Digne de vie

Chapitre 7 : Chapitre IV – L’anneau d’or et la dague d’ébonite – Partie I

2947 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/01/2022 09:17

Chapitre IV

L’anneau d’or et la dague d’ébonite

Partie I

 


Les jours et les mois passèrent, et rapidement une nouvelle année s’écoula ; le premier jour de primétoile, tout le sanctuaire fêta à sa manière le festival de la Nouvelle Vie, et accueillit dans un cadre intime quoique festif l’avènement d’une nouvelle année. Pour les assassins aussi, le changement d’année avait une signification ; le renouveau de la nature, la naissance de nouvelles choses. Certains espéraient secrètement que les vestiges de la Grande Guerre s’étoufferaient sous la neige et se dissiperaient avec le retour des beaux jours. La famille avait eu grand mal à survivre pendant ces périodes de troubles…

Au-delà des murs dans lesquels le groupe d’assassins s’était rassemblé, la fête battait son plein en Bruma. Les gens participaient à des concours de boisson – que les taverniers distribuaient gratuitement pour l’occasion – et laissaient jaillir bon nombre d’éclats de voix qui parvenaient légèrement via les nombreux tunnels çà et là. Leur joie communicative se transmettait malgré tout aux assassins terrés comme toujours dans leur antre.

C’était, pour la Confrérie Noire, le seul véritable jour de repos de l’année, puisque personne ne procédait au sacrement noir afin de commanditer des meurtres ce jour-là. Ainsi tous pouvaient vaquer à leurs occupations, et pouvaient même rejoindre les fêtes populaires à l’extérieur s’ils le souhaitaient, mais ils s’en abstenaient généralement par crainte d’être reconnus.

Cicéron écoutait avec fascination les histoires que se racontaient ses frères et sœurs, narrant certains de leurs assassinats avec moult détails grotesques qui y ajoutaient une touche d’humour. Aemillia ne s’était pas jointe à la fête, préférant s’isoler dans les quartiers vides afin de lire dans le calme et la tranquillité. Lorsque l’Impérial le fit remarquer aux autres, on lui répondit que c’était habituel, que c’était son rituel de début d’année. Elle avait fait cela depuis la première année passée en ces lieux.

Puis, dès le lendemain, la vie reprit son cours. Des contrats arrivèrent par messager, il fallait les exécuter, ce à quoi chacun s’attelait. Ticilius forgeait des armes toujours plus perfectionnées ; Aemillia concevait toujours quelques petits poisons en fonction des plantes saisonnières qu’elle trouvait ; Clenhor, Irwaweneth et Nililyth s’entraînaient toujours à l’arc afin de parfaire un peu plus leurs techniques furtives ; Gireanr et Feristair amélioraient leur maîtrise des sorts de destruction…

Tout était comme à son habitude ; Cicéron avait fini par complètement se faire à la vie du sanctuaire. Il comptait dans sa tête le temps qu’il avait passé dans cette famille ; cela ferait huit mois, celui-ci, qu’il était officiellement devenu un assassin, et quinze s’étaient écoulés depuis son arrivée impromptue dans le sanctuaire. Comme le temps passait vite… Il avait l’impression qu’hier encore son père rôdait dans les environs et le menaçait de sa simple présence sur Nirn.

Le jeune homme profitait de chaque jour avec l’insouciance d’un enfant ; il prenait un certain plaisir à remplir les contrats qui lui étaient attribués. Lui qui n’avait jamais eu tant de facilités à côtoyer les gens, il préférait de loin la partie où il fallait les éliminer. Sa rencontre avec la famille du Père de la terreur lui avait fait découvrir des facettes de sa personnalité qu’il n’avait jamais soupçonnées ; lui qui avait longtemps détesté le contact humain, il comprenait peu à peu que jamais il ne saurait se détacher de la chaleur qui se dégageait de ce foyer. Comme c’était étrange de ressentir tout cela…

Un matin, il s’éveilla en réalisant qu’il avait manqué d’oublier quelque chose qui lui paraissait pourtant terriblement important. Il se souvenait très bien du jour où Aemillia lui avait parlé de son passé – après tout, comment oublier de telles horreurs ? –, et où elle lui avait dit quel mois elle était née. Elle n’avait cependant pas mentionné le jour précis de son anniversaire. Lui qui aimait particulièrement les festivités tenues en l’honneur d’un proche – du peu qu’il avait pu participer à certaines d’entre elles –, il se dit que cela aurait été une parfaite idée que de lui donner le sourire en lui offrant quelque chose.

Mais pour cela, se dit-il, il faut que je sache quel jour est le bon

Il la retrouva, une fois de plus, dans les quartiers, seule, assise sur son fauteuil, le regard perdu entre les mots recouvrant page après page l’ouvrage. Il voyait en sa silhouette immobile et paisible une certaine forme de beauté qui trouvait son apogée dans l’atmosphère lénitive de la pièce, où les troubles du silence n’étaient que le crépitement de la torche et la respiration douce de la jeune femme. Depuis le temps, il savait où la trouver lorsqu’elle n’était pas en mission ; elle passait le plus clair de son temps dans cette pièce, où seuls ceux qui étaient fatigués et souhaitaient se reposer venaient.

Il resta sur le seuil, à l’observer ; il adorait la regarder alors qu’elle se détendait et s’adonnait à son activité favorite. Il voyait son œil se promener ligne après ligne sur les mots, et parfois elle le fermait, inspirait, et s’imprégnait des phrases qu’elle venait de lire. Il ne savait pas de quoi parlaient ces ouvrages, s’ils étaient historiques, s’ils retraçaient des légendes ou bien des faits de guerres, mais la voir les savourer les uns après les autres le remplissait de joie. Elle semblait comblée.

Au bout d’un certain temps, elle le remarqua, et lui adressa silencieusement un sourire. Elle ferma le livre qu’elle parcourait, le posa sur ses genoux, et l’invita à la rejoindre. Il avança à pas légers jusqu’à elle, et s’installa sur le fauteuil voisin vacant. C’étaient toujours ces deux sièges-là qu’ils utilisaient ; elle prenait le plus à gauche, et lui venait s’asseoir à sa droite. C’était devenu si habituel que c’en était presque un rituel sacré qu’il ne fallait en aucun cas manquer sous peine d’être banni dans l’Oblivion à tout jamais.

« Que t’arrive-t-il ? demanda-t-elle en le regardant avec bienveillance ; il n’osa croiser son regard tant elle l’intimidait.

– Je me suis souvenu que ton anniversaire était ce mois-ci. Mais tu ne m’as jamais dit quel jour c’était, bredouilla-t-il en frottant ses mains l’une contre l’autre afin de dissimuler sa gêne.

– Oh. »

Le son, clair et distinct, de sa voix lui fit relever la tête. Ses fines lèvres étaient restées dans cette forme arrondie, notant la surprise et, dans le même temps, une sorte de déception. Elles devirent un sourire triste, avant de s’écarter de nouveau lorsqu’elle répondit.

« Tu sais, dit-elle simplement en posant son œil sur la couverture du livre dont elle caressait la reliure du bout des doigts, dans cette famille nous n’avons que faire des anniversaires, et de ce genre de date qui est d’ordinaire importante pour les gens normaux. »

La mine de Cicéron s’effondra, comme si toute sa bonne humeur et toute sa joie de prévoir quelque chose pour celle qui l’avait intégré à cette famille l’avaient quitté face à cette réalisation.

« Ici, personne ne connaît la date d’anniversaire des autres, c’est comme ça. Il faut l’accepter.

– Mais nous pouvons faire une exception, non ? »

Le regard dubitatif qu’elle adopta le calma quelque peu, mais la fougue le reprit presque aussitôt.

« Le vingt-sept d’âtrefeu, dit-il. C’est mon anniversaire.

– Et ? Que suis-je supposée faire de cela ?

– Maintenant tu connais la mienne, de date d’anniversaire. Alors dis-moi la tienne, et on sera quitte. Nous serons l’exception qui confirme la règle de notre famille. »

Aemillia porta la main à sa bouche et la dissimula alors que sa gorge émettait un rire léger. Ce n’était pas un rire moqueur, non. C’était un rire innocent, simplement d’amusement, tant la naïveté et l’ingénuité de son frère étaient plaisantes. Cela lui réchauffait le cœur que de voir que, malgré sa vingtaine, Cicéron gardait dans un sens une âme d’enfant qui contrastait grandement avec leur situation et leur profession. Il était, grâce à ce trait de caractère, tel un rayon de soleil nitescent dans ce sanctuaire froid et lugubre.

« Mais, si tu veux tout savoir, c’est le dix. Ne t’emballe pas avec ça, cela fait des années que je n’ai pas proprement fêté quoi que ce soit. »

Cicéron lui adressa un sourire franc qui traduisait toute la reconnaissance qu’il éprouvait. Il n’avait pas eu besoin de mots pour la remercier de lui avoir confié cette information qu’il jugeait terriblement précieuse.

Ils restèrent tous deux assis en silence, la torche crépitant au-dessus de leurs têtes, jusqu’à ce qu’on appelât l’Impérial depuis une autre pièce ; un contrat n’attendait que lui pour être rempli. Aemillia le salua d’un hochement de tête, lui souhaitant discrètement du courage pour son travail. Il quitta la pièce un grand sourire aux lèvres, le cœur cognant dans sa poitrine et la joie réchauffant son esprit. Serrant contre lui sa dague, il n’espérait que rentrer au plus vite afin de pouvoir discuter de nouveau avec elle, du moindre sujet qu’elle accepterait aborder.

 

La neige recouvrait les toits de la ville. Quelques courageux déblayaient les allées dallées afin de permettre à tous d’y progresser sans trop de peine. Le plus embêtant avec cette ville et ses montagnes voisines était les intempéries hiémales qu’on y subissait.

Malgré l’épais manteau dont il était couvert, Cicéron tremblait. À chaque expiration, l’air qui franchissait ses lèvres s’échappait en volutes blanches et disparaissait en se mêlant au ciel. Son nez devenait douloureux tandis qu’il rougissait sous l’effet de la basse température. Par Sithis, il détestait cette saison. Il n’y avait que deux raisons qui le poussaient à sortir : le travail, et Aemillia.

Bien qu’il ne comprît pas lui-même la raison de son engouement quant à son anniversaire qui approchait – bon sang il n’avait plus que deux jours ! – il s’échinait à arpenter la ville à la recherche de la perle rare. L’Impérial s’était longuement creusé la tête, et se retrouvait incapable d’avoir une idée qui lui plût réellement. Il était trop fier pour aller se confier à ses frères et sœurs et pour leur demander conseil ; il ne voulait pas que l’on se moquât de lui puisqu’il ne respectait pas les us et coutumes de leur famille. Enfin, étant donné qu’il n’avait plus aucun contact dans le mondain c’était peine perdue que de chercher de ce côté-ci.

Le jeune homme errait sans but, jusqu’à ce que ses pas le menassent dans l’auberge dont il avait tué le propriétaire en guise de rite de passage ; il fut surpris de voir qu’il avait été remplacé par sa femme après son décès. Elle semblait bien se porter, tant mieux pour elle. Il devait admettre s’en vouloir de l’avoir privée de son époux.

Curieux des derniers événements relatifs à l’auberge, mais néanmoins peu désireux de retourner le couteau dans la plaie, il se contenta de commander de quoi s’hydrater et se rassasier. Puis il s’en alla s’asseoir dans un coin de la salle, face contre mur, mais tourné de sorte à pouvoir entrapercevoir la porte d’entrée et les possibles nouveaux arrivants. Il regardait les autres clients sans vraiment les voir, bien trop absorbé par ses réflexions.

Il ne pouvait lui offrir une arme ; Ticilius demanderait d’où elle provenait, et dans quelles conditions Aemillia l’aurait obtenue, et Cicéron ne pouvait supporter la gêne que cela lui apporterait. Et puis, son rapport aux armes était quelque peu… biaisé. Il ne pouvait pas non plus lui offrir de vêtements ; il ignorait quelle taille lui conviendrait, et avait encore moins connaissance de ses goûts. Par ailleurs, elle ne mettait que très rarement des vêtements typiques de la vie de dehors ; il la voyait presque systématiquement vêtue de son armure de cuir digne de leur famille. À de très rares occasions elle revêtait une tenue plus commune, mais étant donné qu’elle sortait assez peu fréquemment pour le simple plaisir de visiter le monde extérieur, cela ne servait à rien.

Dans ce cas, pourquoi pas une amulette ? Non, quel idiot il faisait. Ils vénéraient Sithis, et pas un des Divins. Pourtant elle était sous la protection de Stendarr, non ? Peut-être possédait-elle déjà une amulette en son honneur de toute manière. C’était quelque peu étrange que le Divin n’eût agi lorsqu’elle lui avait tourné le dos en rejoignant la Confrérie Noire, et en vénérant Sithis. Mais c’était pour le mieux – tant qu’elle se portait bien et était à l’abri des horreurs de ce monde, alors tout irait bien.

Mais alors, se demanda-t-il en s’écroulant sur la table, que lui offrir ? Quel cadeau serait convenable pour une sœur d’armes ? Pour lui qui avait toujours été fils unique jusqu’à rejoindre la Confrérie Noire, c’était une question qui resterait malheureusement sans réponse. De plus sa mère était morte en couches, si bien qu’il n’avait eu que des contacts très sommaires avec la gent féminine. Au mieux les vieilles dames du quartier. Au pire ces inconnues qu’il croisait dans ses rêves. Il était plutôt ignare sur bien des sujets, il voulait bien l’admettre.

Sans qu’il ne sût trop d’où lui venait cette idée, il se dit alors qu’un bijou pouvait peut-être faire l’affaire. Peut-être pas une amulette, mais un simple bijou, sans nécessairement qu’il fût enchanté. Discret et passe-partout, elle pourrait aisément le dissimuler, et il était plutôt commun pour une femme d’en posséder. Un collier, une bague voire peut-être un bracelet, tout irait à la perfection à Aemillia. Cela scella sa décision ; il finit expressément son repas, ainsi que sa chope d’hydromel, et quitta les lieux sans plus tarder.

Il se remémora alors une échoppe commerçante ; un bijoutier du nom de Vantustius Doran la tenait depuis quelques années déjà si ses souvenirs étaient bons. L’homme, trop fier et hautain pour disposer d’un étal sur la place marchande voisine de la chapelle dédiée à Martin Septim, avait établi son commerce dans un bâtiment près de l’immense édifice religieux. Au sous-sol était dissimulée sa demeure, comme le voulait l’architecture brumaise, afin de conserver le plus de chaleur possible dans les habitations.

Cicéron entra dans la boutique, non sans ressentir une certaine appréhension. Et s’il ne trouvait rien d’intéressant ? Pire, et si son présent déplaisait à Aemillia ? Il ne voulait pas y penser, et pourtant cela le hantait.

« Bonjour, accueillit sobrement l’Impérial affairé à son comptoir. Que puis-je faire pour vous ?

– B—Bonjour, bredouilla-t-il en tirant la capuche recouverte de neige de son manteau ; il fut ravi de constater le petit brasero qui consumait une bûche dans l’entrée. Je souhaiterais vous acheter un bijou. C’est pour l’anniversaire de ma sœur, vous voyez… »

Le marchand lui jeta un regard intrigué – probablement l’avait-il reconnu, et savait-il qu’il n’avait pas de sœur de sang – puis lui demanda quel type de parure il souhaitait se procurer ; Cicéron resta quelques instants songeur.

Aemillia ne portait aucune parure, si ce n’était cet anneau d’or qui enserrait son index droit, comme s’il ne voulait plus s’en séparer. Peut-être qu’une autre bague pouvait lui faire plaisir ? Loin de là l’envie de remplacer celle qu’elle arborait déjà, il se décida de partir sur cette idée-là.

Après une longue, très longue réflexion quant auquel des articles qu’on lui présentait choisir, il se décida enfin – non sans hésitation –, et repartit avec son achat dans un petit coffret de bois soigneusement travaillé par l’ébéniste auprès duquel se fournissait l’orfèvre. Il le garda précieusement dans ses poches jusqu’au jour fatidique où il dut l’offrir.

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