Hiraeth
Chapitre 19 : Chapitre XIX — Des chuchotements dans l’obscurité
10139 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 12/07/2023 19:31
Chapitre XIX
Des chuchotements dans l’obscurité
Voilà trois semaines qu’Aemillia avait quitté le sanctuaire d’Épervine. Trois semaines, c’était à peu de choses près la durée qu’il fallait aux corps pour se décomposer, et ne laisser derrière eux plus que des ossements. Beaucoup d’événements pouvaient se succéder au fil de cette vingtaine de jours mais, dans son cas, cela n’avait été qu’une succession de paysages tandis qu’elle parcourait d’ouest en est Bordeciel. Et voilà que l’issue de ce long voyage se profilait à l’horizon, sous la forme d’une porte sombre décorée de façon lugubre, qui lui arracha une fois de plus un tremblement nerveux à son apparition.
Elle gardait encore sur l’estomac le poids de la culpabilité. Muiri lui avait bien fait savoir combien elle était déçue par son choix. Mais qu’y pouvait-elle ? La mort de Nilsine n’était pas nécessaire, et elle n’était pas juste – bien qu’elle s’eût répété cela, martelant son crâne de cette pensée qu’elle estimait moralement correcte, Aemillia ne pouvait obscurcir pleinement le doute qui la hantait. La prime avait pourtant été honorable, plus de mille septims, largement de quoi vivre confortablement un petit moment. Mais cet argent lui paraissait sale, et lourd. Elle s’était juré de remettre cette bourse à Astrid, proposant de l’utiliser pour le bien du Sanctuaire. Elle refusait d’en faire usage elle-même. Après tout, ce n’était pas honorable…
Brume ne rechignait plus, et suivait ses ordres. Ils avaient fini par apprendre à se connaître, et faisaient un bon duo. Pour le remercier de son obéissance, elle lui offrait des friandises, se permettant de lui accorder un bout de ses fruits et légumes, quitte à se rationner un peu en retour. Elle espérait aller loin avec lui, et une amitié de longue date s’entretenait, y compris avec des animaux. Le hongre ne montrait aucune hostilité à son égard, bien au contraire, et se laissait monter pour traverser le pays jusqu’à l’épuisement.
Ainsi, lorsque tous deux parvinrent jusqu’à l’entrée du Sanctuaire, Aemillia noua sereinement les rênes du cheval en se jurant que, cette fois-ci, elle demanderait à la Nordique où se trouvaient les écuries, qu’elle n’apercevait pourtant pas. L’idée qu’il y eût un pacte signé entre les membres de la Confrérie et les habitants d’Épervine, permettant aux premiers de laisser en pension leurs chevaux aux seconds, lui vint alors. Peut-être visait-elle juste, en définitive.
Ce fut cependant une fois face à cette porte qu’elle n’osait ouvrir, et ce seuil qu’elle n’osait franchir, que l’Impériale fut prise d’une forte hésitation. Son bras ne répondait plus, malgré ses invectives pour qu’il se tendît en direction du loquet. Elle entendait au loin les rires moqueurs des fantômes de la Confrérie, qui raillaient cette recrue qui tuait aisément, mais peinait à pénétrer un sanctuaire qui était supposément sa demeure. Elle n’était pas légitime, elle n’était pas chez elle. Elle n’appartenait pas à cette famille, bien qu’elle l’eût souhaité de tout son cœur.
Aemillia prit une profonde inspiration. Reprenant le contrôle de son corps et de ses pensées, elle puisa dans ses ressources la force nécessaire pour rentrer chez elle, bien que ces mots la fissent amèrement sourire. Peut-être qu’à force de se le répéter, elle s’en convaincrait…
Elle commencerait par faire son rapport à Astrid. L’informer que tout s’était déroulé comme prévu, que Muiri avait grassement payé et que le contrat avait été dûment rempli. Et après cela, peut-être aurait-elle quelques nouvelles missions à remplir. Ou bien quelques jours de repos, pour compenser des longs voyages qu’elle avait dû accomplir ici et là. Si la cheffe du sanctuaire était magnanime, elle le lui permettrait assurément. Il fallait ménager les assassins, si l’on voulait que le travail fût bien fait. Même Aemillia, qui n’avait pourtant pas baigné très longtemps dans ce milieu, en avait pleinement conscience.
L’écho de ses pas tandis qu’elle descendait une à une les marches de l’entrée du sanctuaire rebondissait sur les murs, et disparaissait au fond des couloirs. Tous devaient être avertis de son arrivée, bien qu’elle tentât du mieux qu’elle pût d’être discrète. Au premier palier, elle trouva sa supérieure, adossée en haut des marches suivantes, et qui regardait dans sa direction. La nonchalance avec laquelle Astrid se tenait n’inspirait pas confiance à Aemillia. Était-ce ce regard glacial qu’elle posait sur son visage, ou bien cet air renfermé qu’elle adoptait en croisant ainsi les bras sur sa poitrine ? Elle l’ignorait, mais quelque chose chez elle signalait à l’Impériale qu’elle ne pouvait rester tranquille tant qu’elles respiraient le même air, dans la même pièce.
« Ah, tu es de retour, s’exclama-t-elle dans un sourire qui sembla forcé. Alors, comment s’est passée ta première véritable mission ? C’était un peu plus trépidant que les tâches que Nazir te confie, je parie. »
Aemillia se tint droite, gonflant les poumons et relevant le menton, comme on le lui avait appris étant enfant, afin de montrer qu’elle se sentait à l’aise face à son interlocutrice. Tentant de maîtriser sa voix pour qu’aucun tremblement ne vînt la trahir, elle répondit honnêtement à la Nordique, sans perdre le contact qu’elle avait établi avec ses yeux clairs.
« Je n’ai fait que mon travail. Ce que l’on m’a demandé, et rien de plus. Tant que je peux servir la Confrérie, je n’ai pas à me plaindre.
– Bien sûr, trésor, bien sûr, grinça Astrid, sans perdre ce sourire mauvais qu’elle aimait tant afficher. D’après ce que m’ont dit mes petits corbeaux, tu as fait du très bon travail. »
Elle décroisa alors ses bras, et applaudit doucement, étouffant de ses gants de cuir le bruit qu’auraient dû produire ses deux paumes frappées l’une contre l’autre. Cette femme avait des oreilles partout, à travers tout Bordeciel, et ne perdait pas un instant pour connaître les derniers ragots. Ce devait être de cette façon qu’elle avait retrouvé Aemillia peu après le meurtre de Grelod. Des témoins – dont Babette – pouvaient indiquer clairement qui était l’assassin venu lui ôter la vie, et grâce à ses tours de passe-passe et ses relations, elle avait bien assez rapidement mis la main sur cette Impériale qui s’était permise de leur voler un contrat, et d’usurper leur identité.
Cette femme était terrifiante.
« Maintenant, j’ai besoin de ton aide pour une affaire de nature plus personnelle. »
Le murmure d’Astrid s’étouffait dans le silence. Elle souhaitait ne pas être entendue. Quelque chose se tramait, et Aemillia n’aimait pas ça.
« Quelque chose ne va pas ? »
La Nordique lui fit un signe, et l’invita à la rejoindre dans la pièce voisine, dont elle referma la porte de bois. La chambre personnelle d’Astrid se présentait d’une façon sobre, mais pourtant imposante. Le feu brûlant dans la cheminée hypnotisait l’Impériale, et elle fut invitée à s’asseoir sur l’une des deux chaises de bois, dont les assises avaient été améliorées grâce à des coussins, avant que sa supérieure n’en fît de même. Le crépitement des flammes surpassait le moindre bruit, jusqu’à la respiration d’Aemillia qui se faisait lourde d’instant en instant.
« C’est Cicéron, » commença-t-elle.
Aemillia se raidit, et sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine. Elle n’aimait pas ça. Le ton employé, grave et courroucé, ne présageait rien de bon. Espérant vainement que la Nordique s’arrêtât là, et n’en dît pas plus, elle guetta cet instant où la voix doucereuse prendrait le dessus sur les gémissements du bois consumé dans la cheminée.
« Depuis qu’il est arrivé, son comportement est imprévisible, expliqua-t-elle en cherchant quelque peu ses mots, et les bonnes formulations à employer. Et encore, c’est un euphémisme. Je crois qu’il est complètement fou.
– Ah. »
Elle se couvrit aussitôt les lèvres, honteuse d’avoir laissé s’échapper ce faible son, qui pourtant traduisait bien des choses. Astrid fronça les sourcils, avant de les hausser, et sembla chercher en elle une forme d’approbation. Elle se rapprocha, chuchotant presque à son oreille à la manière d’une confidence. Aucune malice ne se dégageait de sa voix, ni de son attitude. Elle paraissait sincèrement anxieuse à propos du bouffon impérial qui avait élu domicile au Sanctuaire.
« Mais c’est pire que cela, renchérit-elle, un tremblement dans la voix couvert par une hésitation. Il s’est mis à s’enfermer dans la chambre de la Mère de la Nuit, et à parler à quelqu’un. Il s’exprime à voix basse, mais de façon frénétique. »
Aemillia déglutit. Certes, Cicéron agissait d’une façon étrange, qu’elle-même ne lui connaissait en rien, mais n’était-ce pas un peu exagéré de voir dans son comportement une quelconque menace ? Elle revit le regard irrité qu’il lui avait adressé lorsqu’elle avait commencé à se présenter, et à l’interroger au sujet de Cheydinhal. Non, pour rien au monde Cicéron n’était mauvais. Il y avait sûrement une méprise…
« À qui parle-t-il ? Qu’est-ce qu’il mijote ? Je crains qu’il nous trahisse.
– Astrid, souffla-t-elle avant de marquer un temps de pause. Êtes-vous sûre de ne pas surinterpréter ? »
Les iris se plissèrent, et un semblant de rictus fit son apparition sur le visage de la Nordique. Puis tout disparut, et elle regagna cet air inquiet.
« Que veux-tu dire, Aemillia ? minauda-t-elle.
– Je n’aime pas utiliser ce terme, mais… Ne seriez-vous pas un peu paranoïaque ? » risqua l’Impériale, retenant ce frémissement désagréable sous sa peau au simple son de cette voix articulant son prénom.
Astrid haussa les épaules, et s’avança, posant ses coudes sur ses genoux. Son visage tourné vers la cheminée s’illuminait devant les flammes.
« Peut-être, murmura-t-elle, mais le sanctuaire a déjà été sauvé par une paranoïa tout à fait saine par le passé. »
Elle se redressa dans son fauteuil, et étira ses muscles dorsaux. Leurs regards se croisèrent. Aemillia détourna le sien.
« Mon instinct me souffle que ce déséquilibré mijote quelque chose. »
Déséquilibré. Le mot heurta Aemillia avec violence. C’était un fait que Cicéron était déprécié au sein du Sanctuaire, cela s’était vu dès son arrivée. La Nordique voyait en lui une menace pour son autorité, car la Mère de la Nuit primait dans l’organisation hiérarchique de la Famille. Mais en l’état, sans quiconque pour entendre sa voix, la Mère n’était-elle pas une simple momie, une relique du passé, qui ne pouvait nuire à quiconque ? Cette façon de parler de lui, et de se méfier, quand bien même il pût avoir une attitude quelque peu suspecte, trahissait tout simplement la dépréciation qu’elle éprouvait à l’égard de l’Impérial. Et cela, Aemillia ne pouvait le tolérer. Nul ne pouvait se montrer odieux envers Cicéron, même s’il n’était plus celui qu’elle avait connu…
« Que voulez-vous que je fasse ? demanda-t-elle alors, plus par politesse que par réelle envie d’agir sur cette situation. Vous avez besoin de mon aide, mais en quoi puis-je vous aider à son sujet ?
– Je sais très bien le lien que tu as avec cet homme. Je sais aussi que tu fuis ton passé. La famille Chenius a soudainement disparu lorsqu’un assassin de Cheydinhal s’est chargé de tuer la mère, avant d’adopter la fille. Cet anneau que tu portes au cou, est témoin de cette époque de ta vie. »
Pourquoi amenait-elle tout cela là, sans préambule ? Qui plus était, par quels jeux de réseaux avait-elle pu enquêter et connaître ces détails ? Rasha n’avait rien su pour l’anneau, il ne pouvait être celui qui informerait Astrid de ces histoires sans importance au sein du Sanctuaire.
Aemillia n’aimait pas ça. Savoir que la Nordique connaissait ses antécédents familiaux lui déplaisait fortement. Bien qu’elle tentât de se rassurer en se répétant que ça n’était qu’une formalité, que ça n’était pas non plus bien grave qu’elle eût connaissance de tout cela, elle ne pouvait s’empêcher de penser que, tôt ou tard, Astrid utiliserait ses affects et ses secrets pour jouer avec elle.
Et, d’une certaine façon, elle avait le sentiment que c’était déjà le cas.
« Ma chère Aemillia, poursuivit Astrid avec un large sourire, tu dois pénétrer dans cette chambre et écouter leur conversation. Tu peux bien faire cela pour ta famille, n’est-ce pas ? »
La jeune femme acquiesça. Que pouvait-elle faire d’autre ? L’un des cinq préceptes exigeait de ne jamais contester un ordre de ses supérieurs. Jamais la tête de la famille ne saurait être contestée tant que les principes qui régissaient leurs vies seraient suivis. Et bien qu’ils ne fussent guère en vigueur en ces lieux, elle ne pouvait s’en détacher. Si elle refusait, elle subirait le courroux d’Astrid, ainsi que celui de Sithis. Qui des deux craignait-elle le plus ? Elle l’ignorait.
« Je le ferai, jura-t-elle, réprimant le serrement de son cœur à la simple idée de ce qu’elle s’apprêtait à faire.
– En revanche, cela ne sert à rien de te cacher dans l’ombre. Ils te verront à coup sûr. »
N’avait-elle pas honte ? Espionner Cicéron. Elle ne pouvait croire qu’il complotait contre le Sanctuaire ; lui qui avait toujours protégé les siens, pouvait-il réellement retourner sa veste, et chercher à leur nuire ? Certes, il n’était plus exactement le même, mais sa foi était toujours aussi pure, à voir combien il prenait soin de la Mère, même si ses interlocuteurs ne croyaient plus en sa puissance…
« Non, il te faut une cachette. Un endroit où ils ne penseraient jamais à regarder. »
Elle n’écoutait plus trop les réflexions à voix haute d’Astrid. La voix doucereuse se faisait distante, étouffée par le vrombissement sourd qui résonnait dans sa tête. La gêne la submergeait, le sang qui affluait dans son visage la brûlait. Elle se sentait si impuissante, incapable de défier l’autorité de cette femme qui semblait prendre plaisir à la torturer ainsi…
« Comme à l’intérieur du cercueil de la Mère de la Nuit.
– Pardon ? »
Ce fut le vide instantané. Rien d’autre qu’un néant cotonneux dans lequel elle baignait. Avait-elle bien entendu cette proposition ? Non, elle devait avoir halluciné, mal interprété les mots, et…
« Oui, jamais ils ne vérifieront l’intérieur du cercueil, Cicéron y tient bien trop pour laisser quiconque s’en approcher, même s’ils sont associés dans leurs méfaits.
– Mais, s’étrangla Aemillia, c’est un tel manque de respect… ! »
Astrid balaya ses inquiétudes avec indifférence. Elle avait repris cet air autoritaire que nul ne pouvait contester, écrasant toute tentative de protestation.
« Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas d’autre choix. Personne ne doit te voir. »
Elle se releva, intimant à l’Impériale d’en faire de même, d’un simple regard. Sortant son visage hors de la pièce, elle sembla tendre l’oreille, à l’affût de quelque chose. Sourcils froncés, elle adressa à Aemillia un rictus indéchiffrable.
« Maintenant, pars, avant qu’ils ne se retrouvent. Laisse ton matériel ici, garde ta dague pour te défendre en cas de besoin, et viens me faire ton rapport dès que tu auras appris quelque chose. »
Cela n’avait aucun sens. Si un traître conspirait dans l’ombre avec Cicéron, cela pouvait être n’importe lequel des membres du Sanctuaire. Si la conversation débutait sitôt l’Impérial fermait-il la porte de la chambre une fois y avoir pénétré, alors la personne devait d’ores et déjà l’y attendre. N’importe lequel d’entre eux pouvait s’y rendre sans éveiller de soupçons, mais alors lequel des assassins qui vivaient là voulait renverser le pouvoir d’Astrid ?
Tous l’estimaient, et lui juraient fidélité. C’était, en tout cas, ce qu’ils avaient affirmé lorsqu’Aemillia les avait rencontrés. Qui donc pouvait fomenter un tel projet à l’encontre de la Nordique, à l’insu de tous, en s’alliant avec le bouffon arrivé seulement un mois plus tôt parmi eux ? Peut-être avaient-ils échangé des lettres, conversé durant des semaines, afin de planifier l’arrivée de Cicéron, et l’avancement de leur grand projet…
« Aemillia Chenius, ordonna soudainement Astrid, tu dois découvrir le fin mot de cette histoire. C’est un ordre. »
L’Impériale ne put protester, elle se retrouva poussée hors de la pièce sans aucune douceur. Le regard d’Astrid, noirci par le froncement de ses sourcils, lui intima l’ordre d’exécuter sa mission, quand bien même son cœur le refusât. Elle n’avait plus le droit de protester, elle devait agir.
Aemillia traversa tout le sanctuaire, évitant de croiser autant ses adelphes que leurs regards. Cicéron était introuvable, probablement parti se perdre quelque part dans l’une des pièces de la demeure souterraine, à moins qu’il ne se reposât dans sa chambre. Et dire qu’il avait placé toute sa confiance en elle, autrefois. Elle la trahissait à nouveau. La première fois n’avait pas été de son ressort, elle n’avait pu lutter, mais cette fois-ci… Cette fois-ci aurait pu être différente. Elle aurait pu se tenir face à Astrid et lui dire qu’elle ne pouvait obéir. Et pourtant, elle s’était tue, et voilà qu’elle suivait les ordres, bêtement.
Elle longea le petit bassin, et adressa un timide regard à la fontaine qui y coulait paisiblement. Au loin lui parvenaient les rires de Babette et Nazir – comme quoi, le Rougegarde pouvait être de bonne humeur – avant que ne les rejoignît Veezara. Un juron proféré par Festus Krex se retrouva étouffé par la voix de Gabriella, dont le sort qu’elle venait de lancer illumina la pièce où ils se trouvaient, un peu plus haut dans les galeries. Et elle, seule avec ses pensées et sa honte dévorante, escaladait une à une les marches qui la conduiraient vers la chambre où reposait la Mère de la Nuit, et où Cicéron passait le plus clair de son temps, bien qu’il n’y fût pas en cet instant.
Il s’agissait de la pièce décorée par un vitrail représentant Sithis. Située de l’autre côté des chambres communes, elle était bien plus grande et plus lumineuse que celle investie par les autres membres du Sanctuaire. La porte avait simplement été refermée, sans être verrouillée, et Aemillia la poussa discrètement, risquant un œil à l’intérieur de la salle avant d’y pénétrer et de clore doucement le battant. L’endroit était vide, dépourvu de vie. On avait gracieusement offert au Gardien la chambre voisine pour qu’il pût se reposer non loin de la momie qu’il gardait précieusement. Là, il n’y avait ni lit ni chaise, seulement une étagère remplie d’ingrédients divers, et une table à laquelle s’installer pour préparer quelques décoctions.
Des vestiges de bancs, certains dans un très mauvais état, étaient tournés en direction du cercueil. Permettant aux croyants de se recueillir devant leur Mère, ils semblaient ne pas avoir été utilisés depuis bien longtemps – pour ainsi dire, jamais. Les dizaines de bougies disséminées autour de la coquille métallique étaient toutes éteintes, qu’elles fussent posées à même la pierre ou bien sur des bougeoirs prévus à cet effet. La Mère reposait devant le vitrail de son époux, entourée de bannières décorées par la main noire, le symbole de la Confrérie, et attendait que son Gardien vînt à elle.
« Pardonnez-moi, Père. Pardonnez-moi, Mère. Pardonnez-moi, Cicéron. Ce que je m’apprête à faire est un véritable affront. »
Comme si sa maigre prière lui eût permis de se laver du crime qu’elle allait commettre, Aemillia se sentit quelque peu allégée. Ça n’était pas suffisant pour se sentir en paix avec elle-même, mais au moins elle avait fait preuve de ses bonnes intentions, en quelque sorte…
Elle s’avança jusqu’au pied du cercueil d’un pas religieux. Fermé par un verrou, elle n’eut d’autre choix que de le forcer en le crochetant pour espérer se glisser à l’intérieur. Quelle véritable honte… Jamais elle n’aurait souhaité en venir à de tels extrêmes…
« À plus tard, Cicéron ! » lâcha une voix, celle de Babette, dont l’intonation joyeuse parvint jusqu’à Aemillia à travers les couloirs.
L’Impérial répondit quelque chose à la vampire, mais Aemillia ne put entendre ses mots. Jouant de son crochet et de son surin afin de débloquer la serrure, elle sentait le métal de ses outils glisser entre ses mains rendues moites par le mélange d’émotions qui l’assaillaient.
Lorsque, finalement, elle parvint à son but, le bouffon n’était plus très loin. Le bruit de pas résonnait jusqu’à elle, et l’hésitation qu’il marqua avant de pénétrer à son tour dans la pièce fut salvatrice pour la jeune femme, tandis qu’elle se glissait contre la momie, et refermait de l’intérieur la porte métallique, laissant une petite ouverture lui accorder un maigre champ de vision qui lui permettrait d’identifier le traître qui se cachait dans le sanctuaire. De là, elle vit Cicéron verrouiller derrière lui chacune des deux portes qui donnaient accès sur la pièce, vérifiant machinalement sous la table en passant devant et, une fois les vérifications terminées, sa voix parvint jusqu’aux oreilles de l’Impériale, qui ne cessaient de bourdonner sous la pulsation du sang pompé par son cœur.
Elle sentait dans son dos la momie qui reposait là. Pressée par le temps et l’urgence, elle n’avait pas pris le temps de l’observer plus en détail. C’était le corps d’une femme tenue debout, bien que penchant sur le côté, aux mains dégarnies recroquevillées sur son corps, et à la tête inclinée sur le côté. Les yeux cousus entre eux étaient cernés de rouge, et la bouche, béante, paraissait pousser un hurlement que nul ne pouvait entendre.
« Sommes-nous seuls… ? Oui, oui, seuls ! » chantonna Cicéron, arrachant Aemillia à ses divagations désagréables.
Son corps trembla. Sa respiration se fit lourde, et elle plaqua sa main sur ses lèvres pour en étouffer le bruit. Elle ne voyait plus l’Impérial, qui avait disparu de l’angle de la maigre fente. Seule sa voix parvenait à l’Impériale, qui ne pouvait empêcher l’angoisse qui lui serrait la gorge.
« Chère solitude, murmura-t-il, laissait sa voix dérailler subitement dans les aigus, devenant soudainement plus forte, se muant en un rire frénétique. Personne ne peut nous entendre, nous déranger ! »
Elle espérait tant qu’Astrid se trompât, qu’elle s’eût imaginé n’importe quoi mais, au fond d’elle-même, elle sentit le doute grossir. Peut-être la Nordique avait-elle raison. Peut-être Cicéron conspirait-il en secret. Non, elle ne pouvait dire cela. Elle croyait en lui, elle ne pouvait le penser coupable…
« Tout se déroule comme prévu. »
Les soudaines variations dans sa voix, passant librement des sons aigus stridents aux graves caverneux, firent naître en Aemillia une terreur pure. S’il la trouvait, là, maintenant, serait-il prêt à la tuer de colère ? Elle ne pouvait y croire, et pourtant…
« Les autres… je leur ai parlé. Ils viendront, je le sais. »
Non, non, non, non, non.
« Le sorcier, Festus Krex… Peut-être même l’Argonien, et la petite vampire ! »
Il y avait une erreur. Elle se trompait. C’était une méprise, rien de plus.
« Et vous ? demanda-t-il alors d’un ton inquisiteur. Avez-vous… Avez-vous parlé à quelqu’un ? »
Non, non, non ! Cicéron ne pouvait pas être un traître ! Qui que fût son interlocuteur, elle refusait de croire que tout cela fût tissé sur une toile de mensonges.
« Non, non, bien sûr que non ! »
Elle s’imaginait parfaitement les traits tendus du visage de l’Impérial à chaque son que sa gorge émettait. Bien qu’elle ne pût le voir de là où elle se trouvait, l’image qu’elle en gardait était si vive qu’elle se le figurait nettement. Ces crispations dans la gorge lorsqu’il expirait ses consonnes sifflantes, les coups de glotte soudains qui interrompaient ses phrases, elle les reconnaissait parfaitement. Bien que sa voix fût sèche, elle retrouvait, enfouies au fond de ces faibles notes, la douceur qu’elle lui avait tant connue.
« C’est moi qui parle, qui observe, qui questionne, qui affirme ! »
Alors comment se pouvait-il que le Cicéron qu’elle espionnait là fût si différent de celui qui lui avait tout appris ?
« Et que faites-vous ? éructa-t-il soudainement, sa voix se projetant avec violence en direction du cercueil, et d’Aemillia. Hein ?! Rien !! »
Elle sursauta. Que faisait-elle ? Elle l’espionnait. Bien que la question ne lui fût pas adressée, elle se figea, paralysée par la peur et la honte. Que faisait-elle ? Elle trahissait sa confiance passée. À nouveau. Parce que disparaître sans laisser de traces n’avait pas suffi, voilà qu’elle détruisait un peu plus tout sentiment positif qu’il pouvait éprouver à son égard. Les larmes montèrent. Elle était misérable. Une honte, une déception. Cicéron lui avait tout donné, et elle ne lui avait jamais rien rendu en retour.
« Ce n’est pas — »
La voix de Cicéron, qui était sorti de ses gonds, s’étouffa soudainement. Confondu en excuses, il parut honteux de s’être emporté. Elle se le figurait recroquevillé, la tête rentrée dans ses épaules, gesticulant des mains comme si cela pouvait apaiser l’irritation qu’il avait provoquée chez son interlocuteur.
« Ce n’est pas que je sois en colère, reprit-il, dans un murmure à peine audible. Jamais. Cicéron… comprend. Cicéron comprend toujours… Et obéit. »
La respiration de l’Impérial lui parvenait. Haletant, il s’approchait du cercueil. Elle crut l’entendre y poser la main. Son souffle erratique lui glaçait le sang. On eût dit qu’il venait de se battre à mains nues avec quelqu’un. Pourtant, il n’y avait eu que des cris. Ce soudain changement d’émotion chez l’homme paralysa Aemillia. Sa propre respiration devenait irrégulière. Tôt ou tard, il comprendrait qu’il était épié. Tôt ou tard, elle serait découverte.
« Vous parlerez le moment venu, n’est-ce pas ? »
Silence. Cicéron soupira.
« Mère de la Nuit adorée… »
Cette plainte, véritable supplique, fut la dernière de l’homme. Aemillia vit son ombre projetée par la lumière d’une torche, tandis qu’il s’agenouillait devant le cercueil, sa tête heurtant doucement le métal.
Elle avait tant pitié de lui. Elle voulait tant le consoler. Jamais ses mots ne sauraient lui parvenir, il y restait sourd, tout comme il l’ignorait lorsqu’elle se présentait à lui. Si là, en cet instant, elle sortait de sa cachette, et posait sur son épaule une main réconfortante, la rejetterait-il ? Lui adresserait-il un regard noir, ou bien comprendrait-il qu’elle ne lui voulait aucun mal ?
Aemillia prit une inspiration. Elle était prête à prendre le risque, et à subir son courroux.
« Pauvre Cicéron, un si modeste serviteur… »
Elle sursauta. Une voix féminine avait soudainement susurré à son oreille. Une voix inconnue, désincarnée, qui semblait pénétrer sa tête d’elle-même, sans en avoir reçu l’invitation. Aemillia retint un cri de surprise, se mordit subitement la lèvre. Que se passait-il ?
« Il n’entendra jamais ma voix, car il n’est pas l’Oreille Noire. »
Son souffla s’accéléra. Bientôt, sa main seule ne suffirait pas à le masquer. Elle sentit son pouls accélérer, son cœur cognant dans sa poitrine sous l’emprise de la panique. Que se passait-il ?
« Oh ! supplia Cicéron, retrouvant soudainement l’énergie de se redresser, et de parler à voix haute. Comment vous défendre ? Comment accomplir votre volonté, si vous ne parlez jamais à personne ?! »
Étaient-ce des pleurs qu’elle décelait dans sa voix ? Non, elle se trompait.
« Oh, mais je vais parler, répondit la voix. Je vais vous parler. Car c’est vous que j’attendais. »
Aemillia voulut crier. Aucun son ne sortit de sa gorge. Prisonnière du cercueil, elle tremblait, des gouttes de sueur perlant sur son front, et un frisson glacial griffant sa nuque. À qui s’adressait donc cette voix ? Était-elle la seule à l’entendre ? Cicéron ne semblait pas y réagir. Mais dans ce cas, cette voix désincarnée lui parlait, à elle… ?
« Oui, vous, reprit-on, dans ce murmure étrange qui sifflait à ses oreilles, comme si cette entité avait su lire ses pensées. Vous qui partagez mon tombeau de fer, qui réchauffez mes vieux os. Je vais vous confier cette mission. Rendez-vous à Volunruud. Allez voir Amaund Motierre. »
Bien qu’une part d’elle fût rassurée de ne rien imaginer, Aemillia ne put s’apaiser pleinement. Elle entendait des voix, et pas n’importe lesquelles, et cela la terrifiait. Car il n’y avait aucun doute. C’était là la voix de la Mère de la Nuit. Qui d’autre pouvait s’exprimer ainsi ? Il n’y avait que la momie pour agir ainsi, et informer les enfants de l’ombre des contrats qui les attendaient. Ce qui signifiait…
« Pauvre Cicéron a échoué, gémit l’Impérial en reniflant, sa tête heurtant à répétition la paroi du cercueil. Pauvre Cicéron est navré, Mère adorée. J’ai essayé, vraiment… »
Il se redressa subitement, donnant un coup de pied dans une roche échouée là – probablement le vestige d’un des bancs de la pièce – qui s’en alla finir sa course dans un seau, à entendre le vacarme que cela avait provoqué. Sa voix, une véritable supplique pourtant saisie d’une irritation violente, s’éleva de plus belle.
« Mais impossible de trouver l’Oreille Noire ! »
Durant tout ce temps, l’homme avait erré, à la recherche de l’unique personne qui saurait écouter la voix de la momie, en vain. Ce monologue, il ne l’avait pas tenu avec un traître aux côtés duquel il fomenterait un coup d’état pour renverser Astrid, non. Ce monologue, il l’avait tenu avec la Mère de la Nuit, qui restait muette face à ses suppliques. Aemillia en avait été témoin, il n’était en rien dangereux. Ça n’était qu’un homme dévasté et rongé par la solitude, et le désespoir…
« Dites à Cicéron que le moment est venu, souffla cette voix à laquelle Aemillia ne parvenait à s’accoutumer. Dites-lui ces mots qu’il attend depuis des années. »
Elle se figea. Était-ce réellement possible ? Non, elle devait se tromper, il y avait forcément une erreur.
« La nuit renaît sous le silence rompu. »
Puis ce fut le silence absolu. Le peu de lumière que captait l’Impériale ne lui suffisait plus. Une sensation d’oppression grandissante la gagnait, et l’étouffait. Elle voulait sortir, mais comment faire tant que Cicéron se trouvait là, de l’autre côté ? Elle entendait le bruit de ses bottes de bouffon, les semelles cognant la roche avec irritation, et se doutait que tôt ou tard il remarquerait que le cercueil n’était pas complètement clos, et que quelqu’un se terrait là. Lorsqu’il verrait qu’il s’agissait de la jeune femme un peu trop insistante qui lui avait déplu à leur première rencontre, comment se comporterait-il ? Elle l’imaginait d’ores et déjà pointer le bout de sa lame d’ébonite dans sa direction, et la menacer de lui trancher la gorge pour cet acte infâme qu’elle avait osé perpétré.
La lumière se fit, violemment. Éblouissante, elle aveugla Aemillia, qui se couvrit instinctivement les yeux pour se protéger de la douleur vive qui la gagnait. Elle manqua de trébucher, constatant que la porte sur laquelle elle s’était appuyée afin de ne pas toucher la momie s’était dérobée, et distingua le visage renfrogné qui la fixait. De grands gestes, de grands cris. Cicéron était hors de lui.
« Quelle trahison ! hurla-t-il à pleins poumons. Vandale ! Oser un tel affront !! »
Elle descendit la marche, retrouvant la douce sensation de la pierre sous ses semelles. Mais voilà que l’Impérial la tenait en joue, exactement comme elle se l’était figuré. Ses doigts resserrés autour de la poignée, il ne tremblait pas. Seul le grincement du cuir de ses gants se faisait entendre.
« Vous avez osé profaner le cercueil de la Mère de la Nuit, gronda-t-il, une lueur assassine dans son regard. J’exige des explications. »
Aemillia déglutit. Incapable de formuler le moindre son, ses lèvres s’entrouvraient en silence.
« Parle, vermine ! » invectiva-t-il, approchant seconde après seconde sa lame de la peau de l’Impériale.
Il était à portée de main. Au moindre mouvement, il trancherait sa gorge. Si sa réponse lui déplaisait, il pouvait très bien enfoncer le métal froid dans ses chairs, et savourer le sang chaud qui jaillirait de la plaie béante.
« Je peux tout expliquer, Cicéron ! implora-t-elle, joignant devant elle ses deux mains dans l’espoir qu’il reculerait afin de ne pas la blesser. Écoutez-moi, je vous en prie… »
Il fit un pas en arrière, sans pour autant baisser son arme. Ses sourcils froncés lui donnaient un air mauvais, terriblement mauvais. Le blanc de ses yeux cernés de violet s’était injecté de sang sous le coup de l’émotion. Il était dans un état pitoyable et, pourtant, restait debout et fier, prêt à défendre la Mère de son corps s’il le fallait. La grimace dans laquelle étaient figées ses lèvres laissait entrevoir ses dents. En constatant ses canines pointues, Aemillia le crut prêt à se jeter sur elle et la mordre comme le ferait une bête sauvage.
« Je… On m’a demandé de vous surveiller, balbutia-t-elle en reprenant peu à peu sa consistance, bien qu’elle ne pût croiser son regard tant elle avait honte. J’ai dû obéir, je n’avais pas le choix. Mais je vous ai toujours cru innocent, je l’ai toujours su que vous protégiez la Famille, et la Mère…
– Qui vous a demandé ça ? C’est Astrid, n’est-ce pas ? »
Elle garda le silence, préférant baisser la tête plutôt que de répondre. Cicéron se renfrogna davantage. Pourtant, il rangea sa dague, et croisa les bras sur son torse à la place. Il était moins offensif, davantage sur la défensive, mais restait à l’écoute.
« Cette sale… Pardon. Cicéron s’est encore emporté. Mais cela ne pardonne pas cette profanation !
– À ce propos, j’ai… J’ai un message pour vous. »
Avalant difficilement sa salive, Aemillia releva le nez. Les yeux bruns de l’Impérial la fixaient, mais avaient perdu de cette rage pour s’animer d’une forme d’indifférence. Il restait impassible, probablement las d’entendre sa voix, et impatient de passer à autre chose.
« La… La Mère de la Nuit m’a parlé, annonça-t-elle alors, réalisant difficilement le poids de cette information tant tout cela lui paraissait impossible. Elle m’a dit que c’était moi qu’elle attendait…
– Elle vous a parlé ? »
Cicéron reprit ce ton agressif. Esquissant un geste en direction de son arme, il semblait prêt à lui faire regretter jusqu’au simple fait d’être née.
« Assez de trahison ! vociféra-t-il, la main sur le pommeau de la dague, à un geste de dégainer. Être perfide et fourbe ! Vous mentez !
– Cicéron, écoutez-moi… !
– La Mère de la Nuit ne parle qu’à l’Oreille Noire… »
La dague d’ébonite sortit de son fourreau. Cicéron se tenait en garde, prêt à bondir sur elle à tout moment. Ses traits se tordirent, sa gorge se creusa. Son corps, en-dehors de son visage, ne trahissait en rien la violence de l’émotion qui le parcourait. Seules quelques gouttes de transpiration perlaient sur son front, collant quelques mèches rousses entre elles. Les lèvres, fines et sèches, se tordirent dans un cri qui perça Aemillia avec une brutalité qu’elle n’avait encore jamais connue.
« ET IL N'Y A PAS D'OREILLE NOIRE !! »
Terrifiée, un réflexe fit s’accroupir Aemillia. Recroquevillée sur elle-même, les mains plaquées sur ses oreilles, elle retrouva l’espace d’un instant cette sensation d’être un enfant grondé par les parents à cause d’une grosse bêtise. En l’occurrence, c’était un Cicéron à l’esprit ravagé qui hurlait à pleins poumons, parce qu’elle avait osé profaner le cercueil de la Mère. Elle ne l’avait pas fait de gaieté de cœur, elle n’avait pas le choix, elle avait dû obéir, pouvait-il comprendre, n’était-ce qu’écouter ce qu’elle avait à dire, elle voulait tant qu’il entendît sa voix, qu’il lui accordât un instant, rien qu’un instant, une seconde où il ne la considérerait pas comme une ennemie, et où…
« La nuit renaît sous le silence rompu, » cria-t-elle en retour, d’une voix qu’elle ne se reconnaissait pas, brisée par la peur, et entrecoupée de sanglots.
Il se figea à son tour, son bras armé immobilisé dans les airs. Elle le constata en osant jeter un regard dans sa direction. Ses muscles raidis, elle ne pouvait faire davantage. Crispée de toute part, elle se trouvait paralysée, accroupie en un semblant de position fœtale, dans l’angoisse de ce qu’il allait advenir d’elle. Sortirait-elle vivante de cette pièce un jour ? Les secondes se changeaient en heures.
« Elle… a dit ces mots ? fit-il, soudainement calmé. Elle a dit ces mots, à vous ? »
Cicéron rangea son arme.
« La nuit renaît sous le silence rompu ? »
Ses yeux s’écarquillèrent. Il porta sa main gantée à son visage. Ses doigts tremblaient, avant que les spasmes ne parcourussent davantage son corps.
« Mais ce sont les mots… Les mots exécutoires… »
Courbé en deux, il fixait le vide. On eût dit un pantin auquel on avait brusquement tranché les fils. Aemillia releva la tête. Sa paupière frémit, il enfouit son visage dans ses paumes.
« Les mots exécutoires, écrits dans les Manuscrits du Gardien, murmura-t-il à bout de souffle. Le signe pour que j’agisse… »
Sa voix se brisa dans un soupir.
« Le seul moyen pour Mère de parler à son cher Cicéron… »
Il tomba à genoux, levant les yeux vers la figure momifiée. Était-ce de la joie qu’il exprimait là ? L’Impériale ne sut dire de quelle nature étaient ces larmes qui montaient dans le coin des yeux du Gardien. Il joignit ses mains en une prière, un sourire béat sur les lèvres.
« Alors c’est vrai… ? Elle est de retour ? Elle est de retour ! »
Cicéron se releva presque aussitôt, entamant une danse digne des divertisseurs de la cour impériale. Il sautillait à travers la pièce, tapant dans ses mains, chantonnant une mélodie qui parut fausse aux oreilles d’Aemillia. Elle, en revanche, ne pouvait bouger. Abasourdie par la succession d’événements et d’émotions, elle ne parvenait à comprendre. Était-ce réellement la Mère de la Nuit qui lui avait susurré ces mots ? La Mère lui avait parlé ?
« Notre Dame est de retour !! sifflait Cicéron en donnant des coups de talons dans la pierre pour battre un rythme, avant d’étoffer ce dernier en tapant sur ses cuisses. Elle a élu une Oreille Noire ! Elle vous a choisie ! »
Voilà qu’il lui tendait la main. Elle glissa la sienne dans cette paume froide et grinçante, qui l’aida à se relever. À présent, il serrait fermement ses deux mains dans les siennes, et balançait leurs bras de droite à gauche, à l’unisson, sans cesser de sautiller. Un véritable enfant.
Maintenant qu’elle y prêtait attention, elle remarqua combien Cicéron était de petite stature. À dire vrai, ils se trouvaient tous deux à même hauteur d’yeux. Lorsqu’elle était âgée de dix ans, il lui semblait grand, comme tous les adultes. Or, à présent, elle réalisait combien elle l’avait admiré, peut-être aveuglément. Il n’était plus celui qu’elle avait connu, et elle n’était plus celle qu’il avait connue. Pour peu qu’il pût se souvenir de l’enfant qu’il avait recueillie, celle-ci n’avait plus rien à voir avec l’Impériale qu’il ne voulait désormais plus lâcher.
« Je vous salue, Oreille Noire ! » articula-t-il finalement en reculant, dans une courbette digne de celles que l’on adressait d’ordinaire aux hauts dignitaires.
Un sourire illuminait son visage, étirant les lèvres ainsi que les joues. Il était sincèrement heureux de ce revirement de situation. Aemillia, quant à elle, peinait à comprendre tout ce qui venait de se passer. Cette voix… C’était celle de la Mère de la Nuit ? Il en était sûr ? Quelle idiote elle faisait – si ça n’avait pas été elle, comment aurait-elle pu connaître les mots, sinon ? Alors comme ça, elle était devenue l’Oreille Noire, l’élue choisie par la momie pour entendre sa voix. L’être que cherchait Cicéron durant toutes ces années. La seule personne en qui il pouvait avoir pleinement confiance en ces lieux, puisque tous deux étaient désormais liés à cette femme désincarnée…
« Par Sithis, cela suffit ! hurla une voix, celle d’Astrid, alors qu’elle pénétrait dans la chambre du cercueil, ayant enfoncé la porte à peine barricadée par le Gardien. Écartez-vous, vieux fou ! »
Cicéron obéit sans protester, probablement trop stupéfait par cette soudaine irruption pour répliquer. Les yeux d’Aemillia balayèrent la pièce, allant de l’homme à la femme, muette. Elle voulait se dresser devant lui, et le protéger, mais elle ne pouvait rien faire. Ce serait un affront à Astrid, et elle ne pouvait se permettre cela…
« J’ignore ce que vous manigancez, mais c’est terminé ! »
En position d’attaque, elle pointait son arme – une dague d’acier unique en son genre – en direction de l’Impérial, visant à l’éloigner d’Aemillia, et à ainsi se rapprocher d’elle afin de lui assurer sa sécurité. Il leva les mains en l’air, signalant ainsi son obtempération, mais ne manqua pas de lui jeter un regard méprisant. Situé à distance raisonnable d’elle, désormais, il ne pouvait plus tenter quoi que ce fût, bien qu’elle sût qu’il n’en aurait jamais eu l’idée, plus maintenant. Une fois à ses côtés, Astrid toucha l’épaule de la jeune femme, sans pour autant baisser son arme.
« Est-ce que tu vas bien ? lui souffla-t-elle, inspectant brièvement l’allure de l’Impériale comme si elle se trouvait à la recherche de la moindre blessure. J’ai entendu le remue-ménage. »
Elle acquiesça. Que pouvait-elle faire d’autre ? Les mots lui manquaient, comme si le simple fait d’avoir communié avec la momie lui avait ôté sa voix.
« À qui Cicéron parlait-il ? Où est son complice ? demanda-t-elle, avant de soudainement hausser la voix, et de crier dans le vide. Montrez-vous, traître ! »
La Nordique croirait-elle ses dires si elle lui avouait toute la scène ? Aemillia craignait que sa méfiance envers l’homme provoquerait une réaction négative tant que son témoignage n’irait pas en faveur de ses opinions très tranchées à son sujet. Elle s’apprêta à répondre, lorsque Cicéron plaida sa cause. Sa voix tremblait, à la fois d’inquiétude et d’impatience. Peut-être craignait-il lui aussi que quelque chose n’arrivât à l’Impériale s’il se taisait plus longtemps.
« Je n’ai parlé qu’à la Mère de la Nuit ! glapit-il, esquissant un geste en direction de la momie, avant d’adresser silencieusement une prière à son égard. Je lui ai parlé, mais elle ne m’a pas répondu, oh non… »
Il fit un pas dans leur direction, mais se stoppa bien vite, constatant la pointe de la longue dague qui le menaçait. Pourtant, rien ne pouvait lui arracher ce sourire de joie sincère, ni cette lueur qui pétillait dans son regard.
« Elle ne parle qu’à une personne. À l’Oreille Noire !
– Quoi ? lâcha Astrid, perdant un instant de sa vigilance. L’Oreille Noire ? Qu’est-ce que vous racontez ? Quelle est cette folie ? »
La lassitude et l’irritation se trahissaient d’elles-mêmes dans sa voix. Aemillia avala difficilement sa salive. Si Cicéron parlait, s’il racontait tout, elle ignorait ce qu’il adviendrait d’eux. Après tout, l’Oreille Noire et le Gardien ne pouvaient être ignorés. Mais si la parole de la Mère n’allait pas dans son sens, comment réagirait la Nordique ? Elle semblait attachée à ce rejet des traditions, ce même rejet qui les avait sauvés de l’effondrement par le passé, et peu encline à revenir sur sa décision.
« C’est vrai, c’est vrai ! La Mère de la Nuit a parlé ! Le silence a été rompu ! scanda Cicéron en dansant, un tremblement d’émotion dans la voix. L’Oreille Noire a été choisie !! »
Il tendit les mains, paumes tournées vers le plafond, vers Aemillia, avant de poser un genou à terre et de lever le visage vers elle. Jamais n’avait-elle vu une telle émotion le gagner. Cette joie qui le traversait était tout bonnement divine, elle n’avait d’autre façon de la qualifier. Les larmes qui naissaient dans le coin de ses yeux étaient bien plus éloquentes que ne pouvaient l’être les mots. Il avait trouvé ce qu’il avait cherché durant des années. Il l’avait trouvé, en elle. C’était ironique qu’ils se retrouvassent ainsi – aucun d’eux deux n’était la personne qu’ils avaient été autrefois. Le temps s’était écoulé, apportant avec lui son lot d’événements marquants, et de changements. Cicéron n’était plus Cicéron. Aemillia n’était plus Aemillia. Cicéron était devenu le Gardien. Aemillia était devenue l’Oreille Noire…
« Quand j’ai entendu son cri, j’ai su qu’il s’était aperçu de ta présence. »
Le murmure d’Astrid arracha l’Impériale à ses réflexions. Elle l’avait suivie aveuglément, sans même prendre conscience de ce qui se passait, jusqu’à une pièce voisine, à l’abri d’un Cicéron surexcité qui offrait à la Mère de la Nuit divers onguents, en guise de célébration pour ce grand jour. Sa voix n’était plus qu’un faible bruit à peine audible ; seule celle d’Astrid comptait.
« J’ai craint le pire. Est-ce que tu vas bien ?
– Je… Oui, je vais bien… Je crois ? Je ne sais pas, c’est allé si vite, et…
– Doucement. Respire un grand coup. »
Elle tenait fermement les épaules d’Aemillia, la contraignant à se tenir face à elle. L’Impériale aurait voulu s’enfuir, prendre le temps de digérer tout cela de son côté avant d’en reparler, mais voilà qu’elle était, une fois de plus, contrainte d’obéir…
« Cicéron a dit qu’il a parlé à la Mère de la Nuit, mais celle-ci s’est adressée à toi ? Je t’en prie, dis-moi que c’est une mauvaise plaisanterie.
– C’est vrai. La Mère de la Nuit m’a parlé. Elle m’a dit que c’était moi qu’elle attendait.
– Quoi ? »
Incrédule, la Nordique fixait intensément dans les yeux l’Impériale. Elle n’osait croiser ce regard glacé qui, ainsi assombri par les sourcils froncés, l’effrayait. Elle craignait le courroux d’Astrid, pour la simple et bonne raison que c’était la seule personne qui connût si bien son passé et, de ce fait, qui pût autant lui nuire. Au moindre faux pas, elle pouvait aller dénoncer la jeune femme aux soldats, voire même la leur amener. Et si elle devait fuir le sanctuaire, et fuir Cicéron, que deviendrait-elle ? Elle n’avait plus aucun avenir, et refusait de le perdre de vue à nouveau…
« Ainsi Cicéron ne parlait à personne, songea-t-elle à voix haute, mais simplement au cadavre de la Mère de la Nuit ? Et la Mère de la Nuit qui, c’est bien connu, ne s’adresse qu’à la personne élue comme Oreille Noire vient à l’instant même de te parler ? »
Aemillia acquiesça. Astrid blêmit.
« Par Sithis. »
Elle lâcha prise, libérant la jeune femme de cette prison de chair qui l’avait enfoncée dans le sol dallé où elle commençait à prendre racine. Elle déglutit difficilement, se massa les tempes, et fixa un instant dans le vide, le visage tourné vers le mur voisin, avant de la dévisager à nouveau. Sa tresse blonde, quelque peu défaite dans sa hâte pour rejoindre l’Impériale qu’elle avait crue en danger, glissa de l’épaule où elle s’était perchée pour tomber dans son dos. Le poing sur la hanche, elle demanda fébrilement.
« Et… Qu’a-t-elle dit ?
– Je… Elle m’a demandé de parler à un certain Amaund Motierre, balbutia Aemillia, retrouvant doucement l’usage de la parole, libérant sa gorge enrouée dans laquelle s’étouffaient cris et pleurs, et tout autant d’émotions qu’elle refoulait de crainte de se laisser submerger. Elle m’a dit qu’il se trouverait à Volunruud…
– Amaund Motierre ? répéta-t-elle, dubitative. J’ignore de qui il s’agit. En revanche, Volunruud, j’en ai entendu parler, et je sais comment nous y rendre. »
Sa main couvrait ses lèvres. Si Aemillia comprenait bien la procédure à suivre, alors la suite des opérations se dessinait aisément. Toutefois… Quelque chose l’inquiétait quelque peu. Astrid était-elle capable de mettre de côté son orgueil, et passer la main ? Elle en doutait fortement.
« Alors il faudrait que je me rendez là-bas, et que je parle à cet homme ? risqua-t-elle, d’une timide voix d’enfant craignant de se faire gronder.
– Non, non, non ! vociféra soudainement la Nordique, dont le visage virait au rouge. Écoute, je ne sais pas ce qui se passe, mais c’est à moi que tu obéis. Sommes-nous bien d’accord ? Cicéron et ses folies n’ont rien à faire ici, c’est notre Sanctuaire ! »
L’Impériale baissa honteusement la tête, fixant ses pieds qu’elle n’osait remuer. Elle aurait dû refuser cette mission personnelle. Voilà où ça l’avait conduite ! Elle était dans une situation si délicate, et devait désormais jongler avec Astrid et ses humeurs désagréables. Il lui fallait se positionner vis-à-vis de Cicéron, et son choix n’était pas celui que la Nordique espérait.
« La Mère de la Nuit s’est peut-être adressée à toi, mais je reste le chef de cette famille. Je ne permettrai pas que mon autorité soit outrepassée si facilement. C’est bien compris ?
– Oui, Astrid… »
Entre Cicéron, qui souhaitait un retour aux traditions les plus sincères de la Famille, et Astrid qui s’opposait à tout individu pouvant remettre en question sa position de chef du sanctuaire, rien n’allait. Elle se trouvait là, entre deux feux, incapable de savoir quelle décision prendre. Dans un cas comme l’autre, l’incendie grondait. Son cœur et son intégrité lui soufflaient d’épauler l’Impérial. Après tout, elle lui devait tout, jusqu’à la vie, et elle était, apparemment, l’Oreille Noire. Elle avait besoin de lui, du Gardien, afin de connaître les règles à suivre, et pour rendre à leur Mère tous les hommages nécessaires. Quant à Astrid…
Elle connaissait vraisemblablement trop d’informations au sujet d’Aemillia pour qu’elle lui tournât ainsi le dos. Après tout, s’opposer à elle, c’était s’opposer au Sanctuaire. L’Impériale ne pouvait se permettre de s’isoler ainsi. Seule, elle ne pourrait survivre. Mais si elle décidait d’ignorer son rôle, et d’obéir malgré tout à la Nordique, qu’adviendrait-il de sa relation – déjà tendue, pour ne pas la qualifier d’étrange – avec Cicéron ? Renier la Mère revenait à le renier lui. Et elle ne pouvait faire un tel sacrifice… Elle ne parvenait décidément à s’y résoudre.
« J’ai besoin de temps pour y réfléchir, articula Astrid après un long soupir las, et fatigué. Va voir Nazir, et travaille pour lui. Je viendrai te trouver quand je serai prête à discuter davantage de cette histoire.
– Je… Très bien, Astrid. Désolée pour tout cela… »
Elle serra les dents et le poing. C’était de sa faute si les choses avaient pris cette tournure. Elle n’aurait pas dû espionner Cicéron. Elle n’aurait pas dû se glisser dans le cercueil. Elle n’aurait pas dû rejoindre la Confrérie Noire d’Épervine. Elle pouvait remonter longuement, et de cette façon, le fil de ces mauvaises décisions qu’elle avait prises, enchaînant une succession d’événements désastreux qui n’avaient fait qu’empirer son cas. C’était comme ces petits empilements de livres qu’elle s’amusait à faire lorsqu’elle était petite ; bien qu’ils semblassent tous parfaitement stables une fois mis sur la tranche de queue, dès que la construction commençait à prendre des proportions plus grandes – ce qui, pour la fillette qu’elle était à l’époque, signifiait « dépasser le nombre de deux livres empilés » – elle commençait à s’ébranler, avant de s’effondrer avec pertes et fracas. Seulement, cette fois-ci, il n’y aurait pas d’Octavia pour tenter d’adoucir la punition. Qui que fût la personne qui reprendrait le rôle de sa mère, elle savait que la sentence serait amère. Oui, en cet instant, elle se trouvait aussi démunie que la gamine ayant abîmé l’exemplaire de son livre préféré, et qui se retrouvait entre deux feux ; d’un côté la servante adorable qui cherchait à minimiser l’acte, et de l’autre les parents, furieux de voir leur descendance prône aux bêtises commettre de nouvelles erreurs.
« Ne t’en fais pas, ma petite Aemillia. »
Astrid lui accorda un regard qui se voulait rassurant, mais qu’elle perçut comme quelque peu malveillant. Cette femme cachait ses intentions, et parfois laissait délibérément son vis-à-vis interpréter le fond réel de sa pensée, dans un jeu de pouvoir psychologique qu’elle détestait.
« Ton secret sera bien gardé, tant que tu obéiras à mes ordres. Va accomplir ton devoir envers ta famille, maintenant. Tu es promise à un bel avenir. »
Que pouvait-elle faire d’autre ? Attendre et se ronger les sangs ? Tôt ou tard, il faudrait faire face aux événements, et à Cicéron. Maintenant qu’il l’estimait, en tant qu’Oreille Noire, s’ouvrirait-il davantage à elle ? L’écouterait-il ressasser le passé sans s’énerver ? Une part d’elle l’espérait, bien qu’elle sût qu’elle se leurrait dans des fantaisies irréelles.
Seule dans cette pièce obscure, Aemillia se tenait fébrilement, le ventre noué par l’appréhension des lendemains à venir. Elle fixait la porte, empruntée par Astrid quelques instants plus tôt, comme si elle attendait que la Nordique revînt sur ses pas et lui expliquât en riant que ça n’était qu’une farce, une mise en scène destinée à connaître ses intentions véritables. Cicéron viendrait à son tour, et lui adresserait ses amitiés, avant de lui avouer qu’il n’avait rien oublié, qu’il se souvenait parfaitement d’elle, et qu’il était heureux de la retrouver en ces lieux.
Mais personne ne vint. Elle était seule, terriblement seule, dans cette obscurité profonde, qui l’enveloppait dans une étreinte froide et sans amour. Il n’y avait rien d’autre que du désespoir à l’issue de ce chemin – elle le savait, et avait longuement cherché à faire briller cette faible lueur d’espoir qu’elle gardait en elle mais, à présent, l’avenir lui semblait aussi noir et encrassé que le sang séché sur son armure et les larmes poussiéreuses qu’elle versa en silence.