-Barbes avaient, à la grande fierté de Hunfen, décidé de lui enseigner le mot ‘Wuld’, le jugeant suffisamment apte pour l’utiliser sans danger. Ce nouveau mot de puissance, dont le sens ne pouvait être qu’approché dans la langue commune par le terme « tourbillon de vent », lui permettait de se déplacer pratiquement instantanément sur une courte distance. Durant les premiers essais, quelques rencontres aussi imprévues que douloureuses avec les murs du Haut Hrotgar avaient permis à Hunfen de comprendre toute la sagesse de l’enseignement des Grises-Barbes : prononcé avec trop de précipitation, le mot pouvait le projeter sans merci contre un obstacle, ou pire, au-dessus d’un précipice.

Ce soir-là, alors que le soleil commençait disparaître derrière les épais nuages qui entouraient la Gorge du Monde, Hunfen se tenait devant Arngeir dans la cour du Haut Hrothgar. Lydia, les bras croisés et les yeux vigilants, observait la scène légèrement en retrait, avec un mélange de fierté et d'appréhension. Le vieil homme, les mains jointes devant lui, son visage impassible trahissant à peine une lueur de satisfaction, observait Hunfen avec une intensité bienveillante.

« Tu as fait de grands progrès, Hunfen, dit-il d'une voix grave mais douce. Ton Thu’um est désormais très précis, et toujours mesuré. »

Hunfen rayonnait de fierté. Lydia elle-même ne pouvait cacher un sourire de satisfaction.

« Mais, poursuivit Arngeir, avant que tu ne puisses être considéré comme une Langue à part entière, tu devras montrer que tu peux faire aussi bien en conditions réelles. La corne de Jurgen Parlevent repose à Ustengrav. Le jour où tu pourras aller la chercher et me la rapporter, tu auras prouvé ta valeur. »

Lydia fronça les sourcils, son instinct de protection s'éveillant. « Maître Arngeir, c’est une quête dangereuse, dit-elle, sa voix ferme mais respectueuse. Hunfen est encore un enfant !

— Je comprends tes inquiétudes, Lydia, répondit Arngeir en hochant légèrement la tête. Mais il n’est pas obligé de partir immédiatement. Le choix du moment lui appartient, il pourra entreprendre cette quête lorsqu’il se sentira prêt à l’accomplir.

— Je veux y aller dès que possible ! intervint Hunfen, sa voix trahissant à la fois son enthousiasme et son impatience juvénile. J’en suis capable ! Je veux prouver que je suis digne ! »

Lydia soupira d’un air défait, et Arngeir ne put contenir un pouffement. « C'est une noble intention, jeune Enfant-de-Dragon, mais rappelle-toi tes premiers échecs avec ‘Wuld’ : trop de précipitation, et tu seras blessé. Quand tu seras prêt, tu sauras. »

Une moue contrariée passa un instant que le visage du jeune Nordique, mais il n’objecta pas, se contentant d’acquiescer silencieusement.

« Pouvez-vous me parler de ce Jurgen Parlevent ? demanda-t-il. J’ai vu son nom sur les tablettes gravées en venant ici, mais… c’était un peu compliqué. »

Arngeir l’invita d’un geste à s’asseoir sur l’un des bancs de pierre installés dans la cour, signe que l’explication allait durer, et prit une inspiration.

« Jurgen Parlevent est le créateur de notre ordre. Il était un grand chef de guerre des anciens Nordiques, un maître de la Voix, qui a vécu au temps du premier empire des hommes. En ce temps-là, une grande guerre eut lieu entre les Nordiques et l'ancienne alliance des Chimers et des Dwemers. Aidés de leur maîtrise de la Voix, Jurgen et ses compagnons menèrent l’armée Nordique en territoire elfe, sur le Mont Écarlate en Morrowind. »

Hunfen buvait les paroles du vieil homme. « Le Mont Écarlate, intervint-il, les tablettes en parlaient ! Qu’est-ce qu’il s’est passé alors ?

— Malgré leur puissance, malgré la Voix, les Nordiques furent vaincus par l’alliance elfe. L’armée nordique fut anéantie sur les flancs du Mont Écarlate. Jurgen survécut, mais après cette cuisante défaite, il se retira et médita pendant sept années. Il conclut que l’issue de cette bataille était une punition des Divins envers les Nordiques, pour leur usage arrogant et blasphématoire du Thu'um. Il réalisa que la Voix devait être utilisée pour vénérer et glorifier les divins, et non servir les intérêts des hommes. Il choisit alors le silence et revint parmi les siens, prêchant ainsi la voie pacifique que nous suivons et appelons l’Art de la Voix. Ainsi, lorsque dix-sept de ses anciens compagnons, toujours belliqueux, vinrent l’affronter, il sut les défaire en se contentant, pendant trois jours durant, de contenir leurs cris incessants jusqu’à ce qu’ils fussent vaincus par leur propre épuisement. Il construisit le Haut Hrotgar comme lieu de paix et de méditation. Ses dix-sept compagnons devinrent ses disciples, les premières Grises-Barbes. »

Hunfen écoutait, subjugué par le récit. L'histoire de Jurgen Parlevent le fascinait, et il sentait en lui une profonde admiration pour ce maître de la Voix. « Je veux suivre ses préceptes, énonça-t-il avec conviction. Je veux aussi utiliser ma Voix pour aider les autres et honorer les Divins ! »

Arngeir sourit doucement. « C’est louable, Hunfen. Mais n’oublie pas : le sang de dragon qui coule dans tes veines est un don d’Akatosh. Tu ne dois pas le nier. Ton destin exige que tu utilises ta Voix. Pourquoi, sinon, Akatosh t'aurait-il accordé ce pouvoir ? Mais, si tu te rappelles chaque jour d’utiliser ton Thu’um au service de la volonté d'Akatosh, tu resteras fidèle à l’Art de la Voix. »

La nuit tombait sur le Haut Hrothgar lorsque Lydia et Hunfen regagnèrent leurs quartiers. Lydia était songeuse, ses pensées portées sur la prochaine étape de leur périple.

« Nous partirons tôt demain matin, Hunfen, annonça-t-elle finalement, il est important que nous descendions les Sept-Mille Marches avant que les pèlerins ne commencent leur ascension. Moins nous croiserons de gens, mieux ce sera. »

Hunfen acquiesça. Il n’avait pas oublié le secret dont Lydia avait entourée leur venue en ces lieux. « On pourrait quand même aller dire au-revoir à Narfi en repartant ? Il a été si gentil avec nous. »

Lydia esquissa un sourire. « Bien sûr, nous passerons le voir. Mais il faudra être discrets et rapides. »

Le reste de la soirée fut consacré aux préparatifs. Lydia empaquetait des provisions, s’assurant d’emporter suffisamment de vivres pour le trajet de retour. « Nous devrons également décider de notre destination après Fort-Ivar, déclara-t-elle en continuant à s’affairer. Nous pouvons directement retourner à Blancherive. Après tout ce qu’il s’est passé, le Jarl Balgruuf préférera sûrement te savoir en ses murs. Ceci dit, nous sommes plus proches de Faillaise. Nous pouvons nous y rendre et rentrer à Blancherive en chariot. »

Hunfen s’assit et regarda ses chaussures, le cœur soudainement lourd. Faillaise. Cette ville ne lui rappelait que des mauvais souvenirs. Son arrachement à Blancherive, cette maudite Grelod, l’incident… Malgré tout, il voulait revoir les amis qu’il s’était fait là-bas. Mais il avait échoué à ramener Aventus. De plus, il se sentait également honteux de sa fuite. Qu’allait-il dire à Constance Michelle ? Qu’importe. Il fallait bien donner des nouvelles, et une visite en personne vaudrait mille fois mieux que le plus beau des messages.

Relevant péniblement la tête vers Lydia, il conclut sa pensée à voix haute.

« Faillaise. Il faut retourner à Faillaise. »



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