De l'autre côté de la frontière
Chapitre 11 : Chapitre XI — Retour triomphant
4726 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 30/11/2022 16:31
Chapitre XI
Retour triomphant
La toute première chose que fit Elenaril, une fois les pieds de nouveau sur la terre ferme, fut de s’éloigner du drake ailé de Randall, toujours bien trop anxieuse à cause de ces voyages aériens qui ne devraient en aucun cas être permis aux Mers et Mens. Elle avait beau s’agripper à Randall et la corde qui les maintenait dans les airs, et découvrir le monde du haut d’un tout nouveau point de vue, elle ne parvenait à s’y faire. Puis, constatant que Uthyr et Aiden étaient descendus avec aisance, mais remarquant dans le même temps que ça n’était guère le cas de Randall, elle revint timidement sur ses pas, affrontant sa crainte du mernos du mieux qu’elle pouvait. Le chasseur exprimait clairement de par sa moue qu’il ignorait comment descendre sans faire empirer la douleur de son genou, et l’Altmer savait parfaitement bien qu’elle n’avait la force physique nécessaire pour le rattraper.
La force magique, en revanche…
« Randall ! appela-t-elle dans l’espoir que les battements d’ailes de Henry ne couvrissent sa voix. Vous vous souvenez du tour de magie ?
— Vous êtes gentille, Elenaril, mais je ne vois pas en quoi cela peut m’aider, » ahana-t-il en resserrant de plus belle son étreinte sur la corde comme si sa vie en dépendait, suspendu à un drake ailé qui commençait à en avoir assez de rester sur place.
Ne voyait-il donc pas où elle voulait en venir ? Elle n’osait guère aborder le sujet de sa magie en face des deux autres chasseurs, mais elle ne pouvait le laisser dans cette situation. Sans démordre, elle l’interpella à nouveau. Aiden et Uthyr s’étaient débarrassés de leurs matériaux extraits du tobi-kadachi et s’étaient avancés vers eux, indiquant à leur camarade qu’ils le rattraperaient s’il sautait. Certes, il se trouvait à moins d’un mètre de hauteur, mais son genou endolori l’empêchait de se réceptionner décemment, ou même d’exécuter une roulade afin d’amortir. En d’autres termes, il n’avait pour seule option que leurs bras tendus, et la confiance qu’il leur accordait.
« Dans votre chambre, insista l’elfe, avec le pilon ! Rappelez-vous ! Je peux recommencer, c’est sans risque !
— Je vous demanderais bien ce que vous avez pu lui faire dans sa chambre avec un pilon, mais je crois que je préfère rester dans l’ignorance, » rit doucement Aiden avant de se reprendre et de tourner son visage en direction du fusilleur.
À ses côtés, Uthyr pouffa, couvrant son menton barbu ainsi que ses lèvres de sa main comme si le simple fait de sourire était honteux pour lui. Il afficha bien rapidement un visage neutre, mais Elenaril nota ses yeux rieurs ainsi que la commissure de ses lèvres qui remontait nerveusement – il réfrénait très certainement un fou rire. Même pris au dépourvu, il restait décidément muet.
« Randall, quand je vous dis de lâcher, lâchez. »
Henry commençait à en avoir bien plus qu’assez de voler si près du sol et de s’efforcer de rester statique ; la créature ailée montrait des signes de fatigue et d’agacement. Sa tête se tournait à droite à gauche, il dévoilait légèrement sa dentition, et sa position dans les airs variait d’un instant à l’autre. L’Altmer craignait qu’il ne reprît la route vers les cieux en entraînant son chasseur avec lui. L’urgence – bien qu’elle fût la seule à en voir une ici, Aiden et Uthyr prenaient la chose calmement – désinhiba tout le semblant de pudeur qu’elle pouvait avoir face aux deux hommes qu’elle ne connaissait pas aussi bien que Randall, et les étincelles jaillirent précipitamment du bout de ses doigts. La différence avec le pilon était la taille, ainsi que le poids ; il lui fallait doser l’intensité du sort de télékinésie selon l’objet qu’elle cherchait à faire léviter. Si elle y allait trop fort, Randall n’en serait qu’un peu secoué, rien de grave. En revanche, si le sort était trop faible, son compagnon d’aventures s’écraserait au sol dans l’échec d’un test de confiance improvisé.
Elle jaugea une dernière fois l’homme du regard. À peu de choses près, il devait équivaloir à Calindil lorsqu’il avait gardé dans ses bras la totalité de ses livres de sorts de première année afin d’en faire don à la bibliothèque commune. Allez, peut-être un peu plus. Elle se remémorait combien la scène avait été comique ; si elle n’avait pas été là pour rattraper l’elfe et sa pile de manuels, le boucan causé par la chute aurait pu réveiller toutes les créatures de l’Oblivion. Mais même si son ami altmeri était plus grand que l’humain, ce dernier était toutefois plus musclé. Ajoutant à cela le poids de l’équipement, elle se fit une idée approximative de la force qu’elle devait exercer avec son sort, et risqua le tout pour le tout, et se concentra sans quitter sa cible des yeux.
« Lâchez ! »
Randall s’exécuta, bien qu’il ne fut guère convaincu, mais dut se résoudre à faire confiance à l’elfe qui lui avait déjà à quelques occasions prouvé sa valeur. Il desserra sa prise et se laissa tomber dans le peu de vide qui le séparait du sol. Henry, soudainement délesté de sa charge, ne demanda pas son reste et s’envola afin de se reposer sur le perchoir voisin où patientaient depuis un petit moment à présent les mernos de Uthyr et Aiden. Ces deux derniers gainèrent leurs corps afin de réceptionner doucement Randall dans leurs bras dans ce qui ressemblait à une chaise de chair improvisée. Contre toute attente, ils virent leur acolyte non pas tomber vers eux, mais au contraire remonter légèrement dans les airs, dans un gémissement inquiet, et une mine peu sereine sur le visage.
Elenaril le berça doucement afin de jauger son poids, et ainsi mieux doser sa magie. Lorsqu’elle eut la réponse à ses questionnements, elle amorça délicatement la descente. De petits éclats lumineux émanaient de ses phalanges tandis que Randall était amené vers elle, et ne s’éteignirent que lorsqu’il se tînt de nouveau debout sur la terre ferme, appuyé contre elle afin de soulager son genou. Le retour à la pesanteur lui déplut, elle le vit à sa moue, mais rapidement un sourire immense, semblable à celui d’un enfant, vint effacer toute trace d’inquiétude et d’appréhension. Il avait assurément adoré ce petit tour de magie.
À leurs côtés, Aiden et Uthyr restèrent muets – le premier se retrouvant probablement assailli par des questionnements qu’il n’osait formuler à voix haute, le second ne changeant guère ses habitudes – et fixaient Elenaril. Le lancier l’observait avec la curiosité et l’admiration d’un nourrisson, lui paraissant presque impatient de tester lui aussi ce tour de passe-passe auquel il assistait pour la première fois ; l’épéiste, dont la mine impassible ne s’ébranlait en rien, ne pouvait pour autant détourner le regard et passer à autre chose.
Peu habituée à se retrouver au centre de l’attention, Elenaril se racla la gorge, et tenta de changer le sujet de cette discussion silencieuse qu’avaient les trois hommes.
« Et si nous rentrions ? N’aviez-vous pas des matériaux à remettre aux forgerons ?
— Pardon, fit Aiden en clignant des yeux successivement et anormalement vite, mais c’était quoi ça ?
— Vous voulez vraiment en parler ? demanda timidement l’Altmer en esquissant un mouvement de recul, manquant de bousculer Randall tandis qu’il ôtait son fusarbalète de son épaule pour se soulager de son poids.
— Je n’ai jamais vu de monstre faire ce genre de chose, et vous n’avez utilisé aucun mécanisme, rien. Ce ne sont pas des poches à air comme celles des paolomus, et Randall n’a pas d’ailes bien évidemment. Comment avez-vous fait, Elenaril ? »
Aiden, emporté par son enthousiasme, devenait un peu trop insistant, et l’elfe se mit sur la défensive, prête à s’énerver afin d’être tranquille. Toutefois, avant même qu’elle ne se laissât entraîner par son irritation et sa peur des réactions des chasseurs, Randall posa une main rassurante sur son épaule, s’appuyant par la même occasion de nouveau sur elle afin de délester son genou, et lui souffla à l’oreille, d’une voix suffisamment basse pour que les deux autres ne l’entendissent pas.
« Peut-être devrions-nous leur dire la vérité, vous ne pensez pas ? Cela faciliterait les choses…
— Je ne préfère pas. Je n’ai pas envie de devenir une bête de foire qu’ils étudieraient au moindre fait et geste. »
Il acquiesça. Malheureusement pour elle, il n’y avait rien en leur pouvoir qui pût l’aider à se sortir de cette situation qu’elle trouvait désagréable. Jusqu’à présent, elle avait apprécié la compagnie des deux chasseurs, les observer faire leur travail et découvrir un peu plus leur monde lui avait terriblement plu. Mais à présent qu’ils comprenaient qu’elle n’était pas aussi wyvérienne que ce qu’ils pensaient initialement… cela lui déplaisait. Qui savait ce qui se tramait réellement dans leurs esprits ? S’ils découvraient qu’elle venait d’ailleurs, seraient-ils toujours aussi amicaux, ou bien ne se laisseraient-ils pas gagner par quelque désir de conquête d’un autre monde ? Quelque part, elle souhaitait que son secret fût connu de Randall seul…
« Ah, partenaire ! Te revoilà enfin !! »
Une voix aigüe, désagréable aux oreilles de l’Altmer, leur parvint depuis la ville. Avant même de pouvoir apercevoir le visage de l’individu, une femme à en croire son timbre, Elenaril remercia les Dieux de la tirer de cette situation qu’elle pensait inextricable. Impatiente de découvrir le visage de cette apparition salvatrice, l’elfe se retourna dans la direction du bruit des pas qui lui parvenaient, toujours plus proches, toujours plus rapides. La femme les rejoignait en courant, sa respiration saccadée se faisait elle aussi entendre, et bientôt, elle put enfin faire face à l’apparition lorsqu’elle s’arrêta près du petit groupe, haletante, peinant à reprendre son souffle.
« Les autres m’ont dit que tu étais parti sans prévenir en chasse ! Même Fechín n’était pas au courant ! Je t’ai attendu pendant super longtemps, je suis contente de te voir revenir sain et sauf ! »
Elenaril se demanda à qui d’Aiden et de Uthyr la femme s’adressait. Ce devait être de toute évidence une assistante, à en voir son équipement qui n’était absolument pas destiné à la chasse. Le nombre de sacoches accrochées à ses hanches, ainsi que celle qui pendait à son épaule, était affolant, et l’Altmer s’interrogea quant à la force physique requise pour porter toute cette charge sans en être épuisée. Sa tenue, dorée comme les arbres de l’Archipel de l’Automne, la faisait sortir du lot. Son gantelet gauche était doté d’une fronde comme celles qu’utilisaient les chasseurs, mais celle-ci semblait être faite maison, et un épais col roulé de laine dépassait de sa veste de cuir sans manches, par-dessus laquelle elle avait noué la ficelle d’une petite cape au haut col, qui s’étendait par-delà ses épaules telles des égides. Lorsqu’elle l’aperçut de dos, plus tard, Elenaril constata que sur le tissu clair qui dépassait du col de cuir avait été imprimé l’emblème de la Cinquième Flotte.
« Salut Efa, fit Aiden. Ne t’en fais pas, il va parfaitement bien.
— Il y a intérêt ! »
Ainsi, il s’agissait donc de l’assistante de Uthyr. Aiden et Randall en avaient brièvement évoqué les noms lorsqu’ils avaient déjeuné avant de partir pour la chasse, mais désormais l’Altmer pouvait mettre un visage sur celui de la jeune femme.
La peau pâle, d’un physique banal, elle n’avait rien de bien extraordinaire. Elle n’était pas dotée d’une beauté à couper le souffle, bien que les petites taches de rousseur qui parsemaient son nez et ses joues insufflassent un caractère enfantin à son visage qui avait gardé quelques rondeurs. Ses cheveux châtains, que l’on devinait mi-longs à constater la pince qui les retenait à l’arrière du crâne, restaient soigneusement en place grâce à un bandeau de cuir sur lequel avait été apposé une paire de lunettes réfléchissantes et grossissantes. Cela ressemblait à l’une de ces longues-vues utilisées par les marins, mais dans un format réduit, et plus confortable à déplacer.
Pour être honnête, Elenaril n’éprouvait plus autant de reconnaissance envers Efa depuis que cette dernière avait déversé son flot de paroles d’une voix aigüe et particulièrement désagréable à entendre. Intarissable, elle vouait visiblement un culte à l’égard son chasseur, et le maternait bien trop pour une femme de son âge, et surtout pour un homme de son âge. Même Uthyr trahissait son agacement, par de petits regards que l’Altmer surprenait, ainsi qu’une moue blasée. Mais il ne rétorquait pas, ne répliquait pas. Efa faisait la conversation pour lui, et vraisemblablement cela l’arrangeait tout autant que l’embêtait.
« Vous avez chassé un tobi-kadachi alors ? C’est ce que vous avez récupéré de sa peau ? Elle est tellement épaisse, je suis sûre que ça pourra être utile pour améliorer tes dagues électriques ! Et avec ses griffes – tu as récupéré ses griffes hein ? – tu pourras demander à ce qu’on te fasse de meilleurs surins à la forge ! Rappelle-toi comment les derniers ont lâché quand tu as voulu les planter dans le dos du jyuratodus ! Oh et n’oublie pas, le Commandant veut ton rapport ! Je suis sûre que tu as été incroyable, comme toujours. Je suis vraiment déçue de pas avoir pu t’accompagner sur ce coup-là. »
Randall finit par attirer l’attention d’Elenaril en tapotant son épaule, l’arrachant de ce monologue désagréable qui ne semblait jamais s’arrêter. Incapable de discerner combien le malaise s’était emparé du trio de chasseurs – et de l’observatrice qui s’était jointe à eux, qu’elle n’avait dans tous les cas aucunement remarquée – Efa déversait ses mots inlassablement.
« Nous ferions mieux de ne pas perdre plus de temps ici. Nous devrions nous rendre à l’infirmerie, et nous assurer que vos blessures ne sont que superficielles.
— Parlez pour vous Randall, vous boitez. Vous êtes plus dans l’urgence que moi-même. »
Il lui adressa un petit sourire, bien que fatigué par ces émotions et épreuves qu’il devait affronter ce jour-là, et secoua les épaules.
« Ce n’est rien de bien grave. Les médecins me remettront d’aplomb en un rien de temps.
— Si j’avais su que les choses se passeraient ainsi, souffla Elenaril en baissant la tête, j’aurais pris en plus de cela des potions de soin, ou j’aurai appris des sorts de guérison, même minime. Cela vous aurait soulagé le temps d’avoir droit à des soins plus conséquents…
— Je vous aurais bien demandé de me transporter dans les airs jusqu’à l’aile médicale mais je crains que vous ne soyez de nouveau assaillie de questions si l’on vous voit faire ! » blagua alors son compagnon d’aventures en soulevant son arme et en passant la sangle de cette dernière sur son épaule.
Puisqu’Efa poursuivait inlassablement sa conversation à sens unique, cette fois-ci décrivant avec moult détails la texture et le goût du plat qu’elle avait fait tenter au chef cuisinier en lui fournissant des ingrédients aux noms peu ragoûtants, Randall fit un simple signe discret à ses compagnons, qu’Aiden perçut immédiatement. Uthyr, les bras croisés, entretenait l’illusion d’un intérêt passionné pour la discussion, son esprit divaguant ailleurs, là où Elenaril savait que nul ne pourrait jamais le suivre.
« Efa, tu permets ? interrompit alors le rouquin. Nous avons ça à déposer, je dois aller faire le rapport au commandant, et Randall et Elenaril doivent se rendre à l’aile médicale. Désolé de t’interrompre, mais nous ne devons plus trop traîner…
— Oh mais je vous accompagne ! C’est vous Elenaril ? Vous êtes bien grande pour une femme. Ça fait tout drôle de voir une Wyvérienne porter une armure de chasseuse, il n’y en a pas beaucoup ici à Astera. À part Merle, le Voyageur, mais nous n’avons pas encore eu la chance de le rencontrer. Vous le connaissez ? »
Elenaril sentit sa tête lui tourner. Était-ce du fait de son activité sur le terrain, elle qui n’était guère habituée à quitter les bibliothèques du Collègue ou même sa chambre ? Ou bien était-ce tout simplement ce ton aigu qui résonnait et grésillait dans sa tête ? Même les cris assourdissants du tobi-kadachi étaient agréables en comparaison de la voix d’Efa. Et dire que Uthyr travaillait avec elle ! D’un coup, il était plus facile de comprendre pourquoi il ne parlait jamais : Efa suffisait à remplir l’espace, et c’était tout bonnement impossible de la faire taire. Elle échangea un regard avec Randall, qui lui fit part de sa pitié – le trajet jusqu’à la forge serait long et agaçant…
Ils passèrent sous l’immense arche, constituée d’un vestige de squelette – une cage thoracique, visiblement – et rapidement les bruits du marché leur parvinrent. Sans y perdre trop de temps, ils se dirigèrent vers l’ascenseur – une sorte de siège de bois solidement fixé à une chaîne qui allait et venait grâce à un ingénieux système de poulies – avant qu’Aiden n’aidât Randall à s’y installer, puis d’inviter Elenaril à prendre place. Il leur souhaita, tout sourire, un agréable voyage jusqu’à l’aide médicale tandis qu’eux se rendaient à la forge pour y déposer les matériaux.
« Vous ne voulez pas que nous vous y accompagnions ? interrogea l’Altmer en écarquillant les yeux.
— Vu le boitement de Randall qui empire un peu plus à chaque pas, vous feriez mieux de vous dépêcher. Quant à vous Elenaril, vous veillerez sur lui ! »
Il leur adressa un petit clin d’œil et, avant que la nacelle ne reprît sa route sur les chaînes tirées à l’aide de poulies par un mécanisme remarquable qu’auraient envié les Dwemers s’ils se trouvaient encore sur Nirn, Randall s’empressa de lui remettre les griffes qui avaient été glissées dans sa sacoche. Le rouquin leur fit un signe de main, et l’ascenseur se mit en chemin, prenant doucement de l’altitude dans un grincement relaxant.
« Efa est donc l’assistante de Uthyr, c’est bien ça ?
— Oui, et on dirait bien que ça lui déplaît plus que tout, admit Randall en regardant les chasseurs s’affairer sur la place du marché. Mais elle est efficace, quand elle pense à autre chose qu’à la nourriture.
— Comment est votre assistante ? s’enquit Elenaril, qui ne perdait aucune occasion d’en apprendre plus sur l’homme et son entourage.
— Oh, Marissa est… Vous savez quoi ? Vous verrez bien lorsque nous la rencontrons. La connaissant, elle doit déjà anticiper mes prochains déplacements et m’attend à l’infirmerie. »
Il semblait terriblement embarrassé de ne pouvoir présenter son assistante par de simples mots, mais l’elfe n’insista pas plus. Elle laissa tout juste au silence le temps de poser ses valises et de commencer à les déballer, avant de relancer la conversation.
« Je voulais vous demander, Randall.
— Quoi donc ? »
Ses yeux la regardaient doucement, curieux et dans le même temps ravis de pouvoir répondre à ses interrogations. Elenaril dut reconnaître qu’elle trouvait un caractère mignon à ces expressions faciales, qu’elles n’avaient jamais constatées chez ses pairs. Les Altmers de la Guilde de Magie, ou même tout simplement de l’île d’Eyévéa, se comportaient tous en suivant les règles dictées par la perfection numérique que suivait leur peuple sur l’Archipel, et il n’y avait jamais d’éruptions naturelles des émotions et sentiments ; tout était contrôlé, ordonné, obligé. Plus elle côtoyait le chasseur et plus elle se prenait d’affection pour lui, pour son monde et cet univers dans lequel il évoluait librement en suivant ses propres désirs.
« Comment se fait-ce que Uthyr, Aiden et vous-même ne réagissiez pas aux hurlements du tobi-kadachi, ni même aux tirs de votre fusarbalète ? Je devais me couvrir les oreilles tant c’était assourdissant !
— Oh, c’est grâce aux bouchons d’oreilles. Un peu de mousse, de tissu et de quelques autres ingrédients dont j’ignore le nom et l’origine, et vous avez de quoi vous protéger les tympans efficacement. »
Voilà qui était intéressant. Peu de personnes en Tamriel – tout du moins, sur l’Archipel – n’utilisait ce genre d’accessoire. Les différences technologiques entre ces deux mondes la fascinait, elle ne parvenait à croire qu’elle n’apprenait qu’une infime partie de cet univers auquel elle était étrangère, mais qui l’attirait d’une façon irrépressible.
« Tous n’en utilisent pas, mais il est vrai que ça nous évite de finir sourds à tout juste trente ans ! »
Son rire réchauffa le cœur d’Elenaril. Sa sincérité était vraiment adorable. Randall était formidable, et bien qu’elle fût certaine de ne jamais pouvoir le lui avouer, elle espérait de tout cœur qu’il vécût la vie qu’il désirait sans aucune barrière pour le restreindre.
« Tenez, nous arrivons au premier étage.
— Premier étage ? Mais nous avons pourtant quitté le marché… »
Ils n’eurent guère le temps de débattre au sujet de leurs conceptions des étages, et à partir duquel fallait-il commencer à compter ; Randall stoppa la nacelle, l’immobilisa, et invita Elenaril à en descendre en premier, avant qu’elle ne l’aidât à s’extirper à son tour du siège. Il boitillait encore, mais force était de constater que cela s’était calmé. L’Altmer craignait de le voir immobilisé pendant sa convalescence, mais peut-être pourrait-il rapidement l’accompagner de nouveau à travers Astera et ses environs pour poursuivre ses observations. La dernière expédition venait à peine de s’achever qu’elle songeait d’ores et déjà à la suivante.
« Oh, Randall. Te revoilà ? Comment était la chasse ? »
Une jeune femme, sensiblement du même âge que le chasseur, vint les accueillir. Elle passait visiblement dans le coin, peut-être sortait-elle-même de la forge qu’Elenaril apercevait non-loin de là, et le salua poliment, bien que l’on sentît une forme de distance entre l’homme et elle. Probablement une camarade de Flotte, se dit l’Altmer.
La première impression que donnait cette femme, dans la même tranche d’âge que Randall, était plutôt positive. Bien qu’il fût discret, un sourire agréable traduisait sa politesse et son respect pour ses interlocuteurs. Tandis que le chasseur et la nouvelle venue échangeaient quelques banalités – Randall lui résumait brièvement, sans trop entrer dans les détails, la traque du tobi-kadachi et le combat qui avait suivi –, Elenaril scruta attentivement la femme.
Si l’elfe savait pertinemment qu’elle devait cesser de comparer les personnes qu’elle rencontrait à Astera aux races humaines et elfiques qu’elle connaissait de Tamriel, elle ne pouvait s’empêcher de retrouver en cette femme toutes les caractéristiques physiques des Rougegardes qui peuplaient la province de Martelfell, au nord-ouest de Tamriel.
Sa peau sombre teintée par le soleil, ses yeux rougeoyants évoquant le crépuscule, ainsi que sa musculature dissimulée par sa tenue confortable, différente de l’armure des chasseurs, tout était digne du peuple martial dont elle avait lu les récits de guerre.
« Oh, au fait, je te présente Elenaril, » finit par déclarer Randall lorsqu’il se rendit compte qu’il avait complètement omis d’expliquer qui était le quatrième membre de leur expédition, et qui était la personne qui se tenait à ses côtés.
Cela eut raison d’arracher l’Altmer à ses pensées, et il lui fallut une seconde ou deux pour remettre ses idées en ordre.
« Tu n’as sûrement pas échappé aux rumeurs qui courent, » rit-il légèrement, comme pour dissiper un malaise qui le gagnait.
Par automatisme, Elenaril tendit la main vers la femme, qui la lui saisit et la secoua brièvement. Peut-être parvenait-elle enfin à se faire aux us et coutumes d’Astera – c’était tout du moins l’impression qu’elle avait.
« Enchantée, déclara la femme d’un air chaleureux. Je suis Marissa, membre de la Cinquième et assistante de Randall. Merci de l’avoir surveillé pendant ses promenades.
— Tout le plaisir est pour moi. J’ai pu en apprendre beaucoup en le suivant dans ses expéditions. »
Elle savait combien cela était impoli, mais elle ne pouvait s’empêcher de fixer l’assistante. Il y avait quelque chose dans son visage qui attirait l’attention. Cette imperfection des traits, la courbure maladroite du nez et l’asymétrie du regard, loin des standards altmeri, séduisaient l’œil d’Elenaril. Ce sentiment était amplifié par sa coiffure excentrique, le côté droit de son crâne ayant été rasé de très près, seul un fin duvet couvrait sa peau ; la chevelure, dense et proche du brun, ondulait de toutes parts. Deux fines tresses partaient de la tempe, et les perles qui les agrémentaient tintaient lorsqu’elles s’entrechoquaient dès lors que Marissa secouait la tête.
Non, jamais Elenaril n’avait vu d’individu du genre de toute sa vie en Tamriel.
« Où allez-vous, alors ? Vous avez perdu Aiden et Uthyr ?
— Eh bien Randall tenait à tout prix à ce que je fasse un tour à l’aile médicale, en partie à cause de ça, l’informa l’elfe en pointant du doigt la coupure qu’elle avait à la joue. Et, aussi, pour son genou.
— Son genou ? » répéta Marissa, fronçant ses épais sourcils sur ses yeux brillants.
Le chasseur leva vers elle un visage aux joues rougies. Visiblement, il avait préféré omettre ce détail, et avait voulu dissimuler sa blessure – bien que légère – à son assistante, pour une raison qui échappait à l’Altmer. Quoi qu’il en fût, la femme soupira, sans perdre cet air amusé qu’elle avait esquissé, et s’approcha de lui. Passant sa tête sous le bras de Randall, elle lui proposa – bien que le ton ressemblât plus à celui d’un ordre – de s’appuyer sur elle.
« Je ne peux pas te laisser y aller seul comme ça. Je vous accompagne. »