Jay'la et l'Histicide

Chapitre 11 : Le Bénéfice de l'Instinct, de la Vivacité d'Esprit et de l'Improvisation

3146 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Il ne suffit que d’une fraction de seconde à Cuiwen pour analyser la chaîne d’actions qui se déroulait autour d’elle.

Xer et Teramzu chutaient dans l’escalier. Morts ? Vifs ? Pourquoi Xer, aimable et dévoué, avait-il agi ainsi ? Les questions se chevauchaient dans sa tête, mais pour le meilleur et pour le pire, une évidence se manifestait de cette première constatation : il ne restait plus qu’une vie dans la balance ; la sienne.


Deuxièmement, l’arbalète d’Ardtman lui échappait des mains alors que, bousculé par la masse des argoniens, assommé par le choc, il s'efforçait de retrouver ses esprits. La conclusion s’imposait d'elle-même : les genoux de Cuiwen ne souffraient plus de la menace d’un carreau acéré.


Il en allait de même pour le couteau dans son dos, qui ne lui chatouillait plus les reins. Devant, derrière, les bandits se précipitait vainement, bousculait Cuiwen, dévalaient les marches, espéraient rattraper les prisonniers avant qu’ils ne heurtèrent le sol. Trop occupée à juger des dégâts, plus personne ne prêtait attention à elle.


Plus important que tout le reste, Adheraaki s’élança à son tour d’un seul bond phénoménal par-dessus la tête de Jay’la. La masse rugissante de muscles et de fourrure intercepta Xer et Teramzu en vol. Poils et écailles enchevêtrés heurtèrent le mur, roulèrent pêle-mêle et emportés dans leur élan, s’enfoncèrent de plus belle dans leur chute, ne laissant dans leur sillage que l’écho de cris, de chocs et de grondements.


Cet horrible tigre ne traînait plus dans les parages.


Cette déduction sans appel entraîna aussitôt une réaction immédiate de l’instinct de Cuiwen. Ses muscles se bandèrent et se détendirent d’un seul coup. Avant même de prendre conscience de ses gestes, son coude vola et heurta le plexus du bandit le plus proche. Ses jambes s’affranchir des derniers doutes qui les gardaient immobiles, elles se mirent à courir dans le sens opposé.


La lame d’un poignard brillait entre les ombres mouvantes. Cuiwen attrapa la main qui la tenait, tordit les doigts, percuta de son épaule l’homme à qui ils appartenaient. Le succès de son entreprise reposait sur la diversion offerte par l’incident en cours, l’effet de surprise et la rapidité.


Si Cuiwen pouvait toujours compter sur le premier facteur pour couvrir sa fuite, le second menaçait de lui échapper pour peu qu’elle manqua du dernier. Or, les phalanges calleuses résistaient à sa poignée, l’arme ne bougeait pas. Elle n’insista pas un instant de plus. Cuiwen repoussa le bandit, frappa un autre et poursuivit son ascension effrénée vers la sortie du tunnel, droit vers la liberté.


On essayait de l’arrêter, des cris, des pas retentissaient dans son sillage. Une épée dansa devant elle, mais, gênée par les murs étroits et la proximité des corps, ne parvint pas à entamer sa chair. Cuiwen ne s'arrêta pas. Elle cogna, sauta, franchit d’un roulé-boulé l’issue salvatrice, bondit sur ses pieds et reprit sa course. Ses pieds volaient sur le pavé mouillé.


Loin des lanternes, l’obscurité planait. Elle trébucha contre la margelle du bassin rituel, se reprit de justesse, sauta par-dessus. Les outils gisaient là, éparpillés sur le sol. Cuiwen en attrapa un au hasard, une masse en fer. Elle tâtonna les murs, son esprit ressassait les cartes qu’elle avait passées ces derniers jours tant d'heures à dessiner. Des lumières fugaces tremblaient dans son dos, mais, brandies par ses poursuivants, elles ne présageaient d’aucun secours.


Trop lourde, son arme improvisée l’encombrait. Quoique parfaite pour enfoncer des pieux ou démolir des moellons, la tête en fonte massive promettait un maniement lent et laborieux lors d’un combat à mort. Tant pis.


Cuiwen attendit de trouver assez d'espace pour tenir sa masse à bout de bras, pivoter sur elle-même et la lâcher dans la direction générale de ses ennemis. Le marteau s’envola, emporté par la force de son inertie, mais elle ne resta pas pour admirer le résultat de son lancer. Le souffle court, elle accéléra droit devant elle.


Allégée de son fardeau, Cuiwen réfléchit aussi vite qu’elle s’était fourrée dans cette situation : Il était bien beau de se lancer dans l’improvisation, mais une fois le spectacle lancé, il fallait tenir le rôle jusqu’au bout de la représentation.


Outre les ennemis dans son dos, deux bandits rôdaient en encore devant elle dans la pyramide : le blessé Clétus, chargé par Jay’la de rester dans le hall et un autre, Martial, posté par Salamandre devant la chambre n°2.


Son arc et son coutelas gisaient encore là où Ardtman l’avait désarmée, dans le hall, avec Clétus. Martial veillait sur Enandar, Claudius et tous les autres, enfermés dans la chambre. Impossible de les laisser à la merci de ces ordures et leur nombre suffirait peut-être pour reprendre l’avantage. Elle devait les libérer.


Mais elle n’avait plus d'armes. Enfin, elle savait où trouver son arc. Avec Clétus. La voilà revoilà revenue au point de départ : désarmée, elle affronterait un bandit armé dans l’idée de s’armer pour affronter un autre bandit qu’elle craignait d’affronter désarmée. Tout compte fait, mieux valait peut-être risquer un unique duel inégal qu’un duel inégal doublé d’un duel égal.


Sauf que Clétus était blessé. Désarmée contre blessé, le duel inégal redevenait égal, n’est ce pas ? Pour ensuite libérer l’expédition, le calcul impliquait donc deux duels égaux, si Cuiwen suivait le paradigme qui germa dans sa tête entre deux respirations.


Ça se tentait…


Enfin, il restait aussi ceux de derrière, dont elle sentait le souffle sur ses talons. Mieux valait ne pas les oublier. Cuiwen rangea simplement ce problème dans un coin de son esprit pour le moment. Elle ne pouvait pas songer à tout.



Les couloirs sinueux, les salles que gardaient d’antiques statues mangées par le temps, les escaliers bancals défilaient sous les pas de Cuiwen. Elle rampait autant qu’elle courait, escaladait autant qu’elle rampait. Les bandits lancés à sa poursuite peinaient à suivre son rythme à travers le chaos de ces ruines qu’ils ne maîtrisaient pas. Cuiwen gagnait du terrain, à juger l’éclat de plus ténu, de plus en plus erratique des lumières des lanternes qui dansaient sur les murs.


L’éclat rougeoyant du feu de camp se refléta soudain à la surface de l’eau croupie qui stagnait dans le couloir, à l’issue d’une volée de marches si défoncée qu’elle l’avait escaladée à genoux.



Le hall, enfin !


Clétus ne pouvait ignorer le boucan de cette course-poursuite. Sûrement, qu’il se tenait sur ses gardes, prêt à réagir à cette menace inconnue. Elle le prendrait de court si elle se jetait assez vite sur son arc et ses flèches. Avec sa mauvaise jambe, il serait lent à l'arrêter. Ensuite, Cuiwen le tuerait et se retournerait vers le couloir derrière elle pour cribler de trait l’un après l’autre chacun de ses complices dès qu’ils pointeront le bout de leur nez.


Clétus lui apparut au milieu de la pièce, appuyé contre une béquille improvisée, mais quelque chose clochait : ni hache, ni glaive entre ses mains. En un éclair, la théorie soigneusement élaborée s’effondra comme un château de cartes : il tenait un arc bandé et une flèche encordée, prêt à stopper l’évasion d’un simple mouvement du doigt.


Cette fatale vision enclencha immédiatement une réponse appropriée, guidée par l’instinct. Cuiwen hurla :


— Des guerriers-squelettes ! Partout dans les tunnels ! Ils nous attaquent !


Cletus ne la crût pas vraiment. Mais la surprise retint son bras juste une seconde de trop, un infime laps de temps que Cuiwen mit à profit. Elle jaillit hors de l’embrasure du couloir où elle offrait une cible immanquable et se jeta à terre, profita de la pente pour glisser plus loin, parmi les sacs de provisions entreposés au sec. L’arc suivait ses mouvements.


Ce n’était pas celui de Cuiwen, comme elle l’avait crû un bref instant. Le bandit manipulait une arme anguleuse constituée d’un assemblage de lamelles de métal noir et mat. Le sien était un petit arc de chasse à double courbure, composé de corne et de bois.


La fléche fendit l’air au même instant, frôla l'omoplate de Cuiwen et se ficha dans un sac de patates. Clétus, déjà, en tirait un autre de son carquois.


— J’l’avons ! J’la saignerons, c’te drôlesse !


Ce n’était pas l’arc de Cuiwen par tous les dieux qui existaient ! Ouf, ce n’était pas le sien ! Mais alors, où était-il ?


Toujours là où elle l’avait lâché, non loin de l’échelle. Et son couteau aussi. Aurait-elle le temps de s’y précipiter avant que…


Non.


Cuiwen n’eut que le temps de dresser le couvercle de la marmite comme bouclier avant que l’impact ne le lui arrachât des mains. Le trait dépassait d’une longueur de main du fer blanc transpercé. L’adrénaline se déversa d’un coup dans son sang. Ivre d’action, elle éclata de rire.


Elle couinait comme un petit cochon, étouffée par les saccades de son hilarité et le souffle éperdu de sa respiration haletante quand elle se jeta sur son arc, sortit précipitement une flèche de son étuis qu’elle encorda dans le même geste. Elle tira la corde jusqu'à sa joue et entre deux éclats de rire, visa, lâcha.


Plus rapidement que Cletus ne l’avait fait. Le trait lui perfora le ventre du bandit et les gloussements s’étoufférent dans la gorge de Cuiwen. L’ivresse retombait, douchée par la gueule de bois de la réalité.


Clétus avait lâché son arc. Il titubait sur sa béquille. Sa main agrippait le fût de la flèche qui dépassait de son abdomen. Il la contemplait, les lèvres entrouvertes et leva les yeux vers Cuiwen. Il laissa tomber sa béquille, sa main se dirigea vers la hache pendue à sa ceinture.


Cuiwen encorda une nouvelle flèche. Elle serra les dents, prit le temps de viser l'œil. Elle lâcha la corde alors que Clétus affermissait sa prise sur le manche de son arme et amorçait une course dans sa direction.


La flèche stoppa net sa course à peine eut-elle quitté la corde, immobilisée en plein vol. Le trait frémissait, luttait contre une force invisible qui retenait sa course dans les airs.


— Clétus, bute la ! Dépêche-toi !


Merde, elles les avaient oubliés, eux… Les autres bandits arrivaient depuis le couloir. L’un d’eux, un elfe-noir recouvert de tatouages tendaient les mains vers elles, chacun de ses muscles tendus dans un effort colossal. L’air vibrait autour de ses doigts.


Clétus boitait, mais il courrait drôlement vite pour un estropié. Il brandissait sa hache en hurlant et ne prêtait plus aucune attention au projectile enfoncé dans sa chemise de maille, dont l’empennage tressautait à chacun de ses pas.


Pas le temps, pas le temps, ce n’était pas prévu. Les signaux d’alarme se manifestaient à une vitesse inquiétante et Cuiwen ne riait plus. Plus du tout.


N'écoutant que ses tripes, elle prit la poudre d’escampette.


Au moins trois bandits bloquaient le couloir principal et se déployaient dans le hall, armes et boucliers levés, sans compter le mage qui, à bout de force, finit par lever le maléfice qui immobilisait la flèche de Cuiwen. Elle reprit instantanément sa course avec sa vitesse initiale. Hélas, Clétus avait eu la présence d’esprit de se décaler au préalable. Elle percuta le mur d’en face, inoffensive.



L’échelle de sortie n’était pas une option viable, Cuiwen ne l'envisageait même pas. Elle serait morte avant le cinquième barreau. Le hall donnait cependant sur une troisième issue, pas très loin de là.


Cuiwen s’y précipita, consciente de cette définition optimiste du mot “issue” : la sacristie du niveau supérieur était un cul-de-sac.


La salle étroite et peu décorée n’offrait guère de cachette, mis à part quelques étagères effondrées, une ou deux urnes en terre-cuite fragmentées et l’autel fissuré qui occupait la majeure partie de cet espace étriqué et bon nombre de gemmes, armes, ossements, tessons et amulettes emballés dans des sacs et dans des paniers. La sacristie servait à l'expédition de salle de stockage pour une partie des vestiges découverts.

Cuiwen se laissa tomber derrière les pierres disjointes, garnies de lierres et de fougères de l’autel sculpté de serpents dont la gueule mordait autrefois des gemmes spirituelles. À l'abri de ce couvert improvisé, elle prépara une flèche qu’elle décocha aussitôt qu’une silhouette franchit la porte qui menait jusqu’à elle.


Cette fois-ci, le souffle invisible de l’esprit de ses ancêtres guida le trait jusqu’à sa cible, un dunmer à l’oreille dévorée par les mouches dont il transperça le cou avec un gargouillis sinistre.  

L’elfe-noir hoquetait en silence, serrait sa gorge d’une main et de l’autre, cherchait appuie contre le mur alors que ses jambes se dérobaient sous poids. Surtout, il bloquait le passage de l’encadrement de la porte à ses compagnons derrière lui, jusqu'à ce qu’il finît par s’effondrer en travers de leurs jambes, secoué de spasmes.


Cuiwen avait encordé une nouvelle flèche. Lorsqu’ils virent qu’elle visait de nouveau, les bandits renoncèrent à forcer le passage. Ils traînèrent leur compagnon blessé en sécurité et se mirent à couvert de l’autre côté du mur.


— Le premier qui passe, je l’embroche ! s’égosilla Cuiwen, grisée par cette petite victoire et ce répit chèrement acquis. Enfin, elle respirait. Son souffle sifflant soulevait sa poitrine à toute vitesse, à la recherche frénétique d’air frais dans cette atmosphère moite, épaisse à s’y noyer, qui baignait la pyramide comme un bain de vapeur des sources d’Estemarche. Des gouttes de sueur grasse mêlée de poussière coulaient dans ses yeux, sans qu’elle n’osa lâcher son arc pour les essuyer et sa chemise détrempée collait à son dos.


— C’est un cul-de-sac, elle ira pas loin. On la tient, répondit la voix des bandits.


Ils n’avaient pas tort. Cuiwen autorisa ses yeux à dévier de l’encadrement de la porte pour se poser une fraction de seconde sur l’étui de son arc.


Quatre, cinq, six flèches, plus une septième sur la corde. Eh beh, si elle espérait tenir un siège ce n’était vraiment pas beaucoup.


— Aah, la maudite !


Bon, plus que six : le mage dunmer couinait, la septième plantée dans une partie de son corps que Cuiwen n’avait pas eu le temps d’identifier. Il avait tenté de lui jeter un sort par surprise, mais elle avait réagi à l’instant précis où elle l’avait entraperçu dépasser de l’encadrement. Elle encorda aussitôt une autre


Les bandits discutaient entre eux. L’éclat de leur voix parvenait jusqu’aux oreilles de Cuiwen, derrière les gémissements sourd des blessés.


— On a pas besoin de continuer comme ça ! Écartez-vous et laissez-moi sortir, personne d’autre ne sera blessé !


Celle de Cletus s’éleva fermement :


— Z’avions tout l’temps du monde, neudiou. Et toi, la drôlesse, point tant qu’ca : Si tu radines pas les paluches en l’air, c’est qu’on surineront des otages. Jax, vas-y dire à Martial d’en rabouler un ou deux.


Le cœur de Cuiwen manqua un battement. Rien ne s’était passé comme prévu. Par sa faute, tout ce qu’elle avait souhaité éviter allait finir par arriver.


— Quand la patronne va arriver, Adheraaki va te bouffer !


— Attendez !


La main de Cuiwen tremblait. Elle relâcha lentement sa corde et laissa tomber sa flèche.


Elle devait assumer.


— Je sors.


Cuiwen se releva de derrière l’autel. Ses jambes en coton refusaient de lui obéir, elle les força à se mettre en marche. Ses pieds cognèrent dans les vestiges amoncelés là. Elle jeta un dernier regard à ces précieuses trouvailles, pour l’amour desquelles elle avait consacré toute sa vie :


Assise au sommet de de Cutlexcuh-ta-Xolothl, alors qu’un agréable soleil qui avait un jour surgi de derrière les nuages, elle avait appris à Zequiel Faustus comment dessiner le profil de ces tessons de poteries. Et ces lames d’obsidienne, Enandar avait improvisé une conférence lors d’une veillée nocturne pour expliquer à tous les subtiles différences de leurs diverses typologies. Thorvald Tord-Boyaux assurait que le propriétaire crâne trépané avait survécu à son opération, malgré un trou de la taille d’un septim au milieu du front.  



Ces vieux objets portaient autant de souvenirs que de poussière. Ça n'avait plus d’importance.


Cette statuette en jade trouvée par hasard par Uuwej alors qu’il urinait, ce vase dont Vivian avait brisé une anse pendant son nettoyage et ces gemmes spirituelles, ces maudites gemmes spirituelles qu’elle et Ardtman avaient arraché de force de l’autel de la sacristie pour fermer les portails qui emplissaient de daedra la pyramide.


Les yeux de Cuiwen s'arrêtèrent sur ces dernières. Elle bascula la tête vers les gueules de serpent sculptées sur l’autel qui leur servait de support, puis de nouveau vers les gemmes.


— Ça vient, ou on vient te chercher.


— Je… J’arrive.


Cuiwen ramassa les gemmes spirituelles et une à une, les encastra dans leur emplacement originel.


Par tous les dieux et puissances ténébreuses que vénèrent les hommes et les elfes, pardonnez-moi, songea-t-elle dans un souffle.


Quelques secondes plus tard, Cutlexcuh-ta-Xolothl s’emplit de cris.

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