Klothild Hache-Sanglante

Chapitre 1 : la légende d'Arintil le Dément

5734 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/07/2021 23:19

Texte écrit dans le cadre du Carnet des Dieux, édition 2021. Il fallait écrire un texte qui commençait par "Comme une faible plante, comme un rejeton qui sort d'une terre desséchée, il n'avait ni beauté ni éclat pour attirer nos regards, et son aspect n'avait rien pour nous plaire." Bonne lecture !


***


— Comme une faible plante, comme un rejeton qui sort d'une terre desséchée, il n'avait ni beauté ni éclat pour attirer nos regards, et son aspect n'avait rien pour nous plaire. Pire, il possédait la laideur des trolls et la malice des daedras. 

   

    Le public était suspendu aux lèvres de Helvi Voix-de-miel. La jeune femme fit glisser ses doigts sur son luth avant de reprendre, un sourire aux lèvres : 


—  Ses yeux se résumaient à deux fentes malsaines. Ses mains, aux ongles changés en griffes, ne possédaient aucune grâce, aucune souplesse. Son corps lui-même ressemblait à un jeune bouleau malade, sur lequel on aurait passé une robe. Fils de Molag Bal, le daedra de la domination, il lui ressemblait en tous points : ceux qui refusaient de se soumettre à lui connaissaient d’affreux tourments. Il aimait humilier, rabaisser, violer, torturer, tuer. 


    Un nouvel accord s’échappa de l’instrument, suivi d’un second. Ses doigts délicats grattèrent les cordes avec dextérité, tandis qu’elle commençait à chanter : 


—  Ô Bordeciel, terre de nos aïeux, 

Entends donc la légende d’Arintil le Dément, 

Seigneur maudit du tertre aux Mille Yeux, 

Promis à mourir des mains d’un enfant. 


    Un coup de coude me tira de ma rêverie. Je jetai un regard agacé au moucheron. 


—  Fous-moi la paix, réclamai-je. Tu vois pas que j’écoute ? 

—  C’est la dixième fois en une semaine qu’on l’entend, celle-là, grommela-t-elle. Je la connais par coeur ! 

—  Boucle-la, grognai-je. 


    Elle s’exécuta avec une moue boudeuse. Quelle gamine, franchement… Je retournai à mon écoute, agacée d’avoir décroché. 


—  … de démons, chantait la barde,

Il était craint dans toute la région.


Loin au coeur des montagnes isolées, 

Ses pouvoirs peu à peu augmentaient. 

Sombre seigneur maudit par sa naissance, 

Bientôt maître du monde par sa puissance.


Ô Bordeciel, terre de nos aïeux, 

Chante donc la légende d’Arintil le Dément, 

Seigneur maudit du tertre aux Mille Yeux, 

Promis à mourir des mains d’un enfant. 


Surgit alors un héros inconnu, 

Enfant de Lumière au coeur corrompu, 

Protégé par la Dame Eclatante,

Il combattit ses créatures dégoûtantes. 


Dans les ténèbres de son repaire profané, 

Ils s’enfermèrent pour s’y affronter. 

Longtemps résonna un effrayant vacarme, 

Porté par le sombre fracas de leurs armes.


Ô Bordeciel, terre de nos aïeux, 

Murmure donc la légende d’Arintil le Dément, 

Seigneur maudit du tertre aux Mille Yeux, 

Promis à mourir des mains d’un enfant. 


Agonisant parmi les tombes ancestrales,

le Héros lui jeta un ultime sort, 

Une malédiction qui repoussa même la mort, 

Et qui résonne toujours dans l’air vespéral. 


Ô Bordeciel, terre de nos aïeux,

N’oublie pas la légende d’Arintil le Dément, 

Seigneur maudit du Tertre aux Mille Yeux, 

Promis à mourir des mains d’un enfant. 



    Trois accords achevèrent la chanson. Des applaudissements fusèrent, accompagnés de quelques encouragements pour qu’elle continue son spectacle. Je portai ma chope à mes lèvres pour avaler une gorgée supplémentaire de bière. 


— C’est bon, on peut discuter, maintenant ? demanda le moucheron. 

— Si j’ai pas envie, tu m’en veux ? répliquai-je.

— Toi, t’as une idée derrière la tête, poursuivit-elle sans se soucier de ma remarque. Quelque chose me dit que tu veux retrouver le tertre de cet Arintil… 

— Même pas vrai ! m’exclamai-je. Je me demandais juste qui pouvait être ce héros. 

— Un champion de Méridia, répondit-elle avec un haussement d’épaules. 

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? 

— “Enfant de lumière au coeur corrompu, protégé par la Dame éclatante”, récita-t-elle. Méridia est la princesse de la lumière. Une daedra. Donc ses adeptes sont forcément corrompus. 

— T’as l’air de bien t’y connaître, en daedras, remarquai-je. 

— C’est la base, ça… tenta-t-elle. Pas besoin de les servir pour connaître un peu leurs champs d’influence, surtout quand tu dois les combattre pour faire régner l’ordre à travers Tamriel ! 

— Comme la fois où tu as aidé Azura à récupérer son étoile ? la taquinai-je. 

— C’est pas pareil, grommela-t-elle. Et boucle-la, un peu, y’a des Vigiles de Stendarr dans le coin, je te rappelle. 

— T’as peur de te faire attraper ? 

— Ferme-la, Klo… 


    Son regard dériva vers une table, derrière nous. Je me retournai. Deux impériaux nous observaient avec attention. 


— C’est des Vigiles ? demandai-je en reportant mon attention sur le moucheron. 

— Ça t'arrive d’être discrète ? répliqua-t-elle. 

— Bah quoi ? J’ai pas hurlé que tu avais aidé Az… 

— La ferme, Klo ! 


    Elle me donna un coup de pied sous la table. Un petit gémissement m’échappa. 


— T’es dingue ? Ca fait mal ! 

— Un problème ? demanda un troisième homme en s’approchant de nous. 

— Tout va bien, assura le moucheron. Elle s’est cognée le genou sur le bord de la table. 


    Son regard assassin me dissuada de répliquer. L’homme, de toute façon, ne semblait pas faire attention à moi. Il fixait Fah d’un air insistant, qui la mit mal à l’aise. 


— Vous êtes la Dovahkiin ? demanda-t-il au bout de quelques instants. 

— Oui, pourquoi ? 

— On aurait besoin de votre aide, avoua-t-il. 

— Heu, alors, oui, mais… 

— C’est en rapport avec la chanson que vous venez d’entendre. 

— Dites-nous tout, réclamai-je. 


    Un léger soupir échappa au moucheron, tandis que j’appelais la tavernière pour qu’elle serve une bière à notre nouvel ami. Des détails venant de professionnels de la chasse aux daedras au sujet de cette légende ? Talos, vous ne nous avez jamais autant gâtées ! Il s’assit donc avec nous, les sourcils légèrement froncés. 


— Donc cette légende n’est pas juste le fruit de l’imagination d’une barde itinérante, demanda la Dovahkiin une fois qu’il fut installé. 

— Non, confirma-t-il. Comme toute légende, elle possède une part de vérité. Arintil a vraiment existé et été enfermé dans son propre tertre par un adepte de Méridia qui y est mort, lui aussi. Nous pensions que cette histoire de malédiction n’existait que pour effrayer les enfants, mais nous avons arrêté, il y a peu, un groupe de nécromanciens au service de Molag Bal. Après interrogatoire, il s’est avéré qu’ils recherchaient le tombeau d’Arintil pour le libérer. 

— Donc vous avez besoin d’aide pour localiser un vieux tertre poussiéreux dans lequel un type mort depuis belle lurette attend d’être ramené à la vie par une bande de fous dangereux, résuma-t-elle. 

— En fait, on a déjà localisé le tertre. Il est situé non loin de Cisaille, pile sur le territoire d’un dragon. 

— Et vous avez besoin de mes services pour libérer le passage, devina-t-elle. 

— C’est ça. 

— Et vous comptez faire quoi, ensuite ? Tant qu’il monte la garde, personne ne devrait trop oser s’approcher du tertre, non ? 

— Nous comptions y entrer pour trouver Arintil et l’éliminer, déclara-t-il. C’est le seul moyen de calmer les adeptes de Molag Bal. 

— Alors qu’est-ce qu’on attend ? demandai-je. On y va ! 



********* 


    Le Vigile aurait dû préciser qu’il comptait y aller en plein hiver. Le froid vif me gelait les os et la neige tombait si fort qu’on ne voyait pas à plus de deux mètres devant nous. Le moucheron grelottait, emmitouflé dans une épaisse cape de fourrure, et les Vigiles eux-mêmes peinaient à avancer malgré leur motivation lorsqu’il s’agissait de s’opposer à un culte daedrique. Si un troll des glaces décidait de nous tomber dessus, nous étions fichus. 

    Pourtant, personne ne semblait décidé à s’arrêter, même pour se mettre à l’abri et échapper à la tempête. En même temps, entre le moucheron motivée à massacrer du dragon et les chasseurs d’hérétiques déterminés à immoler un mort-vivant… Ils étaient fous. Tous les quatre. L’elfe ressemblait à un bonhomme de neige un peu amaigri. Les trois impériaux frôlaient l’hypothermie. J’étais la seule à tenir à peu près bien sous la température glaciale, en fait. Mais même moi, je commençais à penser qu’on aurait dû faire une pause. A ce rythme, nous n’arriverions pas vivants au tertre. 

    Un hurlement lointain me tira de mes pensées. Je serrai le manche de ma fidèle hache, tandis que le moucheron invoquait un atronach de feu devant elle. Talos, elle n’aurait pas pu le faire plus tôt, ça ? On se les caillait depuis des heures, et elle ne nous fournissait une source de chaleur que maintenant ? 


— C’était quoi ? demanda le plus jeune des Vigiles. 

— Un dragon, sûrement le gardien du tertre, expliqua Fah avec calme.


    Un gémissement échappa au Vigile, qui jeta un regard inquiet au ciel. L’elfe ricana, puis murmura trois mots : 


— Laas, yah, nir. 


    Elle scruta ensuite l’air autour de nous, sous l'œil surpris et inquiet des trois chasseurs de daedras. Je suivis ses mouvements, inquiète. Je savais que le thu’um lui permettait de voir à travers le blizzard pour distinguer des formes vivantes. Ou mortes, d’ailleurs. Si quelque chose venait à nous attaquer, elle nous préviendrait aussitôt. 

    Un instant plus tard, elle forma une boule de feu dans sa main et hurla : 


— Il est là, attention ! 


    Le temps de me tourner, la bête était déjà sur nous. Son souffle gelé nous frôla, tandis que son cri perçant nous déchirait les oreilles. Incapables de le repérer avec la tempête, les trois impériaux s’étaient regroupés, dos à dos, en cherchant l’origine du cri. Je me rapprochai du moucheron, qui lâcha son sort dans une direction précise. Les flammes éclairèrent un court instant des écailles grises suspendues un peu au-dessus de nous, juste avant de se fracasser contre une membrane de la même teinte. Le grognement de protestation qui suivit m’apprit que le dragon avait été touché, et sans doute blessé. 

Sans perdre de temps, Fah tira son arc et y encocha une flèche. Son regard concentré ne quittait pas le ciel devant nous, mais elle ne lâcha pas son trait tout de suite. Au mouvement qu’elle imprimait à son arme, je compris que sa cible bougeait. Je raffermis ma prise sur mon arme, impatiente. Moi aussi, j’avais envie de taper du dragon.


— Montre-toi, lâche ! hurlai-je. 

— Ta gueule, Klo, grogna le moucheron. C’est déjà assez dur comme ça, alors… 


    Elle n’acheva pas sa phrase. Un oeil bleu-gris s’ouvrit au-dessus de nous, trop haut pour ma hache, mais à portée de tir pour l’elfe. Elle lâcha sa flèche, qui s’élança aussitôt vers la créature. Un instant plus tard, un hurlement de douleur retentit au-dessus de nous, vite suivi par le lourd fracas d’un corps immense venu s’écraser au sol. Je m’élançai aussitôt, déterminée à lui faire goûter le fil de ma hache. 

    Une ombre massive se profila vite dans mon champ de vision. Je levai mon arme sans ralentir, attendis un court instant de me placer à portée, et l’abaissai pour frapper le monstre. Un nouveau rugissement lui échappa, accompagné d’une gerbe de glace. Pendant que je dégageais ma hache, une silhouette fine s’élança sur le dragon. Un pâle éclat me fit savoir qu’il s’agissait de mon moucheron, armée d’une épée spectrale qu’elle venait sans doute d’invoquer. 

    Crâneuse. Moi aussi, si j’avais son agilité d’elfe, j’aurais pu me jeter sur le dos de cette chose pour lui défoncer le crâne à coups de hache ! Et puis la magie, c’était mignon, mais si lâche… pratique, mais lâche. Rien ne valait une véritable arme tranchante, affûtée, taillée pour le combat. 

    Je profitai toutefois qu’elle avait attiré son attention pour lui coller un coup dans une patte. Il grogna, balança sa queue dans ma direction. Je roulai sur le côté pour l’esquiver et me glisser sous son ventre. Ma hache trouva seule le chemin de sa cage thoracique. Le dragon lâcha un bruit étrange. Je lui aurais coupé le souffle, au lézard géant ? Intéressant. 

    Conscient que nous allions lui faire la peau, il tenta de redécoller. Je sentis alors une violente secousse sur ma hache, qui s’éleva en même temps que lui. Talos, elle ne s’était quand même pas coincée dans ses côtes, si ? 

    Si… 

Mes pieds quittèrent le sol, tandis qu’un cri surpris franchissait mes lèvres. 


— Lâche ta hache, idiote ! me hurla le moucheron. 

— Même pas en rêve ! répliquai-je malgré tout. 


    Il n’alla pas très loin, de toute façon. Le bout de métal qui devait lui chatouiller les poumons l’obligea à se reposer quelques mètres plus haut, sur une corniche. L’atterrissage me fit lâcher prise, juste à temps. Il s’écrasa au sol et glissa sur une dizaine de mètres, emporté par son élan. Je pris à peine le temps de me relever avant de me lancer à sa suite. Il allait voir, un peu, ce gros reptile, de quel bois je me chauffais. 

    A défaut de ma hache, perdue dans la tempête, je dégainai ma dague pour me jeter une fois encore sur lui. Il ne bougeait plus qu’à peine, alors je me décidai à grimper sur son dos pour tenter de lui coller mon arme dans la nuque. Le moucheron avait dû bien amocher la zone. J’espérais juste qu’elle avait réussi à retirer quelques écailles. 

    La créature commença à se redresser. Je devais faire vite, si je ne voulais pas bénéficier d’un nouveau tour dans les airs. Je redoublai de force pour me hisser jusqu’à la base de son cou, malgré ses tentatives de m’éjecter. Sa respiration sifflait, ses cris avaient perdu en intensité. Il me semblait d’ailleurs moins vif, sans doute à cause de mon coup héroïque dans sa cage thoracique. 

    Une fois à portée de ma cible, je tentai de trouver une faille dans l’épaisse armure écailleuse qui le protégeait. Il se secoua alors violemment, assez pour me désarçonner. Je glissai donc de son dos avec un petit cri de rage et m’étalai sur le dos dans la poudreuse. Mais, au lieu de s’attaquer à moi, il se retourna. Une voix perça à travers le vacarme du blizzard : 


— Dovah ! Krif Fahliilyol ! 


Mon moucheron. Je profitai de son intervention - et de la réponse du dragon - pour me relever et m’éloigner de sa queue. Je repérai alors ma hache, un peu plus loin, et me précipitai pour la récupérer. Un instant plus tard, j’entendis un petit cri de douleur. D’un coup d’oeil, je repérai la silhouette de l’elfe au sol, non loin de moi, et celle, beaucoup plus imposante, du dragon, juste derrière elle. Une exclamation m’échappa. Il allait la dévorer, si je n’intervenais pas. 

En quelques pas, je réussis à me placer devant elle. Ma hache rencontra les chicots du dragon avec une telle puissance que le choc se répercuta dans mes bras. Le craquement sourd qui en résulta, suivi du hurlement de la bête, me fit savoir que je venais de bien amocher sa mâchoire. Je profitai de sa gorge dégagée pour lui coller un nouveau coup. Une gerbe écarlate, brûlante, s’abattit aussitôt sur moi. 


— Meurs, espèce de vieux lézard ! criai-je. 


    Sa tête parvint à mon niveau. Ma hache vola, pour se ficher avec un son sinistre dans son crâne. Un dernier gémissement lui échappa, et il s’effondra pour de bon. 

    Je m’essuyai les yeux d’un revers du bras. Le cadavre se consuma devant moi, juste avant qu’un filet magique ne le quitte pour gagner mon moucheron, qui peinait à se redresser. Appuyée sur ses poings, elle absorba l’âme du dragon, dont il ne resta bientôt plus qu’un tas d’os polis. 


— Ça va ? lui demandai-je, inquiète. 


    Elle hocha la tête.


— T’es encore plus givrée qu’un spectre de glace, haleta-t-elle. 

— N’empêche que je t’ai sauvée, grommelai-je. 

— Merci. 


    Elle se releva, un petit sourire aux lèvres. Elle était un peu pâle, sans doute à cause de son utilisation abusive de la magie. 


— On rejoint les autres ? demanda-t-elle. 


*******


    Deux heures plus tard, nous atteignions le tertre. L’entrée n’était marquée que par une simple porte noire, nordique, gravée de quelques symboles étranges et incompréhensibles. 


— Nous y voilà, déclara le chef des Vigiles. 


    D’un coup de hache, j’ouvris la porte. Une bouffée d’humidité et de moisissure monta du couloir qui se dévoila devant nous. Le moucheron invoqua une maigre boule lumineuse, qui se mit à flotter au-dessus de sa tête. Je l’imitai. Nous pénétrâmes ensuite dans l’antique sépulture. 

    Dès les premiers mètres, nous sûmes qu’il s’agissait d’un lieu maudit. L’air était lourd, chargé de menaces. Aucun être vivant, pas même la plus petite araignée, ne se profila sous l’éclat blafard de nos sorts. Pire, l’air portait des relents métalliques et putréfiés, comme si une grande quantité de sang avait pourri quelque part, non loin. Talos, cette odeur me donnait la nausée. 

    Nous traversâmes plusieurs salles, toutes plus vides les unes que les autres. Certaines possédaient des alcôves, sans doute taillées pour accueillir des défunts, mais aucune n’était occupée. Pas d’urnes funéraires, pas d’armes cérémonielles, pas d’outils d’embaumement. Rien. Un frisson me parcourut le dos. Je n’aimais pas ça. Une force maléfique oeuvrait entre les murs de ce tertre, je le sentais. 

    Les minutes s’écoulèrent, se transformèrent en heures. Nous avancions toujours plus loin dans le caveau, mais celui-ci restait obstinément désert. Les seules traces de passage consistaient en quelques griffes sur les murs des alcôves, sans doute laissées là par des morts revenus à la vie, ou des corps emmurés vivants à l’intérieur. Je repérai, à un endroit, des marques sombres sur le sol. Du sang. J’en frémis, et resserrai un peu plus mes doigts sur ma hache. 

    A mes côtés, le moucheron ne paraissait pas plus rassurée. Ses mains serraient avec inquiétude la poignée de son épée, ses yeux scrutaient les environs avec inquiétude. Par moments, ses lèvres laissaient échapper trois mots en draconique. Toujours les mêmes. Laas, yah, nir. Elle cherchait des traces de vie, de créatures mobiles qui pourraient nous sauter dessus. Mais, à en juger par son manque de réactivité, rien ne se présentait. 


— Vous êtes sûrs qu’il y a quelque chose ? demandai-je au bout d’un long moment, alors que nous quittions une énième salle vide. 

— Certain, déclara le chef des Vigiles. Il doit être là, quelque part. 

— Mais y’a rien, ici ! m’agaçai-je. Juste des tombes vides ! 

— On n’est pas encore dans la nécropole, avança-t-il. Il y sera sans doute. 


    Nous continuâmes, mais, plus le temps passait, plus je me demandais si nous n’étions pas en train de nous enfoncer dans un piège. L’attitude des Vigiles commençait à me paraître suspecte. Ils semblaient sereins, bien trop pour des gens qui allaient affronter un potentiel demi-daedra fils de Molag Bal. Ils semblaient aussi un peu trop bien savoir où ils allaient. Quelque chose clochait, dans leur attitude. Même leur façon de se déplacer, comme s’ils savaient que rien n’allait leur arriver, me laissait perplexe.

    Alors qu’ils nous entraînaient dans un couloir à un croisement sans hésiter sur la route à prendre, je jetai un regard au moucheron. Ses iris d’or s’y accrochèrent, sourcils froncés. Elle aussi commençait à trouver la situation étrange. Ses doigts se serrèrent un peu plus sur son épée, les miens sur ma hache. 

    Nous arrivâmes enfin devant une immense porte fermée par trois cercles dotés de formes animales. Une énigme, comme les anciens nordiques adoraient en parsemer leurs tombeaux. Le chef des Vigiles sortit un objet d’une petite sacoche pendue à sa taille et l’observa un instant avant de faire tourner les cercles pour afficher une combinaison de trois sceaux. Un loup, un aigle, un serpent. Il posa ensuite sa clé, une sorte de patte de dragon de métal, au centre de la porte. Les griffes pénétrèrent dans trois trous prévus à cet effet. Le verrou tourna, et, avec un grondement sourd, la porte s’ouvrit sur une immense salle souterraine. 

    Nous avançâmes de quelques pas. Des flambeaux illuminèrent aussitôt l’allée centrale. Je me stoppai. 


— C’est pas normal, déclarai-je. On devrait faire demi-tour. T’en penses quoi, Fah ? 


    Le silence me répondit. Je tournai la tête. 


— Fah ? 


    Le moucheron avait disparu. L’angoisse commença à me serrer l’estomac, tandis que le chef des Vigiles se mettait à rire. 


— On dirait que votre amie a eu la présence d’esprit de ne pas prendre plus de risques, déclara-t-il. Mais ne vous inquiétez pas, on la retrouvera. Son sang nous est très précieux vous savez. 

— Comment ça ? demandai-je. 


    Il m’adressa un sourire effrayant. 


— Nous avions besoin d’aide pour pénétrer dans le tertre, expliqua-t-il. Mais votre force et ses pouvoirs nous ont impressionnés. C’est exactement ce qui nous manquait pour accomplir le rituel. 


    Ses deux acolytes me saisirent par les bras. Leur chef se remit à ricaner. 


— Vous foutez quoi ? m’écriai-je. Lâchez-moi ! 

— Vous allez nous servir pour ressusciter Arintil, révéla-t-il. Et votre amie, lorsqu’elle se sera décidée à se rendre, nous permettra de ramener son armée. Grâce à eux, non seulement nous réussirons à conquérir Tamriel, mais nous pourrons aussi chercher un moyen de ramener le seigneur Molag Bal parmi nous. 

— Vous êtes complètement cinglé ! hurlai-je. Lâchez-moi ! 


    Je commençai à me débattre. Les deux impériaux, surpris par ma force, volèrent au sol. Je n’attendis pas qu’ils se relèvent pour balancer mon pied dans le flanc de l’un d’eux et ma hache dans la nuque du second. Le temps de la dégager pour l’enfoncer dans le crâne du premier, deux chaînes à la fois glaciales et brûlantes m’entravèrent les poignets. Un hurlement de douleur m’échappa. 


— Il suffit, Hache-Sanglante, gronda le chef. Vous avez assez bien montré votre vaillance face au dragon. Nous n’avons pas besoin de plus. 

— Allez crever dans l’Oblivion ! répliquai-je. Bande de… de trolls puants ! Ragnards maudits ! Fumiers de… 


    Il exécuta un petit signe de la main. Ma voix s’éteignit aussitôt. Je m’égosillai, mais plus aucun son ne sortait. Foutu mage ! Qu’il aille crever, ce chien d’impérial pourri et corrompu jusqu’à la moelle ! 


— Enfin un peu de silence, déclara-t-il. Passons aux choses sérieuses, maintenant. 


    Les chaînes le suivirent jusqu’à un tombeau scellé situé au fond de la salle. Malgré toute ma mauvaise volonté, je fus traînée de force jusque là-haut. La douleur vrilla un peu plus mes poignets. Talos, libérez-moi, je vous en supplie… 


— Au fait, lâcha le faux Vigile en s’arrêtant soudain. Dovahkiin ? Si tu ne te montres pas, ton amie sera punie pour toi. 


    Il m’adressa un sourire sadique. Malgré la terreur, je ne trouvai rien d’autre à faire que de lui cracher dessus. Il esquiva le projectile d’un air agacé, puis s’approcha de moi, jusqu’à me faire face. 


— Toi, tu cherches à souffrir inutilement… 


    D’un geste, il fit apparaître une nouvelle chaîne, qui s’enroula autour de mon ventre. Elle se mit aussitôt à chauffer. La douleur me fit hurler à m’en casser la voix, tandis qu’un rire effrayant quittait ses lèvres. 


— C’est mieux, déclara-t-il. 


    Il s’éloigna. La chaîne s’estompa, me laissant pantelante et sonnée. Talos, quelle douleur… C’est pas humain, de faire subir ça à quelqu’un. Surtout à moi, quoi ! Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? 

    Je n’eus pas le temps de m’appesantir davantage sur mon sort. Les chaînes me soulevèrent et m’attachèrent sur un autel minable, en pierre, non loin du cercueil. Un cri silencieux quitta à nouveau mes lèvres. 


— Commençons, clama le faux Vigile. 


    Il saisit une dague étrange, à la lame recouverte d’une substance verte infâme et de sels de givre. Des bougies s’allumèrent au sol. De son autre main, il plaça des sels du néant sur mon front, que je tentai de dégager d’un mouvement de tête paniqué. Une nouvelle chaîne me maintint la tête pour m’empêcher de bouger. Talos, par pitié, laissez-moi vivre ! Je ne voulais pas mourir, pas comme ça ! La panique rendait mes pensées incohérentes. Je ne savais pas quoi faire pour me libérer, ni pour arrêter sa folie. Je ne pouvais penser qu’une seule chose : au secours. 

    D’une voix lente, il commença une incantation, les yeux rivés sur moi. Ses prunelles trahissaient une âme fanatique, dévorée par l’idée extraordinaire d’obtenir plus de pouvoir et de satisfaire un maître encore plus cinglé que lui. Fou, il était complètement fou. Il aurait dû servir Shéogorath et non Molag Bal… 

    Mes pensées commencèrent à se brouiller. Mon corps me sembla lourd. Je tentai de l’implorer, mais ma voix ne servait plus à rien. Mes lèvres ne me répondaient plus. Mon esprit devenait flou. Non… non… Talos, s’il vous plaît, non… 

    Alors que l’obscurité commençait à m’aveugler, quelque chose sembla soudain me libérer. Je rouvris les yeux, inspirai un grand coup. Un goût de sang envahit ma bouche. Je toussai. 


— Klo ? 


Je tournai la tête. Le moucheron s’approchait en courant, arc à la main. Un sourire glissa sur mes lèvres. 


— Merci, Fah, croassai-je. 

— Tu vas bien ? T’arrives à te redresser ? 


    J’essayai. Je pus m’appuyer sur mes coudes, mais l’un d’eux glissa sur le bord de l’autel et je retombai sur le dos avec violence. Ma tête claqua contre la pierre. Aïe. Un gémissement m’échappa. 


— Bon, reste là un peu, je vais te… 


    Un grondement la coupa. Je la vis blêmir et se tourner vers le sarcophage. Je l’imitai. Bordel… Il s’ouvrait. 


— T’as vraiment arrêté l’incantation ? lui demandai-je. 

— Je croyais, couina-t-elle. 


    Un corps se dressa hors de la tombe. La peau tendue sur les os, le crâne chauve, les yeux réduits à deux fentes d’où s’échappaient des flammes bleues. Ses doigts s’agrippèrent sur les bords de la tombe. De longues griffes remplaçaient les ongles. Vêtu d’une simple tunique de mage, en lambeaux, il semblait pourtant en pleine forme. 

    Je me sentis pâlir. Ce truc n’était pas mort. Pas tout à fait vivant non plus, mais pas mort. Et sa voix d’outre-tombe m’apporta une certitude supplémentaire. Il était maudit. 


— Alors voilà les sacrifices que ces imbéciles m’ont laissé… ahana-t-il. Intéressant.


    Le moucheron s’écarta, tandis que je me redressais. Elle disparut sans laisser de traces. Un gémissement m’échappa. Lâcheuse. Je n’avais pas ma hache, ni ma dague, ni aucune arme. Je venais d’échapper de peu à un sacrifice, et elle me laissait me démerder avec un truc maudit ? Elle abusait un peu, là. Foutue gamine. 

    Un instant plus tard, pourtant, sa silhouette se dressait derrière ce que je pensais être Arintil. Il pivota pour lui faire face. Un cri de stupeur lui échappa lorsqu’il vit l’épée qu’elle tenait. 


— Impossible, siffla-t-il. Tu devais être mort… 

— Faut croire que les légendes ont la vie dure, répliqua-t-elle. Et que les épées magiques trouvent des porteurs aux quatre coins de Tamriel. 


    Elle chargea. Le nécromancien esquiva l’attaque une première fois, releva dans le même mouvement une dizaine de squelettes cachés dans les ténèbres, le long des murs. Fah en décapita un d’un coup de poing, en fit trébucher un autre. Ensuite, il lui fallut utiliser son épée pour les repousser. 

    Le premier mort qu’elle frappa poussa un cri strident. J’ignorais que les squelettes pouvaient émettre de tels sons, d’ailleurs. Mais autre chose attira mon attention. Son arme semblait s’illuminer de plus en plus à mesure qu’elle renvoyait les cadavres dans leurs tombes. 

    Une fois les tas d’os dispersés, elle s’approcha d’un pas vif du nécromancien. Celui-ci tira une masse de son cercueil et s’avança vers elle. Je les regardai se tourner autour, incapable de bouger d’un pouce. 

    Le nécromancien porta le premier coup. Une lueur verte éclaira son arme lorsqu’il frappa, mais le moucheron para avec vivacité. Arintil lâcha un cri lorsque l’éclat de la lame l’éblouit. Fah en profita pour contre-attaquer. Il esquiva, puis retenta de la blesser. 

    Pendant quelques minutes, ils jouèrent ainsi, à tenter de s’entretuer sans y parvenir. Leurs gestes formaient presque une danse hypnotisante, captivante. J’aurais aimé les rejoindre, mais mes jambes me semblaient faites de coton. Inutile de tenter les daedras, moi qui passais ma vie à trébucher, je n’aurais pas su tenir debout. 

    Puis l’elfe effleura le bras du nécromancien de sa lame. Un puissant hurlement lui échappa, tandis qu’il lâchait son arme d’un geste brusque. Le moucheron en profita : d’un coup précis, elle enfonça l’épée dans son coeur, jusqu’à la garde. Le cri qui jaillit des lèvres d’Arintil me força à me protéger les oreilles tant il était inhumain. Une lumière éclatante s’éleva de la lame enchantée, si brillante que je dus fermer les yeux. 

    Lorsque je les rouvris, l’obscurité était retombée sur la salle. Le silence emplissait l’air, mais plus léger, désormais. Mon moucheron se tenait debout au centre de la pièce, l’air hagarde. Elle avait réussi. Elle avait mis fin à la malédiction et libéré Arintil, désormais en paix dans la mort. Talos, rappelez-moi de ne jamais, au grand jamais, énerver cette gamine. 













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